L’épidermolyse bulleuse héréditaire (EB) décrit un groupe de maladies qui se caractérisent par une fragilité pathologique de la peau et des muqueuses, avec formation de bulles et d’érosions. Il s’agit de maladies rares qui présentent, selon le sous-groupe, non seulement des lésions cutanées mais différentes complications secondaires potentiellement mortelles. Cet article propose d’une part un aperçu des différents sous-types et de leurs caractéristiques cliniques, d’autre part une description des démarches diagnostiques et thérapeutiques.
L’EB est une maladie génétique rare. On la rencontre partout au monde, la répartition est égale entre les deux sexes. L’incidence globale pour toutes les formes est estimée, selon la Dystrophic Epidermolysis Bullosa Research Association (DEBRA) et différentes recherches épidémiologiques, à 1:50000 naissances1). Le réseau EB allemand suppose une incidence de 1:39000 naissances. Le nombre de patients concernés en Suisse se situe entre 110 et 130.
33
1Universitäts-Kinderspital Zürich, Abteilung Pädiatrische Dermatologie; 2Inselspital Bern, Abteilung für Dermatologie; 3Universitätsspital Basel, Abteilung für Dermatologie; 4Universitäts-Kinderspital, Pflegedienst; 5Universitätsspital Zürich, Dermatologische Klinik
Figure 1 : Les différentes formes d’EB et les protéines/gènes concernés.
Abréviations
EBS Épidermolyse bulleuse simple
EBJ Épidermolyse bulleuse
jonctionnelle
EBD Épidermolyse bulleuse
dystrophique
EBDD Épidermolyse bulleuse
dystrophique dominante
EBDR Épidermolyse bulleuse
dystrophique récessive
MIF Microscopie à immunofluorescence
L’épidermolyse bulleuse héréditaire (EB) dé
–
crit un groupe de maladies qui se caracté –
risent par une fragilité pathologique de la
peau et des muqueuses, avec formation de
bulles et d’érosions. Il s’agit de maladies rares
qui présentent, selon le sous-groupe, non
seulement des lésions cutanées mais diffé –
rentes complications secondaires potentielle –
ment mortelles. Cet article propose d’une
part un aperçu des différents sous-types et
de leurs caractéristiques cliniques, d’autre
part une description des démarches diagnos –
tiques et thérapeutiques.
L’EB est une maladie génétique rare. On la
rencontre partout au monde, la répartition est
égale entre les deux sexes. L’incidence glo –
bale pour toutes les formes est estimée, selon
la Dystrophic Epidermolysis Bullosa Research
Association (DEBRA) et différentes re –
cherches épidémiologiques, à 1:50 000 nais –
sances1). Le réseau EB allemand suppose une
incidence de 1:39 000 naissances. Le nombre
de patients concernés en Suisse se situe
entre 110 et 130.
Alors que les premiers cas d’EB avec la fragi –
lité typique ont été décrits déjà au 19
ème
siècle, ces dernières 30 années on a exploré
aussi les causes génétiques. On connaît ac –
Épidermolyse bulleuse – aperçu et réseau
suisse
Agnes Schwieger-Briel 1, Carolina Gouveia 2, Rosaria De Lorenzo 2, Anna-Barbara Schlüer 1, 4,
Martin Theiler 1, 5, Peter Itin 3, Martin Theiler 1, 5, Lisa Weibel 1, 5
Traduction : Rudolf Schlaepfer, La Chaux- de – Fonds
tuellement plus de 1000 mutations dans 20
gènes différents qui occasionnent une fragi –
lité de la peau
2), 3) . Ces gènes codent essen –
tiellement des protéines structurelles dans
l’épiderme ou la zone de jonction dermo-épi –
mermique, responsables, au travers des hé –
mi-desmosomes, desmosomes et du cytos –
quelette, de la cohésion entre les
kératinocytes et de la stabilité entre épiderme
et derme. Les différences entre les gènes et
les protéines concernés, et l’existence de
mutations plus ou moins sévères expliquent
l’éventail clinique très large de l’EB. Ainsi il y
a des formes avec une peau fragilisée dès la
naissance, une implication des phanères et
des complications secondaires très mar –
quées, ou d’autres avec une peau relative –
ment stable et la formation de bulles seule –
ment suite à une sollicitation mécanique.
