Plus d’un milliard d’êtres humains empruntent chaque année des vols commerciaux, et parmi eux toujours davantage d’enfant. En Suisse aussi, nous sommes toujours plus fréquemment confrontés au fait que des parents désirent s’envoler vers l’étranger avec leurs bébés. On trouve aussi des femmes qui viennent en Suisse par avion pour mettre au monde leur enfant et qui veulent retourner chez elles tout de suite après la naissance. De ce fait, nous médecins sommes de plus en plus souvent confrontés aux questions suivantes: quelle est la sécurité d’un vol pour les nouveau-nés? Quel âge doit avoir un bébé pour pouvoir voyager en avion en sécurité?
F o r t b i l d u n g / F o r m a t i o n c o n t i n u e
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Vol. 21 No. 1 2010
A quelles conditions un bébé
peut-il
voyager en avion?
Jürg Barben, St Gall
Plus d’un milliard d’êtres humains emprun –
tent chaque année des vols commerciaux,
et parmi eux toujours davantage d’enfants
1).
En Suisse aussi, nous sommes toujours plus
fréquemment confrontés au fait que des pa –
rents désirent s’envoler vers l’étranger avec
leurs bébés. On trouve aussi des femmes
qui viennent en Suisse par avion pour
mettre au monde leur enfant et qui veulent
retourner chez elles tout de suite après
la naissance. De ce fait, nous médecins
sommes de plus en plus souvent confrontés
aux questions suivantes: quelle est la sécu –
rité d’un vol pour les nouveau-nés? Quel âge
doit avoir un bébé pour pouvoir voyager en
avion en sécurité?
Situation dans l’av\.ion
Les avions volent aujourd’hui à une altitude
de 9000 à 12 000 mètres, où la pression
partielle d’O
2 correspond à celle d’une
concentration en oxygène de 4% au niveau
de la mer (où la concentration normale d’
O
2 est de 21%). Pour cette raison, le niveau
de pression dans la cabine est maintenu ar-
tificiellement à celui d’une altitude de 1530
à 2440 mètres; la pression partielle corres –
pondant alors à celle d’une concentration d’
O
2 de 15 à 17% au niveau de la me\ur 2).
On peut observer des symptômes légers
du mal d’altitude aigu comme des maux
de tête, des nausées ou des vertiges dès
l’altitude de 2000 mètres
3). En règle géné –
rale, ce n’est qu’à partir d’une altitude de
3000 mètres qu’apparaissent des effets
plus graves comme l’œdème pulmonaire
ou cérébral, mais il y a dans ce domaine
une grande variabilité entre les individus.
Certains alpinistes sont capables, moyen –
nant une bonne acclimatation, de faire
l’ascension du Mont Everest sans apport
d’oxygène. Mais contrairement aux alpi –
nistes, les passagers d’un vol n’ont aucune
possibilité d’acclimatation au cours de
celui-ci, et les petits enfants ne peuvent
pas verbaliser leurs symptômes de manière
adéquate.
Que se passe-t-il durant le vol?
Des études en chambre de décompression
menées par l’entreprise Boeing aux Etats-
Unis ont montré que la saturation d’O
2 chez
des adultes en bonne santé, à une altitude
simulée de 8000 pieds (2440 mètres) était
en moyenne réduite de 4.4% à l’état de
veille et de 1 à 2% supplémentaires durant
le sommeil
4). Dans l’ensemble, 7.4% des
participants à ces études ont montré de
légers symptômes de mal d’altitude. On a
fait la même observation chez des enfants
âgés de six mois à 14 ans au cours d’un vol
à longue distance d’une durée de dix heures,
sans que n’apparaissent de différences liées
à l’âge
5).
Dans l’avion, l’air sec pose un autre pro –
blème. L’air en provenance de l’extérieur n’a
plus que 10 à 20% d’humidité relative et il en
résulte un fort dessèchement des voies res –
piratoires. C’est un problème d’autant plus
grand pour les enfants, qu’ils compensent
l’hypoxémie par une élévation de la fré-
quence respiratoire. D’autre part, l’air sec et
froid est connu comme facteur déclenchant
d’une obstruction des\u bronches.
