L’introduction de la vaccination contre le cancer du col de l’utérus dû aux virus HPV entre 11 et 19 ans fait surgir en plus des réflexions autour de l’efficacité et de l’utilité du vaccin (dont on ne doute plus) deux questions majeures pour les pédiatres:
● Comment parler de sexualité aux adolescents? ● Comment impliquer les parents dans cette démarche?
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Introduction
L’introduction de la vaccination contre le
cancer du col de l’utérus dû aux virus HPV
entre 11 et 19 ans fait surgir en plus des
réflexions autour de l’efficacité et de l’utilité
du vaccin (dont on ne doute plus) deux
questions majeures pour les pédiatres:
● Comment parler de sexualité aux adoles
cents?
● Comment impliquer les parents dans
cette démarche?
Une vaste étude auprès de 1500 adoles
cents de différents pays européens montre
que les jeunes accepteraient facilement de
bénéficier de nouveaux vaccins. Cependant
la crainte des effets secondaires et de la
douleur lors de l’injection pousseraient
certains à la refuser. Cette même étude
donne au médecin de premier recours une
place d’interlocuteur privilégié, raison pour laquelle tout pédiatre a un rôle important à
jouer dans la recommandation de nouveaux
vaccins auprès des jeunes
1). Une autre étude
effectuée auprès de pédiatres installés a
montré l’importance d’avoir à disposition
des outils pour aborder et transmettre
les informations concernant de nouveaux
vaccins auprès des jeunes et de leurs fa
milles
2).
S’adapter aux étapes du dévelop –
pement à l’adolescence
L’adolescence est une période qui a ten
dance à s’allonger au fil des siècles. En
effet le début est clairement défini par les
changements pubertaires, avec un âge
de la ménarche de plus en plus précoce.
Tandis que la fin de l’adolescence est
plus floue (indépendance économique?
intégration sociale?) mais se fait de plus
en plus tard, due souvent à des études
prolongées. Afin de mieux concevoir les possibles ap
proches en consultation, il faut revoir les
différentes étapes du développement de
l’adolescence.
L’adolescence peut alors être divisée en
trois grandes phases:
● le début de l’adolescence entre 10 et 13
ans
● la mi adolescence entre 14 et 16 ans
● la fin de l’adolescence dès 17 ans
Le tableau 1 résume les étapes du dévelop
pement en prêtant une attention particulière
aux modifications de l’image corporelle, à
l’évolution de la sexualité, à l’intégration
sociale et aux relations avec les parents, à la
construction identitaire et aux changements
cognitifs.
1. Le début de l’adolescence
Avec les premiers changements pubertaires,
l’adolescente est poussée hors de son
monde d’enfant. Il y a une perte de repères
et la jeune peut être désécurisée. Elle va
devoir réinvestir ce corps en mutation.
Ce ne sont pas seulement les transforma
tions physiologiques, qui bouleversent les
jeunes, mais également les modifications
pulsionnelles pouvant les faire douter du
bon fonctionnement de leur corps. Le re
Aborder la sexualité à l’adolescence –
Réflexion autour de l’introduction du
vaccin contre les virus HPV
Marianne Caflisch, Montserrat Duran, Genève
Tableau 1: Etapes du développement à l’adolescence
Début de l’ado –
l escence10–13 ans
Début de la puberté
Préoccupation de l‘image
corporelle
Questions sur la normalité
Curiosité sexuelle
Importance du groupe des pairs
du même sexe
Amitiés intenses
Revendication d’un espace
d’intimité
Pudeur
Recherche de soi
Pensée concrète
Mi-adolescence
14–17 ans
Fin de la puberté
Intégration des modifications
corporelles
Préoccupation de l’apparence
physique
Expérimentation,
Phase romantique
Groupes des pairs plus
hétérosexuels
Début de liens plus individuels
Ambivalence entre dépendance
et indépendance
Renforcement de l’identité
Prises de risques
Sentiment d’invulnérabilité et
de toute puissance
Comportements égocentriques.
Début d’une pensée abstraite
Fin de l’ado lescence
> 17 ans
Atteinte d’une maturité
physique et sexuelle
Intégration d’une image
corporelle stable
Relations intimes
Relations de confiance avec un
partenaire
Acquisition d’une indentité
d’adulte
Indépendance
Meilleur rapport à la réalité
Conscience de ses propres
possibilités
Emancipation
Pensée abstraite
Projection dans le futur Changements physiques et mo-
difications de l’image corporelle
Evolution de la sexualité
Intégration sociale
Relations avec les parents
Construction identitaire
Changements cognitifs
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gard des autres et la comparaison à l’autre
sont très importants durant cette première
phase de l’adolescence. A ce momentlà,
l’adolescente est très centrée sur elle
même et s’entoure souvent d’un groupe
de pairs du même sexe. On assiste parallè
lement à une revendication d’un espace
d’intimité, lié à une pudeur plus présente
et à un début d’autonomisation envers les
parents. Ce mouvement reste cependant
plein d’ambivalence.
