Introduction
En tant que chirurgiens et radiologues pédiatriques nous recevons fréquemment, dans notre pratique quotidienne, des demandes concernant le diagnostic et le traitement de fractures pédiatriques. Les pédiatres, cabinets de groupe, services d’urgences, permanences et autres cliniques ont souvent les mêmes questions et incertitudes. Dans le cadre d’une étroite collaboration entre médecins de premier recours et cliniques pédiatriques, un aperçu de la prise en charge optimale des fractures par le praticien nous semble donc un sujet pertinent. Dans les limites de cet article il ne sera pas possible de traiter toutes les variantes de fractures et notamment les traitements chirurgicaux. Par ce guide pratique nous souhaitons résumer une approche structurée du diagnostic, de la classification et du traitement des fractures fréquentes et non compliquées, pouvant bénéficier d’un traitement conservateur.
Bases
Nomenclature
Pour une description précise des fractures pédiatriques fait ses preuves, au niveau international, l’AO Pediatric Comprehensive Classification of Long Bone Fractures (PCCF) 1). Dans les régions germanophones on utilise aussi la classification LiLa 2). Le principe à la base des deux systèmes est la description anatomique (p.ex. fémur), de la localisation au niveau de l’os (p.ex. segment distal, métaphyse), de la morphologie de la fracture (p.ex. fracture en bois vert) et de la gravité. Cette manière de décrire permet au lecteur d’avoir une image claire même sans disposer de la radiographie. Dans la classification AO est d’abord codé, avec un chiffre, l’os concerné (humérus (1), radius/cubitus (2), fémur (3), tibia/péroné (4)). Pour chaque os on distingue trois segments: proximal (1), central (2), distal (3). Les segments proximal et distal sont ensuite séparés en épiphyse (E) ou métaphyse (M), le segment central correspondant toujours à la diaphyse (D). Les deux derniers chiffres décrivent la morphologie et la sévérité. (fig. 1-3)
Anatomie
À l’exception du carpe, de la rotule et du tarse, les extrémités sont formées par des os longs qui présentent, pendant la croissance, des particularités structurelles. Entre épiphyse et métaphyse spongieuse prolifère, hypertrophie et s’ossifie, avec une vascularisation propre, le cartilage de croissance. La partie centrale, la diaphyse, est formée par une corticale robuste d’os lamellaire et la moelle osseuse.
L’humérus proximal, le fémur et le radius ainsi que les os du métacarpe et métatarse ont une tête, un col et du côté distal les condyles formant l’articulation. Les insertions musculaires se nomment, au niveau de l’humérus proximal tubercule majeur et mineur, pour le cubitus tubérosité cubitale et pour le tibia proximal, côté ventral, tubérosité tibiale. Pour le fémur proximal on utilise par contre les termes grand et petit trochanter. L’insertion musculaire médiale de l’humérus distal est appelée épicondyle ulnaire et l’insertion latérale épicondyle radial. Sur le cubitus proximal on trouve l’apophyse coronoïde et à l’extrémité distale de l’avant-bras les apophyses styloïdes du radius et du cubitus. (fig. 4)
Croissance
La dynamique du squelette en croissance et les nombreuses variantes de la norme représentent un défi pour le diagnostic radiologique. La croissance résiduelle de l’os permet de corriger des malpositions dues à une fracture mais peut, d’autre part, être source de complications (troubles de la croissance) lorsque le cartilage de croissance a été endommagé par le traumatisme ou par des manipulations thérapeutiques. Dans la pratique sont notamment importantes p.ex. les différentes zones de croissance du coude, dont l’ossification est âge-dépendante (aide-mémoire CRITOE 3)). (fig. 5a) Tous les os longs des extrémités supérieures et inférieures ont deux cartilages de croissance, à l’exception des os du métacarpe (MC) et du métatarse (MT). Le cartilage de croissance des MC et MT I ainsi que de toutes les phalanges est proximal, des MC et MT II-IV par contre distal. La croissance en longueur des os longs se fait à partir des cartilages de conjugaison, la croissance en épaisseur par le périoste. (fig. 5b)Les apophyses (points d’insertion des tendons, p.ex. la tubérosité du tibia) sont également des zones de croissance, pouvant fracturer surtout chez l’adolescent suite à une activité musculaire excentrique (lésions par avulsion). La croissance de l’extrémité supérieure est excentrique (éloignée du coude), les cartilages de croissance proximal de l’humérus et distaux de l’avant-bras contribuant pour 80%, les cartilages de croissance proches du coude que pour 20% à la longueur de l’extrémité. La croissance de l’extrémité inférieure par contre est concentrique (proche du genou), 70% de la longueur du fémur étant générée par le cartilage de croissance distal, 55% de la longueur du tibia par le cartilage de croissance proximal. En fin de croissance, le cartilage de croissance se ferme de manière excentrique, ce qui est important surtout lors de traumatismes du tibia distal.