Durant le vol, la compensation des va –
riations de pression représente un autre
défi pour l’organisme. Cela entraîne en
premier lieu des problèmes dans les voies
respiratoires supérieures, particulièrement
dans leurs liaisons avec les oreilles. Les
petits enfants ont des voies respiratoires
plus étroites, ce qui devient problématique
en cas de refroidissements: lors de vols,
à la montée comme à la descente, les
trompes d’Eustache ne peuvent plus com –
penser les différences de pression. Les
bébés commencent alors à crier en raison
de la douleur causée par la pression sur
leurs tympans. Les adultes peuvent forcer
l’ouverture de leurs trompes d’Eustache
simplement par la mastication de chewing-
gum, par des mouvements de déglutition
ou par des bâillements. Cela n’est pas si
facile à réaliser pour des enfants dans les
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d’anciens prématurés, durant leur première
année de vie, le taux de saturation d’O
2 dans
le test d’hypoxémie a baissé au-dessous de
85% chez quatre enfants sur cinq, et il leur
a été recommandé un appoint d’oxygène
durant le vol
14). Deux tiers de ces enfants
avaient eu une histoire néonatale de mala –
die pulmonaire chronique (MPC) – définie
comme un déficit d’oxygène jusqu’à et y
compris la 36
e SG corrigée et nommée pré-
cédemment dysplasie bronchopulmonaire
(DBP) – et ne nécessitaient plus d’appoint
d’oxygène au moment du test d’hypoxémie
ou présentaient au repos un taux de satura –
tion d’O
2 dépassant 95%. Dans la première
étude prospective chez des enfants âgés de
moins de cinq ans avec ou sans histoire de
MPC, on avait constaté que la meilleure ma –
nière de diagnostiquer les enfants sensibles
à l’hypoxémie et nécessitant un appoint
d’oxygène pour le vol, était de sélectionner
ceux dont le taux de saturation d’oxygène
se situait au-dessous de 85%
15).
Directives internation\.ales –
encore d’actualité\.?
En 2002, la British Thoracic Society (BTS)
avait publié pour la première fois des di –
rectives pour les voyages en avion
9). Elle
y recommandait d’attendre une semaine
après la naissance avant d’effectuer un vol
en avion avec un enfant né à terme et en
bonne santé, afin de pouvoir s’assurer qu’il
est vraiment en bonne santé. En raison
des risques d’apnées, elle déconseillait
de faire voyager en avion les nourrissons
de moins de six mois avec une infection
aiguë des voies respiratoires, ainsi que
les enfants nés prématurés (< 32 SG). De
plus, les Britanniques recommandaient de
faire effectuer, jusqu’à l’âge d’une année,
un test d’hypoxémie avant le vol à tous les
enfants nés prématurés, indépendamment
du fait qu’ils aient besoin d’oxygène ou
non. A l’origine, le seuil déterminant un
apport d’oxygène supplémentaire était fixé
à un taux de saturation de 85%. Plus tard,
il fut élevé à 90%, car une étude auprès de
20 enfants souffrant de diverses maladies
pulmonaires avait montré de grandes va -
riations
16).
Récemment cependant, l’utilité du test
d’hypoxémie effectué sur les enfants nés
prématurés a été remise en question, car
il ne correspond pas aux conditions réelles
observées dans un avion. En effet, une
étude australienne a mis en évidence que,
premiers mois de leur vie; pour cette raison,
en cas d’infection marquée des voies respi
-
ratoires supérieures, ils ne devraient faire
un voyage en avion qu’après consultation
du médecin. En cas d’infections légères,
la compensation des variations de pres -
sion peut être facilitée par l’application de
gouttes nasales anti-inflammatoires (xylo -
métazoline) avant le départ et au début de
la descente précédant l’atterrissage. Une
tétine ou l’allaitement sont souvent d’un
bon secours aux petits enfants en bonne
santé.