Classification des EB
Pendant les dernières décennies un nombre
croissant de variantes ultra-structurelles entr e les dif fér entes for mes d ’ EB a été dé cou
–
ver t , et les moyens mo der nes de la génétique
humaine ont permis de distinguer davantage
de sous-types. La classification internationale
de consensus la plus récente date de 2014
4).
Depuis ont été détectés, grâce aux technolo –
gies de séquençage à haut débit modernes
comme le séquençage d’exome, de nouveaux
gènes et pathomécanismes responsables
surtout de sous-types rares d’EB.
Formes principales et sous-types d’EB
Selon le niveau morphologique où se forment
les bulles, on distingue 4 types d’EB:
1) E B simple ( E B S ) , supra – basale et basale
2) EB jonctionnelle (EBJ)
3) EB dystrophique (EBD)
4) Syndrome de Kindler
Le plan de clivage des couches principales se
trouve pour l’EBS à l’intérieur de l’épiderme,
pour l’EBJ le long de la membrane basale et
pour l’EBD sous la membrane basale ( fig. 1).
Le syndrome de Kindler se caractérise par
une modification structurelle de la jonction
dermo-épidermique, les bulles peuvent se
former à tous les 3 niveaux. Chaque forme
principale connaît plusieurs sous-types qui se
distinguent par leurs caractéristiques géné –
tiques, biologiques et cliniques. Vu le large
spectre de sous-types, le diagnostic correct
est primordial pour pouvoir informer les fa –
Forme d’EB
EB simple
supra-basale
EB simple basale
Transglutaminase 5 (TGM5)
Kindline-1
Plakoglobine/
JUP
Plakophiline/ PKP1
Desmoplakine/ DSP
Keratine 5/14 ( KRT5, KRT14)
Plectine ( PLEC)
Exophiline5 (EXPH5)
KLHL24
C D151
BP230/Dystonine/ DST
Intégrine a6, b4
Intégrine a3 ( ITGA3)
Collagène X VII ( C O L17A1 )
Laminine 332 ( L AM A3/B3/C2 )
Collagène VII
Adapté d’après Fine JD et al. 2014
Syndrome de Kindler EB jonctionnelle
EB dystrophique
Protéine/gène impliqué
3 Lesdissf eséssdrnt
3 Lesdi fér fdifnt
34
Figure 2 : Cartographie par immunofluorescence. A: EBS; B: EBJ ; C: EBD avec/sans signal rési –
duel MIF; D: lieu de prélèvement de la biopsie cutanée.
Consultation EB Bâle
Hôpital universitaire Bâle
Dermatologie Centre EB Berne
Hôpital de l’Ile, Dermatologie
Consultation EB pour enfants Zurich
(EB-KIZ) / Clinique pédiatrique
universitaire Zurich
Prof. P. Itin
(Directeur médical) Dr. med. C. Gouveia
(Directrice médicale)
carolina.gouveia@insel.ch Dr. med. A. Schwieger
(Directrice médicale)
agnes.schwieger@kispi.uzh.ch
R. De Lorenzo
(Spécialiste en soins de plaies SAf W)
rosaria.delorenzo@insel.ch Dr. A.-B. Schlüer
(Advanced practice nursing APN)
barbara.schlueer@kispi.uzh.ch
Tel: 061 265 40 80
Cabinet médical: 061 261 26 33
Tel: 031 632 43 59
ebinsel@insel.ch Tel: 044 266 82 81
sekretariatdermatologie@kispi.uzh.ch
milles concernées sur le pronostic et les
moyens thérapeutiques. On devrait autant
que possible aussi rechercher la cause géné –
tique précise de la maladie par analyse muta –
tionnelle, afin de pouvoir donner aux familles
des conseils génétiques et effecteur éventuel –
lement un diagnostic prénatal.
