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Vision de la pédiatrie 2030: point de vue de Collège A

Parmi les pédiatres les tendances actuelles se poursuivront ...

Hôpitaux pédiatriques Aarau, Bâle, Berne, Genève, Lausanne, Lucerne, St Gall, Zurich

Évolution générale

La population croîtra en Suisse surtout dans les villes et agglomérations. Y contribuera entre autres l’immigration continuelle de familles. Cela signifie que l’investissement médico-pédiatrique mais aussi culturel (y.c. services d’interprètes) augmentera. Les mesures préventives comme les vaccins, l’alimentation adaptée à l’âge et l’activité physique prendront de plus en plus d’importance.

Parmi les pédiatres les tendances actuelles se poursuivront, dont la féminisation et l’activité professionnelle à temps partiel, en premier lieux par des femmes respectivement mères mais de plus en plus aussi par des hommes, dans tous les domaines et à tous les niveaux: cabinets médicaux et hôpitaux pédiatriques, où les temps partiels augmenteront à tous les niveaux hiérarchiques (médecins assistants, chefs de clinique, médecins-adjoints, voire médecins-chefs).

Cela engendre une fragmentation croissante de la prise en charge des patients. Pour les cabinets médicaux le temps partiel devient la règle, avec des temps de travail limités les jours ouvrables. En parallèle augmente le nombre des patients «walk-in» dans les services d’urgence des hôpitaux pédiatriques. En outre le seuil de délégation par les pédiatres et médecins de famille aux spécialistes s’abaisse, notamment en raison d’une attitude exigeante des patients respectivement des parents. De nombreux patients auront plusieurs médecins (pédiatre installé, plusieurs spécialistes pédiatres à l’hôpital). Sans oublier le travail en continu par au moins 3 équipes/jour à l’hôpital et surtout dans les services d’urgence.

Malgré la modeste augmentation du nombre d’étudiants dans les facultés de médecine, y compris Fribourg, Lucerne, St Gall et le Tessin, la pénurie de pédiatres avec un diplôme acquis en Suisse s’accentuera. Ce manque se fera sentir encore davantage dans de nombreuses formations approfondies. Des actes médicaux simples seront délégués de plus en plus à des non-médecins, come les Nurse Practitioners et Advanced Nurses ou les pharmaciens.

La numérisation progressera. Cela ne concerne pas que les systèmes d’information à l’interne des hôpitaux et les programmes spécifiques des cabinets médicaux, mais aussi la collaboration entre hôpitaux et cabinets et surtout l’intégration des patients dans ces réseaux. Les patients auront accès en continu, par leur smartphone, à leurs propres données médicales et les utiliseront de manière autonome pour demander des conseils médicaux dans les situations les plus variées.
Des données diagnostiques, comme des paramètres vitaux, ECG, certaines données biologiques, seront en partie relevées à domicile par une application, pour ensuite utiliser ces paramètres dans une télémédecine en expansion. Il y aura une sorte de «triage à domicile». Mais en même temps les assureurs auront accès à leur tour à de nombreuses données des hôpitaux, des cabinets et des patients. Il faut donc considérer que tant les médecins que les patients perdront la souveraineté et le contrôle de leurs données.

Particularités des villes et agglomérations

L’activité des pédiatres installés se concentrera de plus en plus sur des plages horaires planifiées et centrées sur les conseils préventifs, pendant les heures de bureau habituelles. Les compétences de chirurgie pédiatrique et de médecine aiguë diminueront. Les conseils par téléphone ou télémédecine en cas d’urgence seront en grande partie externalisés à des organisations professionnelles voire à des assureurs, si les hôpitaux et les pédiatres n’arrivent pas eux-mêmes à satisfaire les besoins des patients. Si le patient n’a pas accès à la télémédecine ou s’il est adressé par son biais, la prise en charge des urgences pédiatriques et de chirurgie pédiatrique – dont font partie notamment les cas souvent banaux des catégories de triage 4 et 5 – se fait presqu’exclusivement dans les services d’urgence des hôpitaux pédiatriques. Ces derniers assument la presque totalité des tâches de la médecine de premier recours pour les consultations non prévues.

Régions périphériques et rurales

De nombreux nourrissons, enfants et adolescents n’ont plus de pédiatre en tant que médecin traitant mais sont pris en charge par le médecin interniste ou généraliste «encore disponible» ou des «cabinets d’urgence». Ces derniers n’ont souvent pas l’expérience pédiatrique nécessaire, les places de formation postgraduée pour médecins de famille étant toujours et encore très limitées. Les enfants plus âgés et adolescents avec une maladie chronique ne sont pas seulement suivis par un pédiatre avec formation approfondie mais aussi par des médecins spécialistes pour adultes sans formation postgraduée et continue en pédiatrie.