Sensibilité accrue \.à l’hypoxémie
durant la première\. année de vie
Il est bien connu que les nouveau-nés
sont plus sensibles aux variations du taux
d’oxygène, surtout s’ils sont nés préma -
turément, et encore plus s’ils souffrent
d’une maladie pulmonaire chronique. Des
études menées dans les années 1990 ont
montré que les nourrissons en bonne santé
ont normalement, à l’âge de 1 à 2 mois,
une saturation du taux d’O
2 allant de 97
à 100%, mais qu’environ 80% des bébés
connaissent de courts épisodes de chute
du taux de saturation allant jusqu’à 80%.
Les prématurés montraient, des variations
beaucoup plus importantes (de 89 à 100%,
médiane 99.4%) ainsi que de plus longues
périodes de désaturation (médiane: 5.4/
min, durée 1.5 s)
6).
Durant leur première année de vie, les en -
fants ont une tendance accrue à la discor-
dance entre ventilation et perfusion, ce qui
les expose particulièrement à un épisode
hypoxémique, surtout s’ils sont malades
ou exposés à une hypoxie. Il existe à part
cela de nombreux autres facteurs suscep -
tibles d’augmenter les risques d’hypoxémie
chez les enfants au cours de leur première
année de vie: non-achèvement du contrôle
respiratoire chez les nouveau-nés, présence
d’hémoglobine fœtale durant les trois pre -
miers mois de vie (avec une courbe de dis -
sociation d’O
2 déplacée vers la gauche), ten -
dance à la vasoconstriction pulmonaire ainsi
que tendance à la constriction bronchique;
nombre réduit d’alvéoles, voies respiratoires
étroites ainsi que th\uorax osseux mou
2).
On connaît très bien les séquelles à long
terme d’une hypoxémie chronique chez les
nourrissons: retard de la prise de poids,
hypertension pulmonaire, résistance accrue des voies respiratoires, épisodes d’apnée,
malaises graves du nourrisson (ALTE:
ap-
parent life-threatening event). Il n’y a par
contre que peu d’études consacrées à
l’hypoxémie de courte durée
7). Les séquelles
les plus redoutées sont les apnées et l’hy-
poventilation, qui peuvent représenter une
menace fatale. Il n’y a cependant que des
données d’ordre ane\ucdotique à ce sujet.\u
Comme on ne dispose que d’études isolées
sur le comportement des nouveau-nés lors
de voyages en avion, les connaissances sur
le sujet sont déduites de la médecine d’al -
titude. Normalement, au niveau de la mer,
le taux de saturation d’O
2 des nouveau-nés
se situe entre 97 et 100%. A l’altitude de
2600 mètres (Bogota, Colombie), il se situe
encore entre 92 et 95%, et à 3750 mètres
(hauts plateaux péruviens) il n’est plus que
de 87 à 90%
8).
Etudes réalisées s\.ur l’aptitude au
voyage en avion
La mesure du taux de saturation d’O 2 au
repos est chez les nouveau-nés, contraire -
ment à l’adulte, un mauvais indicateur du
besoin éventuel d’apport supplémentaire
d’oxygène durant le vol
9). Il faudrait pour
cela procéder à des études en chambre de
décompression, mais une telle installation
n’est pas disponible dans le quotidien cli -
nique d’un hôpital.
Dans les années 1980, on a développé le
test de simulation d’hypoxémie pour rem -
placer les examens en chambre de décom -
pression. Il consiste à faire inhaler de l’air
avec un taux d’oxygène de 14 à 15% durant
15 à 20 minutes au moyen d’un masque.
Les premiers tests ont été réalisés sur des
adultes souffrant de bronchopneumopathie
obstructive chronique (BPCO)
10). Il a pu
être démontré plus tard que ce test est en
bon accord avec les résultats obtenus en
chambre de décompression, qui sont tou -
jours le standard de référence pour l’évalua -
tion des risques d’hypoxie en altitude
11), 12) .