Diagnostic de l’EB
Le tableau clinique du nouveau-né ou du
nourrisson ne permet pas un diagnostic sûr,
les plaies fraîches et l’aplasie cutanée sou –
vent pr ésentes à la nais s ance se r es semblant
trop. Ce n’est qu’après quelques mois voire
années, lorsqu’on peut apprécier l’état géné –
ral, le type de cicatrisation, l’implication des
ongles et cheveux et les symptômes secon –
daires, que la clinique se précise.
Cartographie antigénique par
immunofluorescence
La classification par microscopie à immuno –
fluorescence (MIF) est le gold-standard du
diagnostic d’EB. On compare des coupes
cryoconservées d’une biopsie cutanée, colo -rées avec des anticorps spécifiques contre les
différentes protéines structurelles de la zone
jonctionnelle dermo-épidermique
(fig. 2),
avec de la peau saine
5). Cet examen permet
plusieurs constats. D’une part il définit la
position de la bulle par rapport aux différents
mar queur s , ce qui p er met des conclusions sur
la forme d’EB ou les gènes possiblement
responsables. D’autre part l’intensité du mar –
queur coloré comparé à un contrôle permet
une première évaluation du sous-type. Une
coloration moins intense indique une pré –
sence réduite de la protéine comme on peut
l’observer dans les formes modérées d’EB.
L’absence complète de la protéine d’ancrage
indique un sous-type d’EB sévère (p.ex. EB
jonctionnelle généralisée sévère ou EB dys –
trophique, fig. 2).
Las marqueurs des formes dominantes ont
souvent une coloration discrète même si leur
fonction est limitée. On ne peut apprécier que
le plan de clivage de la bulle. En absence de
bulle dans l’échantillon examiné, ces formes ne
se laissent pas distinguer d’un contrôle sain.
La microscopie électronique, autrefois fré –
quemment pratiquée, est devenue en grande
partie inutile et n’est utilisée pratiquement
que dans le cadre de projets de recherche.
Démarches diagnostiques
Lorsqu’on suspecte une EB, le diagnostic de –
vrait se faire rapidement. À l’aide d’un trépan
on prélève une biopsie au bord d’une bulle
fraîche (<24 heures) (fig. 2). Le dôme de la
bulle devrait rester intact
6). Si aucune bulle
fraîche n’est visible, on peut frotter prudem -
ment une petite surface de la peau avec un
gant ou le haut d’un stylo avant de prélever la
biopsie.
Les échantillons peuvent être envoyés (dans
un milieu de culture ou une solution physiolo -
gique stérile) en Suisse à Lausanne (Labora -
toire de biologie cutanée, Service de Derma -
tologie, Lausanne), ou alors au laboratoire du
Centre EB Fribourg-en-Brisgau qui offre un
service de qualité et rapide ( www.netzwerk-
eb.de ).
Différents laboratoires suisses (e.a. de géné -
tique humaine Bâle, Berne, Zurich) effectuent
les analyses mutationnelles, la prise en
charge des coûts doit néanmoins être sollici -
tée. Jusqu’à l’obtention des résultats, on
prendra des mesures strictes pour prévenir
toute nouvelle bulle notamment chez le nou -
veau-né. Pour toute question sur la prise en
charge de ces enfants on peut s’adresser au
centre-EB Berne ou Zurich (cf. contacts ci-
dessous) .
