Le sujet «protection solaire de l’enfant» a souvent été discuté dans la presse grand public et spécialisée. Aux preuves scientifiques attestant que la protection systématique contre les rayons solaires prévient la formation de cancers épithéliaux et de mélanomes, s’opposent des craintes concernant les effets secondaires et les risques inhérents aux produits de protection solaire. A nommer en particulier des communications sur une possible activité hormonale des filtres solaires chimiques, la question de la sécurité des filtres physiques composés de nanoparticules et enfin la crainte qu’une protection solaire rigoureuse n’ait pour conséquence un apport insuffisant en vitamine D au squelette en croissance. Par cet article nous souhaitons présenter les données actuelles concernant ces questions et donner des recommandations pour la pratique quotidienne.
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Introduction
Le sujet «protection solaire de l’enfant» a
souvent été discuté dans la presse grand
public et spécialisée. Aux preuves scienti
fiques attestant que la protection systé
matique contre les rayons solaires prévient
la formation de cancers épithéliaux et
de mélanomes, s’opposent des craintes
concernant les effets secondaires et les
risques inhérents aux produits de protec
tion solaire. A nommer en particulier des
communications sur une possible activité
hormonale des filtres solaires chimiques, la
question de la sécurité des filtres physiques
composés de nanoparticules et enfin la
crainte qu’une protection solaire rigou
reuse n’ait pour conséquence un apport
insuffisant en vitamine D au squelette en
croissance. Par cet article nous souhaitons
présenter les données actuelles concer
nant ces questions et donner des recom
mandations pour la pratique quotidienne.
Protection solaire des enfants
et adolescents – plus que jamais
d’actualité
Il est suffisamment connu et documenté
que les rayons UV induisent des tumeurs
malignes de la peau. Autant les rayons UVB
(longueur d’onde 280–320 nm) que les UVA
(320–340 nm) ont des propriétés cancéro
gènes. Ces dernières ont en outre un effet
majeur sur les processus de vieillissement
de la peau.
Les coups de soleil, pendant l’enfance no
tamment, comptent pour le mélanome
parmi les facteurs de risque les plus impor
tants que nous pouvons influencer
1). L’ i n c i
dence du mélanome croit toujours et son
pronostic est, au stade avancé, très mau vais. Alors que pour les tumeurs épithé
liales de la peau (carcinome baso cellulaire
et carcinome spino cellulaire) les données
concernant l’influence positive de l’applica
tion régulière de produits antisolaires sur la
formation de ces tumeurs est relativement
évidente, pour le mélanome régnait long
temps une certaine incertitude. Depuis peu
nous disposons de la première étude ran
domisée et contrôlée qui documente sans
équivoque une réduction de l’incidence du
mélanome en adoptant une photoprotec
tion conséquente
2).
Il est d’autant plus étonnant de constater
que ces faits ne sont toujours que très peu
connus par la population en général et par
les enfants et adolescents en particulier.
Une enquête faite récemment auprès
d’élèves en Suisse nord occidentale a mon
tré que seul un tiers avait de bonnes
connaissances concernant la protection
solaire
3). Plus de la moitié des participants
avaient subi au moins un coup de soleil par
année avant l’enquête et, malgré de meil
leures connaissances, les élèves plus âgés
se protégeaient nettement moins bien
contre les rayons UV que les plus jeunes. Il
apparaît aussi que les parents protègent
leurs enfants surtout lors de situations à
haut risque (plage), alors que l’exposition
quotidienne ( jouer au jardin) est négligée
4).
Elle représente pourtant la majeure partie
de la dose cumulée en rayons UV.
Ces faits montrent clairement que la pro
tection solaire doit être thématisée dans le
cadre de la consultation pédiatrique de
routine tout autant que dans la consultation
dermatologique.
Effet des produits solaires –
et risques possibles
En parlant de protection solaire pendant
l’enfance, il faut mentionner en première
ligne la prévention. Pour les enfants, outre
réduire l’exposition en restant à l’ombre
pendant les heures de midi (11h–15 h), cela
signifie surtout couvrir la plus grande partie
du corps par des habits légers, les tissus
sombres protégeant mieux que les tissus
blancs, la protection d’habits mouillés étant
quasi nulle. On obtient de plus en plus
d’habits avec protection solaire intégrée
même dans les grandes surfaces. Lunettes
de soleil et chapeaux sont également obli
gatoires.
Les produits solaires, disponibles sous
toutes les formes galéniques possibles,
jouent un rôle important. On différencie les
filtres organiques (chimiques) qui ab
sorbent les rayons UV des filtres minéraux
(physiques) qui agissent par réflexion et
diffusion de la lumière
5).
