Les douleurs abdominales sont un motif de consultation fréquent en pédiatrie, tant en consultation de pédiatrie générale qu’en gastro-entérologie pédiatrique et constituent un réel défi diagnostic pour les pédiatres traitants. Dans la majorité des cas, il s’agit de douleurs fonctionnelles. Cependant des maladies organiques, en premier lieu les maladies intestinales chroniques inflammatoires (MICI) peuvent causer ces douleurs et un diagnostic précoce ainsi que l’initiation d’un traitement adéquat sont d’intérêt capital pour le patient. La mesure de la calprotectine fécale, méthode élégante car non invasive, peut aider à la discrimination des différentes étiologies des douleurs abdominales.
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Vol. 27 No. 4 2016 Gastroentérologie, hépatologie et nutrition pédiatrique
Calprotectine en pédiatrie*
Andreas Nydegger, Lausanne, pour la Société Suisse de Gastroentérologie, Hépatologie et
Nutrition Pédiatrique (SSGHNP)
Traduction: Alexandre Corboz, La Chaux-de-Fonds
Introduction
Les douleurs abdominales sont un motif de
consultation fréquent en pédiatrie, tant en
consultation de pédiatrie générale qu’en gas –
tro -entérologie pédiatrique et constituent un
réel défi diagnostic pour les pédiatres trai –
tants. Dans la majorité des cas, il s’agit de
douleurs fonctionnelles. Cependant des mala –
dies organiques, en premier lieu les maladies
intestinales chroniques inflammatoires (MICI)
peuvent causer ces douleurs et un diagnostic
précoce ainsi que l’initiation d’un traitement
adéquat sont d’intérêt capital pour le patient.
La mesure de la calprotectine fécale, mé –
thode élégante car non invasive, peut aider à
la discrimination des différentes étiologies
des douleurs abdominales.
La calprotectine fécale:
qu’est-ce que c’est?
La calprotectine est une protéine cytosolique,
liant le calcium, appartenant à la famille S 100
(Calgranuline: S100/A8/A9 = Calprotectine,
S100A12); elle est stockée quasi exclusive –
ment dans les neutrophiles, bien que présente
en petites quantités aussi dans les macro –
phages. Elle est mesurée lors de processus
inflammatoires aigus ou chroniques, en quan –
tité élevée, tant dans le sérum qu’au site de
l‘inflammation 1). La calprotectine, élément de
la défense immunitaire peu spécifique, pos –
sède des propriétés pro -inflammatoires et
favorise l’extravasation de neutrophiles, par
sa liaison aux cellules endothéliales 2). Lors de
poussées inflammatoires intestinales, les
granulocytes cytolysés extravasent de la
calprotectine dans la lumière intestinale. Elle
peut alors être détectée et quantifiée dans les
selles, apportant un meilleur reflet de l’inflam –
mation de la muqueuse intestinale que bien
d’autres marqueurs sanguins 3).
Comment faut-il mesurer la
calprotectine?
Diverses études ont démontré que la réparti –
tion de la calprotectine est homogène au sein
d’un même échantillon fécal et que le lieu de
récolte est par conséquent sans importance
(R > 0.9) 4).
Des analyses récentes indiquent que la stabi –
lité reste optimale pendant 3 jours à tempé –
rature ambiante avec une réduction de la
stabilité par la suite (28 % à J 7) 5). Par consé –
quent, il est recommandé aux patients d’en –
voyer les échantillons de selles par la Poste ©
ou de les amener personnellement au labora –
toire. Les échantillons conservés dans un
congélateur à –20 degrés sont stables pen –
dant des mois.
Pour l’analyse de la calprotectine, on dispose
de tests qualitatifs (résultat: positif ou néga –
tif) avec des limites prédéterminées et de
méthodes quantitatives. On considère comme
gold standard l’analyse par ELISA (enzyme
linked immunosorbent assay a)), tout en sa –
chant que les méthodes utilisant des anti –
corps monoclonaux pour la détection de la
calprotectine obtiennent pourtant de meil –
leurs résultats 6). Des Linear Flow Arrays b) sont
également disponibles, permettant une ana –
lyse quantitative de la calprotectine fécale en
consultation ambulatoire, sans aide d’un labo –
ratoire. Ainsi, on peut avoir rapidement des
résultats en accord avec la méthode de réfé –
rence ELISA 7).
Chez quels patients pédiatriques
faut-il analyser la calprotectine
fécale?
De nombreuses maladies intestinales peuvent
se manifester par des plaintes abdominales
chroniques associant douleurs, ballonne –
ments, troubles du transit ou constipation. En
pédiatrie, ces plaintes s’expliquent bien sou –
vent par des troubles fonctionnels intestinaux.
De plus, bien souvent le diagnostic des MICI,
notamment la maladie de Crohn, est posé
plusieurs mois après le début des symp –
tômes. Sans traitement, la MICI ne fera
qu’augmenter et des complications peuvent
survenir (p. ex. perte pondérale, retard de
croissance, sténoses ou abcès) 8),9) . C’est
pourquoi un diagnostic rapide et un traite –
ment ciblé précoce sont capitaux.