Alors que la proposition de la vaccination
contre les virus HPV peut tomber dans
cette tranche d’âge, l’adolescente a encore
peu d’expérience au niveau de sa propre
sexualité. Il y a une certaine curiosité sexu
elle, mais parler d’infections sexuellement
transmissibles peut lui sembler abstrait et
lointain. Le mode de pensée est souvent
encore concret et opératoire. Plus tard
seulement, l’adolescente prendra en consi
dération davantage la pensée de l’autre et
acquerra la capacité de raisonner par hypo
thèses et donc de façon plus abstraite.
Les arguments en faveur d’une vaccination
contre les virus HPV (tableau 2) utiles dans
la consultation avec ces très jeunes ado
lescentes sont plutôt ceux se référant au
groupe des pairs. Chez tout jeune prime un
désir de conformité, d’être «normal, comme
les autres». C’est pour cette raison que
des campagnes de vaccination effectuées dans le cadre scolaire peuvent s’avérer très
efficaces, les jeunes ne voulant pas être
exclues du groupe des pairs.
2. La mi-adolescence
Autour de 14 ans l’adolescente passe par
une phase du développement qui est sou
vent ressentie par l’entourage comme «cri
tique». On parle volontiers de «la crise
d’ado». La jeune peut être par moments
très égocentrique et les préoccupations
pour l’apparence physique ne peuvent nous
échapper. Elle est à la recherche d’elle
même et teste les limites. Au niveau de
la sexualité, l’adolescente vit des phases
de romantisme et d’expérimentation avec
souvent des premiers contacts plus intimes
lors de relations encore peu stables et de
courte durée.
Parler en consultation, à ce moment là,
de sexualité s’avère être propice: les ado
lescentes ont beaucoup de questions et
peuvent être soulagées que nous abordions
ouvertement la problématique, qu’il s’agisse
des sentiments amoureux, des questions
autour de la contraception ou des conseils
quant à la prévention des infections sexu
ellement transmissibles. Alors qu’elles ont
souvent déjà suivi des séances d’information
dans le cadre scolaire, une approche plus
individuelle leur permet d’approfondir et de clarifier leurs connaissances. Il est impor
tant de profiter du moment où l’on parle du
vaccin contre le cancer du col de l’utérus
pour aborder avec elles l’anatomie, afin de
leur permettre d’avoir une représentation
plus claire de leur propre corps. Elles ont
souvent des notions anatomiques lacu
naires – tout comme une grande majorité
des adultes. Toutefois les explications sur
les modifications cellulaires dues aux virus
HPV amenant vers une dysplasie ou un
cancer sont souvent difficiles à transmettre
et restent des concepts assez abstraits.
Par rapport à la proposition de la vacci
nation contre les virus HPV l’adolescente
sera réceptive à nos arguments (tableau 2)
lorsqu’elle sentira que nous la considé
rons comme une jeune femme, capable et
prête à avoir des expériences sexuelles.
L’adolescente appréciera de pouvoir décider
elle même de la manière de gérer sa sexua
lité et de se protéger. Elle peut entendre que
le vaccin peut la protéger d’une infection
sexuellement transmissible potentiellement
grave.
3. La fin de l’adolescence
A l’âge de 17 ans, près de la moitié des
jeunes auront eu leur premier rapport se
xuel
3) et elles se posent la question quant
à l’indication à se faire vacciner. Une infor
mation approfondie sur le vaccin peut alors
s’avérer indispensable. Les arguments quant
aux dépistages gynécologiques et aux com
plications dues à l’infection HPV prennent
alors toute leur importance. L’adolescente
vivant une relation plus stable avec son
partenaire et pouvant se projeter dans le fu
tur est sensible par exemple aux réflexions
quant à des grossesses compliquées suite
à des traitements de dysplasie cervicale
(tableau 2).
A tout âge il est important que nous expli
quions le manque d’efficacité du préservatif
contre les infections par le papillomavirus,
tout en soulignant son importance dans la
protection des autres infections sexuelle
ment transmissibles. Et ceci dans le but de
renforcer les informations reçues lors des
cours d’éducation à la santé effectués dans
le cadre scolaire.
Comment aborder la sexualité à
l’adolescence?
Parler de sexualité à l’adolescence n’est
pas toujours facile. Une liste de questions
Tableau 2: Argumentaire pour le vaccin contre les virus HPV suivant les étapes de
l’adolescence
Début de l’adolescence Mi-adolescence Fin de l’adolescence
Identification aux pairs: Être autonome Comprendre les effets à
« Faire comme les autres » Pouvoir décider soimême long terme et l’impact sur le
Soucis de normalité Comprendre la gravité de futur pour soimême et les
la maladie autres
Manque de protection par le préservatif
Tableau 3: Quelques questions pour aborder la sexualité à l’adolescence
Astu remarqué dernièrement des changements dans ton corps?
As tu des questions sur ces changements?
As tu des amis? Plutôt des filles ou des garçons?
Dans votre groupe d‘amis y a t il des couples?
Es tu déjà tombée amoureuse?
As tu un petit copain? Ou en as tu déjà eu un?
Etes vous très proches? intimes?
Avez vous eu des relations sexuelles? Ou te sens tu prête à en avoir?
