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Complexe mais pas compliqué: traitement interdisciplinaire des céphalées primaires

Les maux de tête sont une raison fréquente de consultation dans les cabinets pédiatriques et leur taux d’évolution chronique est élevé jusqu’à l’âge adulte1). Il est donc important de les prendre au sérieux et de les traiter efficacement le plus tôt possible.

Une prise en charge efficace comprend, outre un diagnostic et un traitement médicamenteux adéquats, aussi l’instruction et le soutien lors de la mise en pratique du traitement au quotidien.

L’origine et la persistance des céphalées sont multifactorielles et entre temps largement documentées1). Elles conditionnent une approche thérapeutique multimodale tenant compte de la complexité de leur genèse et persistance2), l’objectif du traitement étant, outre l’allègement des douleurs, l’amélioration de la qualité de vie et des fonctions quotidiennes.

En substance on obtiendra cet objectif, d’après les nouvelles recommandations de la Société Suisse des Céphalées3), par l’approche suivante:

  1. Diagnostic rapide
  2. Acceptation du diagnostic par l’instruction/information
  3. Activation de ressources centrée sur le patient
  4. Conception en commun d’un plan de traitement
  5. Des investigations valorisantes peuvent parfois suffire, sans autres besoins thérapeutiques

1. Diagnostic rapide

L’objectif d’un diagnostic précoce est d’apporter au plus vite clarté et sécurité et de réduire l’angoisse. Il est essentiel de comprendre le plus rapidement possible la nature des troubles psychiques du patient et de la famille, et d’exclure des causes sous-jacentes par une anamnèse et un examen clinique minutieux ainsi que d’éventuels examens complémentaires. Nommer clairement le diagnostic d’après les critères de l’IHS pour les céphalées primaires (tabl.1) est un pas important pour l’enfant et les parents. Du point de vue anamnestique peuvent être utiles, outre le journal des maux de tête et les questionnaires sur les facteurs familiaux, scolaires ou sociaux déclenchant ou entretenant les douleurs, la dolographie (fig. 1 et 2). En présence de signes d’alarme (neuro-)pédiatriques et/ou de céphalées aux répercussions sociales importantes, des investigations complémentaires peuvent s’imposer (cf. 1.2.)


Figure 1. Dolographie de Fabio, 10 ans, céphalées de tension.

Figure 2. Dolographie de Leandra, 8 ans, migraine.

1.1 Caractéristiques des céphalées primaires de l’enfant
1.1.1 Migraine

La migraine de l’enfant (10-20%)1) se caractérise par des céphalées aiguës épisodiques d’intensité moyenne à forte, menant à une interruption des activités en cours. Dans 60-80% des cas il s’agit pendant l’enfance et l’adolescence d’une migraine sans aura. Souvent les enfants peuvent néanmoins signaler des symptômes autonomes, psychiques ou neurologiques3), précurseurs aux douleurs migraineuses, débutant souvent le matin tôt. La cause est une inflammation neurogène du système vasculaire du trijumeau, conditionnée par des facteurs héréditaires et environnementaux4).

1.1.2 Céphalées de tension

Les céphalées de tension (60-80%)1) peuvent être déclenchées ou accentuées par une action périphérique (tension musculaire) et/ou centrale (stress)4). Elles apparaissent épisodiquement ou chroniquement, sont d’intensité faible à moyenne, n’interrompent pas les activités et se laissent améliorer par la distraction et l’activité physique.

Tableau 1. Critères diagnostiques d’après l’IHS pour les céphalées de tension chroniques et la migraine sans aura pendant l’enfance et l’adolescence.

1.1.3 Céphalées de type mixte

Jusqu’à 50-60% des patients souffrant d’une migraine présentent un tableau mixte incluant également des céphalées de tension5). Bien que la prédisposition et les facteurs déclencheurs des deux types de céphalées puissent se chevaucher, la différenciation est importante, car le traitement des deux types de céphalées est sensiblement différent (tabl. 1 et 3)

