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Diagnostic et traitement de la carence en fer chez l’enfant avec ou sans anémie: résumé et recommandations de consensus du groupe de travail hématologie pédiatrique du SPOG

Fer

La carence en fer est la carence alimentaire mondialement la plus répandue chez l’enfant et l’adolescent. Une revue détaillée des données épidémiologiques révèle...

Abstract

La carence en fer est la carence alimentaire mondialement la plus répandue chez l’enfant et l’adolescent. Une revue détaillée des données épidémiologiques révèle une prévalence élevée à trois âges différents : pendant la période néonatale, pendant la petite enfance avant l’âge scolaire et enfin à l’adolescence, les filles étant particulièrement touchées. Cet article de revue se concentre sur les symptômes les plus suggestifs d’une carence martiale pendant l’enfance, décrit les procédés diagnostiques dans les situations avec ou sans anémie et donne des recommandations de prise en charge dans le cadre pédiatrique, basées sur l’avis d’experts suisses.

Mots clés

Carence en fer, anémie, traitement martial oral, traitement martial intraveineux

Abréviations

ATP: Adénosine triphosphate, CF: carence en fer, CFA: carence en fer avec anémie, CFSA: carence en fer sans anémie, ASPR: anémie sidéropénique réfractaire, CFRI: carence en fer réfractaire inexpliquée, CGMH: concentration globulaire moyenne en hémoglobine, FS: ferritine sérique, Hb: hémoglobine, IRLSSG: International Restless Legs Syndrome Study Group,  IV: intraveineux, LS: Liste des spécialités (médicaments admis en Suisse, équivalent de FDA/EMANHANES: National Health and Nutrition Examination Survey), MICI: maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, OMS: Organisation mondiale de la Santé, PPZ: protoporphyrine zinc, RCIU: retard de croissance intra-utérin, Ret-Hb: teneur en hémoglobine des réticulocytes, RsTrf: récepteur soluble de la transferrine, SJSR: syndrome des jambes sans repos, SpS: spasme du sanglot, TDA-H: trouble de déficit d’attention avec/ou sans hyperactivité, VGM: volume globulaire moyen.

Contexte et introduction

Bien que la plupart des cas de carence en fer (CF) ne soit pas compliquée ni du point vue diagnostique ni thérapeutique, des progrès notables ont été réalisés pendant la dernière décennie, justifiant une mise à jour pour le pédiatre généraliste ainsi que des recommandations pour l’application clinique.

Épidémiologie

Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) la CF est la carence alimentaire la plus répandue, dont sont touchés plus de deux milliards de personnes. Dans les populations avec un contexte socio-économique et ethnique comparable à la Suisse, la fréquence est estimée à 2 à 6% pour les enfants en âge préscolaire et entre 8 et 20% pour les adolescentes.

Symptômes et signes cliniques de la CF avec ou sans anémie

Une pléthore de symptômes peut être associés à une CF avec (CFA) ou sans anémie (CFSA). Les manifestations cliniques dépendent de l’âge, de la présence et de la sévérité de l’anémie, de maladies concomitantes et de leur fréquence. La fatigue est le symptôme le plus fréquent de la CF, avec ou sans anémie, tout en étant associée à des troubles cliniques pouvant prêter à confusion. Faiblesse, pâleur, irritabilité, apathie sont souvent observés chez des enfants avec CFA ou CFSA. Des symptômes plus sévères comme la tachypnée, les palpitations ou le vertige ne sont généralement observés que chez les patients avec une anémie. Des symptômes neurologiques comme le trouble de déficit d’attention avec/ou sans hyperactivité (TDA-H) ou le syndrome des jambes sans repos (SJSR) ont aussi été observés chez des enfants avec une CF, l’attribution à la CF étant toutefois controversée.

