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Médecine d’urgence: «Moins c’est plus» – Une meilleure prise en charge des patient-e-s aux urgences pédiatriques

La spécialité médecine d’urgence pédiatrique s’est continuellement développée ces dernières décennies et depuis 2014 existe la formation approfondie médecine d’urgence pédiatrique, devenue un domaine propre de la pédiatrie et de la chirurgie pédiatrique. L’association «Pediatric Emergency Medicine Switzerland» (PEMS) a été créée en 2010 et agit depuis 2017 de manière interprofessionnelle, avec pour objectif la formation de professionnels de la santé et l’élaboration de recommandations, afin de garantir des standards de qualité élevés. Un aspect essentiel pour l’établissement de recommandations est de pouvoir se baser sur des travaux scientifiques, alors que de nombreux traitements d’urgence pédiatriques émanent de la médecine adulte et n’ont jamais été systématiquement étudiés chez l’enfant.

Cet article présente trois blessures survenant fréquemment pendant l’enfance et l’adolescence et montre, sur la base de nos études, que des traitements moins invasifs permettent d’obtenir des résultats tout aussi valables.

Fractures distales de l’avant-bras

Les fractures distales de l’avant-bras comptent parmi les plus fréquentes pendant l’enfance. Elles incluent les fractures proches de l’articulation (type Salter Harris) et les fractures métaphysaires (figure 1). Selon le degré de dislocation et l’âge du patient, ces fractures nécessitent une réduction puis immobilisation dans un plâtre. L’approche standard est d’adapter un plâtre du bras afin de minimiser le risque d’un déplacement secondaire de la fracture. Des études avec du plâtre naturel ont néanmoins montré qu’un plâtre de l’avant-bras stabilise suffisamment une fracture distale de l’avant-bras(1). La plupart des cliniques n’utilise par contre plus du plâtre naturel mais plutôt du plâtre synthétique en raison de ses avantages pour les enfants, entre autres son moindre poids et sa résistance à l’eau. Un désavantage consiste néanmoins dans le fait que le plâtre synthétique se laisse moins bien modeler au bras fracturé; il n’est donc pas clair s’il stabilise suffisamment une fracture distale de l’avant-bras, comparé au plâtre naturel. Nous avons décidé d’examiner cette question par une étude randomisée, prospective incluant des enfants de 4 à 16 ans avec une fracture distale disloquée du radius et de l’avant-bras nécessitant une réduction fermée(2). Les enfants plus jeunes ont été exclus parce que leur avant-bras très court leur permettrait d’enlever trop facilement un plâtre de l’avant-bras. Les enfants remplissant les critères d’inclusion et ayant accepté avec leurs parents de participer à l’étude, tiraient au sort si après la réduction de la fracture leur était appliqué un plâtre de l’avant-bras ou du bras. Tous les enfants étaient revus à notre consultation orthopédique 1, 4 et 7 semaines après le traumatisme. Le critère primordial était la stabilité de la fracture, les critères accessoires l’effet analgésique du plâtre, les limitations au quotidien et la durée jusqu’à une mobilité sans restriction du coude.

Figure 1. Fracture métaphysaire distale de l’avant-bras. La fracture métaphysaire (vert) se situe dans un carré (rose) dont les dimensions sont définies par l’étendue de l’épiphyse du radius et de l’ulna (cubitus).

Cent-vingt enfants ont été inclus dans l’étude, 60 par groupe avec un âge moyen de 9.9 ans (tableau 1). Nous n’avons pas constaté de différence entre les deux groupes concernant une dislocation secondaire de la fracture(2). Une telle dislocation a été observée lors des contrôles chez 25 enfants au total, dont 10 avaient un plâtre de l’avant-bras et 15 un plâtre du bras (p= 0.26). Pour la plupart des patient-e-s cette situation a été acceptée, une nouvelle réduction n’ayant été nécessaire que dans 8 cas, chez deux enfants avec un plâtre de l’avant-bras et chez six enfants avec un plâtre du bras (p= 0.14). L’effet analgésique ne dépendait pas de la longueur du plâtre, le besoin d’analgésiques a été en moyenne de deux jours pour les enfants avec un plâtre de l’avant-bras et de trois pour ceux avec un plâtre du bras. Le plâtre du bras limitait davantage les enfants que le plâtre de l’avant-bras, surtout sous la douche. Alors que pendant les premiers jours après la pose d’un plâtre du bras 87% des patient-e-s nécessitaient de l’aide sous la douche, ils n’étaient que 60% avec un plâtre de l’avant-bras (p=0.001). De même si 72% des enfants avec un plâtre du bras nécessitaient encore de l’aide pendant les jours 11-28, ils n’étaient que 50% avec un plâtre de l’avant-bras. Sans surprise les enfants n’avaient aucune limitation de la mobilité du coude après l’ablation du plâtre de l’avant-bras. Les enfants dont la fracture a été immobilisée par un plâtre du bras n’ont par contre retrouvé une mobilité sans restriction du coude qu’après 4.5 jours en moyenne. À noter que la durée de récupération a été d’autant plus longue que l’enfant était âgé: pour les enfants entre 4 et 7 ans elle a duré en moyenne 2 jours, pour les adolescent-e-s de 12-16 ans une semaine.

