Depuis peu sont disponibles deux nouveau vaccins oraux vivants atténués contre le rotavirus, destinés aux nourrissons en dessous de six mois (Rotarix®, GlaxoSmithKline et RotaTeq®, Sanofi Pasteur MSD) (tab.1). Rotarix® est admis en Suisse. RotaTeq® est utilisé de routine aux Etats Unis, il est admis dans l’UE, l’enregistrement en Suisse est en cours. La commercialisation de cette nouvelle génération de vaccins pour la prévention des gastroentérites à rotavirus (RV) soulève la question de leur introduction et utilisation en Suisse. Cette revue résume les connaissances actuelles et se termine par un regard sur les options possibles d’une stratégie vaccinale en Suisse.
Vol. 19 No. 1 2008 Fortbildung / Formation continue
Depuis peu sont disponibles deux nouveau
vaccins oraux vivants atténués contre le
rotavirus, destinés aux nourrissons en des-
sous de six mois (Rotarix
®, GlaxoSmithKline
et RotaTeq ®, Sanofi Pasteur MSD) (tab.1).
Rotarix ® est admis en Suisse. RotaTeq ® est
utilisé de routine aux Etats Unis, il est admis
dans l’UE, l’enregistrement en Suisse est en cours. La commercialisation de cette
nouvelle génération de vaccins pour la pré-
vention des gastroentérites à rotavirus (RV)
soulève la question de leur introduction et
utilisation en Suisse. Cette revue résume les
connaissances actuelles et se termine par
un regard sur les options possibles d’une
stratégie vaccinale en Suisse.
Virologie et composition des
nouveaux vaccins RV
Les RV sont des virus relativement stables,
qui restent infectieux pendant des heures
sur la peau, pendant des jours sur des sur-
faces inanimées et pendant des semaines
dans l’eau. Ils contiennent un génome RNA
composé de deux bandes divisées en 11
segments codant 11 protéines. Sur le plan
vaccinologique intéressent les protéines
de surface VP7 (déterminent le sérotype G)
et VP4 (déterminent le sérotype P). Les
deux protéines sont présentes en de nom –
breuses variantes chez l’homme et chez
l’animal. En cas de co-infection par deux
souches RV différentes, le génome seg –
menté permet en principe une «redistri –
bution» des segments et la formation de
nouvelles variantes antigéniques (virus
réassorti). Néanmoins parmi les infections
RV humai nes dominent mondialement
cinq combinaisons G–P, plus précisément
G1 [P8], G2 [P4], G3 [P8], G4 [P8] et G9
[P8].
Rotarix
® est une souche G1-P8 humaine mo –
novalente atténuée. La combinaison G2-P4
n’est donc pas couverte, mais l’évidence
indique que le vaccin peut induire une cer-
taine immunité ou protection croisée entre
P4 et P8
1). La réplication de cette souche
vaccinale dans l’épithélium du grêle est
très efficace, ce qui explique l’élimination
fécale fréquente (documentée chez 50–
80% des vaccinés après la première dose)
et la nécessité de deux doses de vaccin
seulement
2).
Rotateq
® est un vaccin réassorti pentava –
lent, renfermant 5 souches d’origine bovine
exprimant les sérotypes G1, G2, G3, G4-[P8]
de type humain. L’origine bovine ex plique
la faible faculté (comparativement au Ro –
tarix
®) de réplication dans la muqueuse
de ces virus vaccinaux (documentée chez
9% des vaccinés après la première dose), la
teneur virale plus élevée de ce vaccin et la
nécessité d’administrer trois doses
2).
Fardeau de la maladie et clinique
Les RV sont transmis par contact direct
(oro-fécal) et possiblement aussi par gout –
telettes et provoquent, après un temps
d’incubation de 2 à 4 jours, soit des vo –
missements, diarrhées aqueuses et un état
fébrile durant 3 à 7 jours, soit une infec –
tion asymptomatique. Les RV représentent
Vaccination contre les rotavirus –
nécessité ou luxe?