Signes et symptômes psychomoteurs et développementaux

Le fer joue un rôle décisif pour le développement cognitif des enfants et adolescents. Une carence en fer avant la naissance ou pendant les premiers mois de vie peut avoir pour conséquence un retard cognitif et moteur, des déficits de l’attention et de la mémoire ainsi que visuels et auditifs, de mauvaises performances scolaires et/ou des troubles du comportement, parfois avec des répercussions durables. Les connaissances scientifiques actuelles indiquent que la durée et la sévérité, ainsi que l’âge où la carence martiale apparaît, ainsi que la présence d’une anémie, influencent l’issue cognitive et neurophysiologique pendant l’enfance. L’âge, la présence et la sévérité d’une anémie ainsi que la durée du traitement sont considérés comme des facteurs potentiels de l’efficacité de la substitution martiale, l’effet sur l’amélioration de ces symptômes reste pourtant controversée. Pour les nourrissons et petits enfants de moins de deux ans, il n’existe actuellement pas de preuve scientifique formelle documentant un effet positif de la substitution en fer sur la cognition. Des résultats modérés mais nets, concernant notamment les facultés langagières et l’attention visuelle et sélective, sont constatés après l’administration de fer à des enfants avec une CF, mais exclusivement avec anémie, en âge préscolaire (2 à 5 ans).

Les enfants anémiques de plus de sept ans avec une carence en fer sévère bénéficiant d’une substitution de longue durée semblent avoir de meilleurs résultats. Chez l’adolescente et la jeune femme en âge de procréer, la CF peut également engendrer, surtout à cause de l’anémie, une altération des facultés psychomotrices et de l’attention, avec des répercussions sur les performances scolaires. Dans cette tranche d’âge la substitution martiale est efficace et améliore l’attention, la concentration et l’apprentissage verbal.

Troubles neurologiques

La substitution martiale s’est avérée utile aussi pour d’autres troubles neurologiques du petit enfant, y compris les spasmes du sanglot et le syndrome des jambes sans repos. L’évidence se base sur des études de cas; chez ces patients avec une CFSA la substitution orale pourrait s’avérer utile, avec un risque d’effets indésirables limité, et peut se discuter dans des cas individuels.

Trouble de déficit d’attention avec/ou sans hyperactivité (TDA-H)

Le TDA-H est le trouble du comportement le plus fréquent de l’enfant. Le lien entre CF et TDA-H a été évoqué par plusieurs auteurs; néanmoins le rôle exact du fer dans le TDA-H doit être confirmé. Concernant l’effet de la substitution martiale sur les symptômes de TDA-H, on rapporte une amélioration de l’hyperactivité; ces études n’incluent que de petites cohortes avec de nombreux facteurs confondants et nécessitent une confirmation par de plus larges groupes de patients. En résumé on retiendra qu’une substitution en fer généralisée ne peut pas être recommandée pour les patients avec un TDA-H, que d’autre part un effet potentiellement positif n’est pas exclu chez des enfants avec une CF et un TDA-H.

Syndrome des jambes sans repos

La CF a été associée à la pathogénèse du syndrome des jambes sans repos (SJSR), une affection neurologique relativement fréquente chez l’enfant en âge scolaire (1.7-1.9%) et de l’adolescent (2-3.6%), portant un préjudice considérable à la qualité de vie. Il existe des données solides sur la corrélation entre CF et pathogénèse du SJSR. Sur la base de l’évidence scientifique actuelle, les directives de consensus établies en 2018 recommandent une substitution en fer pour les enfants avec un SJSR et un taux de ferritine en dessous de 50 µg/l.

Spasmes du sanglot

Un autre trouble neurologique qu’on peut associer à une CF est le spasme du sanglot (SpS). Il s’agit d’un trouble paroxystique bénin, non-épileptique, chez des enfants par ailleurs en bonne santé, âgés de 6 à 48 mois. Plusieurs études évoquent un lien entre SpS et anémie. La CF semble augmenter la fréquence des accès de SpS. La substitution en fer semble réduire la fréquence et l’intensité des crises, indépendamment du taux plasmatique de fer, ce qui indiquerait un rôle du déséquilibre martial dans le développement de ce trouble.

Pica

Le pica est un trouble du comportement alimentaire caractérisé par l’ingestion de substances non nutritives et non comestibles (glaise, terre, papier, savon, etc.). Le trouble est observé plus fréquemment chez l’enfant que l’adulte. Le pica est décrit dans de nombreux contextes cliniques et n’est pas considéré spécifique à la CF. La pagophagie (désir impérieux de glace) est par contre supposée assez spécifique de la CF et s’amende rapidement après substitution martiale. Le pica peut d’autre part contribuer à la CF en réduisant, selon les substances ingérées, l’absorption de fer dans l’intestin.

