Durant la décennie écoulée, l’index de masse corporelle (BMI) de la population pédiatrique a considérablement augmenté, conduisant un nombre croissant d’enfants et d’adolescents vers une obésité majeure.
10 Formation continue / For tbildung Vol. 14 No. 2 2003
Durant la décennie écoulée, l’index de
masse corporelle (BMI) de la population
pédiatrique a considérablement augmen-
té, conduisant un nombre croissant d’en-
fants et d’adolescents vers une obésité
majeure. L’obésité est ainsi devenue un
problème épidémiologique et de santé
publique, à tel point que la situation
semble sans issue et désespérante pour
le pédiatre régulièrement confronté à des
patients en excès pondéral.
Mais l’obésité infantile est bien plus qu’un
simple facteur de risque. Elle présente
toutes les caractéristiques d’une maladie
endocrinienne: contrôle central, production
hormonale par un tissu ef fecteur, tissus
cibles et système de rétrocontrôle.
Le tissu adipeux: un organe endocrine
Les régions thalamique et hypothalamique
possèdent un cer tain nombre de zones ré-
gulatrices de la balance énergétique, en
par ticulier le noyau arqué
1). Selon la na-
ture du stimulus central ou périphérique,
le neuropepitde Y (NPY) ou la promélano-
cotine (POMC) sont activés. Le premier
accroît la prise alimentaire et diminue la
dépense énergétique alors que la secon-
de a un ef fet inverse sur la prise alimen-
taire et la dépense énergétique. L’ef fet du
POMC est encore antagonisé par l’agouti-
related protein, qui agit dans le même
sens que le NPY.
L’étude de ces systèmes a permis de dé-
couvrir l’existence d’une cytokine qui allait
profondément modifier la perception de
l’obésité: la leptine. Elle devenait le chaî-
non manquant entre le SNC et l’adipocyte,désormais promu à une fonction autre que
celle de stock de graisse. Cette hormone
est essentiellement produite par le tissu
adipeux et dans une moindre mesure par
l’ovaire et le SNC
2). Son taux circulant aug-
mente parallèlement à la masse grasse.
Elle possède une action centrale en dimi-
nuant l’appétit et une action périphérique.
Au niveau du SNC, elle module la produc-
tion de NPY, agit sur l’axe gonadique etcor ticotrope (tableau 1). De plus la leptine
est l’un des éléments susceptible de mo-
difier la sensibilité centrale aux œstro-
gènes, permettant l’amorce de la puber té.
Un bon exemple de cet ef fet a été dé-
montré par l’emploi de leptine recombinan-
te, dont l’utilisation a dû être interrompue
en raison de l’augmentation de la produc-
tion des gonadotrophines chez une patien-
te prépubère
3). Chez la femme adulte, la
leptine a une ef fet sur la fer tilité confor-
L’obésité, une maladie endocrinienne
Die deutsche Fassung dieses Ar tikels wird folgen
Tableau 1:Modèle de régulation de la balance énergétique
via la leptine et le SNC 1)
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tant d’une cer tain manière l’hypothèse de
Frisch, qui postulait une relation entre com-
position corporelle et le cycle menstruel
4).
Outre ces actions sur le SNC, la leptine a
une action périphérique impor tante, com-
me en témoigne la présence de récepteurs
dans divers organes, foie, muscle, gona-
des etc.
5). Elle module l’emploi des nutri-
ments de manière variable selon le tissu
concerné. Au niveau de l’adipocyte, elle in-
hibe le transpor t du glucose insulino-dépen-
dant, la lipogenèse et la synthèse de glyco-
gène. Ce dernier phénomène est également
af fecté dans le foie, mais sans modifica-
tion de l’af finité du récepteur à l’insuline.
D’autre par t, elle exerce une action sur le
muscle, une diminution de la lipogenèse
et du transpor t non insulino-dépendant du
glucose. Sur le plan énergétique, la leptine
provoque une modification de l’utilisation
des substrats dans le tissu musculaire.
Elle privilégie l’oxydation des graisses dans
le principal tissu producteur d’énergie. Par
ces actions complexes, elle par ticipe de
manière active à la diminution de la sen-
sibilité à l’insuline, telle qu’elle peut être
rencontrée chez le patient obèse.
