Durant les dernières 25 années nous assistons, surtout dans le monde occidental, à une augmentation d’allure épidémique du surpoids et de l’obésité chez les enfants et les adolescents.
Fortbildung / Formation continue
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Introduction
Durant les dernières 25 années nous assis-
tons, surtout dans le monde occidental, à
une augmentation d’allure épidémique du
surpoids et de l’obésité chez les enfants et
les adolescents (tableau 1).
Cela doit être imputé en grande partie à un
manque d’exercice et à de mauvaises habi-
tudes alimentaires, des facteurs génétiques
jouant également un rôle. La Suisse n’est pas
épargnée par ce phénomène. En Suisse la pro-
portion d’enfants avec surpoids et obèses a
augmenté de 6 à 9 fois
1)de 1980 à 2002. Les
pédiatres seront donc dans un futur proche
confrontés aux conséquences de l’obésité sur
la santé. Ainsi, la prévention du diabète de
type 2 et des risques cardiovasculaires n’est
plus exclusivement du domaine de l’interniste
ou du généraliste, mais le pédiatre devra de
plus en plus se préoccuper de ce sujet.
La prévalence du diabète de type 2 chez l’en-
fant et l’adolescent a augmenté de façon dra-matique durant ces 15 dernières années, sur-
tout aux Etats Unis et en Asie. Alors qu’aux
Etats Unis, dans les années 80, la part de di-
abète de type 2 chez les enfants avec un di-
abète fraîchement découvert restait stable au-
tour des 4–5%, ce chiffre augmenta jusqu’en
1995 à 15%
2)et représente actuellement
35–55% 3). Au Japon la proportion est même de
80% 3). En Europe, probablement en raison des
différences ethniques, les chiffres ne sont pas
aussi dramatiques et se situent à 1,5–2%
3).
Une fois adultes, les adolescents obèses ont-
ils une morbidité et une mortalité accrue? La
Harvard-Growth-Study a examiné la mortali-
té et la morbidité suite à des maladies cardi-
aques d’origine coronaire (MCC) et des atta-
ques cérébro-vasculaires(ACV) d’environ 500
adolescents obèses des années 1924–35
à l’âge de 60–70 ans
4). Le risque relatif
d’une MCC était pour les hommes 2.3 et pour
les femmes 0.8, pour les ACV les risques re-
latifs étaient respectivement de 13.2. et 7.
Sur fond d’une évolution inquiétante, le but
de ce travail est de transmettre une vue d’en-
semble du diabète de type 2 chez l’enfant et
l’adolescent et de souligner l’importance des
facteurs de risque cardio-vasculaire chez
l’adolescent obèse à la lumière d’enquêtes
récentes.
Obésité et diabète du type 2:
réflexions sur la pathogénèse
Au moyen d’un test de charge au glucose, il
a été démontré qu’environ 25% des enfants
et adolescents obèses ont une tolérance au
glucose diminuée et 4% un diabète de type
2
5). Les sujets avec une diminution de la to-
lérance au glucose présentent un hyperin-
sulinisme, ceux avec un diabète de type 2
n’ont par contre pas d’augmentation de la
sécrétion d’insuline en comparaison avec
les adolescents normaux. L’hyperinsulinisme
de ces patients était l’expression d’une ré-
sistance périphérique marquée à l’insuline
6).
En outre les sujets avec une résistance pé-
riphérique à l’insuline présentaient une teneur
élevée en lipides viscéraux et intra-myocel-
lulaires. La masse graisseuse viscérale et les
lipides intra-myocellulaires sont très actifs
sur le plan métabolique et on peut spéculer
quant à leur rôle direct dans la pathogénè-
se de la résistance périphérique à l’insuline.
En effet, l’apport intraveineux d’acides gras
libres chez le sujet sain ayant un poids nor-
mal diminue l’activité insulinique
7). À partir de
la théorie postulant une relation hyperbolique
entre sensibilité à l’insuline et sécrétion
de celle-ci
8), on peut facilement concevoir
qu’un hyperinsulinisme compensatoire soit
l’expression d’une résistance périphérique
à l’insuline. Cette même relation implique
aussi qu’une diminution progressive de
la fonction sécrétoire des cellules mène
d’abord à une diminution de la tolérance
au glucose et finalement à un diabète de
type 2 manifeste
9).