Le fer et les performances physiques

Plusieurs auteurs ont décrit une prévalence élevée de CF chez des personnes physiquement actives, comparé à des personnes contrôle non sportives. L’activité physique et surtout des entraînements d’endurance réguliers peuvent occasionner une CF par différents mécanismes (pertes accrues de fer par la transpiration, le tractus gastro-intestinal et les voies urinaires, par hémolyse, une inflammation ainsi qu’un besoin nutritif accru dus à aux entraînements). Il n’existe, d’après nos connaissances, pas de données sûres concernant l’effet d’une supplémentation en fer sur les performances sportives d’enfants non-anémiques de moins de 13 ans. Une amélioration significative de l’endurance lors d’exercices aérobies a été mise en évidence chez de jeunes coureuses en comparaison avec des sportives non anémiques. Des effets de la substitution se constatent surtout pour les carences martiales sévères. Un effet sur la consommation d’oxygène (VO2max) après substitution n’a été observé que chez les personnes anémiques. Une méta-analyse récente confirme une amélioration de l’endurance suite à la substitution de fer chez des athlètes non anémiques avec une CF marquée (taux de ferritine <20 µg/l). En résumé on peut retenir qu’il n’existe actuellement aucune preuve scientifique justifiant la substitution martiale chez des athlètes d’âge pédiatrique ayant une hémoglobine et un taux de ferritine normaux.

Le fer et le système immunitaire

In vitro la carence martiale induit une inhibition de la maturation, prolifération et activation des lymphocytes, induisant des troubles de l’immunité cellulaire. De plus le fer est un cofacteur de la synthèse de la myéloperoxydase et de la NO-synthase, qui contribuent à l’éradication d’agents infectieux. Les conséquences cliniques de ces anomalies sur le risque infectieux pendant l’enfance, ainsi que l’effet d’une substitution en fer ne sont pas clairs.  Certains auteurs relatent un risque élevé de réactivation d’infections latentes comme la malaria, la brucellose ou la tuberculose. Une étude systématique centrée sur des enfants, n’a pas mis en évidence d’effets (ni réduction ni augmentation) du nombre d’infections après le traitement avec un substitut ferrique. D’autres études randomisées et contrôlées, focalisées sur des enfants avec une CF, sont nécessaires pour clarifier la causalité directe de la CF ou l’utilité du traitement martial concernant le risque infectieux chez l’enfant.

Signes d’alarme d’une carence martiale avec anémie

Les symptômes dus à une CFA se manifestent en général de manière insidieuse et les enfants sont souvent asymptomatiques. Si l’anémie est sévère, peuvent se manifester des signes d’alarme comme une dyspnée, des palpitations, des vertiges, une tachycardie et des syncopes, pouvant mener à une instabilité hémodynamique ou insuffisance cardiaque, un infarctus du myocarde ou un AVC.

En présence d’un de ces symptômes, le patient nécessite une aide médicale urgente ainsi qu’un examen détaillé afin d’exclure d’autres causes ou une comorbidité, ainsi qu’une prise en charge spécifique avec soutien hémodynamique et éventuellement des transfusions. Les symptômes mentionnés ne sont pas spécifiques de la CFA et peuvent aussi se manifester avec d’autres formes d’anémie. En présence d’un enfant anémique le pédiatre cherchera donc des signes et symptômes associés pouvant évoquer un diagnostic différent, nécessitant également un traitement urgent; entre autres:

  • jaunisse +/- splénomégalie, évoquant une anémie hémolytique
  • signes hémorragiques (ecchymoses et/ou pétéchies, hématurie, rectorragie, épistaxis) évoquant une atteinte de la moelle osseuse ou un processus auto-immun
  • fièvre d’origine inconnue, perte de poids récente (surtout si inexpliquée/non désirée, >10%), sueurs nocturnes, hépato-splénomégalie et/ou adénopathies, évoquant une maladie oncologique
  • d’autres anomalies biologiques (p.ex. thrombopénie, neutropénie, «bicytopénie»).