Tableau 1. Catégories d’âge des patient-e-s à qui a été posé un plâtre du bras resp. de l’avant-bras et description du type de fracture.

Avec notre étude nous avons montré que le plâtre synthétique de l’avant-bras est un traitement adéquat pour une fracture distale (disloquée) de la métaphyse du radius ou de l’avant-bras. Nous avons donc adapté notre approche.

Traumatismes par écrasement des doigts avec avulsion de l’ongle

Les traumatismes par écrasement des doigts avec avulsion de l’ongle représentent une autre lésion typique de l’enfance. Par l’écrasement, l’ongle entier ou seulement sa partie proximale peuvent être luxés (figure 2).

Figure 2. La lésion par avulsion complète (gauche) se caractérise par l’absence de l’ongle, l’avulsion proximale (droite) par la luxation de la partie proximale de l’ongle.

Le traitement standard de ces lésions comprend, après l’exclusion d’une fracture disloquée du doigt nécessitant une intervention chirurgicale, l’inspection du lit unguéal et le traitement de la plaie. On procède ensuite à la suture de l’ongle ou d’un ongle artificiel. Cela implique que chez un enfant ayant subi une avulsion proximale de l’ongle, l’ongle doit d’abord être enlevé entièrement pour permettre l’inspection du lit unguéal. Ce traitement standard est douloureux et nécessite chez les enfants jeunes et non coopératifs souvent une narcose. La raison de cette procédure invasive se trouve dans l’hypothèse qu’après une luxation, l’ongle doit être repositionné sous l’éponychium pour éviter que l’éponychium et la matrice germinale ne se collent l’une à l’autre, ce qui entraînerait des déficits fonctionnels et cosmétiques(3). Nous avons remis en question cette hypothèse, n’ayant dans la pratique quotidienne guère constaté de complications suite à des lésions par avulsion non traitées. Pour examiner si cette approche établie était effectivement indiquée ou si un pansement avec une pommade, sans suture de l’ongle pouvait suffire, nous avons effectué une étude prospective. Ont été inclus dans l’étude des enfants de 1 à 16 ans avec une luxation proximale ou complète de l’ongle sans fracture disloquée ou lésion visible du repli ou du lit unguéal(4). Nous avons sciemment renoncé à randomiser, afin d’éviter que le sort ne décide si un enfant devait subir un traitement en narcose avec ses complications potentielles. Les parents décidaient donc, après avoir été informés sur l’étude, de l’option thérapeutique pour leur enfant. L’objectif de l’étude était en première ligne d’évaluer la qualité de l’ongle six mois après le traumatisme. L’évaluation a été faite à l’aide du Nail appearence score (NAS) sur la base de photographies standardisées du nouvel ongle par des médecins ne disposant d’aucune information sur le patient. Le score est composé de 6 variables notées de 1 à 4 points (tableau 2); on calcule la moyenne de chaque variable, le maximum étant donc de 4 points. L’objectif secondaire était la satisfaction de la famille avec le nouvel ongle, évaluée également 6 mois après le traumatisme avec le Patient and parental nail satisfaction score (PPNS), de manière analogue au NAS.

Tableau 2. Qualité du nouvel ongle, évaluation d’après le Nail appearance score (NAS).