(fig. 5a)
Physiopathologie
La modification constante de l’os en croissance permet un remodelage (remodeling) substantiel et contribue à la prise en charge des fractures pendant l’enfance. Le potentiel de correction dépend de la localisation de la fracture (proximité, potentiel de croissance du cartilage de conjugaison), du type de malposition et de l’âge du patient (plus l’enfant est jeune, plus le potentiel de remodelage est grand). Le remodelage se fait essentiellement dans le plan de mouvement principal de l’articulation adjacente. Cela signifie p.ex. pour le genou, dont le mouvement principal est la flexion/extension, que le remodelage des malpositions dorso-ventrales est excellent, alors que les défauts de la rotation ne sont qu’insuffisamment corrigés. La guérison se fait dans un premier temps par le cal osseux, un hématome organisé en tissu conjonctif. L’infiltration par les ostéoblastes occasionne une minéralisation et par cela la consolidation de la fracture, reconnaissable cliniquement par l’absence de douleur à la palpation. Le signe radiologique d’une stabilité suffisante est un cal visible dans deux projections sur au moins trois faces de la corticale. En général on peut alors renoncer à l’immobilisation. La dimension du cal dépend de l’extension et de la largeur de la fente de la fracture, de la déviation axiale et de l’âge. Chez l’enfant il est rare qu’une fracture ne guérisse pas (pseudarthrose ou non-union), cela peut néanmoins se produire suite à un traitement inadéquat surtout de fractures du condyle radial et de l’épicondyle ulnaire.Les fractures en bois vert, où les forces de flexion ne rompent pas entièrement, sur toute la circonférence la corticale encore souple et élastique, mais uniquement du côté convexe, tendent à se refracturer dans les 8-12 semaines. En effet l’action stimulante de la pression, qui favorise la guérison, fait défaut sur le côté convexe (loi de Wolf). Par un plâtre avec une cale ou en brisant la corticale aussi du côté concave, on supprime la tension exercée sur la fracture, la pression devient symétrique et la fracture peut se consolider de manière circulaire. Par contre, le fait de briser entièrement la corticale peut rendre instable une fracture initialement stable; elle peut alors se déplacer et doit donc être stabilisée dans la partie diaphysaire de l’avant-bras. On utilise surtout la technique par clou intramédullaire élastique stable (ECMES). Lorsque l’os se déforme sans ligne de fracture visible et que la courbure persiste, on parle de bowing, phénomène fréquent surtout au niveau de l’avant-bras. Toutefois l’os du jeune enfant est physiologiquement légèrement courbé, ce qui peut rendre difficile la différenciation d’une fracture de ce type surtout chez les enfants de moins de 6 ans. De par la structure lamellaire et la plus grande surface, les fractures métaphysaires se soudent et consolident plus facilement et sont donc généralement plus stables. Mais par la traction des tissus mous (ligamentotaxis) ou par un parcours très oblique de la fracture, incluant éventuellement le cartilage de croissance qui a tendance à glisser (épiphysiolyse), ces fractures peuvent basculer secondairement. La matrice osseuse spongieuse confère une grande élasticité à la métaphyse et des forces de cisaillement ou de tassement axial occasionnent, à l’âge de 5 à 10 ans, des déformations plastiques et des fractures en motte de beurre de la diaphyse distale du radius (p.ex. fracture du gardien de but). Les fractures en motte de beurre ne présentent pas de ligne de fracture mais une plicature de la corticale métaphysaire ou une bascule du cartilage de croissance. Des signes indirects, p.ex. le signe du carré pronateur, peuvent attirer l’attention sur une fracture métaphysaire distale.On peut différencier les troubles de croissance post-traumatiques en troubles avec effet stimulant (croissance exagérée), avec effet inhibant (raccourcissement de l’os) et fermeture asymétrique du cartilage de conjugaison (déviation axiale). Les troubles de la croissance avec effet stimulant significatifs sur le plan fonctionnel sont plus fréquents chez les enfants de moins de 10 ans et lors de fractures du fémur. Le risque d’une inhibition de la croissance est d’autant plus grand que la lésion du cartilage de croissance est sévère. Des fusions partielles d’épiphyse et métaphyse occasionnent un ralentissement asymétrique de la croissance résiduelle; du côté médial du tibia proximal cela a p.ex. pour conséquence un varus de la jambe. Pendant la croissance, la chirurgie orthopédique pédiatrique se sert de ce mécanisme en pratiquant une épiphysiodèse (temporaire) pour corriger une déviation axiale 4). (fig. 6, 7a ,7b, 8)