Épidermolyse bulleuse simple
(EBS)
L’ EB S es t la for me d ’ EB la plus f r é quente et se
caractérise par la plus grande hétérogénéité
respectivement le plus grand nombre de
gènes et sous-types ( fig. 1). On distingue en
première ligne l’EBS basale et supra-basale,
selon que le plan de cli vage se trou ve dans les
3 Lesdissf eséssdrnt
3 Lesdi fér fdifnt
35
Figure 3 : P r ésent ation clinique de dif fér entes for mes d ’ EB S. A : P SS acr al ; B : EB S sévèr e géné -
ralisée; C: EBS KLHL24, aplasia cutis; hyperkératose palmo-plantaire; D: EBS, bulles modérées;
EBS, bulle fraiche. kératinocytes basaux ou dans les couches
superficielles de l’épiderme voire directement
sous la couche cornée. On différencie par
ailleurs entre formes localisées et générali -
sées et formes avec des signes cliniques
particuliers.
MIF et génétique de l’EBS
On connaît actuellement 10 différents gènes
responsables d’une EBS
2), 3) . Environ 75% des
familles ont des mutations des gènes KRT5 ou
K R T14 avec une hérédité autosomique domi -
nante. Chez ces patients le signal des pro -
téines structurelles à l’IF est normal, c’est
donc le niveau du plan de clivage qui permet
de poser le diagnostic. Sont pourtant connues
aussi des formes autosomiques récessives
(p.ex. par des mutations dans les gènes
TGM5, KRT14, JUP, PKP1, DSP, EXPH5, DC151,
DST, KLHL24 ) où le signal MIF peut être dimi -
nué ou absent.
Manifestations cutanées et extra-cuta -
nées de l’EBS
Dans la plupart des cas l’EBS connaît un ta -
bleau clinique modéré et une espérance de
vie normale
2), 7) . Les bulles sont parfois pré -
sentes à la naissance, plus souvent plus tard
par sollicitation mécanique, p.ex. lorsque
l’enfant se déplace à 4-pattes ou marche.
L’atteinte buccale est rare. Les bulles gué -
rissent sans laisser de cicatrice, toutefois de
nombreux patients développent une hyperké -
ratose (palmo- )plantaire réactive et déran -
geante. De nombreux patients avec une EBS basale localisée classique,
due à des muta-
tions K R T 5/14 , développent en plus une hype -
rhydrose, ce qui favorise la formation de
bulles en été.
Un sous-type bien connu et à l’évolution sé -
vère est l’ EBS basale généralisée sévère , ap-
pelé autrefois Dowling-Meara. Cette EBS,
pour laquelle on a pu montrer des mutations
K R T 5/14 , es t p otentiellement mor telle p our le
nouveau-né ; on constate initialement des
érosions étendues, plus tard des bulles à
l’aspect plutôt herpétiforme. L’évolution est
favorable, la peau se stabilise, persistent
outre une fragilité cutanée discrète une hy -
perkératose palmo-plantaire et une dystro -
phie unguéale.
Une variante d’EBS relativement bénigne est
Peeling skin syndrom acral (PSS acral) , dû à
des mutations autosomiques récessives du
gène TGM5.
Ces dernières années ont été décrites plu -
sieurs nouvelles formes extrêmement rares
de l’EBS, dont l’évolution clinique est parfois
dramatique et qui sont associées à une at -
teinte de divers organes comme les reins et
le cœur ou à une dystrophie musculaire pro -
gressive
3).
Épidermolyse bulleuse jonction -
nelle (EBJ)
L’EBJ est le groupe le plus petit parmi les dif -
férentes formes d’EB. Le plan de clivage se trouve dans la zone jonctionnelle dermo -épi
-
dermique, dans la lamina lucida entre épi-
derme et lamina densa . L’EBJ est divisée en
formes localisées et généralisées, puis en
sous-types à l’évolution plus ou moins sévère
ou avec des signes cliniques spécifiques.
L’espérance de vie peut être fortement rac -
courcie ou normale.