Facteurs de risque pour une carence en fer

De nombreuses études épidémiologiques ont mis en évidence une prévalence élevée de CF à trois périodes de l’enfance: la période néonatale,  la petite enfance avant l’âge scolaire et enfin l’adolescence (surtout les filles). Pendant la période néonatale le risque de CF est surtout élevé pour les enfants nés prématurément ou avec un RCIU. Chez les nourrissons ou petits enfants la CF est souvent liée à une alimentation inadéquate (aliments solides insuffisants ou alimentation avec lait de vache). Chez l’enfant et l’adolescent l’étiologie de la CF varie selon l’âge et le sexe et on peut l’attribuer essentiellement à trois mécanismes clé: apport insuffisant, malabsorption et pertes de sang. Elle est par ailleurs souvent le résultat d’un besoin accru en fer du à la croissance et au développement.

Des enfants en bonne santé peuvent avoir un risque de CF aussi en raison de restrictions nutritionnelles (végétarisme, végétalisme) ou d’activités sportives de pointe, comme mentionné plus haut. Bien que moins fréquente qu’à l’âge adulte, l’association avec des maladies inflammatoires chroniques doit être mentionnée aussi pour la tranche d’âge pédiatrique (maladies oncologiques, maladies inflammatoires de l’intestin, insuffisance rénale chronique et autres maladies inflammatoires chroniques). Une maladie rare, observée chez <1% de la population est la CF génétique/héréditaire. Il s’agit d’une anémie modérément microcytaire, se manifestant après la phase postnatale: l’anémie sidéropénique réfractaire (ASPR), une maladie autosomique récessive, occasionnée par une mutation dans le gène de la protéase transmembranaire à sérine 6 (TMPRSS6), codant la matriptase 2 (MT-2). Les patients avec une ASPR ne peuvent pas réagir à la carence en fer par la suppression de l’action de l’hepcidine; ils sont réfractaires à la substitution orale de fer et ne réagissent que partiellement au traitement intraveineux.

Tableau 1. Calcul du besoin en fer selon Ganzoni (formule de Ganzoni).

Diagnostic de la carence en fer avec ou sans anémie

Analyses de la carence en fer

Le diagnostic de CFA/CFSA exige des analyses biologiques.  Chez les petits enfants nous recommandons des analyses biologiques à la recherche d’une sidéropénie uniquement en présence de signes ou symptômes de maladie évoquant une anémie ou une carence en fer, en non pas en tant que dépistage global; il n’y a aucune preuve de l’utilité ou dommage d’une telle pratique. La prise de sang initiale peut être capillaire et doit comprendre l’hémoglobine, les érythrocytes, l’hématocrite, les leucocytes et thrombocytes ainsi que les indices érythrocytaires (volume globulaire moyen [VGM], teneur corpusculaire moyenne en hémoglobine [TCMH], concentration corpusculaire moyenne en hémoglobine [CCMH]), les réticulocytes et la ferritine. Il est important de tenir compte des normes pour l’âge (tabl.2).

Hb: en présence d’une CFA on constate des valeurs en dessous du percentile 5 des valeurs normales pour l’âge

Indices érythrocytaires: la sidéropénie induit une diminution des valeurs de VGM, TCMH et CCMH; les standards sont bien validés avec de petites variations dues à l’âge. Il ne s’agit pourtant que d’indicateurs non spécifiques de la CF, une baisse du VGM se constate aussi chez les enfants avec une thalassémie ou une anémie inflammatoire.

Ferritine: la ferritine sérique (FS) est l’indicateur le plus spécifique pour le diagnostic de CF, son taux étant proportionnel aux réserves totales en fer corporel. Il s’agit également du marqueur le plus précoce d’une CF. Bien que de nombreuses études et la plupart des laboratoires définissent habituellement une FS abaissée entre 12 et 40 µg/l pour la population générale, les écarts utilisés dans les études cliniques n’ont pas été standardisés. Par ailleurs les taux de FS varient d’après l’âge. L’OMS définit la CF par une FS <12 µg/l pour les enfants de moins de cinq ans et <15 µg/l pour les personnes de plus de cinq ans. Pour la définition de la sidéropénie chez les enfants de un à trois ans, l’American Academy of Pediatrics recommande une valeur limite de 10-12 µg/l.