Imagerie
La radiographie conventionnelle sur deux plans est – avec quelques exceptions – le premier choix diagnostique en pédiatrie. Lors de fractures diaphysaires on veillera à inclure les articulations adjacentes. Chez les enfants plus âgés (en général >6 ans) qui peuvent clairement indiquer la localisation de la fracture et à condition que la mobilité du coude soit préservée, on peut se limiter à une radiographie ciblée de l’avant-bras en deux plans. Le CT-scan est réservé aux fractures dont la ligne de fracture n’est pas clairement visible dans la radiographie standard, cette information étant néanmoins essentielle pour la prise en charge (p.ex. des fractures intra-articulaires complexes). Pour l’analyse précise d’une fracture, une bonne qualité de l’image radiologique non seulement des structures osseuses mais aussi des parties molles est décisive. Le centrage correct, des plans standardisés et un réglage optimal, avec une analgésie suffisante et éventuellement une sédation, facilitent un diagnostic fiable des fractures. En présence d’un squelette en croissance, on devra toujours différencier entre variantes de la norme, noyaux osseux normaux en croissance et pathologies. L’interprétation des images fait partie intégrante de l’examen radiologique. Idéalement les radiographies devraient être faites là, où existe l’expertise nécessaire pour le réglage de radiographies pédiatriques (centrage, dose, qualité de l’image), dont l’interprétation est faite par des médecins formés (p.ex. radiologues pédiatres) et où est possible un traitement ou un triage adéquats. Les images de la partie opposée en tant que « référence normale » sont en principe obsolètes et les atlas peuvent aider à comparer le développement normal de tous les os. Selon le principe radiologique ALARA (as low as reasonable achievable), la dose radiologique doit être choisie aussi faible que possible pour l’examinateur et le patient. Outre les appareils de radiologie modernes avec filtres flatpanel et protections en plomb, une distance maximale depuis la source des rayons ainsi que le cadrage permettent de réduire drastiquement l’exposition aux radiations. Au niveau du coude, de la main et du pied il s’avère parfois nécessaire d’effectuer les radiographies de contrôle sans plâtre afin de mieux mettre en évidence des structures fines sans superpositions. Les fissures stables et les fractures en motte de beurre ainsi que toutes les autres fractures incomplètes sans déviation axiale ne nécessitent en général pas de contrôle du positionnement et de la consolidation. (fig. 9,10,
Immobilisation
Pour le traitement des fractures simples qui sont le sujet de cette présentation, une immobilisation temporaire suffit dans la majorité des cas. Toute fracture douloureuse doit être immobilisée aussi vite et bien que possible. L’immobilisation provisoire, p.ex. avec une écharpe, SamSplint® ou Dynacast®, contribue avec l’analgésie médicamenteuse considérablement à réduire la douleur et la peur. Pour la suite de la prise en charge doivent être considérés les points suivants:
- Est-ce que l’immobilisation est nécessaire? Un traumatisme douloureux des parties molles, sans fracture, peut lui aussi justifier une immobilisation temporaire. Les contrôles devraient alors être plus rapprochés que pour une fracture prouvée, l’extrémité pouvant être libérée plus tôt en vue d’une charge de la partie indolore.
- Traitement conservateur ou chirurgical?
Le traitement d’une fracture stable en position à peu près anatomique est en principe conservateur. Les fractures avec une dislocation conséquente, ouvertes, intra-articulaires ou très douloureuses devraient être évaluées à l’hôpital et le cas échéant opérées. D’autres détails sur les limites se trouvent dans le tableau 2. - Quelle fonction a l’immobilisation?