Christoph Aebi*, Berne
Traduction: Rudolf Schlaepfer, La Chaux-de-Fonds
tableau 1: Rotavirus: fardeau de la maladie et vaccins
Fardeau des infections ● 5 000–10 000 consultations médicales par an
à rotavirus en Suisse
● 500–1000 hospitalisations par an
(estimation)
● < 1 décès par an
● pas de séquelles à long terme
Vaccins Rotarix
® [admis], RotaTeq ® [procédure d’admission en cours]
Principe de la vaccination Immunisation active avec virus vivant atténué
Administration Orale, possible en même temps que d’autres vaccins
(p.ex. DTPa-IPV-Hib±HBV; PCV7)
Nombre de doses 2 (Rotarix
®) ou 3 (RotaTeq ®)
Schéma vaccinal (âge) Rotarix
®: à partir de 6 semaines; écart minimal 4 semaines
2 ème dose au plus tard à 24 semaines
RotaTeq
®: à partir de 6 semaines; écart minimal 4 semaines
1 ère dose au plus tard à 12 semaines;
3ème dose au plus tard à 32 semaines
Protection vaccinale pour au Contre toute infection à rotavirus: > 70%
moins deux saisons à rotavirus Contre les hospitalisations dues au rotavirus: > 90%
Contre toute hospitalisation pour gastroentérite: 42–59%
Effets indésirables Comme placebo, notamment pas d’augmentation du nombre
d’invaginations
Contre-indications
● Dépassement de l’âge limite (voir ci-dessous)
● Intolérance à un composant du vaccin
● Déficit immunitaire
● Prématurité
Analyse coût bénéfice
● Pas de bénéfice concernant les coûts directs
● Pas de bénéfice ou bénéfice marginal en incluant les
coûts indirects
Prix Actuellement Fr. 244.– pour 2 doses Rotarix
®
Recommandations ● Recommandé et remboursé: Belgique (sans publication
dans les pays voisins de données coût bénéfice), Luxembourg
● Recommandé, non remboursé: Autriche
● Actuellement non recommandé: Allemagne, France,
Italie, Espagne, Pays Bas, Royaume Uni
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Fortbildung / Formation continue
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mondialement l’agent infectieux le plus
fréquent provoquant des gastroentérites
sévères, déshydratantes chez les enfants
de moins de 5 ans et sont à l’origine de
30–80% des hospitalisations dues à une
gastroentérite. Les réinfections avec des
souches du même ou d’un type différent
sont fréquentes mais diminuent progres-
sivement en intensité
2).
La charge occasionnée par les maladies
dues aux RV dépend d’une part de facteurs
généraux comme le climat (plus fréquentes
en hiver dans les zones tempérées
3), pas
de prépondérance saisonnière dans les
zones tropicales), le développement ré-
gional (98% de la létalité associée au
RV dans les pays du tiers-monde) et de
facteurs socio-économiques (système de
santé, pourcentage de parents exerçant
une activité professionnelle). D’autre part,
des facteurs individuels comme le bas
âge (pratiquement toutes les hospitalisa –
tions dues au RV concernent des enfants
en dessous de 5 ans, fig.1), l’absence
d’allaitement, l’habitat exigu ou certains
déficits immunitaires peuvent accentuer
le risque infectieux et la sévérité de la
maladie. La fréquentation de crèches n’a
été que partiellement identifiée comme
facteur de risque, le risque étant alors de
peu d’importance (p.ex. risque relatif de
maladie chez des enfants en dessous de
24 mois 1.5
4)).
Les études épidémiologiques pour la Suisse
sont incomplètes. Les RV sont responsab –
les de 22–59% des hospitalisations pour
gastroentérite d’enfants en dessous de 5
ans
5), 6) et de 500–1000 hospitalisations par an
3). L’incidence des hospitalisations dues
aux RV dans cette tranche d’âge se si –
tue autour de 1.5–1.7 par 1 000 années
enfant, ce qui est relativement peu en
comparaison internationale (0.6 pour 1000
jusqu’à 13 pour 1000 dans différents pays
européens et en USA). Cela correspond
à un risque cumulé d’hospitalisation due
aux RV jusqu’à l’âge de 5 ans de 1:134
3)
(UE 1:54 7)). Pour chaque hospitalisation, il
faut compter environ dix consultations am –
bulatoires pour une gastroentérite à RV
8)
et celles-ci représentent environ un quart
de la totalité des épisodes à RV 7). Il faut
ajouter en Suisse au moins une infection
nosocomiale pour 1 000 jours d’hôpital. La
létalité est très basse (<1 décès associé
aux RV par an) et on ne connaît pas de
trou bles durables de la santé.
