La prise en charge d’enfants malades nécessite fréquemment le recours à des actes, à but diagnostique ou thérapeutique, potentiellement douloureux. La prévention et le soulagement de ces douleurs doivent être une préoccupation constante. Au cours de cette dernière décennie, des progrès considérables ont été faits dans la reconnaissance, l’évaluation et la prise en charge de la douleur en pédiatrie, ce qui a permis non seulement d’améliorer la qualité de vie des enfants malades, mais aussi les conditions de travail des soignants.
La prise en charge d’enfants malades
nécessite fréquemment le recours à des
actes, à but diagnostique ou thérapeu-
tique, potentiellement douloureux. La pré-
vention et le soulagement de ces douleurs
doivent être une préoccupation constante.
Au cours de cette dernière décennie, des
progrès considérables ont été faits dans
la reconnaissance, l’évaluation et la prise
en charge de la douleur en pédiatrie, ce
qui a permis non seulement d’améliorer
la qualité de vie des enfants malades,
mais aussi les conditions de travail des
soignants. Le choix de l’analgésie n’est
pas toujours aisé pour des gestes dou-
loureux de brève durée. Nous rappor tons
ici notre expérience avec l’utilisation du
MEOPA* (mélange équimolaire oxygène
50% / protoxyde d’azote 50%) dans cette
indication.
Historique et effets cliniques
Utilisé depuis plus de 2 siècles en méde-
cine, le protoxyde d’azote (N
2O), dénommé
par fois gaz hilarant, a une action antalgi-
que, anxiolytique et sédative. Les ef fets
provoqués dépendent de sa concentration
(tableau 1). Le mélange fixe MEOPA a été
développé en 1961 et mis sur le marché
dès 1965, principalement dans les pays
anglo-saxons, en salle d’accouchement et
dans les ambulances non médicalisées.
Au cours des années 90, cette technique a
été remise au goût du jour en France dans
les ser vices d’onco-hématologie pédiatri-
que.L’ef fet du MEOPA débute rapidement (3
minutes) et disparaît dès l’arrêt de l’admi-
nistration. Il procure une sédation cons-
ciente permettant à l’enfant de collaborer,
maintient les réflexes de protection des
voies respiratoires et ne nécessite pas de
jeûne. Il peut provoquer quelques nausées
ou vomissements, des céphalées, une am-
nésie, des modifications de l’humeur et
des perceptions sensorielles, auditives ou
visuelles, des paresthésies; ces ef fets se-
condaires sont mineurs et fugaces.
Le MEOPA n’induit pas de dépendance,
mais l’on a rappor té l’usage détourné de
car touche de N
2O comme substance psy-
choactive dans des soirées. Sans danger
sérieux pour le patient, il ne présente pas
de risque notable pour le personnel en cas
d’utilisation intermittente occasionnelle.
Aucun ef fet tératogène n’a pu être mis en
évidence chez l’homme. Cependant il est
raisonnable de ne pas confier son admi-
nistration à des infirmières au cours du pre-
mier trimestre de leur grossesse. A défaut
de système d’évacuation des gaz, une aéra-
tion des locaux et l’utilisation d’une bouteil-le mobile permettant l’administration dans
des salles dif férentes sont des mesures
simples pour diminuer l’exposition profes-
sionnelle. En cas d’emploi prolongé dans un
lieu fixe, un système d’évacuation ou de ré-
cupération du gaz devrait être mis en place.
Ces dif férentes propriétés font du MEOPA
un agent idéal pour obtenir une analgésie
satisfaisante pour des gestes de cour te
durée (moins de 30 minutes) modérément
douloureux.
Matériel, modalités pratiques
d’application
L’administration selon un protocole bien
établi (tableau 2)et le respect des contre-
indications d’emploi (tableau 3)sont des
conditions préalables à toute utilisation.
On sera par ticulièrement attentif à la pré-
sence d’un pneumothorax non drainé qui
pourrait augmenter rapidement par dif fu-
sion du N
2O.