L’interprétation des taux de ferritine chez le nourrisson de <12 mois est difficile, car il existe plusieurs valeurs normales pour le premiers 6 mois, plus élevés comparé aux enfants plus âgés. Les valeurs limite pour une CF ne sont pas bien définies pour cette tranche d’âge. Certains auteurs ont suggéré récemment que la précision diagnostique du FS chez les petits enfants serait améliorée et relevant la limite à 18-24 µg/l. Des études plus anciennes ont constaté des différences significatives selon le test utilisé pour la mesure de la FS, ce qui rend la comparaison des taux de ferritine provenant de différents laboratoires très complexe. Enfin l’interprétation des taux de ferritine est rendue difficile par des maladies inflammatoires aiguës ou chroniques associées, la FS étant une protéine présente dans la phase aiguë et qui peut rester élevée pendant des semaines pendant et après une infection ou une inflammation. Le taux de ferritine peut monter aussi après un effort physique et rester élevé plusieurs jours si l’effort était intense.

Tableau 2. Valeurs normales de l’hémoglobine, du VGM et de la ferritine selon l’âge (Clinique pédiatrique Zurich).

Examens complémentaires

  • Des examens biologiques complémentaires sont rarement nécessaires pour déceler et évaluer l’importance d’une carence en fer dans la pratique pédiatrique quotidienne. La concentration en hémoglobine des réticulocytes (Ret-Hb) est un paramètre indiquant l’activité érythropoïétique précoce et les réserves ferriques disponibles pour les cellules érythropoïétiques les plus jeunes dans le sang (norme pour l’enfant: Ret-Hb >28 pg, pour le petit enfant: >27.5 pg).

Les tests suivants ont des valeurs de référence pédiatriques, mais sont chers et exigent des prises de sang veineuses:

  • Taux de fer sérique, saturation de la transferrine
  • Récepteur soluble de la transferrine (RsTrf)
  • Protoporphyrine zinc (PPZ)

Les analyses biologiques ou scores suivants sont également utiles pour préciser le diagnostic de CF:

  • protéine C-réactive (CRP), vitesse de sédimentation (VS), afin d’éliminer une infection ou maladie inflammatoire concomitante
  • uristix et recherche de sang dans les selles pour exclure une maladie gastro-intestinale avec perte de sang
  • score clinique de risque de saignements et consultation gynécologique pour les adolescentes lors de menstruations importantes (méno-métrorragie).

Une consultation chez un hématologue pédiatre est fortement recommandée pour les cas de CF/CFA «résistantes au traitement» malgré une substitution orale bien tolérée et une bonne observance thérapeutique du patient et de la famille. La résorption anormale du fer, occasionnée par une maladie gastro-intestinale est une cause de carence en fer inexpliquée identifiée de plus en plus fréquemment. La disponibilité récente de méthodes aisées et non-invasives pour le dépistage de la maladie cœliaque, de la gastrite atrophique auto-immune et des infections à hélicobacter pylori, facilite considérablement l’identification de ces patients. La résorption de fer est réduite aussi dans le syndrome de l’intestin court après une résection chirurgicale. Chez les filles avec une CFA et ménorragie on exclura une possible coagulopathie (p.ex. maladie de von-Willebrand).

Recommandations concernant l’alimentation

Chez un enfant asymptomatique avec une CF isolée on améliorera d’abord l’apport en fer par l’alimentation, par des conseils nutritionnels pour toute la famille. La meilleure source de fer alimentaire est le fer hémique de source animale. Il existe de bonnes alternatives au fer hémique animal, avec une teneur relativement élevée en fer, p.ex. les légumineux comme les lentilles, les pois chiches, le soja ou les haricots blancs, le son de blé ou les noix. La résorption de fer peut être améliorée par l’adjonction de différentes formes d’acides, p.ex. jus d’orange, citron, pomme, raisin, poire ou framboises. Les tannins du café, thé ou vin, l’oxalate dans les épinards, la rhubarbe ou le cacao, le phosphate dans les sodas peuvent par contre inhiber la résorption du fer. Inhibent également la résorption intestinale du fer notamment  les protéines du lait ou du blanc d’œuf; les macroglobulines du lait de vache peuvent engendrer des microhémorragies intestinales chez les nouveau-nés et les petits enfants.