Lorsqu’il s’agit d’une fracture stable, l’attelle plâtrée ou le plâtre circulaire garantissent l’immobilisation et protègent contre de nouveaux traumatismes banaux, tout en jouant un rôle analgésique important. Dans le cas d’une fracture potentiellement instable, le plâtre a une fonction de contention afin d’éviter une dislocation secondaire. L’adaptation optimale du matériel plâtré à l’extrémité exige de l’expérience dans la pose de plâtres. - Quelle forme d’immobilisation pour quel âge et quelle situation?
Pour un petit enfant avec une fracture du fémur sont p.ex. indiqués la traction au zénith ou le plâtre pelvi-cruropédieux, pour l’enfant en âge scolaire on utilise de préférence l’ECMES et pour l’adolescent de >40 kg l’ALFN (Adolescent Lateral Femur Nail), pour les fractures proximales l’ostéosynthèse par plaque vissée et pour les fractures diaphysaires compliquées le fixateur externe. La technique d’immobilisation doit garantir un bon résultat fonctionnel mais aussi une mobilisation et mise en charge (autonomie) aussi précoce que possible, limitant la nécessité de soins. - Quand peut-on considérer la guérison suffisante?
Cette question dépend de la localisation, du type de fracture et de l’âge. Le tableau 2 donne un aperçu. Une fracture indolore à la pression indique que la charge peut être augmentée. - Comment augmenter progressivement la charge?
Pour cette question aussi, le tableau 2 donne des indications succinctes. Il faut toutefois prendre en considération l’âge et le caractère de l’enfant. Certains enfants doivent être freinés, d’autre nécessitent du soutien pour oser charger l’extrémité fracturée.
De ces réflexions dépend la technique d’immobilisation, le suivi clinique et radiologique ainsi que l’autorisation de la charge quotidienne et de la pratique du sport.
Fractures du membre supérieur
Clavicule
La plupart des fois il s’agit de fractures par tassement suite à une chute sur l’épaule, parfois aussi par impact direct contre la clavicule, conduisant généralement à une fracture de la diaphyse. Un nourrisson ou petit enfant qui évite de bouger son bras sans lésion clinique de l’extrémité, doit faire penser à une fracture de la clavicule. À cet âge on constate souvent des fractures en bois vert, chez les enfants en âge scolaire et les adolescents par contre aussi des fractures complètes. Même des dislocations conséquentes ne sont généralement pas une indication à un traitement chirurgical, le traitement conservateur obtenant de très bons résultats6). De rares cas avec risque de perforation des parties molles ou les fractures situées à l’extrémité médiale ou latérale, peuvent exiger une intervention chirurgicale. Chez la plupart des enfants la radiographie de la clavicule n’est pas indiquée en absence de symptômes cliniques. L’échographie peut s’avérer utile pour évaluer une dislocation sterno-claviculaire ou acromio-claviculaire.
Humérus
Fracture sous-capitale de l’humérus
Dans la partie proximale de l’humérus on trouve surtout des fractures Salter-Harris II et métaphysaires, par contre rarement une implication de la surface articulaire. Grâce au très haut degré de mobilité de l’articulation gléno-humérale et à l’énorme potentiel de correction du cartilage de conjugaison, le résultat fonctionnel du traitement conservateur est très correct. Il peut s’avérer avantageux de réduire et stabiliser les fractures très déplacées et douloureuses par la technique ECMES. À noter que le cartilage de croissance normal de l’humérus proximal a un aspect ondulé, pouvant être confondu avec une fracture.
Fracture diaphysaire de l’humérus
Le même principe est valable pour les fractures diaphysaires, un remodelage depuis la zone de croissance étant possible, par la croissance, même lors de déviations axiales conséquentes, de déplacements ou de raccourcissement. Comme pour toutes les fractures, ce potentiel diminue néanmoins avec l’âge.