Effet protecteur et sécurité
des vaccins RV
Bien qu’il n’existe pas d’étude compa -
rative, on peut admettre que Rotarix ®
et Rotateq ® sont équivalents en termes
d’effet protecteur et de sécurité. Dans des
populations (majoritairement) européen -
nes, en comparaison avec un placebo, la
vaccination a évité, durant la première
saison de RV, 74–78% de toute forme
d’infection, 85–96% des infections sévères
et 96–100% des hospitalisations dues aux
RV
1), 9), 10) . L’effet protecteur durant la deu -
xième saison à RV après vaccination était
essentiellement le même (tabl.1)
1), 9). Le vac -
cin Rotarix ®, qui ne contient pas d’antigène
spécifique pour les souches G2 [P4] (voir
ci-dessus), a montré une efficacité de 58% contre toutes les formes d’infection et de
85% contre les manifestations sévères de
cette souche
1), ce qui prouve une protec
-
tion croisée. Globalement les vaccins RV
ont évité 42–59% de la totalité des hospi -
talisations pour gastroentérite des groupes
d’âge examinés.
Les vaccins RV sont très bien tolérés et
la fréquence de fièvre, vomissements,
diarrhée, inappétence ou irritabilité, com -
parée à un placebo, a été la même dans de
grandes études de phase 3. Il a notamment
été prouvé à partir de collectifs de plus de
60 000 nourrissons (et cela se confirme
dans la surveillance post-marketing) que
les deux vaccins RV ne sont pas associés
à une incidence élevée d’invagination
9), 10) .
RotaShield ®, le vaccin RV de première gé-
nération jamais commercialisé en Suisse, a
été retiré du marché parce qu’il a été asso -
cié à l’invagination avec une incidence de
1:10 000
11). La problématique de l’inva -
gination explique la limite d’âge supérieure
pour les études d’enregistrement des nou -
veaux vaccins et par conséquent pour l’âge
conseillé pour la vaccination (tabl.1).
Vaccin RV en Suisse:
pour et contre
Le tableau 2 montre une liste d’arguments
avancés pour ou contre la vaccination de
routine. Suite à l’établissement en 2005
de catégories de recommandations pour
les vaccinations en Suisse
12 ), nous pouvons
imaginer les scénarios suivants:
1) Vaccination recommandée de base:
cela ne peut se justifier pour le vaccin
RV, les ressources pédiatriques en
Suisse étant telles que l’incidence de
complications durables ou mortelles est
négligeable.
2) Vaccination recommandée complémen -
taire (comme p.ex. le vaccin conjugué
pneumococcique): on peut classer le
vaccin RV dans cette catégorie, car, en
«permettant de prévenir chaque année
en Suisse un nombre élevé de cas
de maladies, sans risque de complica -
tions graves ni séquelles permanentes
pour les sujets sans facteurs de risque
identifiables», il correspond à une des
définitions mentionnées
12). La difficulté
pour cette catégorie réside dans le
remboursement par l’assurance obliga -
toire, condition nécessaire pour garantir
à tous les enfants un accès égal à la
Tableau 2: Vaccination de routine contre les rotavirus: pour et contre
Pour Contre
● Incidence élevée de cas de maladie ● Létalité pratiquement nulle
et d’hospitalisations d’enfants en dessous
● Pas de séquelles à long terme
de 5 ans indépendamment de facteurs de
● Relation coût bénéfice négative au prix
risque spécifiques actuel du vaccin
● Disponibilité de vaccins hautement ● Possible perte de l’effet protecteur en cas
efficaces et surs de changement de l’épidémiologie des
● Réduction de la suroccupation des lits sérotypes présents actuellement
d’hôpital durant les mois d’hiver
● Absence de données concernant
● Prévention des infections nosocomiales l’éventuelle circulation de virus vaccinaux
● Accessibilité identique à la prévention dans la population et la possibilité d’un
vaccinale pour tous les enfants «réassortiment» avec les virus sauvages
● Administration orale, pas de consultation
médicale supplémentaire
● Augmentation escomptée de l’immunité
de la population
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prévention vaccinale. Mais les analyses
économiques disponibles dans d’autres
pays et attendues aussi pour la Suisse,
montrent que la relation coût bénéfice
pour la vaccination RV n’est pas favora-
ble
13–15) . Cette évaluation est en tout cas
valable lorsqu’on ne compare aux coûts
d’un programme vaccinal que les coûts
directs (c’est-à-dire les coûts assumés
par les assureurs) de maladies à RV.