1.2 Investigations complémentaires

Le diagnostic des céphalées primaires est un diagnostic clinique, qu’on peut poser par une anamnèse et une examen neurologique pédiatrique minutieux ainsi que par l’observation de l’évolution6). En présence de symptômes atypiques et/ou de signes d’alarme, des investigations complémentaires sont indiquées en fonction des diagnostics différentiels évoqués, l’IRM se situant en première ligne7). Selon la représentation du trouble et les peurs au sein de la famille, dans des cas choisis l’imagerie cérébrale peut s’avérer utile aussi sans signes d’appel, afin de pouvoir établir un plan de traitement accepté de part et d’autre et désamorcer une fixation purement somatique. En présence de signes d’alarme psychosociaux comme l’absentéisme et/ou chute des résultats scolaires, retrait social, changements d’humeur ou de comportement, ainsi que des réticences ouvertement exprimées ou ressenties indirectement envers les propositions de changement faites par le médecin («Oui mais …»), il faut envisager des investigations neuropsychologiques et/ou pédopsychiatriques. Cela permet de déceler d’une part des maladies psychiques (p.ex. un état dépressif) et d’autre part un surmenage cognitif et des conflits d’objectifs (p.ex. la crainte que la réduction de la douleur diminue l’attention reçue).

1.3 Signes d’appel

  • symptômes neurologiques focaux (troubles de la motricité oculaire, troubles sensoriel/moteurs, ataxie, œdème papillaire)
  • signes systémiques (vomissements à jeûn, fièvre, changements du sommeil, d’appétit, de comportement, de l’état de conscience)
  • intensité, durée inhabituelle des céphalées, progression, absence d’anamnèse familiale
  • âge <3 (jusqu’à 5) ans

2. Acceptation du diagnostic par l’instruction

L’instruction est un élément fondamental du traitement des céphalées primaires, en tant que base pour la compréhension de la teneur et des étapes du traitement. Avec une transmission des connaissances adaptée à la famille on pose les bases pour une vision commune des troubles, dans le sens d’un modèle biopsychosocial, ce qui renforce à son tour la motivation pour les changements de comportement visés. L’efficacité de l’instruction sur la douleur donnée aux patients migraineux adultes8) ou aux enfants avec des douleurs chroniques9) est bien documentée et engendre une diminution de la fréquence des crises douloureuses et des entraves liées à la douleur, tout en améliorant la qualité de vie8,9).

Éléments centraux de l’instruction en lien avec les céphalées primaires5):

  • Explication des facteurs favorisant les maux de tête et les possibilités de les influencer (modèle biopsychosocial, mesures de mode de vie)
  • Différentiation théorique (physiopathologique) et pratique entre céphalées de tension et migraine (p.ex. accentuation de la douleur migraineuse en sautillant)
  • Identification précoce d’une crise de migraine et traitement aigu correct

Lors d’une chronicisation des céphalées on peut aborder les raisons qui entretiennent la douleur, le cercle vicieux de la douleur et le système «alarme douleur».

Lorsqu’on transmet des connaissances aux enfants, l’aspect ludique est incontournable, on utilisera outre du matériel visuel et des livres aussi des vidéos YouTube et des applications sur le sujet (tabl. 2).

3. Activation de ressources

Des mesures touchant aux activités quotidiennes, comme des repas réguliers et équilibrés, le rythme de sommeil, l’activité physique, l’hydratation (eau) et suffisamment de loisirs non planifiés sont souvent utiles pendant l’enfance. On évaluera aussi, si un surmenage n’intervient pas suite à une surconsommation de médias, une trop grande sollicitation à l’école ou un excès d’activités de loisir, ou suite à une exclusion sociale ou des facteurs de stress familiaux1,3). Un élément important, et à considérer précocement, est l’absentéisme scolaire ou du lieu d’apprentissage, pouvant exercer une pression croissante sur le système familial, entraîner le risque d’investigations souvent invasives et de traitements inadéquats ainsi que le risque de chronicisation des symptômes10).

Dans le sens d’une approche tournée vers la recherche de solutions, il est important de mettre l’accent sur les ressources et les objectifs de l’enfant et des parents, en soulignant les exceptions, l’influençabilité des céphalées et les stratégies qui se sont avérées utiles. Cela permet de stimuler la motivation à collaborer et le sentiment d’auto-efficacité mais aussi de responsabilité chez l’enfant, et d’ainsi réduire le sentiment d’impuissance. Avec pour objectif que le patient et les parents quittent la consultation avec des idées concrètes sur ce qu’ils peuvent faire, de manière préventive et dans la situation aiguë, pour influencer positivement la douleur.