Tableau 3. Sources de fer animales et végétales et leur teneur en fer.

Traitement martial oral

La substitution de fer par voie orale est efficace chez la plupart des enfants avec une CFA. Des effets indésirables sont possibles mais jamais dangereux. Une information détaillée (constipation, irritation du tractus gastro-intestinal proximal, coloration des dents) de la famille au début du traitement est indispensable afin d’améliorer l’adhésion au traitement. Avant de commencer le traitement martial oral, il est prioritaire de corriger les problèmes alimentaires sous-jacents, par l’introduction d’aliments solides à l’âge de 6 mois pour les enfants allaités et la réduction de l’apport de lait de vache chez les enfants plus âgés. Aux adolescents nous recommandons de réduire la consommation de thé noir ou froid, de boissons rafraichissantes contenant des phytates, oxalates etc. Les pédiatres doivent connaitre les alimentations végétariennes/végétaliennes et dispenser les conseils relatifs.

Dosage et administration de préparations de Fe2+ et Fe3+

Complément alimentaire en Fe2+: 2-3 mg/kg en une ou deux doses/jour, une demi heure avant ou après le repas. Un jus ou de l’eau permettent d’améliorer le goût.

Complément alimentaire en Fe3+: 3-5 mg/kg de fer élémentaire Fe3+ en une ou deux doses/jour aux repas (avec un jus ou de l’eau).

La durée recommandée de la substitution en fer est de 2-4 mois (les préparations Fe3+ généralement plus longtemps). La durée sera adaptée, afin de normaliser l’Hb, le VGM mais aussi les réserves en fer (c.à.d. normalisation du taux de ferritine).

Des contrôles de la réponse thérapeutique ne sont nécessaires que dans les cas d’anémie sévère ou de pertes persistantes (p.ex. ménorragie) ou lorsqu’on suspecte une observance insuffisante du traitement.

Tableau 4. Liste des médicaments oraux à base de fer pour enfants en Suisse (préparations liquides et comprimés/capsules avec <70 mg/comprimé, d’après le Compendium suisse et la Liste des spécialités [LS], décembre 2019).

Mesures en cas d’effets indésirables ou non-observance du traitement

Les pédiatres doivent tenir compte des différentes recommandations de dosage et les possibles effets indésirables doivent être abordés d’entrée. L’apport en liquides devrait toujours être augmenté au début d’un traitement martial. Si des effets indésirables apparaissent, changer de Fe2+ à Fe3+ peut s’avérer utile; pour les préparations à base de Fe3+ on peut envisager un changement de gouttes à comprimés ou l’inverse. Des données récentes chez l’adulte indiquent qu’un changement des produits Fe2+ à un schéma alternant (prise du médicament tous les deux jours) permet de réduire les effets indésirables au niveau gastro-intestinal, tout en garantissant une substitution en fer efficace. Le passage au fer intraveineux devrait être limité aux patients avec une anémie sévère (Hb <70 g/l), une maladie systémique sous-jacente avec une indication au traitement IV (inflammation gastro-intestinale chronique, saignements gastro-intestinaux ou génito-urinaires chroniques, cœliakie, etc.) et/ou des situations de non-observance et de CFA réfractaire symptomatique.

Traitement martial intraveineux

La perfusion intraveineuse (IV) de fer est la seule alternative à l’administration orale. Les principaux avantages du traitement IV sont d’une part le fait d’éviter le problème de l’observance dû au mauvais goût et aux effets indésirables gastro-intestinaux et d’autre part de contourner la barrière de la muqueuse intestinale. En outre plusieurs études ont documenté que la réponse en terme d’hémoglobine est meilleure par l’administration de fer IV que par voie orale. Ces deux dernières décennies, la qualité des préparations IV s’est nettement améliorée, avec une meilleure sécurité et des formules chimiques «optimisées», assurant une dose optimale avec des perfusions moins fréquentes et plus courtes.

Actuellement on obtient en Suisse deux produits IV à base de fer:

  • Fer saccharose, admis dès l’âge de 3 ans
  • Le carboxymaltose ferrique, admis dès l’âge de 18 ans (dès 14 ans dans l’Union Européenne).

