Les mauvais traitements d’enfants sont un problème connu partout au monde – toujours et encore aussi dans les nations occidentales avec un état social développé1). Les enfants concernés souffrent par la suite de problèmes psychologiques, des troubles de stress posttraumatique et de dépressions2). On observe chez les anciennes victimes de mauvais traitements aussi des troubles post-traumatiques physiques et autres maladies somatiques3). Ces différentes conséquences persistent souvent jusqu’ à un âge adulte avancé4). Mais en général dans les études réalisées à ce jour n’ont été questionnés rétrospectivement que des adultes5). Le développement à court et moyen terme pendant l’enfance après de mauvais traitements n’a été que peu investigué. Comme les données indiquant quels enfants maltraités se montrent résilients après des expériences de violence et lesquels restent durablement perturbés dans leur développement font défaut, nous ne savons pas comment améliorer l’offre pour les victimes et comment les protéger plus efficacement.
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1 La réalisation a été possible grâce aux contributions des Fondations Maiores, Vaduz, Perspectives de Swiss Life, Zurich, Wyeth Stiftung für die Gesundheit von Kindern
und Jugendlichen, Zoug, des Fondations Anna Müller- Grocholski, Zurich, et Olga Mayenfisch, Zurich. Nous les remercions chaleureusement.
Les mauvais traitements d’enfants sont un
pr oblème connu par tout au monde – toujour s
et encore aussi dans les nations occidentales
avec un état social développé
1). Les enfants
concernés souffrent par la suite de problèmes
psychologiques, des troubles de stress post-
traumatique et de dépressions
2). On observe
chez les anciennes victimes de mauvais trai –
tements aussi des troubles post-traumatiques
physiques et autres maladies somatiques
3).
Ces différentes conséquences persistent
sou vent jus qu’ à un âge adulte avancé
4). Mais
en général dans les études réalisées à ce jour
n’ont été questionnés rétrospectivement que
des adultes
5). Le développement à court et
moyen terme pendant l’enfance après de
mauvais traitements n’a été que peu investi –
gué. Comme les données indiquant quels
enfants maltraités se montrent résilients
après des expériences de violence et lesquels
restent durablement perturbés dans leur dé –
veloppement font défaut, nous ne savons pas
comment améliorer l’offre pour les victimes
et comment les protéger plus efficacement.
Première étude du Groupe protec –
tion de l’enfant de la Clinique pédia –
trique de Zurich
Le Groupe protection de l’enfant (GPE) de la
Clinique pédiatrique de Zurich a analysé, pour
la pr emièr e fois en Eur op e, comment se déve –
loppent les victimes de mauvais traitements
qui lui ont été signalées, les comparant à un
groupe contrôle
6). Des enfants de tout âge ont
été examinés deux à trois ans après l’inter –
vention du GPE. Un constat majeur de cette
étude est la grande différence entre la per –
ception de soi des enfants et la perception
des parents de l’état de leur enfant. Constat
peu surprenant, les enfants maltraités consi –
dér aient , encor e deu x à tr ois ans apr ès l ’inter –
vention du Groupe protection de l’enfant, leur
qualité de vie significativement réduite par
rapport à d’autres enfants de leur âge. Les
parents par contre ne considéraient pas leurs
enfants plus affectés que les parents d’un
Comment se développent les enfants mal –
traités et pourquoi nous ne le savons pas
Andreas Jud, Sabine Weber, Markus A. Landolt, Markus Wopmann, Ulrich Lips
Traduction: Rudolf Schlaepfer, La Chaux- de – Fonds
groupe contrôle n’ayant pas subi de mauvais
traitements 6). Cette perception insuffisante
des besoins de l’enfant par les parents peut à
son tour être à l’origine de négligence ou de
mauvais traitements. Pour corroborer cette
constatation l’étude transversale manquait
pourtant de données concernant le moment
de la détection de la maltraitance.
Une étude prospective sur le
développement d’enfants maltraités
Seulement avec une étude prospective les
liens entre cause et effet deviennent plau –
sibles. Des observations à différents mo –
ments permettent par ailleurs de reproduire
le développement de manière évolutive. Cette
amélioration méthodique a été appliquée
dans une nouvelle étude des GPE de la Cli –
nique pédiatrique de Zurich et de la Clinique
pédiatrique de l’hôpital cantonal de Baden
AG1: une saisie de données de base était
prévue rapidement après la présentation du
cas aux GPE, ensuite un contrôle après un et
deux ans. Afin de ne pas exclure les environ
30 % de patients immigrés vus par le GPE, les
questionnaires ont été distribués dans diffé –
rentes langues. La possibilité d’effectuer les
contr ôles au lieu de domicile devait limiter les
contraintes organisationnelles pour les fa –
milles.
Participation trop faible
Malheureusement cette première étude pros –
pective de GPE de cliniques pédiatriques sur
le développement des enfants maltraités a été
interrompue fin 2016 en raison d’une partici –
pation tr op f aible : ave c 17 en lieu et place des
100 enfants victimes de maltraitances es –
comptés, le nombre de participants est resté
loin en dessous de nos attentes. Le nombre
n’est ainsi pas représentatif et trop petit pour
une analyse statistique détaillée et fiable.
Nous identifions ici les écueils rencontrés lors
du recrutement et formulons des recomman –
dations pour la planification d’études ulté –
rieures.
Corrélations entre caractéristiques
de l’échantillonnage et participa –
tion à l’étude
Est- ce que la participation faible corrèle sys –
tématiquement avec des caractéristiques de
l’échantillon ? Différentes variables ont été
examinées : âge, sexe et nationalité de l’en –
fant, âge des parents, type et certitude de la
maltraitance. En outre a été vérifié s’il y a une
différence entre cas hospitalisés et suivis en
ambulatoire, ou si une plainte pénale, un avis
de danger ou la présence d’un auteur intrafa –
milial se répercute négativement sur la parti –
cipation. Finalement a été analysé si les fa –
milles montrent une disposition différente à
participer en fonction de la personne respon –
sable du cas au sein du GPE.
