À la suite d’un traitement oncologique peuvent apparaître des complications dentaires sévères, p.ex. malformations des racines, défauts de l’émail ou troubles de la croissance de la mâchoire. Ces séquelles tardives peuvent avoir une influence considérable sur la qualité de vie des patients. Un programme standardisé de prophylaxie et détection précoce permet une prise en charge rapide. Depuis 2013 la Clinique universitaire des deux Bâle UKBB dispose d’un concept révisé pour les soins dentaires et de la bouche des enfants atteints d’une maladie oncologique ou hématologique.
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Résumé
À la suite d’un t\baitement oncologique peuvent
appa\baît\be des complications dentai\bes sé-
vè\bes, p.ex. malfo\bmations des \bacines, défauts
de l’émail ou t\boubles de la c\boissance de la
mâchoi\be. Ces séquelles ta\bdives peuvent avoi\b
une influence considé\bable su\b la qualité de vie
des patients.
Un p\bog\bamme standa\bdisé de p\bophylaxie et
détection p \bécoce p e\b met une p \bise en cha\bge
\bapide. Depuis 2013 la Clinique unive\bsitai\be
des deux Bâle UKBB dispose d’un concept \bé –
visé pou\b les soins dentai\bes et de la bouche
des enfants atteints d’une maladie oncologique
ou hématologique.
Introduction
En Suisse chaque année environ 230 enfants
et adolescents de moins de 16 ans sont at –
teints par une maladie cancéreuse, les plus
fréquentes étant les leucémies, suivies des
lymphomes et des tumeurs cérébrales. Grâce
aux progrès considérables des traitements
oncologiques et des mesures d’accompagne –
ment , on at teint aujour d ’hui un t au x de sur v ie
à 5 ans de 80 –85 %
1\b. Par contre, environ 75 %
de ces enfants présentent au moins une sé –
quelle tardive
2\b, les plus fréquentes étant
cardio-vasculaires (p.ex. cardiomyopathies,
athérosclérose\b et endocriniennes (p. ex. défi –
cit d’hormone de croissance, hypothyroïdie,
infertilité\b
3\b. Après un traitement oncologique
on constate en plus, chez de nombreux en –
fants, des séquelles dentaires. Les plus fré –
quentes sont les malformations de la racine
( jusqu’à 50 %\b, des caries de plus de 4 dents
(29 %\b, des défauts de l’émail (17 %\b, une mi-crodontie (dents particulièrement petites\b
(38
%\b et une hypodontie (nombre réduit de
dents permanentes par absence de bourgeon
dentaire\b (17 %\b
4\b. Par la gêne fonctionnelle et
l’aspect inesthétique, ces séquelles ont un
impact considérable sur la qualité de vie des
patients. Les traitements oncologiques entre –
pris avant l’âge de 12 ans influencent par ail –
leurs la croissance verticale de la mâchoire.
L’impact sur le développement des dents et
de la mâchoire est particulièrement important
suite au tr aitement par busulf an ou à une ir r a –
diation du corps entier
5\b.
Chez l’adulte on recherche et traite, avant
toute radiothérapie dans les régions du cou et
de la tête, d’éventuels foyers dentaires
6\b , 7\b .
Cela permet d’éviter des complications pré –
coces et tardives
6\b. Chez l’enfant cela ne se
fait de routine qu’avant la transplantation de
cellules souches. Seuls 18 % des enfants souf-
frant d’une maladie oncologique
8\b profitent
donc actuellement d’un tel dépistage.
Contrairement à l’adulte, il n’existe actuelle –
ment pas de directives nationales ou interna –
tionales concernant la prise en charge de
l’enfant avant, pendant et après une radio-
chimiothérapie.
Un concept dans ce sens a été élaboré et
contrôlé dans le cadre d’une collaboration
interdisciplinaire entre oncologie et médecine
dentaire pédiatriques à l’Université de Bâle.