En simplifiant fortement, on peut résumer en
disant que le diabète de type 2 a une pa-
thogénèse en deux temps: d’abord la mobi-
lisation accrue d’acides gras libres à partir du
tissu adipeux viscéral et des lipides intra-
myocellulaires mène à une résistance à l’in-
suline qui par compensation provoque un
hyperinsulinisme. Ensuite, par la diminution
des fonctions sécrétoires des cellules βdu
pancréas, s’installe une diminution de la to-
lérance au glucose et un diabète de type 2
(figure 1). Pourquoi finalement la fonction de
la cellule βdiminue, n’est pas définitivement
éclairci.
Clinique du diabète de type 2
Les critères diagnostiques du diabète de type
2 sont résumés dans le tableau 2. Bien que
les critères soient clairement définis, dans le
La génération XXL,
le nouveau défi du 21
ème siècle
Obésité, diabète de type 2 et facteurs
de risque cardiovasculaire chez l’enfant et l’adolescent
Marco Janner, Berne
Traduction: Rudolf Schlaepfer, La Chaux-de-Fonds
Tissu adipeux
viscéral
fonction des cellules β
ObésitéRésistance à l’insuline
Intolérance au glucose
Diabète de type 2 Acides
gras libres
Lipides intra-
myocellulaires
Figure 1: Représentation schématique de la pathogénèse du diabète de type 2
Tableau 1: Définitions
Surpoids = BMI percentile 90–97
Obésité = BMI > percentile 97
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cas particulier le diagnostic peut s’avérer dif-
ficile. Une étude comparative faite aux
USA
10 )avec 50 enfants et adolescents avec
un diabète soit de type 1, soit de type 2, a
montré que clinique et résultats de labora-
toire se chevauchaient malgré des diffé-
rences significatives (tableaux 3a et 3b) et
que, dans le cas individuel, une discrimina-
tion claire pouvait s’avérer difficile. Il est
finalement intéressant de constater que,
dans cette étude, le 74% des patients était
d’origine afro-américaine et que le rapport fil-
les: garçons était de 1.6:1.
Facteurs de risque
du diabète du type 2
Ce n’est sûrement pas par hasard qu’aux
Etats Unis et aux Japon les cas de diabète de
type 2 représentent respectivement 50% et
80% des jeunes diabétiques nouvellement dé-
couverts, alors qu’en Suisse et dans d’autres
pays européens comparables ce ne sont que
quelques pourcents. En fait l’appartenance
ethnique est un facteur de risque pour l’ap-
parition d’une résistance à l’insuline. Ainsi les
enfants obèses d’origine afro-américaine ont
une sensibilité à l’insuline moindre que les en-
fants d’origine anglo-américaine avec le
même BMI
11). Le syndrome des ovaires poly-
kystiques 12 ), une anamnèse familiale positive
pour un diabète de type 2 chez des parents
de premier et deuxième degré
13 )ainsi que
le sexe féminin constituent d’autres facteurs
de risque pour un diabète de type 2
10 ). Enfin,
une étude finnoise récemment parue15 )a dé-
montré qu’un poids de naissance élevé, un
ralentissement de la croissance durant les
5 premières années de vie et une prise de
poids excessive pendant les 3 premières an-nées de vie représentent une constellation as-
sociée à un risque élevé d’obésité de diabète
de type 2 à l’âge adulte.
Un résumé des facteurs de risque pour le di-
abète de type 2 se trouve dans le tableau 4.
Dépistage du diabète du type 2
La prévention étant une des tâches principa-
les du pédiatre de premier recours, il est im-
portant de rechercher, sans engager de trop
grands frais, une diminution de la tolérance au
glucose, un diabète de type 2 ou un syndro-
me métabolique chez les enfants ayant un ris-
que élevé pour l’un de ces troubles (tableau 5).
Comme examen de dépistage, il est utile de
doser, dans un échantillon de sang prélevé
le matin à jeun, les paramètres suivants: glu-
cose, insuline, cholestérol, cholestérol HDL,
cholestérol LDL, triglycérides, ASAT, ALAT et
TSH. En présence d’une anamnèse familia-
le positive pour la goutte, on dosera en plus
l’acide urique. Les dosages du glucose et de
l’insuline permettent de calculer l’index
HOMA (tableau 6), un bon indicateur pour la
résistance à l’insuline. Un indice supplé-
mentaire pour la résistance à l’insuline est
une valeur de l’insuline à jeun dépassant 15
mU/ml.
Tableau 2: Critères diagnostiques
du diabète de type 2
●Glycémie à jeun > 7.0 mmol/l ou
glycémie à n’importe quel moment
> 11.1 mmol/l (ou valeur à 2 heures
du test de tolérance au glucose oral).