Fracture humérale supracondylienne
L’humérus a un point faible anatomique à son extrémité distale, la fosse olécranienne qui lui donne la forme d’un 8 aplati à la coupe transversale. Lors d’une fracture suite à une chute sur la main avec le bras tendu, les importantes forces qui s’exercent à cet endroit font basculer vers l’arrière le fragment formé par les condyles (fracture en extension). Le type I correspond à une fracture sans malposition. Parfois la ligne de fracture est à peine visible et le diagnostic doit être suspecté sur la base des signes cliniques locaux et de signes radiologiques indirects, le signe du liseré graisseux (transparence accrue par déplacement du liseré graisseux par l’épanchement). Le traitement consiste en un plâtre à 90°. Normalement la prolongation de l’arête ventrale de la diaphyse humérale (appelée ligne de Roger) passe, sur la coupe de profil, au milieu de la palette humérale. Si le fragment n’est déplacé que dans ce plan, on parle d’une fracture type II avec angulation dorsale (rarement ventrale, cf. plus haut). (fig. 11)
Lors des fréquents traumatismes en extension (type II) le périoste dorsal reste intact, ces fractures sont donc réduites et stabilisées en flexion selon la méthode de Blount ou cuff and collar. Le suivi radiologique se fait le coude en flexion, de profil uniquement. L’extension du bras afin d’obtenir une image de face provoquerait d’importantes douleurs et risquerait de disloquer la fracture dans la malposition en extension originale. Le type III présente, outre la malposition dans le plan de mouvement, un défaut de rotation; en flexion les piliers radial et ulnaire ne sont pas parfaitement congruents, leur surface de contact n’est que partielle et peut occasionner un fléchissement en varus ou valgus dans le plan frontal si, suite à la rotation, un des piliers n’a plus de contact avec le fragment. On reconnaît cette rotation par la présence d’un éperon dans l’image radiologique de profil, ventral (fréquent) ou dorsal selon le sens de la rotation.
Les fractures type IV se caractérisent par l’absence de contact entre les fragments fracturés, elles sont donc totalement instables. Ces deux derniers types de fracture nécessitent une réduction autant que possible anatomique et une stabilisation. Dans ces cas a fait ses preuves l’insertion de broches de Kirschner. Pour les fractures qui ne se laissent pas réduire et fixer par cette méthode, on a recours au fixateur externe radial.
Il est rare que les enfants tombent sur le coude en flexion, occasionnant une fracture en flexion, donc avec dislocation ventrale. Dans ces cas le périoste dorsal est brisé, la stabilisation en flexion n’est donc pas possible et on l’obtient, ici aussi, par le fixateur externe.
Lésions du condyle
Le coude en croissance pose des difficultés diagnostiques en raison des différents noyaux de croissance et des zones cartilagineuses qui les entourent; pour cette raison des fractures ne sont pas toujours visibles d’emblée. Lors d’une fracture du condyle radial, un fragment métaphysaire décroche généralement en même temps. Au centre, la fracture peut s’étendre jusqu’à l’articulation. La présence d’une marche d’escalier articulaire et d’une varisation par bascule latérale impose un traitement chirurgical à partir d’un écart de 2mm. Il n’est pas rare qu’une fracture à l’origine non déplacée le devienne par traction musculaire. Il ne faut donc pas oublier d’effectuer un contrôle radiologique (et sans plâtre!) dans la semaine qui suit le traumatisme. Il est rare que la fracture du condyle ulnaire soit isolée; chez l’adolescent elle peut prendre la forme de fracture en Y avec arrachement aussi du condyle externe.
Lésion de l’épicondyle
Contrairement aux fractures du condyle externe, il s’agit d’une fracture extra-articulaire, la plupart de fois par avulsion de l’épicondyle ulnaire à la suite d’une luxation du coude. Pour l’interprétation des images radiologiques la connaissance de l’anatomie normale est indispensable. L’épicondyle arraché est déplacé en direction distale par la traction des fléchisseurs, parfois que dans un deuxième temps. Un contrôle radiologique précoce est donc également indiqué. Lors d’un traumatisme majeur avec bâillement de l’articulation, l’épicondyle arraché peut se trouver dans l’articulation, un cas de figure qui doit être activement recherché. On ne constate pas de ligne de fracture nette, celle-ci passant par le cartilage de croissance. À partir d’une dislocation de 5-10 mm nous posons l’indication au traitement chirurgical (fixation par fil de Kirschner ou vis). Le degré de déplacement à partir duquel une fracture de l’épicondyle doit être opérée, est sujet de discussion dans la littérature scientifique; lorsque la lésion est extra-articulaire, certaines cliniques retiennent l’indication au traitement conservateur plus généreusement.