Nous le présentons ici.
Le conce\bt de dé\bistage dentaire
\bour les enfants en traitement
oncologique
Depuis 2013 nous effectuons, à la Clinique
pédiatrique universitaire des deux Bâle, chez
tous les enfants nouvellement atteints d’une
maladie oncologique, un bilan dentaire cli –
nique et radiologique. Le bilan radiologique
consiste en une radiographie dentaire en
fonction de l’avancement du développement
dentaire. L’examen clinique comprend la re –
cherche de caries et l’inspection de la mu –
queuse buccale et des gencives. En présence
d’une neutropénie il n’est par contre pas ef -fe ctué de bilan par o dont al en r aison du r is que
infectieux. Un contrôle de l’hygiène buccale a
lieu aussi. Mis à part les instruments den
–
taires de base et l’accès à un appareil d’ima –
gerie dentaire, aucune infrastructure parti –
culière n’est nécessaire. En présence de
pathologies nécessitant un traitement du
point de vue dentaire, nous établissons un
plan de traitement selon le degré d’urgence.
Un traitement urgent est nécessaire p.ex.
pour les caries de degré 3 et 4 (touchant de
pr ès ou p énétr ant la pulp e \b , lor s de r ésor ption
avancée des dents de lait présentant des
signes cliniques ou radiologiques d’infection
ainsi que p our les dent s ave c une par o dontite
chronique ou apicale ( fig. 1 et 2).
Avec l’accord de l’oncologue l’assainissement
es t ef fe ctué immé diatement , si p os sible s ans
retarder le traitement oncologique. En pré –
sence d’un déficit immunitaire quantitatif ou
fonctionnel, le tr aitement se f ait sous cou ver –
ture antibiotique par amoxicilline/acide cla –
vulanique pendant 3 jours.
Si les anomalies constatées n’ont pas un ca –
ractère urgent, comme p.ex. une carie débu –
tante ( fig. 2 ) ou un descellement asymptoma –
tique dans le cadr e du changement des dent s ,
le traitement sera ajourné ou effectué à la fin
du traitement oncologique. Les appareils or –
thodontiques fixes ou amovibles seront ôtés
avant le traitement oncologique. Le traite –
ment orthodontique ne sera repris qu’une fois
l’oncothérapie terminée.
Deux infirmières spécialement formées ins –
truisent tous les patients ainsi que leurs fa –
milles sur l’hygiène buccale correcte, au dé –
but et à intervalles réguliers pendant toute la
durée du traitement. L’hygiène dentaire et
buccale consiste d’une part en une technique
correcte du brossage des dents (3 x par jour\b
et dans la remise de brosses à dents par ticu –
lièrement souples qui se sont avérées favo –
rables lors des mucosites souvent présentes.
D’autre part nous remettons une pâte denti –
frice spéciale, au pH neutre et contenant du
fluor et du x y lite ( Emofor m Acti fluor K ids
®, de
la firme Wild, Muttenz, Suisse\b et une pâte
contenant du phosphate de calcium, avec
selon l ’âge aus si du fluor, à appliquer avec les
doigts (Tooth mousse
® ou Tooth mousse
plus ®, de la firme GC, Swiss Office Flums,
Suisse\b pour la protection de la muqueuse
buccale, p our stimuler la pro duction de sali ve
et favoriser la reminéralisation de l’émail
dentaire. À Bâle tous ces produits sont remis
gratuitement. Pour humidifier la muqueuse
buccale et le rinçage de la bouche, nous met –
tons à disposition, dans le département pour
Screening dentaire standardisé en
oncologie pédiatrique – quel bénéfice?