Cependant, en pédiatrie (contrairement aux
pratiques adultes), il convient de temporiser
une analyse de la calprotectine fécale, en
l’absence de signes d’alerte et quand les
plaintes peuvent entrer dans les critères de la
classification de ROME III des douleurs abdo –
minales fonctionnelles 10 ).
Fiabilité de la mesure de la
calprotecine
L’ u t i l i t é d e l a c a l p r o t e c t i n e f é c a l e a é t é s u r –
tout explorée pour discriminer les maladies
intestinales chroniques inflammatoires des
plaintes fonctionnelles. La sensibilité et la
spécificité de la calprotectine fécale pour
discriminer les MICI des non – MICI s’élèvent
à 80–95% respectivement 76–91% dans des
divers études et méta-analyses 11 ) , 1 2 ) . Sa pré –
cision diagnostique est sensiblement meil –
leure que celle de la protéine C-réactive (PCR)
ou de la vitesse de sédimentation (VS) 13 ).
Toutefois, elle n’est pas spécifique de lésions
grêles ou coliques, mais un marqueur de lé –
sions inflammatoires de tout le tube digestif.
Néanmoins la précision du diagnostic est
meilleure pour les lésions coliques que pour
les segments plus proximaux. Le tableau 2 en
donne une vue d’ensemble.
Symptômes ou signes d’alerte
Hémorragie digestive occulte (anémie)
Hémorragie digestive microscopique(hématochézie,méléna)
Fièvre
Retard de croissance
Réveils nocturnes liés aux douleurs abdomi – nales
Anamnèse familiale de maladie cœliaque
Anamnèse familiale de maladies intestinales chroniques inflammatoires
Ta b l e a u 1: Signes d’alerte (drapeaux
rouges) chez des malades avec calprotec –
tine fécale > 50 µg/g
* Adaptation de l’article paru dans Swiss Medical Forum (avec autorisation): Burri E, Beglinger C, Biedermann L, Michetti P, Nydegger A, Schoepfer A, Seibold F, Vavricka S, Rogler G; Diagnostischer Nutzen von Calprotectin im klinischen Alltag. Schweiz Med Forum 2016;16(03):68–73
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Correspondance
Dr Andreas Nydegger
Médecin adjoint, PD & MER
Centre Hospitalier Universitaire Vaudois
CHUV
Département médico-chirurgical de Pédiatrie
Unité de Gastroentérologie Pédiatrique
Andreas.Nydegger@chuv.ch
L’auteur cer tifie qu’aucun soutien financier ou autre conflit d’intérêt n’est lié à cet ar ticle.
d’une rechute. En période postopératoire
chez un patient avec une maladie de Crohn,
la calprotectine fécale est également utile
pour surveiller la reprise d’une activité inflam –
matoire intestinale. Elle est de nos jours un
outil indispensable dans la pratique quoti –
dienne, tant dans le cadre du dépistage des
douleurs abdominales, que pour le suivi de
MICI établies.
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Bien qu’un cut-off > à 50 µg/g de calprotec –
tine fécale soit utilisé chez les enfants 14 ), des
valeurs plus élevées selon l’âge, peuvent être
normales. Tandis que chez les nourrissons de
< 3 mois, les valeurs médianes se chiffrent à
375 µg/g (77–962), avec une diminution
progressive avec l’âge, et s’élevant entre 12
et 18 mois à 104 µg/g (10 - 501) 15 ). En général,
on retrouve dès la 2ème année de vie des
valeurs inférieures à 50 µg/g 16 ).
Résumé
La calprotectine est une protéine pro -inflam -
matoire libérée par les neutrophiles. L‘analyse
de la calprotectine fécale est utilisée comme
marqueur de dépistage des MICI car elle dis -
crimine de manière fiable, lors de plaintes
abdominales, les douleurs fonctionnelles des
MICI. Une valeur au dessus de 50 µg/g de -
vrait faire consulter un gastroentérologue
pédiatre. La prise d’AINS, ainsi qu’une colite
microscopique peuvent augmenter le taux.
Des valeurs élevées sont également habi -
tuelles chez les nourrissons et les enfants de
moins de 2 ans. La calprotectine fécale a
également un rôle pour la surveillance des
MICI. Tant pour la maladie de Crohn que pour
la colite ulcéreuse, l’activité inflammatoire de
la muqueuse est bien corrélée avec le taux de
calprotectine fécale. Elle est corrélée avec la
rémission clinique et le risque ou le diagnostic
Diagnostic
Oesophagite érosive
Gastrite érosive
Ulcère gastrique
Maladie coeliaque
Allergie aux protéines du lait de vache
Gastroentérite infectieuse
Colite microscopique
Polypes juveniles et adénomateux
Maladie de Crohn
Colite ulcéreuse
Mucoviscidose
Fissures anales
Chez l’adulte, de plus:Carcinome gastrique et colorectal, diverticulite, colite ischémique
Ta b l e a u 2: maladies inflammatoires diges -
tives pouvant provoquer une élévation de
la calprotectine fécale à > 50 µg/g