L’ossification de l’épicondyle radial est tardive (à l’âge de 11-14 ans), les fractures ne sont donc souvent pas visibles sur les radiographies. Malgré la rareté des lésions de l’épicondyle externe, après une luxation du coude et en présence d’une tuméfaction du côté radial, il faut chercher les indices indirects d’une fracture. Il s’agit de minuscules fragments osseux et à l’examen clinique d’une instabilité radiale lors d’une manœuvre d’hypervarisation. Souvent a lieu une avulsion des ligaments radiaux, généralement du ligament collatéral ulnaire, ou alors un arrachement périosté (sleeve-lesion). Il faut s’attendre à une instabilité et des troubles de la mobilité en raison de la guérison imparfaite de la fracture, il est donc conseillé de procéder à une reconstruction chirurgicale des ligaments.
Avant-bras
L’avant-bras est la partie du squelette subissant le plus fréquemment des fractures, par des forces axiales de tassement ou de fléchissement, plus rarement par impact direct.
Fracture du col du radius
Il s’agit surtout de fractures en motte de beurre ou Salter-Harris II avec une discrète déviation axiale, dont le traitement est conservateur avec mobilisation précoce. Pour redresser et fixer la tête du radius basculée, la technique ascendante ECMES représente une solution élégante.
Fracture de Monteggia
On nomme fracture de Monteggia toutes les fractures de la diaphyse ulnaire combinées à une luxation de la tête du radius. La classification selon Bado retient 4 groupes.
Si la fracture du cubitus est plus proximale, dans la métaphyse ou l’olécrane, on nomme la lésion combinée équivalent Monteggia. Il est primordial pour la fonction future de ne pas passer à côté de la luxation du radius. Pour toute fracture ulnaire on vérifiera donc le centrage de la tête du radius par rapport au condyle radial. S’il n’est pas correct, on redresse (et stabilise en général selon la technique ECMES) le cubitus, ce qui entraîne un centrage de l’articulation radio-humérale. (fig. 10)
Fracture de la diaphyse de l’avant-bras
Pendant l’enfance les fractures diaphysaires de l’avant-bras sont souvent en bois vert, grevées, pour les raisons expliquées d’entrée, d’un important risque de refracture si l’os n’a pas été brisé entièrement avant l’immobilisation. Sauf pour les petits enfants l’enclouage s’avère souvent nécessaire. Les déviations d’axe de plus de 10° du tiers proximal, qui occasionnent une limitation de la pro- et supination, sont également une indication à cette mesure.
Fracture distale de l’avant-bras
Les fractures métaphysaires sont les plus fréquentes pendant l’enfance. Le cartilage de croissance distal très actif permet de corriger même des angulations importantes dans le plan de mouvement principal. Chez l’enfant plus âgé, lors de malpositions conséquentes et d’instabilité, la fracture sera réduite et, si la stabilité n’est pas garantie, fixée par un fil de Kirschner.
Fractures de la main et des doigts
Les lieux de prédilection des fractures de la main sont les fractures par tassement autour de l’articulation métacarpo-phalangienne du pouce, la fracture sous-capitale du métacarpe V (fracture du boxeur) et les fractures des phalanges distales par écrasement. Ici aussi un remodelage considérable est possible, dépendant de l’âge, dans le plan de mouvement. Ne sont pas corrigés spontanément les défauts de rotation, qu’il faut donc activement rechercher les doigts en flexion. Les fractures intra-articulaires avec malposition ne devraient pas non plus être négligées. On peut immobiliser les fractures banales simplement avec une attelle interdigitale (p.ex. Buddy loops®).
Fractures de l’extrémité inférieure
Toutes les fractures diaphysaires du membre inférieur entraînent, outre l’immobilisation, des douleurs importantes. Pour ces raisons il faut bien peser si la prise en charge du patient (analgésie, pose du plâtre, surveillance du compartiment et mobilisation) peut se faire en ambulatoire ou nécessite plutôt une hospitalisation.
Hanche
Avulsion de l’épine iliaque antéro-inférieure ou –supérieure
La fracture par avulsion d’une épine iliaque survient suite à une traction maximale des fléchisseurs de la hanche lors d’une activité sportive. À la radiographie on ne la trouve que si on la connaît et qu’on la cherche. En absence de douleur, un traitement conservateur est presque toujours possible avec décharge par des cannes. (fig. 14)
Fracture proximale du fémur
Ces fractures rares indiquent un traumatisme massif et devraient toujours être prises en charge conjointement avec un traumatologue pédiatre.