Tamara Diesch-Furlanetto 1\b*, Cornelia Filippi 2\b*, Thomas Kühne 1\b,
Nicolas Xavier von der Weid 1\b, Andreas Filippi 3\b, Bâle Traduction: Rudolf Schlaepfer, La Chaux- de – Fonds
* Premiers auteurs
1) Abteilung für päd. Hämatologie/Onkologie, Univer –
sitäts-Kinderspital beider Basel (UKBB), Spitals –
trasse 33, CH – 4031 Basel
2) Abteilung Prophylaxe, Schulzahnklinik Basel, St.
Alban-Vorstadt 12, CH-4010 Basel
3) Klinik für Zahnärztliche Chirurgie, -Radiologie,
Mund- und Kieferheilkunde und Zahnunfallzentrum,
Universitätskliniken für Zahnmedizin, Hebelstrasse
3, CH – 4056 Basel
1Prof. ffRPof.ff.Tab
1Prof. PRTaPR. Rbi
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enfants, de l’eau ou une eau au goût plaisant
par l’adjonction d’huile essentielle Orange
plus
® ( de la fir me Far f alla , Us ter, Suis se \b 9\b, du
thé de sauge ou du lait. Le rinçage devrait se
f air e apr ès chaque r epas et aus si sou vent que
possible.
Pendant le traitement oncologique les enfants
sont convoqués pour un contrôle dentaire
tous les 3 mois. On effectue un examen cli –
nique complet (comme mentionné plus haut\b
et un nettoyage professionnel des dents. En
accord avec les oncologues et en présence
d’une situation immunitaire suffisante, on
procède à un nettoyage avec des brosses à
dents. Cette mesure est nécessaire car, suite
à la prophylaxie, dans 0–40 % des cas peut
apparaître une bactériémie
11 \b. On applique
ensuite une laque à base de fluor ( D ur aphat ®\b
pour durcir l’émail dentaire. L’hygiène den –
taire est vérifiée et si nécessaire perfection –
née. Des affections urgentes (voir plus haut\b
nouvellement constatées sont traitées, dans
la mesure du possible, sans délai.
Afin de couvrir les frais occasionnés par le
traitement dentaire, on procède pour chaque
patient à une demande de prise en charge par
l’assurance maladie, en vertu des articles 31b
et c LAMAL et des articles 18 et 19 OPAS.
Bien qu’il existe une base légale pour la prise
en charge des frais par les assurances mala –
die, dans le cas indi v iduel ces démar ches sont
grevées d’un important travail administratif
(établir la demande LAMAL à présenter avec
le dev is , r e cour s en cas de r ef us , consult ation
du médecin conseil, etc.\b. Une demande de
prise en charge des frais est nécessaire dans
un peu plus de la moitié des cas.
Toutes les constatations dentaires sont enre –
gistrées électroniquement. Jusqu’ici les don –
nées anonymisées ont été analysées une fois
à des fins comparatifs (décision EKBB/EKNZ
Nr. 2013/102\b. Cette étude rétrospective
constate qu’avant l’introduction du concept,
durant la période 2002–2012, un contrôle
dentaire n’a eu lieu que chez 27 % (contrôles
de routine lors de transplantation de cellules
souche ou alors lors de suspicion d’infection
suite à un problème dentaire\b. Parmi ces en –
fants, 63.2 % présentaient une pathologie
dentaire. Il s’agissait principalement de caries
(87 %\b, pour le 13 % restants de péricoronarite,
de paro dontite et de tr oubles de la cr ois s ance
de la mâchoire
8\b.
Une évaluation intermédiaire de l’hygiène
buccale a été effectuée par les infirmières
spécialement formées. Suite aux instructions,
depuis l’entrée à l’UKBB jusqu’à la fin du trai –
tement oncologique intensif, les soins den –
Figure 2: Les flèches 1 montrent une carie initiale, la flèche 2 une carie profonde, proche de
la pulpe, les flèches 3 des caries superficielles, encore éloignées de la pulpe. Figure 1: La flèche 1 indique un reste de racine, la flèche 2 une carie profonde avec parodontite
apicale, la fl è che 3 une car ie sup er ficielle, la fl è che 4 une car ie sup er ficielle de la dent p er manente
Figure 3 : Soins dentaires et de la bouche d’enfants avec une maladie oncologique au moment
du diagnostic, après instruction et à la fin du traitement oncologique intensif.