●Exclusion d’un diabète auto-immun
(anti-corps GAD, IA
2, anti-îlot
et anti-insuline négatifs).
●Obésité
●Pas d’augmentation familiale sus-
pecte d’un trouble génétique de la
cellule β(MODY)
Ces critères doivent être présents de fa-
çon cumulative.
Tableau 4: Facteurs de risque de diabète
de type 2
●Anamnèse familiale positive pour
diabète de type 2 chez des parents
de premier et deuxième degré
●Ethnie: Africains, Asiatiques, Amérin-
diens du nord et du sud, région médi-
terranéenne
●Syndrome des ovaires polykystiques
●Sexe féminin
●Etat après RCIU* ou macrosomie
néonatale (particulièrement si BMI
élevé avant la 6ème année)
*Retard de croissance intra-utérin
Tableau 3b: Résultats de laboratoire au moment du diagnostic chez 50 adolescents
avec un diabète de type 1 ou un diabète de type 2 fraîchement découverts
Diabète de type 1 Diabète de type 2
HbA1c (%) 11 ± 0.5 11 ± 0.6 > .10
Glycémie (mmol/l) 30.8 ± 2.8 18.8 ± 1.3 < .001
Insuline (pmol/l) 86 ± 35 775 ± 287 .02
C-peptide (ug/l) 0.8 ± 0.2 4 ± 1.0 .02
Corps cétoniques
dans l’urine (++/+++) 56% 18% .001
Toutes les valeurs à l’exception des pourcentages de patients avec corps cétoniques dans
l’urine sont indiquées en valeurs moyennes ± SD. Adapté d’après la référence
10 ).
Tableau 3a: Clinique au moment du diagnostic chez 50 adolescents avec un diabète
de type 1 ou un diabète de type 2 fraîchement découverts
Diabète de type 1 Diabète de type 2
Douleurs abdominales 46 33
Vertiges 15 33
Céphalées 33 43
Nycturie 71 65
Polydypsie 96 85
Polyphagie 69 60
Polyurie 94 88
Troubles visuels 17 20
Perte de poids 71* 40*
Acanthosis nigricans 0** 86**
BMI des patients avec diabète du type 1 20 ± 0.8 kg/m
2, BMI des patients avec diabète
du type 2 35 ± 1.1 kg/m2. * p < 0.005, ** p < 0.001. Adapté d’après référence 10 ).
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Actuellement aucun consensus n’a été trou-
vé concernant l’indication à un test de tolé-
rance au glucose. Celui-ci est sûrement in-
diqué si la valeur du glucose à jeun dépasse
5,5 mmol/l.
Traitement du diabète du type 2
Lorsque sur la base des examens de dépis-
tage nous suspectons un diabète de type 2,
la marche à suivre c’est à dire, asseoir le di-
agnostic et mettre en route le traitement,
devrait être discutée avec le diabétologue
pédiatre. D’une part, du point de vue théra-
peutique, la modification des habitudes de
vie est primordiale, incluant un régime spé-
cifique au diabète et une activité physique ré-
gulière. L’obésité étant la cause du diabète
de type 2, il faut la normalisation du poids.
D’autre part un traitement médicamenteux
est indiqué. Le seul médicament anti-dia-
bétique admis jusqu’ici chez l’enfant est la
metformine, dont l’efficacité chez l’enfant et
l’adolescent a été documentée dans une étu- de en double-aveugle, randomisée et place-
bo contrôlée
17 ). À partir de valeurs pour le
glucose à jeun dépassant les 14 mmol/l,
l’indication au traitement par insuline est po-
sée. Ce traitement doit également être en-
visagé lorsque, malgré un dosage maximal
de metformine, le taux de glucose sanguin
reste insatisfaisant.
Le syndrome métabolique
En 1988 Gerald Reaven décrit l’association
intolérance au glucose, hypertension, tri-
glycérides élevés et cholestérol HDL bas
sous le nom de syndrome X
18 ). Il reconnut
également qu’une résistance à l’insuline était
à la base de ces anomalies et qu’elles étai-
ent accompagnées d’un risque élevé d’une
maladie coronarienne:
«(…) cluster of metabolic abnormalities due
to insulin resistance and associated with an
increase in coronary artery disease.»
Bien qu’il n’existe pas de définition consen-
suelle du syndrome métabolique chez l’en-
fant, cette entité est reconnue chez l’enfant
et l’adolescent obèses. Elle sert de modèle
pathophysiologique expliquant l’association
obésité – résistance à l’insuline – dyslipidé-
mie et risques cardiovasculaires aussi chez
l’adolescent ( tableau 7).
