L’amélioration de la prise en charge des nouveau- nés pendant les derniers 150 ans se laisse documenter par la diminution de la mortalité infantile. Cette évolution n’a pourtant pas été linéaire mais a été parsemée de nombreuses tentatives bien intentionnées, dont certaines se sont avérées dommageables voire fatales pour les enfants concernés. A la fin du 19ème et au début du 20ème siècle la prise en charge des nouveau-nés était du ressort des sages-femmes et obstétriciens, qui ont contribué de manière décisive à l’augmentation du taux de survie. Le terme «néonatologie » n’a été créé qu’en 1960 et est depuis perçu comme une spécialité de la pédiatrie.
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Figure 1: Diminution de la mortalité infantile (pendant la première
année de vie) et néonatale (pendant les premiers 28 jours de vie) en
Suisse. Source OFS Figure 2:
Couveuse pour nouveau-nés construite en 1870 à Paris. 1
Entrée d’air avec filtre. 2 Bouillottes remplies d’eau chaude. 3 Support
avec matelas. 4 Soupape de sortie. 5 Panneau en verre amovible, pour
observer et sortir l’enfant. 6 Thermomètre. 7 Éponge trempée d’eau
pour humidifier l’air
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L’amélioration de la prise en charge des nou
–
veau-nés pendant les derniers 150 ans se
laisse documenter par la diminution de la
mortalité infantile ( fig. 1). Cette évolution n’a
p our t ant pas été linéair e mais a été par semé e
de nombreuses tentatives bien intentionnées,
dont certaines se sont avérées domma –
geables voir e f at ales p our les enf ant s concer –
nés.
A la fin du 19
ème et au début du 20 ème siècle la
prise en charge des nouveau-nés était du
ressort des sages-femmes et obstétriciens,
qui ont contr ibué de manièr e dé cisi ve à l ’aug –
mentation du taux de survie. Le terme « néo –
natologie » n’a été créé qu’en 1960 et est de –
puis perçu comme une spécialité de la
pédiatrie.
D es nombr eu x palier s qui ont p er mis la sur v ie
d’un nombre grandissant de nouveau-nés
toujours plus petits, nous n’évoquerons ici
que trois thématiques principales, à savoir la
chaleur, l’alimentation et la respiration.
L’histoire de la néonatologie : une histoire à
succès avec de nombreux errements
Hans Ulrich Bucher, Zurich
Traduction : Rudolf Schlaepfer, La Chaux- de – Fonds
Les couveuses salvatrices
En 1870 à Paris, Tarnier a observé que les
enfants nés à domicile et arrivés à l’hôpital
avec une température de 33.5°C décédaient
plus sou vent que les enf ant s dont la temp ér a –
ture était plus élevée. L’état français, alors en
guerre avec l’Allemagne et nécessitant ur –
gemment des soldats, entreprit de grands
efforts pour réduire la très importante morta –
lité infantile de 70 % . Ayant reconnu, suite à sa
documentation, l’importance de la chaleur
pour la survie des nouveau-nés, Tarnier
construisit des boîtes en bois, chauffées avec
des bouillottes, pour empêcher le refroidisse –
ment des enfants (fig. 2) .
Des médecins astucieux ont alors fondé dans
plusieurs grandes villes des institutions avec
un grand nombre de couveuses pour nou –
veau-nés. Ils ont formé des gardiennes qui
surveillaient vingt-quatre heures sur vingt-
quatre les créatures chétives et montraient
les enfants au public contre payement. Lors
d’une exposition en 1879 à Londres, des en -fants prématurés devaient être présentés au
public comme dans un zoo. Les sages-
femmes et médecins s’étant insurgés contre
ce commerce et ayant refusé de mettre à
disposition des bébés, des orphelins furent
importés depuis Paris et le show ainsi sauvé.
Des
Incubator-Baby Side Shows furent ensuite
organisés dans plusieurs villes aux USA, par
exemple en 1901 à New York (fig. 3) et en
1914 à l’exposition universelle de Chicago.
Ces shows n’ont pas seulement eu un succès
financier mais ont aussi favorisé la compré –
hension des besoins spécifiques des nou –
veau-nés.