Fracture diaphysaire du fémur
Chez les enfants jusqu’à 4 ans, ces fractures peuvent être traitées de manière conservatrice par traction au zénith (selon Bryant, flexion de 90° de la hanche et réduction par le poids corporel) pendant 3-4 semaines jusqu’à réduction et consolidation. Pour les enfants plus âgés ou lors d’une compliance insuffisante, le standard actuel est le traitement chirurgical par 2 ECMES (fractures en spirale ou obliques avec end caps). La technique de réserve est le fixateur externe, notamment lors de fractures plurifragmentaires ou d’un traumatisme important des parties molles, ou faute d’expérience pour l’enclouage (ALFN: Adolescent Lateral Femur Nail) ou l’ostéosynthèse mini-invasive par plaque (MIPO). (fig. 8)
Jambe
Fracture proximale du tibia
Les fractures dans la région métaphysaire proximale du tibia sont devenues beaucoup plus fréquentes avec la prolifération, ces dernières années, des trampolines. La plupart des fois il s’agit de fractures par tassement, chez des enfants de 2-6 ans. La radiographie de profil du tibia montre une inclinaison vers l’avant du cartilage de conjugaison, formant un angle entre les tangentes des cartilages de conjugaison proximal et distal. Le plan physiologique du cartilage de croissance proximal penche vers l’arrière. Dès qu’on constate une inclinaison vers l’avant chez un petit enfant et que l’anamnèse révèle des sauts de trampoline, il faut envisager une fracture de trampoline 6). (fig. 15a, 15b)
La plupart de ces fractures guérit avec un plâtre. Si le cartilage de croissance est concerné, on effectuera des contrôles à long terme pour exclure une déviation axiale. La fermeture précoce de la tubérosité tibiale peut occasionner, par la croissance, une antécurvation du tibia.
Fracture diaphysaire de la jambe
Ces fractures aussi peuvent être traitées par plâtre. Les contrôles de position permettent d’éviter une éventuelle déviation varus/valgus ou anté-/rétrocurvation par une cale. Les fractures en torsion typiques du tibia (p.ex. suite à une chute à ski) sont généralement suffisamment stables grâce au périoste intact. Lors d’un traumatisme direct (p.ex. voiture), on constate parfois des fractures plurifragmentaires avec des traumatismes importants des parties molles, faisant craindre un syndrome de compartiment; ces patients nécessitent une surveillance. Le traitement chirurgical se fait par la technique ECMES ou un fixateur externe.
Fracture distale du tibia
En raison de l’ossification excentrique du cartilage de croissance, pendant l’adolescence surviennent des fractures dites transitionnelles avec fracture à deux voire trois niveaux (fracture de tillaux ou triplane). (fig.16)
Pour les fractures sans dislocation le traitement est conservateur, si elle dépasse 2 mm on procède à une réduction et fixation par vissage.
Fracture malléolaire
Au niveau de l’articulation tibio-tarsienne on trouve soit des fractures par arrachement ligamentaire du péroné distal ou plus fréquemment des fractures de la malléole médiale. Ces fractures ne sont fixées par un fil de Kirschner ou vissage qu’en cas de dislocation ou décalage intra-articulaire conséquents. Lors d’une lésion exclusivement ligamentaire suite à un traumatisme en supination, une botte de décharge du type softcast pendant les premières semaines et au début de la mobilisation peut s’avérer utile.
Résumé
Pendant l’enfance la prise en charge de la plupart des fractures est conservatrice. La décision dépend en première ligne d’un diagnostic minutieux. Le plan de traitement est ensuite établi, en tenant compte des conditions cadre, sur la base des caractéristiques de la fracture et du potentiel de correction spécifique à l’âge. Le tableau récapitulatif et le contact avec le traumatologue pédiatre peuvent aider à prendre la meilleure décision.
Références
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- Ziebarth K, Slongo T, Joeris A, Berger S, Konservative und operative Therapie von Frakturen im Wachstumsalter, Interne Leitlinien, Universitätsklinik für Kinderchirurgie Bern, 2010
Littérature complémentaire:
– Kindertraumatologie, Ingo
Marzi, Springer, 2016
– Frakturen und Luxationen im
Wachstumsalter, Lutz von Laer, Thieme, 2012
– Rockwood and Wilkins’
Fractures in Children, 8th edition, Lippincott
Williams & Wilkins, 2014
– AO
Surgery Reference Website, https://www.aosurgery.org à Pediatric Trauma
Figures
Toutes les radiographies (sauf si précisé autrement) ont été réalisées par l’Institut universitaire pour la radiologie diagnostique, interventionnelle et pédiatrique de l’Hôpital de l’Île, Berne.