Hôpitaux pédiatriques

Dans certains domaines, la spécialisation (formation approfondie) à l’hôpital s’«hyperspécialise»: cela concerne l’oncologie, la cardiologie et la neuropédiatrie. Pour contrer cette tendance, dans tous les hôpitaux pédiatriques on recrute des «pédiatres généralistes» aux postes de cadre, afin que tout particulièrement les enfants chroniquement malades soient pris en compte dans leur globalité. Cela implique que des pédiatres généralistes puissent obtenir leur habilitation.

Selon le droit du travail, les temps de travail dans les hôpitaux d’actuellement 50 heures par semaine seront ultérieurement réduits. Cela entraînera une fragmentation encore plus importante de la prise en charge des patients et de leurs familles. Outre les soins secondaires et tertiaires, les hôpitaux pédiatriques deviennent de plus en plus actifs dans les soins de premier recours.

Les domaines de la médecine hautement spécialisée et des maladies rares sont toujours politisés. En outre entre les hôpitaux pédiatriques existe d’une part une coopération, d’autre part aussi de la concurrence.

Planification concrète des hôpitaux pédiatriques Collège A jusqu’en 2030

1. Infrastructure

En 2030 6 des 8 cliniques Collège A exploiteront une nouvelle clinique pédiatrique (Bâle a emménagé dans un nouvel hôpital il y a quelques années seulement; à Berne ont été terminés il y a peu des travaux qui ont duré plusieurs années). D’une part les frais d’amortissement augmenteront donc massivement, d’autre part l’optimisation du fonctionnement permettra peut-être au contraire des économies. Les 8 cliniques Collège A existeront toujours.

2. Organisation

Le nombre de patients continuera à augmenter, notamment dans le secteur ambulatoire mais aussi (de manière moins marquée) stationnaire. Le principe «ambulatoire avant stationnaire» est pratiqué depuis longtemps en pédiatrie mais sera encore renforcé.

Services d’urgence: dans de nombreux cantons il n’y a plus de service d’urgence pédiatrique par les cabinets médicaux. Les pédiatres praticiens font souvent quelques services d’urgence par année dans les centres de premier recours des hôpitaux pédiatriques régionaux, à moins qu’ils réussissent à céder leur obligation de faire des gardes. Tous les hôpitaux pédiatriques ont séparé leurs service d’urgence en un service interdisciplinaire d’urgence pour les patients ayant une maladie ou un accident sévères et un service walk-in pour les cas banaux et autres consultations non prévues. Ce dernier fonctionne 24 heures sur 24 avec une dotation changeante.

Consultations spécialisées ambulatoires: à l’exception de la pédiatrie du développement, presque toutes les formations approfondies seront pratiquées exclusivement dans les hôpitaux pédiatriques. Pour les maladies rares, traitées en général en ambulatoire, sont en voie de création des réseaux régionaux, p.ex. pour la Suisse romande, la Suisse du Nord-Ouest et centrale, Zurich, la Suisse orientale. La régulation pour la prise en charge des patients avec des maladies rares a progressé et ressemble au système de la médecine hautement spécialisée (MHS).

Hospitalisations: la durée d’hospitalisation des patients va encore diminuer. Tous les hôpitaux pédiatriques proposeront, en proximité immédiate du service d’urgence, une «short-stay-unit» pour les hospitalisations de courte durée. Les patients hospitalisés plus longtemps rempliront de plus en plus les critères intermediate care (IMC). Les chambres à un lit deviendront le standard. De même la médecine périnatale se situera sous un toit avec une prise en charge intégrée, depuis l’obstétrique à la pédiatrie et la chirurgie pédiatrique en passant par la néonatologie.

Médecine hautement spécialisée: le système valable en 2019 avec la répartition sur les 8 cliniques Collège A (y compris la néonatologie à Coire) sera plus ou moins toujours valable et permettra notamment une prise en charge en proximité du domicile. En alternative à la centralisation dans peu de centres, sont acceptés des réseaux qui fonctionnent, se concentrant essentiellement sur des structures spécifiques à certains maladies ou organes. Il existe des réseaux régionaux et nationaux.

3. Personnel

Médecins: la plupart des médecins cadres (hommes ou femmes) ne travaille plus à 100%. Tous les hôpitaux pédiatriques restent dépendants de collègues avec un diplôme acquis à l’étranger, notamment concernant les formations approfondies.

Soins: dans les domaines non médicaux la pénurie de professionnels augmentera également. Les professionnels de soins assument de plus en plus des tâches médicales sous forme de case management ou en tant que spécialiste en soins. Des groupes professionnels comme les assistantes en soins communautaires, les assistantes médicales et d’autres assument de plus en plus des tâches directement en contact avec le patient.