Alimentation: lorsque le lait mater –
nel ne suffit pas
Une mesur e simple et ef ficace p our élever des
nouveau-nés avec un petit poids et des diffi –
cultés à téter était depuis l’antiquité l’allaite –
ment par une nourrice. A Zurich et dans
d’autres villes, des mères célibataires avec un
bébé étaient nourries et logées gratuitement
dans un foyer à côté de la maternité, à condi –
tion d’allaiter un deuxième enfant. Cela facili –
tait la survie d’enfants prématurés faibles et
assurait l’existence des mères célibataires.
Des laits artificiels ont été proposés déjà au
début du 20
ème siècle. Leur composition par
contre était controversée. Ainsi Rotch exigeait
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Figure 3 : Incubator-Baby Side Show à la Pan – American E xposition de Buf falo, NY, en 1901. Les
enfants prématurés étaient soignés, dans des couveuses à chauffage central, par des gar –
diennes et des médecins formés à cet égard. Les visiteurs payaient une entrée et circulaient
dans des passages délimités par des barrières. Avec l’aimable autorisation: THE BUFFALO
HISTORY MUSEUM
Figure 4: B ib er onner ie de l ’ancienne mater nité de l ’ Hôpit al cantonal de Zur ich , autour de 194 0
en 1911 que les enfants prématurés soient
nourris avec une Drachme (3 3/20 g) 24 fois
par jour, selon la recette suivante: 0.5% de
protéines, 1% de graisses et 3 % de sucre,
chauffée à 167°F (75°C), les concentrations
étant augmentées progressivement les jours
suivants.
Dans les années 1930 fut proposée une for –
mule à base de lait de vache pour remplacer
le lait maternel. Malgré de nombreuses va –
riantes la mortalité restait élevée et diverses
carences se manifestaient, identifiées plus t ar d comme ét ant des dé ficit s en v it amine B6
ou vitamine K. Seuls l’amélioration des condi
–
tions d’hygiène, des eaux usées, l’usage de
réfrigérateurs et de tétines en gomme ont
permis la percée de l’alimentation orale avec
des substituts du lait maternel (fig. 4) .
Pour alimenter les nouveau-nés incapables de
téter, la gastrostomie était en vogue dans les
années 1960 . Elle a été abandonnée suite à
une étude portant sur 122 enfants avec un
poids de naissance inférieur à 1250 g, qui a
démontré que la mortalité était plus élevée dans le g r oup e ave c gas tr os tomie que dans le
groupe contrôle.
L’enrichissement du lait maternel pour les
besoins spécifiques des enfants prématurés
en dessous de 32 semaines de grossesse et
l’alimentation parentérale n’ont débuté qu’à
la fin des années 1970.
Différents moyens pour maîtriser la
détresse respiratoire
L’administration d’oxygène pour le traitement
de la cyanose a été introduite déjà au début
du 20
ème siècle. Le mode d’administration
par contre variait, ainsi a-t-on injecté lente –
ment 10 à 20 cc avec une seringue dans la
veine ombilicale, ou par une sonde dans l’es –
tomac en admettant que l’oxygène serait ré –
sorbé par la muqueuse. Ce n’est qu’après que
Ylpöö décrivit en 1919 l’administration d’ox y –
gène par une sonde pharyngée que cette
méthode s’imposa.
Dans les anné es 194 0 l ’ox ygène a été déli v r é,
dans les layettes et couveuses des services
pour nouveau-nés, à de fortes concentrations
pendant des semaines. Suite à cette utilisa –
tion peu critique de l’oxygène, de nombreux
enfants sont devenus aveugles. En 1941 un
ophtalmologue australien décrivit une nou –
velle maladie des yeux, la fibroplasie (au –
jourd’hui rétinopathie) rétrolentale, se mani –
festant chez des enfants prématurés de
manière épidémique et amenant à une cécité.
On suspecta d’abord une infection, puis un
déficit vitaminique jusqu’à ce qu’enfin l’oxy –
gène se trouvât sur le banc des accusés.
Plusieurs études contrôlées n’ont à ce jour
pas réussi à trouver la concentration d’oxy –
gène idéale et des études publiées récem –
ment ne donnent pas de réponse non plus.
Aujourd’hui encore, trop peu d’oxygène aug –
mente la mor t alité et tr op d ’ox ygène la r étino –
pathie du prématuré.