Mais il est probable que la relation coût
bénéfice reste défavorable même si les
coûts indirects (surtout la perte de tra -
vail de parents d’un enfant atteint d’une
infection à RV) sont pris en considéra -
tion
13–15) . Il est donc probable que pour
cette maladie fréquente mais relative -
ment banale, le facteur économique
pèse tellement lourd que les instances
compétentes refuseront la prise en
charge par l’assurance de base. Deux
scénarios sont imaginables: rembourse -
ment nul ou partiel, ce qui représen -
terait, pour un vaccin recommandé, une
nouveauté en politique vaccinale suisse,
ou alors une réduction substantielle du
prix du vaccin.
3) Vaccination de groupes à risque: une dé -
finition de groupes à risque n’existe pas
et ne paraît par ailleurs pas judicieuse
pour les infections à RV, celles-ci étant
d’une part très répandues, le risque de
décès et de séquelles durables d’autre
part pratiquement inexistant. 4)
Report de la décision: cette éventualité,
assortie d’une réévaluation après un
temps défini, est imaginable. Elle a été
choisie par la France. Parmi les facteurs
d’évaluation importants, seul le prix du
vaccin et la priorité qu’on lui accorde
dans le cadre de la stratégie vaccinale
nationale sont des variables pouvant
sensiblement influencer la décision à
court ou moyen terme.
Etat actuel de l’évaluation
en Suisse
Durant l’été 2007, la Commission fédérale
pour les vaccinations (CFV) et l’Office
fédéral pour la santé publique (OFSP) ont
créé un groupe de travail chargé d’élaborer
des recommandations concernant la vac -
cination RV. Pour terminer son travail, ce
groupe d’experts ne dispose pas encore
des analyses coût bénéfice pour les deux
vaccins, ni des résultats d’une nouvelle
étude clinique (MORBIS) faite à Lucerne
et Genève, ni de l’évaluation de l’enquête
faite par voie électronique auprès des
médecins installés en décembre 2007. La
publication de ces recommandations CFV/
OFSP n’est pas attendue avant le troisième
trimestre 2008.
* L’auteur est membre de la Commission fédérale
pour les vaccinations (CFV). Il a reçu durant les
5 dernières années des rémunérations pour des
conférences et des contributions financières pour
la participation à des congrès de la part des firmes
GlaxoSmithKline et Sanofi Pasteur MSD.
Correspondence :
Prof. Dr Christoph Aebi
Clinique pédiatrique universitaire
Hôpital de l’Ile
3010 Berne
Tél. 031 632 94 87
Fax 031 632 94 84
christoph.aebi@insel.ch
Références:
Voir texte allemand
figure 1: Distribution, selon l’âge, des enfants hospitalisés suite à une infection à rota -
virus de 1999 à 2003 à la clinique pédiatrique universitaire de l’hôpital de l’Ile, Berne.
Colonnes foncées: infections acquises en milieu non hospitalier; colonnes blanches:
infections nosocomiales
3).
Nombre d’hospitalisations dues au rotavirus
0-6 7-12 13-18 19-24 25-30 31-36 37-42 43-48 49-54 5\
5-60 >60
Groupes d’âge (mois)
35
Informations complémentaires
Traducteur:
Rudolf Schläpfer
Auteurs
Prof. Dr. med. Christoph Aebi , Klinik für Kinderheilkunde, Universität Bern, Inselspital Bern