Les premiers examens pratiqués au moyen
du test d’hypoxémie sur des nourrissons
en bonne santé avaient été réalisés il y a
dix ans sous tente à oxygène
13). Le taux de
saturation d’O
2 baissait alors en moyenne
de 4 à 5%, mais la réaction individuelle va -
riait fortement et s’avérait imprévisible. La
plupart des études réalisées depuis lors pro -
viennent d’Australie, où l’avion est souvent
un moyen de transport indispensable. Dans
une vaste étude rétrospective portant sur
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sur 35 enfants ayant présenté des résul-
tats normaux au test d’hypoxémie (sur
46 enfants au total), 12 avaient eu besoin
d’un supplément d’oxygène, en raison de
la baisse de leur taux de saturation d’O
2 en
dessous-de 85%. Par contre, parmi les 11
enfants dont le test avait indiqué un pro -
blème, seuls quatre avaient réellement eu
besoin d’une oxygéna\ution
17).
Quelles sont les r\.ecommanda -
tions judicieuses \.aujourd’hui?
Les résultats obtenus jusqu’ici permettent
d’affirmer que les nourrissons nés à terme
et en bonne santé peuvent prendre l’avion
dès l’âge d’une semaine. Dans les cas
d’infections aiguës des voies respiratoires,
il faudrait déconseiller le voyage en avion
aux nourrissons de moins de six mois – en
particulier aux anciens prématurés – en
raison du risque d’apnées. Ce principe vaut
également pour les séjours prolongés à plus
de 2500m d’altitude.\u
Quant aux voyages en avion des enfants en
bonne santé nés prématurés (avant la 32
e
SG, avec problèmes pulmonaires), il faudrait
plutôt y renoncer, bien que les baisses du
taux de saturation d’oxygène au-dessous
de 85% durant quelques heures (trajets
courts) n’exercent en principe pas d’effets
significatifs. Si toutefois un vol de longue
durée s’impose durant la première année
de vie, il faut s’adresser au préalable à un
spécialiste. Comme le test d’hypoxémie ne
peut pas prédire avec certitude quels sont
les enfants nés prématurés qui profiteront
réellement d’un apport d’oxygène lors d’un
vol en avion, il faudra primairement faire
appel à des critères cliniques pour répondre
à cette question. Comme critères, citons:
l’âge, le degré de prématurité, le status res -
piratoire (par exemple: MPC, DBP, la situa -
tion des voies respiratoires supérieures), le
status cardiaque (hypertension pulmonaire)
et le degré de maturation de la régulation
respiratoire.
En principe, les anciens prématurés dont le
besoin en apport d’oxygène est permanent,
peuvent prendre l’avion sans problème, car
l’oxygénation peut être adaptée durant le vol
grâce à la pulsoxymétrie. Comme l’hypoxie
est susceptible de déclencher une crise
d’hypertension pulmonaire, les nourrissons
dont le voyage en avion pose problème, sont
ceux qui présentent une hypertension pul -
monaire (généralement une DBP sévère ou
un trouble d’origine cardiovasculaire). Il faut
également déconseiller le vol en avion aux
prématurés et nouveaux-nés à profil respi -
ratoire immature, ainsi qu’aux nouveaux-nés
atteints de troubles de la régulation respira -
toire, car l’hypoxémie peut déclencher, chez
ces enfants, des apn\uées sévères.
Sur ce sujet, de nombreuses question res -
tent ouvertes: c’est pourquoi il serait sou -
haitable de trouver un consensus parmi les
différents experts (néonatologues, cardiolo -
gues pédiatres et pneumologues pédiatres)
au niveau national.
Références
Voir le texte allema\und.
Correspondance
PD Dr. med. Jürg Barben
Leitender Arzt Pneu\umologie/Allergologie
Ostschweizer Kinderspital\u
CH-9006 St. Gallen
juerg.barben@kispisg.\uch
Informations complémentaires
Auteurs
Prof. Dr. med. Jürg Barben , Leitender Arzt Pädiatrische Pneumologie/Allergologie Ostschweizer Kinderspital, St Gallen