4. Numérisation

Tous les hôpitaux et la plupart des cabinets médicaux sont informatisés. De nombreux patients respectivement leur parents se servent de l’accès en ligne à leurs données, pour communiquer avec les médecins et les hôpitaux, généralement par internet et smartphone. La médecine numérisée et les diverses applications sont intégrées dans de nombreux domaines. Les aspects légaux (notamment la protection des données) prennent une grande importance.

5. Finances

On ne peut que spéculer sur l’avenir des tarifs (Tarmed/Tardoc et DRG). Une chose est certaine, la pression économique augmentera; d’abord sur les hôpitaux mais de plus en plus aussi sur les cabinets médicaux. Pour les hôpitaux on a de ce fait recueilli des dons à hauteur de millions. La nécessité d’une rémunération correcte de la pédiatrie persiste: notamment la pédiatrie spécialisée ambulatoire est actuellement fortement déficitaire et de gros efforts sont nécessaires afin de fermer ce manque de financement.

6. Recherche

SwissPedNet (www.swisspednet.ch) est un pilier essentiel et reconnu au niveau national de la recherche clinique pédiatrique en Suisse.

7. Harmonisation des médicaments

Quasi tous les médicaments et dosages pédiatriques sont uniformisés au niveau suisse grâce à SwissPedDose (www.swisspeddose.ch). Son utilisation est généralisée dans tous les hôpitaux pédiatriques et pratiquement tous les cabinets médicaux.

8. Formation, formation postgraduée et continue

Formation universitaire: malgré le Medical Master à Fribourg, Lucerne, St Gall et au Tessin, le manque de médecins et pédiatres en Suisse reste substantiel.

Formation postgraduée en pédiatrie, y.c. formation approfondie: certaines cliniques pédiatriques ne peuvent plus assumer la formation postgraduée et n’emploient plus que des médecins spécialistes (souvent étrangers).

Solutions possibles et scénarios 2030

Pour garantir une prise en charge de qualité et adaptée à l’enfant en Suisse, les conditions suivantes doivent être remplies:

  1. Il faut un nombre suffisant de pédiatres. Les médecins de famille prenant en charge des enfants doivent attester d’une formation pédiatrique postgraduée correspondante.
  2. D’après nos expériences, un médecin de famille qui suit des enfants de moins de 6 ans devrait avoir accompli au moins 6 mois de formation postgraduée pédiatrique. Les médecins de famille prenant en charge des nouveau-nés et nourrissons, devraient prouver au moins 2 ans dans un centre de formation postgraduée pédiatrique. Ce souhait ne sera par contre pas réalisable compte tenu du manque actuel (et futur) de places de formation postgraduée en pédiatrie.
  3. Tous les enfants chroniquement malades sont suivis jusqu’à 16 ans en «shared care» par des pédiatres installés et des hôpitaux pédiatriques. Les adolescents chroniquement malades bénéficient d’un suivi par le pédiatre jusqu’à la fin de la croissance/du développement. Une transition formelle vers la médecine adulte est indispensable.
  4. En raison de la pénurie mentionnée et de l’importante proportion d’activité à temps partiel, le modèle de formation postgraduée et continue doit être revu, en ciblant et en raccourcissant la formation postgraduée. Comme dans d’autres pays,  une formation postgraduée en vue de l’obtention du titre de médecin spécialiste en pédiatrie en 3 ans et une formation approfondie en 5 ans devrait être possible.
  5. Pour les maladies rares/orphan diseases doivent être créés des réseaux pour une prise en charge de proximité surtout ambulatoire et pour les hospitalisations d’urgence.
  6. Depuis tout endroit en Suisse une opportunité de traitement doit être atteignable dans les 45 minutes.

Les auteurs

Prof. Dr med. Thomas J. Neuhaus, Médecin-chef de la clinique pédiatrique Lucerne, Président Collège A.

Prof. Dr med. Henrik Köhler, MHBA, Médecin-chef et directeur de la Clinique pédiatrique Aarau, Secrétaire Collège A.

Le contenu de cet article reflète l’opinion des auteurs et ne correspond pas forcément à l’avis de la rédaction ou de la Société Suisse de Pédiatrie.

Informations complémentaires

Traducteur:
Rudolf Schlaepfer
Correspondance:
Auteurs
Prof. Dr. med.  Thomas J. Neuhaus Luzerner Kantonsspital/Kinderspital, Luzern

Prof. Dr. med.  Henrik Köhler Kantonsspital Aarau, Klinik für Kinder und Jugendliche, Aarau

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