Le tissu adipeux est bel et bien au
centre d’un système hormonal comp-
lexe qui influence de manière significa-
tive la masse grasse et régule l’emploi
des dif férents nutriments. La reconnais-
sance de cet axe ne doit pas nous faire
oublier l’existence d’autres peptides pro-
duits par l’adipocyte, dont la significa-
tion est encore bien souvent source de
controverses.Pathologies endocriniennes
secondaires
Actuellement les seuls troubles hormonaux
clairement démontrés chez les patients
obèses sont une diminution de la sensi-
bilité à l’insulinedes tissus périphériques
et un hyperinsulinisme basal.Il convient
d’être par ticulièrement prudent dans la re-
cherche de facteurs responsables de ces
changements hormonaux. Les modifica-
tions des taux circulant de leptine et des
dif férents autres peptides ne nous ren-
seignent guère sur l’origine de ces troubles
métaboliques, même s’il apparaît avec une
grande probabilité qu’ils par ticipent à la
résistance à l’insuline des tissus périphé-
riques
6) 7). Il se pourrait que le tissu adipeux
joue un rôle de pivot dans la genèse de
cette résistance et de son expression se-
condaire dans le muscle et le foie
8).
Quoiqu’il en soit, les altérations de la pro-
duction d’insuline et des ef fets de cette
hormone sont des éléments très impor-
tants, car elles représentent une première
étape réversible vers les complications de
l’obésité, diabète type II et maladies car-
diovasculaires. A cet égard, il est impor-
tant de remarquer que l’hyperinsulinémie
basale du diabétique type II a une valeur
prédictive des complications cardiovascu-
laires, indépendante des autres données
biologiques habituelles
9).
Types d’obésité
Au-delà de l’espoir que représente la dé-
couver te de nouveaux moyens thérapeu-
tiques, la description et la compréhension
des mécanismes physiopathologiques del’obésité of frent une mise en perspective
dif férente des problèmes des enfants et
adolescents obèses auxquels nous som-
mes quotidiennement confrontés.
Il est possible de définir deux types d’obé-
sité, l’obésité syndromiqueet l’obésité
commune.Chacune de ces situations pré-
sentent cer taines caractéristiques intéres-
santes.
•L’obésité syndromique, consécutive
à une atteinte génétique de la pro-
duction de leptine, d’un déficit des
récepteurs de la leptine ou de la
mélanocor tine (récepteurs MC4) est
une forme d’obésité inhabituelle et
rare. Elle se traduit par une obésité
morbide d’apparition précoce, une
hyperphagie, des troubles du com-
por tement et est par fois associée
à un hypogonadisme ou à un déficit
en hormone de croissance.
Il est impor tant d’évoquer ce diagnos-
tic chez un patient présentant de tels
symptômes en par ticulier une obésité
morbide et une hyperphagie, consé-
quence d’un trouble du sentiment de
satiété tel qu’il est rencontré dans le
syndrome de Prader-Willi. Les moyens
habituellement utilisés pour diminuer
la prise alimentaire sont inopérants.
Il faut dès lors trouver d’autres stra-
tégies thérapeutiques.
•L’obésité commune, dans laquelle
les altérations métaboliques décrites
précédemment compliquent singulière-
ment nos possibilités d’inter vention
sur le poids. Il faut en tenir compte
et ne pas imputer ces dif ficultés
à la mauvaise volonté du patient.
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Investigations endocriniennes
Actuellement, la compréhension des mé-
canismes endocriniens sous-jacents ne
permet pas encore d’établir une démarche
diagnostic systématique. Le dosage de la
leptine pourrait appor ter quelque renseigne-
ment, mais son dosage de routine n’a
guère de sens, car si la leptine est pro-
bablement un bon marqueur des réser ves
énergétiques, elle n’a malheureusement
pas de valeur pronostique. En ef fet, l’ana-
lyse longitudinale de cohor tes d’enfants
obèses n’a pas permis de confirmer la va-
leur prédictive de la leptine basale sur le
gain de poids futur
10).
