Vignette clinique
Sarah, une fillette de 6 ans, est arrivée en Suisse avec sa famille depuis une région en conflit. Elle souffre d’épilepsie et le pédiatre l’adresse à la consultation neuropédiatrique pour un bilan. L’anamnèse révèle une grossesse sans problèmes et un développement normal jusqu’à l’âge de huit mois, lorsqu’apparurent pour la première fois des convulsions fébriles, qui se sont toujours amendées spontanément, sans traitement médicamenteux. Il y aura de «petites crises» aussi pendant la petite enfance, toujours en relation avec de la fièvre, ne durant jamais plus de cinq minutes. Dès l’âge de 4 ans elle bénéficiera d’un traitement antiépileptique (Lévétiracétam); l’IRM crânienne (sans spectroscopie) aurait été normale. Jusqu’aux premières convulsions pendant la première année de vie, Sarah a occasionnellement émis des sons, puis de moins en moins. Elle n’a jamais développé le langage, depuis ses deux ans elle émet des sons ou des cris pour attirer l’attention.
EEG: pathologique à l’état de veille, de fatigue et pendant le sommeil, avec plusieurs courtes crises. De nombreuses séries de sharp slow waves rythmiques de 2/s, la plupart généralisées, parfois latéralisées (plus souvent à gauche qu’à droite), qui se manifestent par des symptômes cliniques consistant à lever le regard, cligner des yeux ou faire des bruits avec la bouche, en mouvements des mains/bras, correspondant le plus probablement à des absences atypiques.
Urine: guanidinoacétate/créatinine 1386 mmol/mol créa (valeurs de référence 15-152)
créatine/créatinine 14 mmol/mol créa (valeurs de référence 19-1046)
Spectroscopie par résonance magnétique crânienne (SRM): structure normale du parenchyme; à la spectroscopie concentration très réduite de créatine dans les ganglions basaux et indécelable dans la substance blanche, guanidinoacétate élevée dans les ganglions de la base, les autres métabolites dans la norme.
Diagnostic: déficit en guanidinoacétate méthyltransférase1),2)
Traitement: apport quotidien de créatine (début par 550 mg/kg(jour) et ornithine (début par 450 mg/kg/jour).
Situation 3 mois après le début du traitement: Sarah n’a plus fait de crises, le développement progresse lentement. Il n’y a plus de potentiels épileptiques à l’EEG. La SRM montre des valeurs nettement améliorées mais toujours en dessous de la norme pour la créatine, tant dans les ganglions de la base que la substance blanche.
Qu’est-ce qu’une maladie métabolique ?
Le métabolisme est un des réseaux les plus efficaces de l’être vivant. Il s’agit d’un processus biochimique coordonné entre différentes cellules de l’organisme, et compartimenté dans différents organelles, cellules ou organes. À chaque composant (p.ex. métabolite, enzyme ou transporteur) est attribuée une fonction précise. Les organelles cellulaires, cellules et organes collaborent afin de garantir un développement normal et une fonction intacte de notre corps. Les maladies métaboliques génétiques sont des défauts rares (souvent avec une incidence de 1:6’000 – 1:100’000 voire plus rares) dans ce réseau et occasionnent, selon l’importance du défaut, des manifestations cliniques très variées, la plupart du temps multisystémiques3). L’expression variable du défaut génétique spécifique et souvent des facteurs extérieurs peuvent engendrer des tableaux cliniques très variés pour la même maladie. Les patients se manifestent donc soit par a) une symptomatologie chronique et progressive, des dysmorphies ou malformations, b) des épisodes aigus mettant la vie en danger ou des symptômes intermittents déclenchés souvent par un catabolisme, c) des formes oligosymptomatiques, ne se manifestant souvent qu’à l’âge adulte3).
Comment diagnostiquer les maladies métaboliques ?
Bien que seulement 10% des métabolites du métabolome humain soient décelables aussi dans les liquides extracellulaires (sang, urine, LCR), il existe pour de nombreuses maladies métaboliques des analyses de dépistage plus ou moins sensibles et spécifiques. Pour assurer le diagnostic, certaines maladies exigent néanmoins des analyses complémentaires (imagerie, biopsies) et de plus en plus souvent aussi des analyses génétiques (séquençage d’un gène, exome ou génome).
Dépistage général: il s’agit d’analyses effectuées systématiquement auprès de toute une population. Du point de vue médical le dépistage néonatal des maladies métaboliques congénitales en est le parfait exemple. Il faut le distinguer du dépistage sélectif, prévu exclusivement pour un groupe précis de la population ou pour des situations précises4-6).