Nous avons pu inclure 50 enfants dans notre étude, la plupart des parents s’étant décidée pour le pansement avec pommade (tableau 3). Notre étude a révélé d’excellents résultats pour tous les patients, avec une très bonne qualité du nouvel ongle et une grande satisfaction des familles. Le NAS dans le groupe opéré était de 3.96 (95% CI 3.93; 3.99), comparé à 3.98 dans le groupe pansement avec pommade (95% CI 3.97; 3.99). Le PPNS a montré des valeurs moyennes de 3.92 (95% CI 3.65; 3.99) dans le groupe opéré et de 3.98 (95% CI 3.87; 4) pour les patient-e-s traités par pansement avec pommade. Alors que les premiers ont nécessité des analgésiques pendant en moyenne 1.6 jour, la durée lors du traitement par pansement avec pommade a été de 0.8 jour. Tous les patients avaient un excellent résultat et la satisfaction des parents était très grande. Dans de nombreux cas, lors du dernier contrôle ils ne savaient même plus à quel doigt l’enfant s’était blessé six mois auparavant. Nous recommandons pour les enfants avec une luxation proximale ou complète de l’ongle sans complications, le traitement par pansement avec pommade au lieu d’une intervention chirurgicale, le résultat des deux méthodes étant comparable. Le pansement avec pommade a néanmoins de nets avantages: le séjour à l’hôpital est nettement plus court, le traitement est moins coûteux et il provoque surtout moins de douleur, de stress et de peur aux enfants(4).

Tableau 3. Données concernant les patient-e-s inclus-e-s dans les deux groupes de l’étude.

Plaie contuse du visage

Les plaies contuses du visage sont des blessures fréquentes et souvent traitées par suture, alors qu’avec la colle tissulaire nous disposons d’une alternative de bonne qualité. Elle n’est par contre que rarement utilisée, par crainte d’un plus grand risque de déhiscence de la plaie et donc d’une cicatrice dérangeante. Une analyse Cochrane a montré déjà en 2002 que la colle tissulaire représente en pédiatrie une bonne alternative à la suture par fil, le traitement de la plaie étant nettement plus rapide et moins douloureux pour l’enfant(5). Vu l’absence de résultats à long terme pour les lésions traitées par colle tissulaire, nous avons examiné la formation de cicatrices et la survenue de déhiscences et infections de la plaie par une étude prospective(6). Ont été inclus les enfants avec une plaie contuse du visage qui se sont présentés aux urgences entre juillet 2017 et août 2018. Les critères d’exclusion étaient les lésions des muqueuses, qui nécessitent une suture, les enfants polytraumatisés, avec des troubles de la cicatrisation connus ou un diabète. Le choix du traitement (suture ou colle tissulaire) était fait par l’équipe médicale traitante. Nos directives établissent qu’uniquement les plaies propres et ne saignant plus se prêtent à une suture adhésive. L’approche thérapeutique était standardisée: en vue d’une suture on appliquait d’abord un gel anesthésique topique LET (lidocaïne, adrénaline, tétracaïne), ensuite la plaie était suturée avec du fil non-résorbable ou résorbable à points séparés et protégée par des Steri-Strips. Le traitement avec la colle Epiglu® (ethyle-2-cyanoacrylate) n’exigeait pas d’anesthésie locale préalable, la colle était appliquée sur les bords secs de la plaie et celle-ci protégée par des Steri-Strips (figure 3). Les parents furent encouragés à garder la plaie propre et sèche pendant une semaine. La plaie a été examinée et photographiée par un médecin spécialiste le jour de l’accident, après une semaine et après 6-12 mois. Lors du premier contrôle on procédait à l’ablation des fils et on gérait d’éventuelles complications comme une déhiscence ou infection de la plaie. Les parents ont été instruits dans les soins corrects de la cicatrice, l’application quotidienne d’une crème et d’une protection solaire avec un facteur de protection élevé lors d’exposition au soleil pendant une année après la blessure.

Figure 3. Application de colle tissulaire sur une plaie contuse. La plaie doit être sèche et ses bords doivent concorder.

La cicatrice a été évaluée lors du dernier contrôle par les patient-e-s/parents et par un professionnel de la chirurgie au moyen de la « Patient and observer scar assessment scale » (POSAS) ainsi que par cinq chirurgiennes plasticiennes et chirurgiens plasticiens externes au moyen des photos prises au dernier contrôle, selon les échelles POSAS modifiée et Vancouver scar scale (VSS). Tous ces instruments sont établis pour l’évaluation de cicatrices. L’échelle POSAS comprend six catégories pour l’autoévaluation par les patient-e-s/les parents (douleur, prurit, couleur, souplesse, épaisseur et régularité de la cicatrice), chaque catégorie étant notée de 1 à 10 (1 = meilleur résultat). La POSAS pour les professionnels comprend une appréciation de la vascularisation, pigmentation, épaisseur, du relief, de la souplesse (POSAS modifié sans ce dernier critère, ne pouvant être apprécié sur une photo), texture de la surface et en plus une évaluation globale, également avec une échelle de 1 à 10. L’échelle VSS comprend les catégories pigmentation, vascularisation, épaisseur et une impression générale, le résultat pouvant se situer entre 0 (meilleur résultat) et 13 (moins bon résultat).