D’autre par t, le diagnostic d’obésité dé-
pend d’un critère épidémiologique, Le BMI,
qui ne s’appuie sur aucune valeur biolo-
gique
11). Il est donc très dif ficile de se pro-
noncer sur la per tinence de l’évaluation
des altérations métaboliques reconnues,
en par ticulier en ce qui concerne l’insuline.
Malgré tout, l’hyperglycémie provoquée est
indiquée dans tous les cas où l’on pour-
rait suspecter un diabète.
Approche thérapeutique
La compréhension des mécanismes sous-
jacents de l’obésité por te l’espoir de déve-
lopper de nouveaux moyens thérapeuti-
ques. Mais actuellement nous en sommes
encore bien loin.
L’approche thérapeutique met bien en évi-
dence l’ambiguïté rencontrée dans l’obé-
sité. D’une par t il faut éviter la progression
de celle-ci, mais on peine à reconnaître
à l’enfant obèse un statut de «malade».Avant même de proposer le moyen, il se-
rait utile de définir le but recherché: agir
sur le symptôme qui définit l’obésité ou sur
les altérations métaboliques de la maladie.
Tant que ce dilemme ne sera pas réglé,
toute démarche thérapeutique demeurera
aléatoire. Faute d’éléments biologiques
reconnus, son évaluation ne sera guère
possible.
Il apparaît toutefois qu’une modification du
style de vie, compor tement alimentaire et
activité physique, joue un rôle impor tant
dans la prise en charge des enfants et
adolescents obèses.
L’approche nutritionnelle
Il est évident que l’appor t énergétique joue
un rôle fondamental dans l’obésité. Le
temps n’est plus au régime mais à une
prise en compte du compor tement alimen-
taire. Il s’agit de diminuer la prise alimen-
taire en quantité et en fréquence. De ce
point de vue, l’analyse du compor tement
alimentaire de paires de jumeaux dont l’un
était obèse est intéressante. Sans sur-
prise, le jumeau obèse mange plus en
quantité, plus gras et a une attirance pour
les douceurs
12). En agissant en première in-
tention sur ce compor tement alimentaire,
une réduction de l’appor t énergétique est
escompté. Une fois ce pas franchi, il de-
vient alors plus facile d’appor ter des con-
seils diététiques de manière à éventuelle-
ment manipuler la diète.
L’activité physique
Cer taines approches controversées dans
la prise en charge de ces situations «habi-tuelles » d’excès pondéral ont démontré un
ef fet sur les modifications hormonales pré-
cédemment décrites. C’est en par ticulier
le cas de l’activité physique. Les études
épidémiologiques lui ont conféré un rôle de
compor tement positif de santé. Mais son
ef fet va bien au-delà de ce simple bénéfice
de «bonne santé». L’activité physique est
associée à une diminution de l’insulinémie
basale, à une amélioration de la sensibili-
té à l’insuline des tissus périphériques.
Elle permet également de lutter contre l’ef-
fet lipogénique de l’insuline
13) 14) . L’activité
physique occupe donc une place non négli-
geable dans la prise en charge de l’obésité
juvénile, pour autant que l’on donne aux pa-
tients les moyens physiques de la tolérer.
Conclusion
On ne peut résumer l’obésité infantile à une
prévalence ou à un risque. Il s’agit d’une
maladie avec des modifications métabo-
liques précoces qui représente un défi pour
l’avenir. Pour les pédiatres, il s’agit d’amélio-
rer et de développer les outils thérapeuti-
ques adaptés à la prise en charge de l’en-
fant et de l’adolescent.
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Michel Cauderay, Vevey
Adresse de l’auteur:
Dr Michel Cauderay
Spécialiste FMH
Endocrinologie et diabétologie pédiatrique
Unité de santé cardiovasculaire
de l’enfant et de l’adolescent (USCAD)
Ser vice de Pédiatrie
Hôpital Riviera
1800 Vevey
Informations complémentaires
Auteurs
Dr Michel Cauderay , Spéc. FMH Endocrinologie et diabétologie pédiatrique Unité de santé cardiovasculaire de l’enfant et de l’adolescent (USCAD), Service de Pédiatrie, Vevey