MIF et génétique de l’EBJ
On connaît actuellement 8 gènes respon -
sables d’une EBJ. Dans 80 % des cas il s’agit
de mutations autosomiques récessives sur un
des trois gènes codant la laminine-332, pro -
téine active dans les hémidesmosomes
( LAMA3, LAMS3 oder LAMC2). Dans les
autres cas on trouve une mutation essentiel -
lement sur C O L17A1 ou les intégrines ITGA3,
ITGA6, ITGB4 . Les autres formes sont extrê -
mement rares. Le signal MIF des protéines
structurelles modifiées est réduit pour les
formes modérées, fortement réduit voire ab -
sent pour les formes sévères.
Manifestations cutanées et extra-cuta -
nées de l’EBJ
Les formes modérées et sévères de l’EBJ gé -
néralisée avec une mutation de la laminine
présentent de petites bulles d’étendue va -
riable, souvent avec implication buccale et
parfois une aplasia cutis à la naissance. Les
bulles guérissent dans un premier temps sans
cicatrices, mais avec les années la peau de -
vient franchement atrophique. Outre la fragi -
lité cutanée se développent une dystrophie
voire perte de ongles et parfois des sténoses
des voies urinaires. Les voies respiratoires
peuvent également être atteintes (fig. 4) .
EBJ, formes généralisées et localisées
Les mutations moins conséquentes des gènes
LAMA3, LAMB2 et LAMC2 présentent une
évolution de sévérité variable et des décès
pendant l’enfance ou l’adolescence n’ont été
que rarement rapportés.
L’atteinte des EBJ par mutations de C O L17A1
est en général modérée ; frappante est une
alopécie marquée, présente en plus des alté -
rations des dents et des ongles. Des compli -
cations extra-cutanées sont possibles, sans
entraîner une réduction sensible de l’espé -
rance de vie.
Dans le groupe des mutations de l’intégrine
sont décrites plusieurs associations, p.ex. une
atrésie du pylore ou des sténoses urolo -
giques ; sont connues également des issues
3 Lesdissf eséssdrnt
3 Lesdi fér fdifnt
36
Figure 4 : Présentation clinique de l’EBJ. A - D : EBJ sévère généralisée avec érosions et tissu de
granulation péribuccaux typiques, bulles sur les fesses et périunguéales; E,F: EBJ, mutation du
collagène XVII : bulles aux mains, dystrophie et perte d’ongles, alopécie. mortelles pendant la période néonatale ou
l’enfance.
EBJ sévère généralisée
L’EBJ sévère généralisée (anciennement EBJ
Herlitz) revêt d’une importance particulière,
puisqu’il faut s’attendre à un décès dans les
premiers 6-24 mois
8). Sont caractéristiques
des bulles péri-unguéales apparaissant très
tôt, ainsi que des bulles aux fesses et aux
coudes (fig. 4). Se développent ensuite des
ér osions p ér ibuccales ave c du tis su de g r anu -
lation exubérant qui affecte le visage et la
trachée, occasionnant un enrouement et
jusqu’à une détresse respiratoire. Après
quelques mois la prise pondérale stagne, en
général autour des 6 kg, et se manifeste une
anémie marquée. La plupart des enfants dé -
cè dent sans qu’on puis se pr éciser la cause du
décès, en premier lieu semblent jouer un rôle
le retard staturo -pondéral, des facteurs in -
flammatoires, l’anémie et des infections,
parfois aussi l’obstruction des voies respira -
toires. À ce jour aucun traitement des compli -
cations citées n’a réussi à influencer l’évolu -
tion naturelle de la maladie.
L’atteinte cutanée n’étant que relativement
modérée à la naissance, le diagnostic fatal
n’est pas toujours facile à transmettre. Un
diagnostic rapide (MIF, analyse mutationnelle)
est de la plus grande importance. On devrait
par ailleurs proposer rapidement l’accompa -
gnement par une équipe en soins palliatifs ou
un accompagnement psychologique.