L’indice de protection solaire (IP) néces
saire est controversé. Officiellement l’Ame
rican Academy of Pediatrics (AAP) conseille
d’utiliser des produits avec un IP de 15 ou
plus
6), alors que les sociétés de dermatolo
gie exigent des produits nettement plus
puissants. L’IP est le rapport entre la dose
érythémale minimale sur une peau AVEC
protection solaire et la dose érythémale
minimale sur une zone SANS protection
solaire. Malheureusement beaucoup de
fausses idées circulent sur la signification
de ces chiffres. On pense p.ex. que la capa
cité de protection ne double ou ne qua
druple pas en passant d’un IP de 15 à 30 ou
à 60, parce que la quantité de rayons UV
effectivement filtrée (absorbée) n’aug
mente que de 5 %. L’amélioration de la
protection ne serait donc qu’insignifiante.
En effet la qualité de la protection ne dé
pend pas de la radiation filtrée mais de la
radiation qui atteint effectivement l’épi
derme/derme. Avec un IP de 15 environ
6.7 %, avec un IP de 30 environ 3.3 % et avec
un IP de 60 environ 1.7 % des rayons UV
atteignent l’épiderme/derme – ce qui cor
respond au double respectivement au qua
druple de protection (fig. 1 et http://www.
youtube.com/watch?v=8cc8qRr7oMQ ).
Au vu de ces faits et de la constatation que
la quantité de produit solaire réellement
appliquée n’est que la moitié de la quantité
de 2 mg/cm
2 recommandée et utilisée lors
des tests, l’utilisation d’un produit avec un
IP de 30 semble raisonnable. La quantité de
crème solaire recommandée pour le traite
ment de l’entière surface corporelle de
0.85 m
2 d’une fillette de 8 ans équivaut à
16 g 2), ce qui correspond à peu près à la
La peau de l’enfant doit être
protégée – recommandations pratiques
Martin Theiler 1, Christian Surber 2, Lisa Weibel 1, 3
Traduction: Rudolf Schlaepfer, La Chaux de Fonds
1
Clinique dermatologique,
Hôpital universitaire de Zurich
2 Clinique dermatologique,
Hôpital universitaire de Bâle
3 Ser vice de dermatologie,
Hôpitaux universitaires pédiatriques de Zurich
Vol. 24 No. 2 2013
Formation continue
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taille d’une balle de golf (fig. 2). Par ailleurs
les produits dont la protection UVA repré
sente au moins un tiers de l’IP et qui portent
le sigle UVA sont à privilégier (fig. 3) .
Ces dernières années des communications
relatant une résorption systémique impor
tante et une activité hormonale des filtres
solaires organiques ont fait la une de la
presse. Les composés de benzophénone 3
(oxybenzone), octyl methoxycinnamate et
3 (4 methyl benzylidène) camphre sont
surtout concernés, les données se basant
essentiellement sur des études in vitro.
Une étude clinique auprès de 32 adultes a
montré que ces substances sont résorbées
lorsqu’appliquées sur une grande partie de
la surface corporelle et en forte concentra
tion, la résorption étant la plus importante
pour le benzophénone 3
7). Malgré l’applica
tion extensive et hautement dosée, on n’a
pas constaté de répercussion sur l’activité
des hormones sexuelles. Le risque chez de
très petits enfants pourrait néanmoins être
plus grand en raison de la proportion
poids/taille défavorable et de l’immaturité
de leur système métabolique. Pour ces
raisons il est raisonnable d’utiliser, pendant
les premières années de vie, des produits
ne contenant pas ces substances, notam
ment le benzophénone 3. A souligner pour
tant que ces composants se trouvent aussi
dans nombre de cosmétiques et dans des
schampoings. On peut consulter la compo
sition de la plupart des produits solaires et
autres cosmétiques facilement sous www.
codecheck.info . Les filtres solaires orga
niques peuvent par ailleurs occasionner
des irritations cutanées et rarement des
réactions photoallergiques.
Ces arguments nous ont amené, comme
d’autres instances aussi, a recommander
exclusivement l’utilisation, pendant la pre
mière année de vie, de filtres solaires phy
siques (oxyde de titane, oxyde de zinc), tout
en sachant que cette recommandation ne
se base pas sur des données solides. La
taille des particules des filtres solaires mi
néraux a été progressivement réduite afin
d’éviter l’effet «blanchissant»; elle se situe
entre temps dans le domaine des nanopar
ticules, ce qui soulève à nouveau des
craintes quant à leur sécurité. Plusieurs
études n’ont pas permis de mettre en évi
dence un passage au delà de la couche cornée, ces composants peuvent donc être
considérés sûrs 8).