Le succès majeur dans la lutte contre la dé –
tresse respiratoire du prématuré a été la dé –
couverte en 1959 de Avery et Nead :la cause
du syndrome de détresse respiratoire du
prématuré était le déficit d’une substance
tensioactive, le surfactant. L’effet du surfac –
t ant , pr élevé de p oumons animau x ou pr o duit
synthétiquement, a été clairement prouvé
dans de nombreuses études. Plus élégante a
été la stimulation de la synthèse de surfactant
par l’administration de stéroïdes à la future
mère lors de menace d’accouchement préma –
turé. Ce traitement a été proposé par Liggins
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ProblèmeAnnéeAuteur Solution
Perte de chaleur 1870Tarnier, Budin Couveuse
Difficultés alimentaires 1884Tarnier Alimentation par sonde
Pas de lait maternel 1894Plusieurs auteurs Premières banques de lait
Canal artériel persistant 193 8Cross and Hubbard Fermeture chirurgicale
Érythroblastose fœtale 194 6Diamond Exsanguino-transfusion
Réanimation postnatale 1952Apgar Virginia Score pour l’évaluation de l’adaptation postnatale
Fibroplasie rétrolentale (ensuite: rétinopa –
thie du prématuré) 195 4Kinsey, Silverman et
al. Étude contrôlée randomisée: l’oxygène est la cause
Syndrome de détresse respiratoire 1959Aver y and Mead Surfactant
Hyperbilirubinémie 1969Lucey Photothérapie
Syndrome de détresse respiratoire 1971Gregory CPAP
Poumons immatures 1972Liggins Stéroïdes prénataux
Suivi de l’oxygénation 1973Plusieurs auteurs Pulsoxymétrie transcutanée
Canal artériel persistant 19 74Sharpe Indométhacine
Alimentation orale insuffisante 1975Plusieurs auteurs Alimentation parentérale
Suivi de l’oxygénation 1987Plusieurs auteurs Pulsoxymétrie
Encéphalopathie hypoxique-ischémique 2009Plusieurs auteurs Hypothermie thérapeutique modérée
Figure 5 : Une aide r espir atoir e ef ficace, schéma du CPAP ( C ontinuous Positi ve A ir way P r es sur e )
proposé par Gregory et al. Les flèches indiquent la direction du gaz. Modifié d’après Cumara –
samy N, Nüssli R, Vischer D, Dangel PH, Duc GV. Pediatrics 1973; 51: 632
Tableau 1: Progrès essentiels dans la prise en charge du nouveau-né. (Référence: http://www.neonatology.org/history/timeline.html )
après une observation fortuite chez des
agneaux immatures.
La ventilation en pression positive continue
(CPAP) a été employée déjà au début du
20ème siècle mais n’a connu une plus large
utilisation qu’après la publication de Gregory
et al. en 1971 (fig. 5). La ventilation méca-
nique ne s’est imposée, après de nombreux
es s ais dé cevant s , que dans les anné es 80, les progrès techniques s’accompagnant de meil
–
leures connaissances de la physiologie respi –
ratoire.
A coté des tr ois pr oblèmes pr incipau x dé cr it s
ci-dessus, d’autres découvertes importantes
dont ont bénéficié spécifiquement les nou –
veau-nés sont à mentionner, telles la photo –
thérapie et l’exsanguino-transfusion pour le
traitement de l’hyperbilirubinémie, l’approche
chirurgicale ou médicamenteuse du canal
artériel persistant, la caféine pour le traite –
ment des apnées et l’hypothermie thérapeu –
tique pour limiter l’encéphalopathie hypoxique
ischémique après un épisode d’asphyxie (tabl.
1) .
De nombreuses découvertes de la médecine
adulte moderne profitent aussi aux nouveau-
nés, par exemple les antibiotiques, les
banques de sang, l’échographie, la pulsoximé –
trie ou le traitement hydro-électrolytique sur
mesure. La condition essentielle pour un
traitement rationnel sont les méthodes de
mesure et d’analyse avec de tout petits
échantillons de sang, afin d’éviter l’anémie
iatrogène autrefois obligatoire.
Le traitement de nouveau-nés toujours plus
immatures et petits a pour conséquence la
concentration du traitement dans des centres
périnatologiques hautement spécialisés et a
aussi déclenché des controverses éthiques
sur les limites de la médecine.
Références
– The histor y of neonatology. http://www.neonatology.
org/history/history.html
– Classic Resources in Neonatal-Perinatal Medicine.
http://www.neonatology.org/classics/default.
html
Correspondance
buh @ usz.ch
L’auteur n’a pas déclaré de soutien financier ou d’autres
conflits d’intérêts en relation avec cet ar ticle.
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Informations complémentaires
Auteurs
Hans Ulrich Bucher , Universtätspital Zürich