Épidermolyse bulleuse dystro -
phique (EBD)
L’ EB D es t la deu x ième la plus f r é quente par mi
les différentes formes d’EB et représente le
plus grand nombre de patients dans la pra -
tique quotidienne. Le plan de clivage de l’EBD
est sous-épidermique, directement sous la
zone jonctionnelle dermo-épidermique, dans
la partie supérieure du derme papillaire. On
différencie d’après le mode de transmission
une EBD dominante ( EB DD ) et une EB D réces-
sive ( EB DR ) , ensuite d ’apr ès l ’évolution et des
signes cliniques spécifiques, 14 différents
sous-types localisés ou généralisés
4).
MIF et génétique de l’EBD
La cause d’une EBD est toujours à chercher
dans une mutation sur le gène C O L 7A1 qui
code un composant important des fibrilles
d’ancrage, le collagène VII.
Bien que les formes à hérédité récessive
puissent avoir une évolution très bénigne, la
plupart des patients évolue de manière plus
sévère que les formes à l’hérédité autoso -
mique dominante. Le signal MIF cutané du
collagène VII est généralement normal pour
l’EBD, pour le diagnostic il faut donc une bulle.
Dans les formes modérées d’EDBR le signal
est discrètement à clairement réduit, dans les
formes sévères d’EBDR fortement réduit à
absent.
Manifestations cutanées et extra-cuta -
nées de l’EBD
L’extension des manifestations cutanées et
extra-cutanées varie fortement entre les dif -
férents sous-types d’EBD
9). En raison d’un plan de clivage plus profond et d’un état in
-
flammatoire altéré surtout pour l’EBDR, les
bulles guérissent en laissant des cicatrices
atrophiques. Sont fréquemment observées
aussi des bulles remplies de sang et des mi -
liums.
L’ E BD dominante ( E BDD ) p eut êtr e lo calisé e
ou généralisée. Cette forme a en général un
bon pronostic et une espérance de vie nor -
male. La formation de bulles se limite la plu -
part des fois aux parties du corps exposées à
des traumatismes, comme les coudes, les
genoux, les tibias, les mains et les pieds.
Après des traumatismes répétés se forment
des cicatrices, des miliums et des dystrophies
voire perte des ongles (fig. 5). L’implication
buccale est rare, dents et cheveux sont nor -
maux. Les manifestations peuvent être dis -
crètes au point de ne réaliser la propre mala -
die qu’à la suite d’une atteinte plus sévère de
l’enfant.
L’EBD récessive (EBDR) est la plupart des
fois généralisée, sous forme légère ou modé -
rée lorsque la fonction résiduelle du collagène
VII est bonne, ou sous forme sévère (EBDR
sévère généralisée) lor s que un collagène V II
fonctionnel manque en grande partie. Pour
cette dernière notamment il faut compter, en
raison la gravité de l’atteinte cutanée et de
multiples complications secondaires, avec
une espérance de vie raccourcie.
EBDR sévère généralisée
L’ EBDR sévère généralisée se manifeste
dès la naissance par une formation consé -
quente de bulles et une aplasie cutanée aux
extrémités. Par la suite apparaissent des lé -
sions cutanées suite à un traumatisme mais
aussi spontanées, guérissant initialement
bien, avec l’âge plus lentement ou plus du
tout.
Les soins et les pansements de la peau sont
douloureux et demandent souvent beaucoup
de temps, il est donc important de prendre
contact précocement avec des services de
soins à domicile (pédiatriques) pour soutenir
la famille.