Le MEOPA, délivré par une bouteille con-
tenant le mélange à concentration fixe évi-
14 Formation continue / For tbildung Vol. 14 No. 2 2003
Utilisation du MEOPA pour les actes douloureux
en pédiatrie
Concentration du N 2O Effet provoqué
< 40% Analgésie légère à modérée
40 à 60% Analgésie profonde sans perte de conscience
60 à 70% Discrète somnolence, perte de conscience légère
80 à 90% Stade d’anesthésie avec dépression cardio-vasculaire
par hypoxie en cas d’administration prolongée
100% Perte de conscience obtenue en 1 min. puis
paralysie bulbaire, apnée et arrêt cardiovasculaire
Tableau 1:Effet d’un mélange N 2O-O 2en fonction de la teneur en N 2O
* En Suisse, le MEOPA est commercialisé par la firme Pan-
Gas sous le nom de Medimix 50 ®.
15 Formation continue / For tbildung Vol. 14 No. 2 2003
tant ainsi toute erreur de manipulation et
d’hypoxie accidentelle, est administré à
l’enfant par l’intermédiaire d’un ballon,
d’une valve anti-retour et d’un masque, co-
loré et par fumé, de taille adaptée. La fixa-
tion sur la valve d’expiration d’un jouet
(sif flet, avion…) permet à l’enfant de con-
trôler de façon ludique sa respiration (fi-
gures 1 et 2).
Après explication et présentation du ma-
tériel à l’enfant et à sa famille, le choix de
la couleur et du par fum du masque est
laissé à l’enfant. On applique ensuite lemasque sur le nez et la bouche. Pour les
enfants plus jeunes ou craintifs, une con-
tention douce du masque peut être ef-
fectuée par une infirmière en laissant la
possibilité à l’enfant de bouger la tête.
Après 3 minutes d’inhalation, la sédation
est suf fisante pour réaliser le geste dou-
loureux. La sur veillance est clinique. En
cas d’utilisation préalable ou concomitante
de morphinique ou de sédatif, la présen-
ce d’un médecin auprès du patient est
nécessaire et la saturation transcutanée
en oxygène est mesurée par oxymètre de
pouls. Notre expérience
Dès la période de formation du personnel
terminée, nous avons proposé de recou-
rir au MEOPA chez tout enfant, dès l’âge
de 6 mois, nécessitant un geste doulou-
reux d’intensité modérée. L’âge du patient,
la nature de l’acte douloureux, la durée
d’administration du MEOPA, les ef fets se-
Tableau 2:Recommandations pratiques
• Application sur prescription médicale et présence d’un médecin
dans l’unité
• Respecter les contre-indications
• Éviter les associations médicamenteuses (morphine, benzodiazépines)
car risque de potentialisation
• Préparer et apprivoiser l’enfant
– Présenter le matériel (masques, sifflets, avions)
– Expliquer les changements sensoriels qu’il ressentira
– Montrer un exemple d’application au moyen d’une vidéo
• Vérifier le matériel et le contenu de la bouteille de gaz
• Penser à associer une anesthésie locale (Emla
®, lidocaïne …)
• Prévoir une infirmière consacrée uniquement à l’administration du MEOPA
afin d’assurer une inhalation continue et la surveillance
• Ne pas appliquer le masque de force
• Ne commencer l’acte douloureux qu’après un minimum de 3 minutes
d’inhalation
• Assurer une surveillance clinique (pas d’oxymètre de pouls nécessaire
sauf si médicament associé)
• Savoir renoncer en cas d’échec
Tableau 3:Contre-indications
• Liées à l’acte:douleur trop grande, durée trop longue
• Liées au patient:traumatisme crânien, hypertension intracrânienne, altération de
l’état de conscience, hypertension pulmonaire, accumulation d’air dans un espace
clos (pneumothorax, emphysème, dilatation intestinale), embolie gazeuse, état
hémodynamique précaire, fracture des os de la face
• Relatives:refus de l’enfant
Figure 2:Matériel. Figure 1:Bonbonne mobile.
condaires, l’évaluation de la douleur, la sa-
tisfaction du patient, des parents et de
l’infirmière ont été systématiquement en-
registrés. Ces dif férentes données nous
permettent de faire par t de l’expérience
acquise du 1.11.2001 au 31.12.2002.