La priorité absolue est le rétablissement du fonctionnement scolaire et social. Suite à des stratégies de gestion de la douleur mal adaptées (comportements d’évitement et de ménagement, absentéisme scolaire, prise de médicaments malgré l’absence d’effet), basées sur des informations (bien pensées) erronées, les incidences négatives dues à la douleur, le stress émotionnel et les symptômes somatiques peuvent augmenter rapidement et favoriser une chronicisation11). Cela aussi par la limitation croissante d’activités qui procurent du plaisir, des contacts sociaux et de l’estime de soi. Par des stratégies de gestion actives (distraction, pauses) et l’approche pas à pas de mesures correctives (p.ex. les maux de tête et la fatigue n’empirent pas en allant à l’école) la confiance dans l’auto-efficacité peut être retrouvée et la qualité de vie améliorée. Cela a un effet positif sur le quotidien et l’intensité de la douleur.

4. Conception en commun d’un plan de traitement multimodal

Pour le traitement des céphalées primaires il est conseillé d’adopter, en raison de la diversité des causes, une approche multimodale. On clarifiera avec le patient et les parents quelles mesures sont utiles, en partant d’un modèle biopsychosocial de la douleur, pour améliorer la qualité de vie dans la situation présente, quels sont les prochaines étapes concrètes de mise en place et s’il faut envisager l’implication de l’école ou un accompagnement psychologique. La combinaison d’autogestion et de traitement aigu et préventif s’est avérée efficace.

4.1 Céphalées de tension aiguës – mot d’ordre «défensif»6)

Au premier plan se trouvent des mesures non-médicamenteuses (tabl. 2). Ce n’est que dans des cas exceptionnels qu’on utilisera des AINS, car lors d’épisodes fréquents existe le risque de céphalées par surconsommation.

Tableau. 2. Éléments thérapeutiques pour la prise en charge non-médicamenteuse des céphalées primaires de l’enfant.

4.2 Migraine aiguë – mot d’ordre «offensif»6)

Il s’agit dans ce cas de prendre rapidement un médicament efficace et sûr correctement dosé («hit fast, hit hard») (tabl. 3). Une explication précise de l’action, y compris le temps jusqu’à ce que l’effet se fasse sentir, sa durée et les effets indésirables, est un facteur important pour améliorer la compliance et l’efficacité du médicament. Un traitement efficace des crises réduit le sentiment de perte de contrôle et améliore la gestion de la douleur en général.

Sont recommandés en première intention les AINS. Si l’effet est insatisfaisant et à partir de l’âge de 12 ans est possible le traitement par triptanes seuls ou combinés (tabl. 3). Cela peut s’avérer nécessaire pour augmenter d’une part la rapidité d’action et éviter d’autre part un effet rebond avec réapparition de la migraine.

Lorsque la douleur est suffisamment contrôlée, un traitement antiémétique n’est souvent pas nécessaire. Si par contre les vomissements sont au premier plan (p.ex. vomissements cycliques), on envisagera un traitement par p.ex. ondansétron, un antagoniste de la dopamine A2 (cave: dystonie) ou aprépitant.

L’état migraineux (durée >72 heures) est une urgence neuropédiatrique et nécessite un traitement en milieu hospitalier.

Tableau 3. Traitement médicamenteux aigu des céphalées primaires pendant l’enfance.

4.3 Céphalées chroniques – mot d’ordre «interdisciplinaire et multimodal»

Les céphalées chroniques (douleurs pendant plus de 15 jours/mois, depuis plus de 3 mois) semblent être dues à d’une part à un blocage des systèmes antinociceptifs dans le SNC et d’autre part à une sensibilisation à la douleur4). Le traitement consiste donc en première ligne en une approche non-médicamenteuse (tabl.2). En pédiatrie on privilégie des mesures d’adaptation du mode de vie et l’aide psychologique à la prévention médicamenteuse6,16). Ces interventions permettent de réduire le stress et la tension ainsi que les peurs engendrées par la douleur, et de favoriser la relaxation, l’auto-efficacité, l’activité et le plaisir13). Un rôle important joue aussi le soutien des parents, souvent déstabilisés. Ils peuvent néanmoins contribuer de manière significative, par une bonne instruction, à la réussite du traitement en soutenant une stratégie de gestion active11).