Les mains sont fortement atteintes surtout
pendant la petite enfance. Suite à la cicatrisa -
tion et aux inflammations, outre les lésions et
la perte précoce des ongles, se forment aux
doigts progressivement des pseudosyndacti -
lies et des contractures articulaires, qui ne
dérangent d’abord pas sensiblement pas la
3 Lesdissf eséssdrnt
3 Lesdi fér fdifnt
37
Figure 5 : Présentation clinique de l’EBD. A,B: formation de bulles et dystrophie/perte d’ongles;
C: bulles, croûtes, milium; D,E: pseudosyndactilies débutantes et contractures articulaires des
doig t s jus qu’à la mutilation quasi complète ; F : bulles de l ’œsophage et s ténose v isible au TO G D. préhension. À long terme les cicatrices
mènent à une fusion des doigts jusqu’à la
mutilation, en forme de poing, limitant forte -
ment l’indépendance de la personne (fig. 5).
La séparation chirurgicale des doigts est
complexe et les récidives sont fréquentes.
Suite à la mobilité réduite se forment des
contractures articulaires notamment aux ge -
noux, coudes et hanches, qui mènent à une
confinement au fauteuil roulant et qui néces -
sitent une prévention précoce par de la phy -
siothérapie.
La guérison des lésions cutanées provoque en
général un prurit intense qui ne se laisse que
très peu contrôler même par des moyens
thérapeutiques modernes; le grattage mène
à son tour à des traumatismes et des lésions.
Les patients ont tendance à développer des
carcinomes épidermoïdes qui font très tôt des
métastases malgré une bonne différentiation
histologique et sont une cause fréquente de
décès
1 0 ) , 11 ) . Des carcinomes épidermoïdes ont
été constatés chez des enfants de moins de
10 ans, mais n’apparaissent en général
qu’après la puberté. Ils se manifestent sous
forme de blessures chroniques ou de plaques
hyperkératosiques. Lorsque le diagnostic et
l’excision sont faits très précocement, le
pronostic est favorable, lors d’un stade avan -
cé le traitement est par contre difficile
12 ).
Les yeux aussi peuvent être atteints. Des lé -
sions répétées de la cornée et des adhé -rences des paupières avec ectropion et sym
-
blépharon peuvent entraîner une perte de la
vision. Un contact avec un ophtalmologue
devrait être pris précocement. Lors d’une
atteinte oculaire importante on peut proposer
des lentilles de contact spécialement adap -
tées.
EBDR, bouche et tube digestif
Déjà les nouveau-nés présentent en général
des lésions buccales, avec formation de
bulles sur les lèvres et la langue qui rendent
difficile voire impossible la succion et donc
l’allaitement. Au courant des premières an -
nées de vie se développe une microstomie
cicatricielle avec une restriction progressive
de l’ouverture orale; les dents sont trop ser -
rées et l’hygiène dentaire difficile
13 ). La cica -
trisation des conduits salivaires réduit la
production de salive ce qui entraîne, avec la
consommation d’aliments très caloriques et
sucrés, à une formation nettement accrue de
caries et à la perte précoce de dents.
L’implication du tube digestif entraîne une
constipation sévère nécessitant l’utilisation
de laxatifs déjà pendant la petite enfance. La
sténose œsophagienne est fréquente et ré -
sulte en une dysphagie jusqu’à l’impossibilité
de s’alimenter par voie orale (fig. 5) .
La plupart des enfants présente tôt un retard
de croissance menant par la suite à une pu -
berté retardée et une petite taille, résultat de
la combinaison d’une consommation accrue d’énergie par la formation de lésions et de
bulles, de l’implication gastrointestinale et
des difficultés d’alimentation. Une collabora
-
tion étroite avec des nutritionnistes et gas -
troentérologues est nécessaire pour optimi -
ser l ’app or t aliment air e, sou vent à l ’aide d ’une
gastrostomie.
Autres organes impliqués
Dans le cadre de l’inflammation chronique de
l’EBDR sévère généralisée apparaît une ané -
mie qui ne r éagit qu’insu f fis amment à la pr ise
orale de fer. A plus long terme l’inflammation
engendre une néphropathie à IgA et, par la
formation d’amyloïde, une amyloïdose rénale
pouvant s’aggraver jusqu’à nécessiter une
dialyse. L’anémie et le déficit en oligoélé -
ments sont considérés responsables du déve -
loppement d’une cardiomyopathie dilatative.