Proportion
de patients
au moment du diagnostic
après instruction
à la fin du traitement Soins dentaires 3 x
par jour Stimulation
quotidienne du flux salivaire Rinçace
de la bouche
1Prof. ffRPof.ff.Tab
1Prof. PRTaPR. Rbi
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taires et de la bouche 3 x par jour ont aug-
menté de 44 % à 84 % , la stimulation salivaire
de 20 % à 58 % et l’utilisation du liquide de
rinçage de 20 % à 75 % (fig. 3) .
Discussion
Une Standa\bd Ope\bating P\bocedu\be (SOP\b de
la prise en charge dentaire des enfants et
adolescents avec une maladie oncologique
peut contribuer à éviter des complications
dentaires sévères pendant et après le traite –
ment oncologique. Pour les patients adultes
sous radiothérapie du cou et de la tête, le
b éné fice des contr ôles dent air es a été pr ou vé
par de nombreuses études
6\b , 7\b .
Pour les enfants sous traitement oncologique,
l’inclusion des parents et de la famille élargie
est essentielle pour garantir une bonne hy –
giène dentaire et de la bouche. Une hygiène
dentaire et de la bouche correcte n’est pos –
sible qu’avec leur soutien et les premières
expériences à Bâle sont encourageantes. Le
retour des enfants et des parents est sans
exception positif. La plupart des parents ont
été en mesur e d ’appliquer, ave c leur s enf ant s ,
les instructions reçues. L’hygiène dentaire a
été maintenue à un ni veau tr ès élevé p endant
toute la durée du traitement oncologique (de
quelques mois à plusieurs années\b. Pour la
plupart des parents l’importance de la santé
dent aire à long ter me est gr ande – pas seule –
ment pour la partie visible, aux conséquences
esthétiques.
L’avantage à long terme du concept présenté
ici dev r a êtr e vér i fié, basé sur l ’év idence, dans
le plus de centres et avec le plus grand
nombre de cas possibles. Cela facilitera la
prise en charge par les assureurs, mais aussi
parce que l’investissement nécessaire à la
mise en œuvre d’un tel concept est consé –
quent pour toutes les personnes concernées.
Conclusion et vision d’avenir
Les premières impressions après la période
d’observation encore courte sont positives,
du point de vue des professionnels oncolo –
gues et dentistes autant que du point de vue
des patients et de leurs proches. Une étude
prospective du concept présenté ici est pré –
vue, en incluant le taux de sécrétion salivaire
et le développement de la mâchoire et de la
dentition. Ce n’est qu’ainsi qu’il sera possible
de démontrer l’effet à long terme du suivi
dentaire étroit, pendant et après un traite –
ment oncologique, sur le développement de
caries et la préservation de la dentition.
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rhalten und zur zahnärztlichen Aufklärung von Pa –
tienten vor und nach Organtransplantation. Diss.
G ö t t i n g e n 2010.
Correspondance
Dr. med. Tamara Diesch-Furlanetto
Oberärztin Päd. Hämatologie/Onkologie
Spitalstrasse 33
4031 Basel
Tamara.diesch @ ukbb.ch
Les auteu\bs ce\btifient qu’aucun soutien finan –
cie\b ou aut\be conflit d’inté\bêt n’est lié à cet
a\bticle.
1Prof. ffRPof.ff.Tab
1Prof. PRTaPR. Rbi
Informations complémentaires
Auteurs
Dr. mec. Tamara Diesch-Furlanetto , Oberärztin Päd. Hämatologie/Onkologie Cornelia Filippi Thomas Kühne Prof. Dr. med. Nicolas von der Weid , UKBB, Basel Andreas Filippi