Revue professionnelle >

Spécialiste clinique en pédiatrie de premier recours

Le système de santé suisse est très bon mais cher, inefficace, résistant aux réformes et suranné.

Un système inefficace
Le système de santé suisse est très bon mais cher, inefficace, résistant aux réformes et suranné. Il se base encore sur le fait que tout un chacun est censé avoir son médecin de famille ou pédiatre et que celui-ci soit disponible 24 heures sur 24 pour les urgences. En pédiatrie on part toujours du principe que la maman n’exerce pas de profession en dehors du ménage et peut donc accompagner ses enfants chez le pédiatre, pour les examens préventifs ou les consultations urgentes, durant les heures de bureau.

Pendant les dernières décennies on a résisté avec succès aux évolutions sociétales concernant la médecine de premier recours et d’urgence. En raison de fausses incitations et de rôles multiples de tous les impliqués dans le système (cantons, patients, assureurs, firmes pharmaceutiques, politiques) les réformes fondamentales n’ont pas été effectuées. La qualité du système n’a été garantie que grâce à l’investissement d’importants moyens financiers, qui ont permis de recruter presque à volonté des professionnels à l’étranger, de cultiver les redondances et de maintenir ainsi le statu quo hautement inefficace.

Dans la prise en charge des urgences pédiatriques, cette inefficacité se manifeste par l’augmentation massive de consultations non urgentes dans les services d’urgence hospitaliers, surtout le soir et les fins de semaine, avec en parallèle l’obligation légale pour les pédiatres praticiens de garantir un service d’urgence pour leurs patients.

Changements sociétaux
La cause de l’augmentation massive des consultations d’urgence dans les hôpitaux réside d’une part dans des changements sociétaux des dernières années et d’autre part dans la pénurie de pédiatres.

La perception de la maladie et les exigences de traitement se sont fortement modifiées dans notre société. Comme pour beaucoup d’autres domaines, la maladie aussi est déléguée au spécialiste. Les connaissances, l’expérience et les réseaux familiaux qui permettrait d’assumer la responsabilité de son enfant malade, manquent de plus en plus. Paradoxalement les connaissances seraient disponibles presque sans réserve mais leur abondance et la tendance à privilégier le sensationnel, déstabilisent profondément.
L’activité professionnelle des deux parents, le nombre grandissant de familles monoparentales et la pression croissante aux lieux de travail et dans les écoles déplacent les consultations vers les heures plus tardives de la journée. La rédaction de certificats pour l’employeur, l’école (enfantine), la crèche, les clubs sportifs ou écoles de musique, les assurances, les compagnies aériennes etc. occupent un temps non négligeable du pédiatre urgentiste.
La plus grande mobilité fait que la distance joue un rôle mineur, se rendre à la clinique pédiatrique la plus proche prend moins de temps que de chercher le pédiatre de garde dans la région.
Un certain rôle joue aussi la méconnaissance du système de santé suisse, pour des raisons souvent culturelles, incitant à consulter un service d’urgence pour tout problème médical.
S’y ajoute l’attitude consumériste d’une «société 24-heures», habituée à disposer de services 24 heures sur 24.
À ne pas oublier enfin l’effet d’appel d’air. Dans le souci de satisfaire à ces besoins de la société, de nombreux hôpitaux ont élargi leurs services d’urgence en personnel et infrastructures, ce qui conduit souvent à une plus ample utilisation.

Tarif et clause du besoin
À la pénurie relative de pédiatres contribuent la situation financière moins favorable comparé à d’autres spécialités médicales, en raison d’une compensation insuffisante des charges effectives par le tarif médical, l’augmentation de l’activité à temps partiel et l’orientation work-life-balance de la nouvelle génération de médecins, et enfin les clauses du besoin.

La clause du besoin, introduite en 2002 (et depuis renouvelée régulièrement) par crainte d’un flot de médecins depuis l’UE à charge de l’assurance obligatoire, a fait que plusieurs générations de médecins spécialistes ont dû trouver un emploi hospitalier.

La prise en charge des urgences, respectivement les services d’urgence des hôpitaux ne sont organisés par les cantons, selon la loi sur les assurances maladie LAMal, qu’indirectement au moyen de mandats de prestation stationnaire pour ces hôpitaux. Ceux-ci ne sont en effet tenus de garantir une prise en charge des patients (obligation d’admission) que dans le cadre de ces mandats de prestation (et de leurs capacités). Les services d’urgence sont donc tenus d’admettre les patients pour lesquels existe un mandat de prestation hospitalière. Ces permanences peuvent occasionner d’importants coûts fixes.

Les hôpitaux ont cherché des moyens pour réduire ces coûts fixes. Une option attrayante est d’utiliser les infrastructures et ressources existantes aussi pour les activités ambulatoires. Pour les prestations ambulatoires à charge de l’assurance maladie obligatoire, les hôpitaux sont en effet admis en tant qu’«institutions de soins ambulatoires dispensés par des médecins» et peuvent facturer ces prestations grâce aux médecins qu’ils emploient, à condition qu’ils disposent du diplôme fédéral et d’une formation postgraduée reconnue par le Conseil fédéral.