Ou en avez vous déjà parlé?
Vous êtes vous protégés?
Ta vie intime se passe t elle comme tu le souhaites? Début de
l’adolescence
Mi adolescence
Fin de
l’adolescence
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prenant en considération les différentes éta
pes franchies peut aider à aborder ce sujet
(tableau 3). Ces questions peuvent faire
partie (et compléter) des questions abordées
dans le cadre du questionnaire HEADSSS,
(tableau 4) approche souvent utilisée
dans l’évaluation des adolescents, permet
tant un bon survol des facteurs protecteurs
et facteurs de risque liés à cette tranche
de vie
4), 5) .
Quelle place donner aux parents
dans cette démarche?
Il est évident que l’approche proposée se
base sur une garantie de confidentialité
entre médecin et adolescente. Par con
séquent, au moins une partie de la con
sultation doit se faire en tête à tête avec
l’adolescente. Vu le jeune âge de certaines
des patientes auxquelles nous allons propo
ser ce nouveau vaccin, les parents voudront
être impliqués dans les décisions à prendre
et tiennent un rôle important dans les dé
marches à faire.
Il ne faut jamais oublier que les parents sont
souvent les derniers à être mis au courrant
par les jeunes eux mêmes, lorsqu’il s’agit
de relations sexuelles. L’entrée dans la
vie sexuelle est une démarche très indi
viduelle, où l’on peut voir un mouvement
d’autonomisation. Le rôle du médecin est
de soutenir et de favoriser ces efforts
d’autonomie en transmettant aux jeunes
progressivement des responsabilités.
Les parents peuvent juger la proposition du
vaccin et la discussion autour de la sexualité
comme prématurée pour leur enfant. Ils
peuvent craindre qu’accepter la vaccination
puisse être comprise par la jeune comme
un accord tacite à une activité sexuelle et
les amener à négliger la protection contre
les autres infections sexuellement trans
missibles.
Il est important, que nous travaillions avec
les parents, les rassurions et servions de médiateur. Nous pouvons les encourager
à se souvenir de leur adolescence et des
difficultés à parler à leurs propres parents
de sexualité.
Dans cette situation, une réflexion autour
du secret médical s’impose, en particulier,
lorsqu’une jeune souhaite se faire vacciner
à l’insu de ses parents. D’une part, cela
dépendra de sa capacité de discernement
à comprendre les enjeux d’une mesure mé
dicale, et d’autre part, du droit des parents
à être informés quant à la santé de leur
enfant. On se retrouve ainsi en face d’un
dilemme juridique, qui a fait l’objet d’un
avis de droit 5). Pour résumé on doit pouvoir
garantir le secret médical à l’adolescente
y compris vis àvis des parents, mais ces
derniers doivent être tenus au courant de
la consultation sans avoir à en connaître
la teneur.
N’oublions jamais qu’il est préférable que
la jeune réussisse à impliquer ces parents
dans ses démarches pour se faire vacciner,
afin d’éviter qu’elle ne soit prise dans un
conflit de loyauté qui pourrait mettre en
échec la vaccination. D’autant plus qu’il
s’agit d’un suivi à faire sur six mois, puisqu’il
faut trois doses pour avoir une protection
optimale.
En conclusion:
Aborder la sexualité avec les jeunes, nous
oblige à connaître et prendre en considéra
tion les étapes de l’adolescence. Les ques
tions que nous leur posons et les réponses
que nous leur donnons doivent être adap
tées à leur développement physique, émo
tionnel et cognitif. Notre argumentaire se
base sur les besoins des adolescents et de
leurs parents, en prenant en considération
les aspects médicaux, légaux et éthiques. A
ne jamais oublier que toute discussion au
tour de la sexualité est un moment privilégié
pour faire de la prévention.
Références:1. Hessel, L: Adolescents and vaccinations 2007, Ljubl
jana, Slovenia www.vhpb.org
2. Tissot AM, Zimet GD, Rosenthal SL, Bernstein DI,
Wetzel C, Kahn JA: Effective strategies for HPV vac
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au patient adolescent et aspects légaux. Paediatrica
2006; 17(4): 31–33.
Correspondance:
Dr Marianne Caflisch
Hôpital des Enfants
Rue Willy Donzé 6
1211 Genève 14
marianne.caflisch@hcuge.ch
Tableau 4: Questionnaire H.E.A.D.S.S.S: Adapté de Contemporary Pediatrics. Getting
into Adolescent Heads (July 1988), by Goldenring JM & Eric Cohen E
H ome Habitat (logement, situation familiale,…)
E ducation/ Employment Education (scolarité, travail,..)
A ctivities Activités (sports et activités de loisirs)
D rugs Drogues (tabac, alcool, drogues illicites, médicaments,..)
S exuality Sexualité (identité, attentes, comportements sexuelles)
S ecurity Sécurité (prises de risque, prévention des accidents)
S uicide Suicide/Dépression (humeur, anxiété, conduites suicidaires,..)
Informations complémentaires
Traducteur:
Auteurs
Dr. med. Marianne Caflisch , Hôpital des Enfants, Genève