Ont été analysés 230 enfants âgés de 4 ans en moyenne. Chez 96 enfants on a appliqué de la colle tissulaire, chez 134 la plaie a été suturée. Le résultat de tous les enfants a été excellent avec une belle cicatrice, les plaies collées ayant obtenu un résultat significativement meilleur (tableau 4). Une déhiscence de la plaie a été constatée plus fréquemment dans le groupe avec colle tissulaire (12.5% vs 3.7%) lors du premier contrôle, lors du contrôle final par contre n’a été constatée qu’une seule déhiscence par groupe de patients. Il n’y pas eu non plus de différence entre les deux groupes concernant les infections de la plaie.

Tableau 4. Appréciation de la cicatrice de lésions contuses collées ou suturées, avec l’échelle POSAS (Patient and observer scar assessment scale) par les patient-e-s/parents et les chirurgien-ne-s et la POSAS modifiée et la VSS (Vancouver scar scale) par des chirurgien-ne-s plasticien-ne-s externes sur la base de photos 6-12 mois après le traumatisme.

Les résultats de cette étude montrent que les deux approches obtiennent de très bons résultats. Nous recommandons de recourir chez les patient-e-s avec un plaie contuse du visage si possible à la colle tissulaire, cette méthode étant clairement plus efficace que la suture, moins coûteuse, la qualité de la cicatrice au moins aussi bonne que celle d’une plaie suturée, et surtout elle cause moins de douleur et de peur aux enfants.

Par cette contribution nous souhaitons mettre en évidence le besoin de recherche sur la prise en charge en médecine d’urgence pédiatrique. Sous réserve des limites inhérentes aux études isolées avec un nombre restreint de patients, les travaux présentés ici montrent que souvent «moins c’est plus» et que pour les enfants blessés cela représente moins de stress et moins de douleur. Ce genre d’études contribue à optimiser le traitement d’enfants accidentés et à établir des recommandations pour la prise en charge de situations cliniques fréquentes en pédiatrie d’urgence.

Références

  1. Paneru SR, Rijal R, Shrestha BP, Nepal P, Khanal GP, Karn NK, Singh MP, Rai P. Randomized controlled trial comparing above- and below-elbow plaster casts for distal forearm fractures in children. J Child Orthop. 2010 Jun;4(3):233-7. doi: 10.1007/s11832-010-0250-1.
  2. Seiler M, Heinz P, Callegari A, Dreher T, Staubli G, Aufdenblatten C. Short and long-arm fiberglass cast immobilization for displaced distal forearm fractures in children: a randomized controlled trial. Int. Orthop. 2021; 45(3): 759-68
  3. Stevenson TR. Fingertip and nailbed injuries. Orthop Clin North Am. 1992 Jan;23(1):149-59.
  4. Seiler M, Gerstenberg A, Kalisch M, Kennedy U, Scheer HS, Weber DM. Non-operative treatment versus suture refixation of the nail plate in paediatric fingernail avulsion injuries. J Hand Surg Eur Vol. 2021 Jun;46(5):523-529. doi: 10.1177/1753193420965390.
  5. Farion K, Osmond MH, Hartling L, Russell K, Klassen T, Crumley E, Wiebe N. Tissue adhesives for traumatic lacerations in children and adults. Cochrane Database Syst Rev. 2002;2002(3):CD003326. doi: 10.1002/14651858.CD003326.
  6. Fontana S, Schiestl CM, Landolt MA, Staubli G, von Salis S, Neuhaus K, Mohr C, Elrod J. A Prospective Controlled Study on Long-Term Outcomes of Facial Lacerations in Children. Front Pediatr. 2021 Feb 12;8:616151. doi: 10.3389/fped.2020.616151.

Informations complémentaires

Traducteur:
Rudolf Schlaepfer
Correspondance:
Conflit d'intérêts:
L'auteure n'a déclaré aucun lien financier ou personnel en rapport avec cet article.
Auteurs
PD Dr. med.  Michelle Seiler Interdisziplinäre Notfallstation und Forschungszentrum für das Kind Universitäts-Kinderspital, Zürich, Mitglied PEMS