Le choix de la préparation et du dosage doit baser sur la liste des préparations admises pour chaque tranche  d’âge en Suisse www.listedesspecialites.ch ou www.compendium.ch

L’administration IV sûre de préparations ferriques exige des précautions. Notre groupe recommande de n’effectuer un traitement IV chez des enfants que dans les conditions suivantes:

  • l’indication est posée après l’évaluation clinique par un spécialiste ayant les connaissances et l’expérience du métabolisme du fer et des mesures de réanimation pédiatriques (PALS
  • le traitement a lieu dans un établissement disposant d’équipements et infrastructures pédiatriques
  • les médicaments nécessaires en cas de réaction anaphylactique (antihistaminiques, stéroïdes et épinéphrine) sont immédiatement disponibles.

Notre groupe rejette fermement le concept des «cliniques pour perfusion de fer» pour enfants et adolescents, car elles représentent un obstacle potentiel au diagnostic précoce et précis de maladies sous-jacentes potentiellement dangereuses dans cette tranche d’âge vulnérable. Nous recommandons que tout patient en âge pédiatrique nécessitant du fer sous forme de perfusion, bénéficie de la consultation d’un hématologue pédiatre (ou d’un spécialiste du métabolisme martial) et d’un spécialiste de la maladie sous-jacente.

Domaines pédiatriques avec indication claire à la perfusion de fer

Pour les patients avec une maladie inflammatoire chronique de l’intestin ou une cœliakie, où le fer par voie orale accentue les symptômes intestinaux, le traitement intraveineux s’est avéré être une alternative sûre et moins toxique. Les enfants sous dialyse à cause d’une maladie rénale chronique profitent également de fer IV, même avant qu’ils ne bénéficient de substances simulant l’érythropoïétine. Le fer IV s’est avéré efficace et sûr chez les enfants après transplantation rénale. Cela pourrait être utile aussi pour d’autres bénéficiaires d’un greffon solide. La perfusion rapide de fer saccharose s’est avérée sûre chez les enfants avec des troubles rénaux chroniques. Il a aussi été démontré récemment que le fer IV réduit les symptômes de patients avec un syndrome des jambes sans repos, avec CF ou avec des réserves ferriques saturées.

Domaines où la perfusion de fer fait débat

Le rôle du fer IV, en tant que traitement de premier choix pour les enfants avec une CFA, se discute depuis des années. Débat fait aussi l’éventuelle induction d’un stress oxydatif sur des éléments sanguins et des structures endothéliales du nouveau-né et du nourrisson. Plusieurs auteurs recommandent donc d’éviter l’administration de fer IV aux nouveau-nés et petits enfants. La question d’une perfusion de fer préopératoire vs fer par voie orale ou perfusion d’érythrocytes n’a pas été examinée de manière prospective et randomisée; il n’existe que peu de preuves pouvant contribuer à une décision concernant les enfants. L’utilisation de fer IV chez des enfants très actifs (p.ex. jeunes sportifs d’élite) a été au centre de nombreux débats scientifiques.

Un papier de consensus publié récemment par  la Société suisse de médecine du sport (Sport & Exercise Medicine Switzerland, SEMS) a examiné en détail le métabolisme ferrique des sportifs et défini des valeurs limite évoquant une CF/CFA, mais a renoncé à recommander autre chose qu’une substitution de fer orale. À noter que la perfusion de fer pour des athlètes doit respecter les règles antidopage de l’Agence mondiale antidopage (AMA), s’ils veulent participer à des compétitions.

Rapport coût-effet

Le rapport coût-effet et le remboursement doivent être discutés ouvertement avec les familles concernées. À noter que certaines assurances maladie refusent la prise en charge des coûts pour les préparations ferriques IV, notamment si elles sont utilisées    off-label. Les coûts varient et toutes les préparations IV sont sensiblement plus chères qu’un traitement oral, sans tenir compte des coûts dus à la prise en charge et la surveillance clinique.