Les indications pour la prescription d’une prophylaxie médicamenteuse de la migraine pendant l’enfance (tabl. 4) sont données, dans le cadre d’une approche multimodale, par une fréquence élevée des crises, la migraine hémiplégique, les céphalées par surconsommation ainsi qu’une restriction de la qualité de vie et des fonctions quotidiennes. Aucun médicament n’est spécifiquement admis pour le traitement prophylactique de la migraine infantile; en raison des risques élevés d’effets indésirables ils devraient être utilisés de manière très restrictive12). Il faut aussi considérer que l’emploi préventif de médicaments peut accentuer la chronicisation, notamment en absence d’un accompagnement psychologique. En raison du «parents beliefs model» et de l’effet placebo considérable de tout traitement des céphalées de l’enfant et de l’adolescent14), la physiothérapie, la neurostimulation ainsi que les approches de médecine complémentaire sont également importantes. La prémisse est néanmoins toujours la motivation du patient ainsi que la possibilité d’une autogestion efficace. Des options possibles sont p.ex. la physiothérapie orientée sur les «trigger points», l’acupressure, la neurostimulation TENS, l’hypnothérapie ainsi que des thérapies assistées par les animaux.

Tableau 4. Prophylaxie médicamenteuse de la migraine.4)

5. Après des investigations valorisantes un traitement n’est pas toujours nécessaire

Cela implique pour le thérapeute d’établir un diagnostic dans le sens du modèle biopsychosocial et d’élaborer avec le patient la stratégie thérapeutique la plus adaptée, permettant au patient d’assumer la responsabilité pour sa situation (liée à la douleur). «Personne ne peut être rendu responsable de sa douleur. Mais essayer d’en assumer la responsabilité est une des stratégies les plus efficaces de gestion de la douleur.»15)

Références

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  4. Blankenburg M et al. Chronic Headache in Children and Adolescents. Klin Padiatr 2019 Jan;231
  5. Booklet von «Migräne hab ich im Griff» und «Den Schmerz verstehen und was zu tun ist in 10 Minuten». Internetseite Deutsches Kinderschmerzzentrum; www.deutsches-kinderschmerzzentrum.de
  6. Bonfert M, Landgraf M, Heinen F et al. Primäre Kopfschmerzen bei Kindern und Jugendlichen. Pädiatrie up2date 2019; 14 (1)
  7. Roser T, Bonfert M, Ebinger F et al. Primary versus secundary headache in children: A frequent diagnostic challenge in clinical routine. Neuropediatrics 2013; 44
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  9. Van der Veek SM et al. Cognitive behavior therapy for pediatric functional abdominal pain: a randomized controlled trial. Pediatrics. 2013, 132
  10. Selent F, Schenk S, Genent D, Wager J, Zernikow B. Diagnostik und Therapie bei Kindern und Jugendlichen mit chronischem Schmerz. Zeitliche Entwicklung potenziell gesundheitsgefährdender Massnahmen. Der Schmerz 2020
  11. Logan DE, Simons LE, Carpino EA. Too sick for school? Parent influences on school functioning among children with chronic pain. Pain 2012 ;153
  12. Powers SW, Coffrey CS, Chamberlin LA et al. Trial of Amitryptiline, Topiramate, and Placebo for Pediatric Migraine. N Engl J Med  2017; 376
  13. Faedda N, Cerutti R et al. Behavioral management of headache in children and adolescents. Headache Pain 2016; 17(1)
  14. Faria V et al. Harnessing the Placebo effect in Pediatric Migraine Clinic. J Pediatr 2014 ;165
  15. Christian Grüny 2004 in Harro Albrecht: Schmerz, eine Befreiungsgeschichte. Droemer 2016.
  16. Bonfert M, Straube A, Schroeder AS et al: Primary headache in children and adolescents: update on pharmacotherapy of migraine and tension-type headache. Neuropediatrics 2013

Informations complémentaires

Traducteur:
Rudolf Schlaepfer
Correspondance:
Conflit d'intérêts:
Les auteures n'ont déclaré aucun lien financier ou personnel en rapport avec cet article.
Auteurs
Dr. med.   Katrin Lengnick Zentrum für Kinderneurologie, Entwicklung und Rehabilitation (KER-Zentrum), Fachbereich Neuropädiatrie, Ostschweizer Kinderspital, St. Gallen

Lic. phil.   Andrea Koller Neuropsychologie im Zentrum für Kinderneurologie, Entwicklung und Rehabilitation, St. Gallen