La plupart des patients développent une os -
téopénie et ostéoporose, avec des douleurs
osseuses et une tendance aux fractures. La
cause n’est pas claire, mais on évoque un
dé ficit en v it amine D, le tr ouble de cr ois s ance
staturo-pondéral, l’inflammation et la mobilité
réduite.
La sévérité et la complexité de la maladie, les
lésions chroniques, les douleurs et le prurit
par fois pr ononcés , r endent la v ie so ciale et le
parcours scolaire et professionnel très diffi -
cile. Ces aspects doivent aussi être pris en
considération, avec la collaboration de psy -
chologues, spécialistes en médecine palliative
et assistants sociaux
14 ).
Traitement de l’épidermolyse
bulleuse
Le traitement de l’EB reste symptomatique.
Malgré des recherches intenses pour dévelop -
per une thérapie cellulaire ou protéique, au -
cun traitement ne s’est jusqu’ici avéré utili -
sable au quotidien et financièrement
ab or dable p our un sys tème de s anté publique.
De gros espoirs reposent actuellement sur les
nouvelles méthodes de correction génétique
et des traitements visant à contrôler l’inflam -
mation et la fibrose, ce qui permettrait de
soulager de nombreuses complications
15 ).
En tant que maladie rare, complexe et coû -
teuse, l’EB nécessite une prise en charge par
des centres spécialisés où collaborent les
différentes disciplines médicales, de soins,
chirurgicales, de physio- et ergothérapie et
psychosociales, qui peuvent transmettre les
informations sur les nouveaux traitements et
qui ont accès aux études cliniques.
3 Lesdissf eséssdrnt
3 Lesdi fér fdifnt
38
En Suisse de tels centres se sont développés
à Bâle, Berne et Zurich. Alors qu’à Zurich
l’accent est mis sur le traitement de nourris-
sons et p etit s enf ant s et sur les soins palliatif s
pendant l’enfance, Berne se concentre sur la
prise en charge d’enfants plus âgées, d’ado -
lescents et jeunes adultes. À Bâle sont suivis
surtout des adultes.
Conclusion
L’épidermolyse bulleuse représente un groupe
de maladies caractérisées par une fragilité
cutanée. Par la découverte de plusieurs nou -
velles formes, la différenciation des diffé -
rentes formes et sous-types est devenue de
plus en plus complexe. Malgré les recherches
intenses dans ce domaine, le traitement est
encore et toujours largement symptomatique.
Les conseils, le suivi et le traitement néces -
sitent des centres spécialisés.
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Correspondance
agnes.schwieger@ kispi.uzh.ch
3 Lesdissf eséssdrnt
3 Lesdi fér fdifnt
Informations complémentaires
Auteurs
Dr. med. Agnes Schwieger-Briel , Pädiatrische Dermatologie, Zentrum Kinderhaut, Universitäts-Kinderspital Zürich Dr. med. Carolina Gouveia , Pädiatrische Dermatologie, Universitätsklinik für Dermatologie, Inselspital, Universitätsspital Bern, 3010 Bern Rosaria De Lorenzo , Abteilung für Dermatologie, Inselspital Bern Dr. med. Anna-Barbara Schlüer , Abteilung Pädiatrische Dermatologie, Universitäts-Kinderspital Zürich Dr. med. Martin Theiler , Pädiatrische Dermatologie, Zentrum Kinderhaut, Universitäts-Kinderspital Zürich Peter Itin , Abteilung für Dermatologie, Universitätsspital Basel PD Dr. med. Lisa Weibel , Pädiatrische Dermatologie, Zentrum Kinderhaut, Universitäts-Kinderspital Zürich