Protection solaire et vitamine D
Ces dernières années se multiplient les
indices d’effets de la vitamine D beaucoup
plus étendus dans le corps humain que
soupçonné jusqu’ici. La plus grande partie
de la vitamine D active est formée dans la
peau sous l’effet des rayons UVB. Plusieurs
études ont mis en évidence que l’applica
tion conséquente de produits solaires en
traîne une diminution importante du taux
de vitamine D. Mais les conditions de ces
études ne correspondaient probablement
pas aux conditions de vie réelle et la pro
tection solaire ne devrait occasionner, en
pratique et chez la plupart des personnes,
une chute conséquente du taux de vitamine
D
9). Ceci contrairement aux situations par
ticulières des patients souffrant de xero
derma pigmentosum ou d’un albinisme
oculo cutané, où la protection solaire sys
tématique et donc le contrôle du taux de
vitamine D sont certainement indiqués. Les
rayons UV sont un cancérigène important,
nous rejetons donc formellement les re
Figure 1a et 1b: La fraction de rayons UV qui atteint la peau diminue de
moitié en passant d’un IP 15 à un IP 30 (6,7 % > 3.3 %) et encore une
fois de moitié en passant à un IP 50+ (3.3 % > 1.7 %). Cela correspond
à un doublement de l’effet protecteur car seulement la moitié des
photons passent. b) Une crème solaire IP 50 comparée à une crème
solaire IP 10 laisse passer 5 fois moins de photons dans la peau. Cela
correspond à un effet protecteur 5 fois plus élevé.
Figure 2: Illustration de la quantité de crème solaire recommandée pour
le traitement de la totalité de la surface corporelle d’une fillette de 8
ans (16 g ou 2 mg/cm
2). L’application doit être répétée après 2 heures
ainsi qu’après avoir été dans l’eau ou joué dans le sable (abrasion).
Effet UV (% moyenne)
Indice de protections solaire (IP)
IP
a
b
Crème solaire IP 10 100 photons
100 photons
10 sur 100 photons atteignent la peau 2 sur 100 photons
atteignent la peau
Crème solaire IP 50 Dose UV (%) filtrée
par une crème solaire
Dose UV qui atteint
la peau et est une
fraction de la dose
coup de soleil
Vol. 24 No. 2 2013
Formation continue
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commandations de certains experts de
s’exposer quotidiennement brièvement
sans protection au soleil, pour y préférer la
supplémentation en vitamine D. Dans ce
contexte les nouvelles recommandations
de l’OFSP d’étendre la substitution en vita
mine D aux trois premières années de vie
sont donc à saluer ( http://www.bag.admin.
ch/themen/ernaehrung _ bewe –
gung/05207/13246/index.html?lang=fr ).
Protection solaire de l’enfant:
recommandations concrètes
• A l’extérieur toujours protection solaire
(se tenir si possible à l’ombre, habits,
produits solaires avec un IP d’au moins
30).
• Jusqu’à l’âge de 6 mois éviter l’exposition
directe au soleil. Si possible application
locale de produits solaires.
• Pendant les premières années de vie
préférer les filtres physiques.
• Appliquer les produits solaires en quan
tité et fréquence suffisante, toutes les
2–3 heures, surtout après la baignade ou
en jouant dans le sable (abrasion). Pour
cette raison les produits combinés aux
antimoustiques (DEET) sont à proscrire.
• Substitution de la vitamine D selon les
recommandations de l’OFSP. Dans les
situations à risque d’hypovitaminose D
dosage du taux de vitamine D.
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Correspondance
Dr M. Theiler
Dermatologische Klinik USZ
Gloriastrasse 31
CH8091 Zürich
martin.theiler@usz.ch
Les auteurs certifient qu’aucun soutien fi –
nancier ou autre conflit d’intérêt n’est lié à
cet article.
Figure 3: Sigle de qualité UVA. L’effet protec
teur UVA des produits munis de ce sigle
égale au moins un tiers de l’indice de protec
tion (IP) indiqué.
Vol. 24 No. 2 2013
Formation continue
Informations complémentaires
Auteurs
Dr. med. Martin Theiler , Pädiatrische Dermatologie, Zentrum Kinderhaut, Universitäts-Kinderspital Zürich Christian Surber PD Dr. med. Lisa Weibel , Pädiatrische Dermatologie, Zentrum Kinderhaut, Universitäts-Kinderspital Zürich Andreas Nydegger