Une différence significative a été constatée
selon le type de mauvais traitement : malgré
la proportion relativement élevée d’enfants
abusés sexuellement de l’échantillonnage
(30 %), seulement un enfant abusé sexuelle –
ment et sa famille étaient disposés à partici –
per à l’étude. Les autres paramètres concer –
nant les enfants, les familles et les situations
de maltraitance ne présentaient pas de cor –
rélation significative par rapport à la disposi –
tion à participer. Par contre certains enfants
et parents concernés étaient nettement
moins disposés lorsque la personne A plutôt
que la personne B ou C du GPE avait la res –
ponsabilité du cas.
Obstacles formels et juridiques
Particulièrement sérieux pour la participation à
l’étude se sont avérés les obstacles formels et
juridiques: le GPE de la Clinique pédiatrique de
Zurich est en même temps le Ser vice cantonal
de consultation pour les victimes d’agressions
(centre LAVI). Ces services ont un devoir de
confidentialité nettement plus étendu qu’en
général dans le domaine de la santé. Les cas
ayant été traités par le centre LAVI ne pou
–
vaient donc être recrutés comme les autres
patients à la clinique pédiatrique. Les données
de contact ne pouvaient être transmises à
l’équipe d’étude que lorsque la personne res
–
ponsable du cas au centre en avait obtenu par
courrier le consentement écrit. Mais des ré
–
ponses écrites ne sont pour ainsi jamais arri –
vées ; le recrutement n’était réalisable presque
exclusivement qu’en contactant personnelle
–
ment les p er sonnes concer nées – ce qui n’ét ait
justement pas possible.
2Les ma uvs i mtrn
2Les maLuviLumautrnvd’ufiLoLparvbfla meaètr
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Pourquoi les études avec les
victimes de mauvais traitements
pendant l’enfance sont particulière-
ment difficiles ?
La maltraitance d’enfants est une thématique
lourde. Personne ne voudrait y être associé,
même si on n’a r ien à se r epr o cher. Il es t p our
cette raison déjà pas facile de trouver des
familles pour un groupe de contrôle. Combien
plus difficile la participation devient-elle pour
les familles lorsque des faits ou négligences
proscrits par la société se sont produits dans
l’entourage proche de l’enfant, ou ont parfois
été commis par les parents eux-mêmes. C’est
le cas notamment pour les abus sexuels, où
le recrutement était encore plus difficile. Le
bannissement, la honte et la peur de consé –
quences ultérieures par une analyse appro –
fondie pesaient particulièrement, la demande
de participation à l’étude étant faite peu de
temps après la découverte de la maltraitance
et l’intervention par une institution de protec –
tion de l’enfant.
Le moment de la découverte est un moment
de grandes tensions émotionnelles pour toute
la famille et peut se révéler un déclencheur
pour d’autres évènements critiques de la vie
de famille – p. ex. la séparation ou le divorce
du partenaire maltraitant. La révélation des
faits déclenche à juste titre une aide et des
offres de soutien pour les personnes concer –
nées et leur famille. Mais ces différentes
mesures et offres peuvent représenter, par
leur nombre, un défi à l’autogestion des per –
sonnes concernées
7).
De quoi faut-il tenir compte pour
de futures études sur les enfants
maltraités ?
Afin d’obtenir de premières indications sur le
développement d’enfants et adolescents
après une intervention du GPE médical, des
données seront récoltées au moment de la
découverte par le professionnel compétent.
C ela sig ni fie qu’il f aut saisir de routine ( et non
seulement à des fins d’étude) quelques don –
nées standardisées sur le développement
psychique et social des patients, ce qui est
par ailleurs important aussi pour l’évaluation
globale de la situation. Cela permet de de –
mander plus tard aux personnes concernées
de prendre part à l’étude, à distance du mo –
ment douloureux de la découverte de la mal –
traitance. Les professionnels réévaluent alors
la situation, leur appréciation étant complétée
par la perspective des personnes concernées.
Il est crucial pour cette manière de faire que
l’étude soit portée par tous les professionnels
impliqués dans le suivi ambulatoire. Pour ce
faire c’est avérée profitable une approche
basée sur la collaboration et le partenariat,
incluant dès la planification de l’étude tous les
professionnels concernés
8).
Conclusion
Malgré les obstacles considérables que com –
porte la saisie de données sur les enfants et
adolescents victimes de mauvais traitements,
et bien que l’acceptation pour participer à de
telles études ne sera jamais très grande, les
efforts pour améliorer nos connaissances
dans ce domaine doivent continuer. Ce n’est
qu’ainsi que nous pourrons nous prononcer
sur la pertinence des mesures de protection
et de soutien et ainsi obtenir les indications
nécessaires à l’amélioration des offres de
soutien faites aux enfants et aux adolescents
victimes.
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zation; 2015 : 55 – 62
Correspondance
andreas.jud @ hslu.ch
2Les ma uvs i mtrn
2Les maLuviLumautrnvd’ufiLoLparvbfla meaètr
Informations complémentaires
Correspondance:
Auteurs
Prof. Dr. phil. Andreas Jud , «Epidemiologie und Verlaufsforschung im Kinderschutz», Universitätsklinikum Ulm, Deutschland, Hochschule Luzern – Soziale Arbeit S. Weber M.-A. Landolt Dr. med. Markus Wopmann , Klinik für Kinder und Jugendliche, Kantonsspital Baden U. Lips