Exemple: lorsqu’on mesure le cholestérol chez tous les enfants de 12 ans, il s’agit d’un dépistage général. Lorsqu’on mesure le cholestérol chez les patients avec des xanthélasmas, il s’agit d’un dépistage sélectif.
Nous présentons ici les analyses biochimiques les plus importantes pour la pédiatrie générale (cabinet pédiatrique et hôpital) dans un contexte de dépistage sélectif. Nous différencions entre analyses dans le sang (sang complet, sang anti-coagulé, sang séché sur papier buvard, plasma) ou dans l’urine (en général échantillon d’urine spontanée).
Ces analyses peuvent être effectuées à:
Berne
http://www.zlm.insel.ch/
Zurichhttps://www.kispi.uzh.ch/de/zuweiser/labormedizin-zpl/Seiten/default.aspxou Lausanne
https://www.chuv.ch/fr/laboratoires/dl-home/
Tests sanguins utiles pour le dépistage sélectif
Acides aminés plasmatiques: ce test livre des taux sanguins précis d’au moins 26 acides aminés. Il est incontournable en tant qu’analyse d’urgence. Sont surtout intéressants les acides aminés protéinogènes, qui contribuent à la synthèse de protéines dans le corps. Particulièrement importants lors de l’interprétation sont les acides aminés essentiels et les acides aminés indicateurs d’une maladie précise. Le taux de phénylalanine par exemple indique la situation métabolique des patients avec une phénylcétonurie.
Acylcarnitine: on peut déterminer le profil de l’acylcarnitine à partir de sang complet ou de sang séché sur papier buvard (c’est techniquement possible aussi à partir de plasma, mais cette analyse ne joue un rôle que pour le déficit en carnitine palmitoyltransférase de type 2). On dépiste surtout des défauts de l’oxydation des acides gras et des organoaciduries ainsi que des troubles du cycle de la carnitine. Cette analyse est indispensable en tant qu’examen d’urgence parce qu’elle permet de diagnostiquer une part importante de crises métaboliques aiguës où un traitement spécifique peut s’avérer salvateur.
Diagnostic CDG (électrophorèse/focalisation isoélectrique/chromatographie d’échange d’anions de la transferrine): il s’agit d’un test de recherche classique auquel on recourt en présence d’un tableau neurologique inexpliqué (souvent retard du développement, ataxie, hypotrophie cérébelleuse), certaines dysmorphies, hépatopathie inexpliquée avec entre autres des troubles de la coagulation. L’analyse peut déceler de nombreux troubles de la glycosylation mais a des lacunes, il ne peut donc en aucun cas être utilisé «pour exclusion».
Acides gras à très longue chaine (maladies peroxysomales): on peut doser les acides gras à très longue chaine, y compris l’acide phytanique, dans le sérum ou le plasma. Les taux élevés indiquent en général un trouble de la fonction des peroxysomes.
Tests urinaires utiles pour le dépistage sélectif
Acides organiques: ce test est en général effectué dans l’urine et fait également partie des analyses urgentes indispensables. Seulement peu de laboratoires spécialisés proposent l’analyse des acides organiques aussi dans le LCR ou le sang. On peut doser de manière semi-quantitative jusqu’à 5’000 métabolites différents; néanmoins le dépistage qualitatif d’une substance spécifique peut déjà s’avérer précieux. Ainsi la mise en évidence de l’acide homogentisique est diagnostique pour l’alcaptonurie.
Créatine et guanidinoacétate: ces deux métabolites peuvent être dosés aussi dans le plasma, l’analyse urinaire offre néanmoins une plus grande sécurité diagnostique. On peut déceler toutes les anomalies connues de la biosynthèse de la créatine, qui se manifestent souvent par des troubles de l’apprentissage du langage (cf. vignette clinique) et dont le traitement précoce peut être efficace.
Glycosaminoglycanes (GAGs): les GAGs sont des résidus de plusieurs maladies de surcharge lysosomales. On peut les doser de manière quantitative ou qualitative, la combinaison des deux étant généralement judicieuse. Pour certaines maladies ils servent de paramètres de suivi pendant le traitement de substitution enzymatique.
Oligosaccharides: leur dosage complète l’analyse des GAGs chez les patients avec des symptômes neurologiques, retard ou régression du développement, ou des malformations squelettiques ou organomégalies. Il s’agit aussi d’un test de dépistage classique avec une sensibilité par essence restreinte et qui ne devrait pas être utilisé «pour exclusion».