Pendant cette période, 76 enfants repré-
sentant 155 applicationsde MEOPA ont
bénéficié de cette technique, 54 à une re-
prise, 22 à plusieurs, dont un à 23 re-
prises (médiane 2). Parmi ces enfants 30,
ayant reçu 57 applications, étaient âgés
de moins de 5 ans (tableau 4). Ce point est
précisé car les données de la littérature
montrent que l’ef ficacité et la tolérance du
MEOPA sont dif férentes dans ces classes
d’âge.
Les dif férents types de geste réaliséssont
rappor tés dans le tableau 5, la majorité
étant des ponctions veineuses (ouver ture
de cathéter, pose de venflon
®ou prise de
sang = 49,6%) et des ponctions lombai-
res (avec ou sans injection intrathécale =
16,1%). Pour cer tains de ces gestes
les enfants ont reçu de plus de l’EMLA
®
(65 cas = 42%) ou une anesthésie lo-
cale (14 cas = 9%). Les prises de sang nesont pas une indication absolue d’utili-
sation du MEOPA car l’application d’une
crème anesthésiante type EMLA
® est
dans la plupar t des cas suf fisante. Nous
l’avons employé, pour ce geste, chez
des malades chroniques ou anxieux, qui
peuvent bénéficier de l’action anxiolytique
et amnésiante du gaz. De nombreuses
autres indications, qui ne se sont pas
rencontrées dans notre ser vice sont rap-
por tées dans la littérature: endoscopie
basse et distale, soins de brûlure, injection
intra-ar ticulaire, biopsie rénale ou hépa-
tique, ponctions diverses (abcès…), ab-
lation de drains transtympaniques, soins
dentaires…
Le MEOPA est indiqué pour des gestes de
cour te durée, inférieure à 30 min. La durée
d’inhalationest de 11 minutes en moyen-
ne, la médiane étant de 10 minutes. Les
ef fets secondaires se rencontrent plusfacilement si on dépasse une durée de
15 minutes. Dans notre collectif, une appli-
cation a dû être arrêtée après 20 minutes
pour agitation de l’enfant.
Au cours du geste, le compor tementde
l’enfant a été noté (tableau 6). Dans 77,4%
des cas, l’enfant est resté calme. L’évalua-
tion de l’analgésiea été un point essen-
tiel de notre travail. Celle-ci apparaît ef fi-
cace car l’évaluation de la douleur, réali-
sée au moyen de l’EVA (Echelle Visuelle
Analogique) pour les enfants à par tir de
5 ans et par l’OPS (Objective Pain Scale)
pour les enfants de moins de 5 ans,
montre que dans 80% des cas l’enfant n’a
pas ou peu eu mal. Si l’on compare les
groupes d’enfants en fonction de l’âge,
on constate, en accord avec la littérature,
que le MEOPA est plus ef ficace chez les
enfants de plus de 5 ans (p = 0,00017,
tableau 7). Dans notre expérience la tolé-
16 Formation continue / For tbildung Vol. 14 No. 2 2003
Tableau 4:Répar tition des
applications en fonction de l’âge
Gestes Nombre de cas Pourcentage
• Ouverture Port-A-Cath
®(PAC) 34 21,9%
• Pose venflon ® 31 20,0%
• Pansement 20 12,9%
• Suture 17 11,0%
• Ponction lombaire (PL) 13 8,4%
• Prise de sang 10 6,5%
• Intrathécale (IT) 10 6,5%
• Ablation drains sondes 8 5,2%
• Plâtre 2 1,3%
• Ablation fils 2 1,3%
• Ablation corps étranger 2 1,3%
• PAC + IT 1 0,6%
• PAC + PL 1 0,6%
• PL + ponction de moëlle 1 0,6%
• Pose cathéter artériel 1 0,6%
• Pose sonde 1 0,6%
• Réduction fracture 1 0,6%
Tableau 5:Gestes
ans
17 Formation continue / For tbildung Vol. 14 No. 2 2003
ranceest bonne dans les deux groupes,
les ef fets indésirables mineurs, peu fré-
quents et non dangereux (tableau 8). Une
euphorie ou hilarité, des rêves sont rela-
tivement fréquents alors que des nausées
ou vomissements sont notés dans 4,5%
des cas et une terreur ou des hallucina-
tions dans 2,6% des cas. Ces ef fets ont
été rapidement réversibles, disparaissant
dans les 5 minutes suivant l’arrêt de l’in-
halation. Dans le 94,2 % des cas, les parents et les
infirmières se sont déclarés satisfaits de
l’utilisation du MEOPA. Les cas d’insatis-
faction sont souvent liés à la déception de
constater des mouvements et des pleurs
de l’enfant alors qu’on espérait une sé-
dation plus impor tante. Il faut se souvenir
qu’il s’agit d’une sédation consciente et
que l’ef fet amnésiant du gaz permettra
une meilleure acceptation des soins ulté-
rieurs.Conclusion
Dans notre expérience le MEOPA constitue
une excellente solution pour l’analgésie
de gestes modérément douloureux et
de cour te durée.Il est d’utilisation très
simple et sûre s’il n’est pas associé à
d’autres médicaments.