 Résumé des recommandations pour la perfusion de fer en pédiatrie

La perfusion de fer peut être considérée la stratégie de premier choix dans les situations suivantes:

  • maladies gastro-intestinales inflammatoires chroniques ou situations avec une malabsorption documentée
  • maladies rénales chroniques sous hémodialyse, avec ou sans médicaments simulant l’érythropoïétine
  • saignements chroniques d’étiologie non corrigible, dont le traitement oral n’est pas suffisamment efficace ou contre-indiqué.

Selon les directives internationales, le traitement par fer IV pendant l’enfance est actuellement possible, sous certaines conditions, dans les situations suivantes en tant que deuxième choix et après consultation d’un spécialiste du métabolisme du fer pédiatrique (hématologue pédiatre certifié):

  • la correction d’une CFA n’est pas obtenue par une substitution en fer orale bien conduite avec une bonne observance (au moins 6 mois de traitement)
  • malabsorption confirmée ou intolérance chronique au fer oral, y compris les enfants avec des troubles neurologiques sévères occasionnant des difficultés à s’alimenter.

Contre-indications au fer IV pendant l’enfance

Sont des contre-indications à l’administration de fer IV:

  • la présence d’une infection active/aiguë
  • une anamnèse personnelle d’anaphylaxie/allergie médicamenteuse
  • des maladies associées pouvant expliquer les signes et symptômes constatés (troubles neurologiques, psychiatriques et psychosomatiques/fonctionnels) et susceptibles de traitement
  • le souhait d’améliorer les performances scolaires/sportives (ce qui correspond de facto à un dopage), lorsqu’aucune analyse biologique ne confirme la sidéropénie.

Valeurs limite et dosage de fer IV en pédiatrie

Dès qu’une indication claire est établie (cf. ci-dessus), les valeurs limite pour une supplémentation IV en fer devraient être identiques à celles pour la prise orale, à moins qu’une maladie sous-jacente ne limite/rende impossible l’interprétation des réserves en fer. La quantité de fer à remplacer se calcule d’après le poids du patient, en utilisant la formule de Ganzoni (cf. Compendium suisse, un système de calcul spécifiquement pédiatrique est disponible).

Recommandations concernant le choix du produit IV en pédiatrie

Le choix du produit devrait se faire d’après les indications dans la Liste des spécialités admises www.listedesspecialites.ch) ou dans le Compendium suisse (www.compendium.ch). En effet le seul produit admis en Suisse pour les enfants est le Fe saccharose. L’utilisation off-label peut s’envisager pour d’autres produits enregistrés dans la LS, mais exige une évaluation soigneuse des risques et avantages et la consultation d’experts.

Concernant l’utilisation off-label de produits ferriques administrés par voie IV, il faut préciser que le médecin prescripteur assume toute la responsabilité pour les éventuels effets indésirables; comme pour toutes les interventions et tous les médicaments, un accord du patient après information est impératif.

Soutien: Vifor Pharma SA a organisé les réunions du groupe de travail pour l’élaboration du manuscrit, mais n’a influencé ni le contenu du manuscrit ni les discussions pendant les séances.

Remarque: la liste détaillée des références peut être obtenue auprès de l’auteur. La publication complète avec les justifications de ces recommandations et la liste détaillée des références a été publiée en avril 2020 dans l’European Journal of Pediatrics (EJPE).

(Eur J Pediatr. 2020 Apr;179(4):527-545. doi: 10.1007/s00431-020-03597-5.)

Informations complémentaires

Traducteur:
Rudolf Schläpfer
Correspondance:
Conflit d'intérêts:
Les auteurs n'ont déclaré aucun lien financier ou personnel en rapport avec cet article.
Auteurs
Dr. med.  Heinz Hengartner Abteilung pädiatrische Hämatologie-Onkologie, Ostschweizer Kinderspital, Sankt Gallen

Prof. Dr. med.  Nicolas von der Weid Abteilung für pädiatrische Hämatologie-Onkologie, Universitätskinderspital beider Basel und Universität Basel

Dr. med.  Veneranda Mattiello Unité d'onco-hématologie pédiatrique. Hôpital des enfants. Genève

Dr. med.  Markus Schmugge Liner Hämatologie , Universitäts-Kinderspital Zürich

Dr. med.  Raffaele Renella Unité d'Hématologie-Oncologie - Service de Pédiatrie, Lausanne