Purines et pyrimidines: ces dernières années le groupe de maladies liées au métabolisme des purines et pyrimidines s’est étendu en raison des améliorations de l’analyse génétique et biochimique. Ce test se fait entre temps en tant qu’analyse LC-MS/MS hautement sensible et devrait être utilisé généreusement pour de nombreuses indications (cf. tableaux 1 et 2).
Exemples typiques où le dépistage s’est avéré utile
- Un garçon de 11 ans se présente avec un état d’épuisement croissant, une baisse des performances et des crises de colère inexpliquées. L’examen révèle une coloration brune de la peau et des muqueuses. Les analyses biologiques confirment l’insuffisance surrénale avec ACTH élevée et minéralo- et glucocorticoïdes abaissés. L’absence d’anticorps relatifs exclut une origine auto-immune. Le dosage des acides gras à très longue chaine plasmatiques évoque une adrénoleucodystrophie liée à l’X (X-ALD), confirmée par l’analyse génétique. Sous substitution avec des minéralo- et glucocorticoïdes les troubles et la coloration brune s’amendent. La maladie pouvant évoluer pendant des années voire décennies sans implication cérébrale, le patient bénéficie depuis 4 ans d’un contrôle semestriel par IRM crânienne. Le diagnostic précoce d’X-ALD est très important: d’une part on évite des crises d’insuffisance surrénale mettant potentiellement la vie en danger lors d’infections (l’insuffisance surrénale est souvent subclinique), d’autre part la transplantation de cellules souches est le traitement de choix lors d’une atteinte débutante du système nerveux central.
- Un garçon de 4 ans arrive pour la troisième fois aux urgences avec les mêmes symptômes: vomissements et somnolence dans le cadre d’un refroidissement banal. Frappante est une acidose inhabituellement marquée par rapport à la situation clinique. Le dosage, entre autres, des acides organiques dans l’urine met en évidence les métabolites typiques de l’acidémie isovalérique. Le patient respecte depuis un régime restreint en protéines et dispose d’un plan d’urgence; il n’y a plus eu de dérèglement métabolique depuis.
Conclusion
Les troubles génétiques du métabolisme sont des maladies rares, aux manifestations cliniques très variées et pouvant se manifester à n’importe quel âge. Le dépistage sélectif permet de poser, sans connaissances des anomalies spécifiques, un diagnostic préliminaire et d’exclure des diagnostics différentiels significatifs. La sensibilité et la spécificité des analyses de dépistage varient, il est donc important de se rappeler qu’un dépistage normal n’exclut pas entièrement une maladie métabolique. En présence de symptômes inexpliqués et persistants on recommande de consulter un centre spécialisé. Le diagnostic précoce est important pour un grand nombre des maladies mentionnées: d’une part l’absence de traitement mène souvent à des séquelles irréversibles et d’autre part nous disposons de traitements spécifiques pour un nombre croissant de ces maladies.
Contact des unités du métabolisme en Suisse
Berne
Universitäts-Kinderklinik Bern
Stoffwechsel und Neurometabolik
Freiburgstrasse
3010 Bern
Tel: +41 31 632 52 45 (secrétariat)
metabolik@insel.ch
Lausanne
Unité pédiatrique des maladies métaboliquesService de Pédiatrie
CHUV MP18-05-561
Chemin de Mont-Paisible 18
1011 Lausanne
Tel: +41 21 314 34 82
ped.metabolique@chuv.ch
Zurich
Universitäts-Kinderspital Zürich
Eleonorenstiftung
Abteilung für Stoffwechselkrankheiten
Steinwiesstrasse 75
8032 Zürich
Telefon +41 44 266 84 08 (secrétariat)
stoffwechsel.sekretariat@kispi.uzh.ch
Références
1. Schulze A. Creatine deficiency syndromes. Handb Clin Neurol. 2013;113:1837-1843.
2. Mercimek-Mahmutoglu S, Stoeckler-Ipsiroglu S, Adami A, et al. GAMT deficiency: features, treatment, and outcome in an inborn error of creatine synthesis. Neurology. 2006;67(3):480-484.
3. Zschocke J, Hoffmann GF. Vademecum Metabolicum. 4th ed. D-Friedrichsdorf: Schattauer; 2012.
4. van Karnebeek CD, Stockler S. Treatable inborn errors of metabolism causing intellectual disability: a systematic literature review. Mol Genet Metab. 2012;105(3):368-381.
5. Sass JO. Selective screening for inborn errors of metabolism–assessment of metabolites in body fluids. Clin Biochem. 2011;44(7):474-475.
6. Hoffmann GF. Selective screening for inborn errors of metabolism–past, present and future. Eur J Pediatr. 1994;153(7 Suppl 1):S2-8.