Risques cardio-vasculaires chez
l’enfant et l’adolescent obèses
Les enfants et adolescents obèses ne sont
pas seulement exposés à un risque nette-
ment plus élevé de diabète de type 2, mais
apparemment aussi, dans le cadre du syn-
drome métabolique, à des risques cardio-
vasculaires accrus. La Bogalusa-Heart-Stu-
dy qui court depuis plus de 30 ans, montre
que les enfants avec un BMI au- dessus du
percentile 85 ont un risque clairement éle-
vé pour tous les facteurs de risque cardio-
vasculaire connus chez l’adulte. Ainsi, les ris-
ques relatifs pour l’hyperinsulinisme, l’hy-
pertension systolique et l’hypertriglycidémie
étaient respectivement de 12.6, 4.5 et 7.1
21).
Ceci a apparemment aussi des conséquen-
ces directes sur l’épaisseur mesurée par
échographie de la media-intima carotidien-
ne, qui représente une méthode validée, non
invasive, pour évaluer le risque de MCC chez
l’adulte. Chez les jeunes adultes de la co-
horte Bogalusa, un BMI au dessus du per-
centile 85 durant l’enfance et un cholestérol-
LDL élevé se sont avérés être des facteurs de risque significatifs pour un épaississe-
ment de la media-intima carotidienne
22).
Résumé
La prévalence de l’obésité chez l’enfant et
l’adolescent a nettement augmenté durant
ces 25 dernières années. L’obésité mène à
des maladies secondaires importantes
comme le syndrome métabolique, caracté-
risé par une résistance à l’insuline, un
hyperinsulinisme compensatoire, une dysli-
pidémie, une hypertension artérielle et une
glycémie à jeun élevée et grevée d’un risque
élevé de diabète de type 2 et de maladie co-
ronarienne. Chez les enfants et les adoles-
cents obèses ou présentant un surpoids et
des facteurs de risque supplémentaires, de-
vrait être entrepris systématiquement un dé-
pistage du diabète de type 2 et du syndrome
métabolique. Le plus important pourtant est
d’entreprendre en Suisse une prévention pri-
maire de l’obésité avec des informations
d’accès facile d’une part et des conseils spé-
cifiques par les médecins de premier recours
et les pédiatres d’autre part. Pour pouvoir
corriger précocement les mauvaises habi-
tudes alimentaires et de vie, l’attention de-
vrait être portée particulièrement sur les pa-
rents de petits enfants (un à trois ans).
Références
Dr. Marco Janner
Facharzt für pädiatrische Endokrinologie
und Diabetologie FMH / Ext. Konsiliararzt
für pädiatrische Endokrinologie
Medizinische Kinderklinik
3010 Bern
marco.janner@bluewin.c
h
Correspondance:
Voir texte allemand.
Tableau 7: Le syndrome métabolique
de l’enfant et de l’adolescent
●Triglycérides > percentile 97
●Cholestérol HDL < 1 mmol/l
●Glycémie à jeun > 5,5 mmol/l
●BMI > percentile 97
●Tension artérielle > percentile 97
●Tour de taille > percentile 97
L’obésité abdominale est un critère essen-
tiel chez l’adulte. Actuellement n’existent
pour le tour de taille de l’enfant que des
valeurs normales provenant des Etats
Unis
20). Adapté d’après la référence 19)
Tableau 6: HOMA (homeostatic model
assessement)
HOMA = (G)* x (I)** / 22.5
* Glycémie en mmol
**l; Insuline en mU/L
La valeur HOMA dépend de l’âge et du
stade pubertaire. Il faut par contre con-
sidérer une résistance à l’insuline à tout
âge en présence d’une valeur HOMA
au-dessus de 4.0.
Tableau 5: Dépistage du diabète de type 2
●Tous les enfants obèses, âgés de
plus de 10 ans ou ayant commencé
la puberté
●Tous les enfants avec surpoids ré-
pondant à > 2 des critères suivants:
– Anamnèse familiale positive pour diabète de type 2 chez des parents
du premier et deuxième degré
– Ethnie: Africains, Asiatiques, Amé- rindiens du nord et du sud, région
méditerranéenne
– Syndrome des ovaires polykysti- ques
– Acanthosis nigricans
– Hypertension artérielle
– Dyslipidémie
Adapté d’après la référence
9).