Rappelons nous cependant:
•que sa puissance est faible ce qui
contribue à sa sécurité mais limite
ses indications,
•qu’il faut savoir renoncer en cas
d’échec par ticulièrement chez les
enfants de moins de 5 ans.
Son utilisation a beaucoup amélioré la vie
de nos petits malades et l’ambiance de
travail des soignants pour lesquels la souf-
france non reconnue des enfants représen-
tent un facteur de stress impor tant. Ce
mélange devrait être disponible dans tous
les ser vices d’urgences ou de pédiatrie.
Nous remercions toute l’équipe médicale et infirmière du
ser vice de pédiatrie de l’hôpital de Sion pour sa motiva-
tion et sa collaboration qui a rendu possible l’introduction
du MEOPA et la réalisation de ce travail.
Bibliographie
–Carbajal R. Analgésie par mélange (50/50) de pro-
toxyde d’azote/oxygène chez l’enfant. Arch Pédiatr
1999; 6: 578–85.
–Vic P., L aguette D., et al. Utilisation du mélange équi-
molaire oxygène – protoxyde d’azote dans un ser vice
de pédiatrie générale. Arch Pédiatr 1999; 6: 844–48.
–Annequin D., C arbajal R. et al. Fixed 50% nitrous
oxide oxygen mixture for painful procedures: a French
sur vey. Pediatrics 2000; 105: 850–51.
–Gall O., Annequin D., et al. Adverse events of pre-
mixed nitrous oxide and oxygen for procedural seda-
tion in children. Lancet 2001; 358: 1514–15.
Comportement de l’enfant Pourcentage Nombre de cas
• Serein, calme 77,4% 120
• Pleurs 8,4% 13
• Mimique douloureuse 4,5% 7
• Agitation 3,9% 6
• Nécessité contention supplémentaire 4,5% 7
• Réaction de retrait 1,3% 2
Tableau 6:Compor tement de l’enfant
Tableau 8:Réactions au MEOPA
< 5 ans 5–16 ans
• Pas de douleur 70% 91%
• Analgésie insuffisante 30% 9%
Tableau 7
Réactions au MEOPA Pourcentage Nombre de cas
• Aucune 42,6% 66
• Euphorie 12,9% 20
• Hilarité 12,3% 19
• Rêves 11,6% 18
• Agitation 5,8% 9
• Ebriété 6,5% 10
• Nausées/vomissements 4,5% 7
• Terreur/cauchemard 1,3% 2
• Hallucination visuelle/auditive 1,3% 2
• Céphalées 1,3% 2
Colette Bourgois, Henri Kuchler, Sion
Correspondance:
–Dr H. Kuchler, Médecin-chef, Dépar tement de pédiatrie
Hôpital de Champsec, 1951 Sion
kuchler
h@netplus.ch –Colette Bourgois, Infirmière-chef fe
colettebour gois@bluewin.ch
Informations complémentaires
Auteurs
Dr. med. Colette Balice-Bourgois , Hôpital de l’Enfance, Lausanne