Les hôpitaux ont donc largement profité de cette offre en médecins spécialistes fraichement formés, résultant de la clause du besoin, et ont agrandi leur services ambulatoires.

En parallèle, cette génération de médecins faisait donc défaut dans les cabinets médicaux et les nouvelles générations de médecins peuvent désormais choisir parmi une vaste offre dans les secteurs hospitalier et pratique.

Pénurie de médecins de famille
Nettement plus grave pour la prise en charge des enfants en Suisse s’avère la pénurie croissante de médecins de famille. En effet la pénurie de médecins de famille a mené ces dernières années à un effondrement de la prise en charge d’enfants par des médecins généralistes. Ces dernières années cette pénurie a été partiellement compensée par une légère augmentation du nombre de pédiatres. Mais le goulet dans les soins de premier recours prendra de l’ampleur, puisque dans les 10 ans à venir dans toute la Suisse de nombreux pédiatres travaillant à temps plein prendront leur retraite. Les médecins de famille seront de leur côté de plus en plus accaparés par la population vieillissante et ses maladies chroniques.

L’incapacité jusqu’ici du corps médical (pédiatrique) de freiner, voire inverser, le recul de la couverture médicale en faveur des enfants, restreindra forcément leur rôle dans les discussions autour des futurs modèles de soins pédiatriques ambulatoires. S’y ajoute la tendance de la nouvelle génération de pédiatres de se faire employer par d’autres médecins ou par des structures de santé. Ils abandonnent ainsi des privilèges importants de la profession libérale, rendant les pédiatres plus vulnérables face à des interventions et pressions externes.

Changement de paradigme
Je suis néanmoins persuadé qu’il n’est pas trop tard pour façonner les changements nécessaires depuis l’interne de la pédiatrie et de revendiquer ainsi notre position privilégiée d’avocat de l’enfant malade et dans la prévention des maladies de l’enfant.

Mais cela passera par un changement de paradigme de la prise en charge pédiatrique en Suisse. La dichotomie actuelle entre hôpital et cabinet pédiatrique et entre activité médicale et soins doit être surmontée. Il sera inévitable de créer une nouvelle forme de soins de premier recours et d’urgence. Il faudra abandonner l’idée de la couverture exclusive par les médecins de la prise en charge médicale des enfants. Pour les raisons énoncées ci-dessus les médecins ne seront plus en mesure de le faire.

Seront nécessaires de nouvelles professions, comme p.ex. des spécialistes non médicaux pouvant combler les lacunes croissantes dans la médecine de premier recours. Des pays come les Pays-Bas et la Slovénie font depuis des années de bonnes expériences dans ce sens.

Il est évident que les pédiatres devront jouer un rôle central dans le développement et la formation de ces nouvelles professions. Hôpitaux, cabinets pédiatriques, universités et hautes écoles professionnelles devront collaborer. Les hôpitaux et les centres de santé pédiatriques devront se vouer conjointement à la médecine de premier recours.

À l’interne de la pédiatrie la pondération devra aussi être modifiée. La spécialisation a entraîné une fragmentation et une perte de considération de la pédiatrie générale et de la pédiatrie en général. Mais la médecine de premier recours du futur aura besoin du poids politique, des réseaux, de la vigilance et vue d’ensemble de la pédiatrie générale. Et cette considération doit absolument se retrouver dans la pédiatrie universitaire et dans les structures des cliniques pédiatriques universitaires.

Naturellement l’importance des différentes disciplines spécialisées ne diminuera pas pour autant. Les progrès dans ces disciplines ont fait grandir le nombre d’enfants chroniquement malades avec des troubles complexes. Ces patients nécessiteront des soins médicaux et infirmiers hautement spécialisés dans des centres hospitaliers.

La pédiatrie devra donc se soucier elle-même du remplacement des pédiatres installés si elle veut rester à la manœuvre et ne pas s’exposer au risque de solutions imposées et d’interventions étatiques.

Il est évident que des discussions seront encore nécessaires dans notre société médicale, qu’il faudra des idées créatives, beaucoup d’écoute, de la compréhension pour les idées et positions différentes, le sens du compromis et enfin beaucoup de pédiatres motivés pour la mise en œuvre.

Références

Preventive Child Health Care Netherlands
Health Care System or Children and Adolescents in Slovenia
Child Health Care in Switzerland
Oskar Jenni, Zürich, Eine Pädiatrie für die Zukunft, Paediatrica 27-2/2016

L’auteur

Écoles à Winterthour
Études de médecine à Zurich et Madrid
Formation postgraduée en pédiatrie à Münsterlingen, Lucerne, Winterthour et Zurich
Formation postgraduée en pédiatrie d’urgence à Melbourne, Australie
Master of advanced studies in management, technology and economy à l’ETF Zurich
Directeur et médecin-chef du Centre d’urgence pour enfants et adolescents, Hôpital de l’Île, Berne

Le contenu de cet article reflète l’opinion de l’auteur et ne correspond pas forcément à l’avis de la rédaction ou de la Société Suisse de Pédiatrie.

Informations complémentaires

Traducteur:
Rudolf Schlaepfer
Correspondance:
Auteurs
Dr. med.  Daniel Garcia Notfallzentrum für Kinder und Jugendliche, Inselgruppe AG, Universitätsspital, Inselspital Bern