Revue professionnelle >

Soulagement et inquiétude, espoir et peur – le chemin diagnostic d’une mutation SLC16A2

À la Clinique pédiatrique de Berne a été diagnostiquée, au courant de la même année, chez trois patients masculins la même maladie génétique rare. Un hasard ?

« Nous nous réjouissons de notre petit bonhomme rayonnant et heureux. Son intérêt pour son entourage et sa volonté font plaisir à voir. Il y a de nombreux petits moments de bonheur au quotidien : lorsqu’il nous sourit et nous montre sa joie, lorsque ses frères et sœurs le font rire et gazouiller, lorsqu’il s’amuse sur la balançoire ou qu’il rampe après ses voitures, les promenades en famille, les câlins et chatouillis …. »

Introduction

À la Clinique pédiatrique de Berne a été diagnostiquée, au courant de la même année, chez trois patients masculins la même maladie génétique rare. Un hasard ? Ou bien cette maladie déterminée par la génétique moléculaire depuis 2003 ne serait pas si rare qu’on l’imaginait1-3)? Souvent les maladies rares ne sont longtemps pas reconnues, elles sont donc sous-diagnostiquées et on a tendance à sous-estimer leur incidence. Et les victimes sont en première ligne les patients et leurs familles. Par cet article nous souhaitons montrer à quels défis se voient confrontées les personnes avec une maladie rare, quelles expériences marquent leur quotidien et comment nous, le système de soutien, pouvons leur apporter la meilleure aide possible. Des entretiens avec des questions souvent très personnelles ont été menés avec les parents d’enfants atteints. Les réponses se trouvent sous différentes formes dans ce texte.

Nos remerciements vont aux parents qui nous ont permis d’avoir un aperçu de leur quotidien et ont partagé si ouvertement leurs expériences. La maladie génétique présentée ici influence – comme toutes les maladies sévères – tout le système familial et structure de manière décisive le quotidien. Il s’agit, outre les investigations et soins médicaux, de garantir d’autres mesures de soutien ainsi qu’un accompagnement global et multidisciplinaire.

Anamnèse et clinique

« Déjà après la naissance c’était un bébé tranquille et content. Comme on avait eu des jumeaux, on appréciait. On n’a eu des doutes que lorsqu’après cinq mois il ne montrait toujours pas des envies de bouger et qu’il ne faisait souvent que somnoler. Il n’avait pas de mouvements et à neuf mois il ne se retournait toujours pas. »

L’anamnèse, bien que différente et singulière chez les trois patients mentionnés, montre des parallèles impressionnants. Dès les premières semaines on remarque la pauvreté des mouvements des extrémités. Chez tous persistait un mauvais contrôle de la tête. Avec le temps le retard global du développement devenait de plus en plus marqué. S’y ajoutait un retard de croissance, l’absence de prise de poids et de fortes sudations. Difficiles à supporter pour les parents devenaient les phases de cris nocturnes avec position en opisthotonos généralisé.

« Nous nous sommes inquiétés pour la première fois lorsque notre fils avait trois mois et a été hospitalisé pour des investigations. Il ne prenait plus de poids et ne tenait toujours pas sa tête. Le manque de contrôle de la tête avait déjà frappé le pédiatre quand il avait un mois. À l’hôpital on a parlé de faiblesse musculaire généralisée, due peut-être à une maladie. Cela nous a fait très peur. »

Analyses biologiques

Les paramètres infectieux et la formule sanguine étaient normaux. De même les «dépistages» de différents organes (e.a. foie, cœur et reins). Les taux des hormones thyroïdiennes étaient pathologiques: élevé pour la T3 (triiodothyronine) libre et abaissé pour la T4 (tétraiodothyronine) libre, les valeurs de la TSH (thyréostimuline) étant à la limite supérieure de la norme. En résumé, cette constellation thyroïdienne était suspecte mais n’a pas été jugée concluante. Frappant était le lactate fortement augmenté (jusqu’à 10 mmol/l, norme <1.5) à plusieurs reprises. La créatine kinase était normale, tout comme les gazométries répétées, les électrolytes et le trou anionique. Les «dépistages» métaboliques plus étendus, comme le profil des acides aminés plasmatiques ou les acides organiques urinaires, n’ont pas révélé d’anomalie indicative (cf. l’article de Johannes Häberle et al. dans ce numéro).

Diagnostic différentiel

« Notre premier contact pour évaluer si des investigations étaient indiquées ou si le développement de notre enfant était encore normal, a eu lieu au cabinet pédiatrique. Particulièrement pratiques ont été les rendez-vous combinés entre le pédiatre et la neuropédiatre au cabinet du pédiatre. Ils nous ont aussi expliqué les possibilités thérapeutiques et de soutien (p.ex. physiothérapie et éducation précoce). Outre les investigations nécessaires, la première mesure a été de débuter la physiothérapie. Lors de ces rendez-vous hebdomadaires nous avons reçu des conseils pratiques et des informations concernant l’hypotonie musculaire; les traitements étaient très encourageants. Il en a été de même avec l’éducation précoce. Nous avons reçu des indications précieuses, des idées pour le quotidien, et nous avons pu profiter aussi des expériences des thérapeutes avec p.ex. l’assurance-invalidité, la coordination entre médecins etc. »

La présence d’un retard du développement généralisé, de troubles neurologiques avec hypotonie musculaire et absence de contrôle de la tête, de crises d’opisthotonos et de mouvements par intermittence dystoniques nous ont évoqué en première ligne une maladie neurométabolique, p.ex. une maladie mitochondriale, un déficit du complexe pyruvate déshydrogénase, un déficit de neurotransmetteurs, un syndrome génétique pas clair ou inconnu. Des investigations approfondies ont donc été entreprises, comme détaillé ci-après.

Investigations approfondies

On a pratiqué chez tous les trois patients une IRM cérébrale avec spectroscopie. Les images n’ont montré aucune anomalie anatomique ou structurelle, par contre les trois patients présentaient un trouble marqué de la myélinisation.

Devant la suspicion de maladie mitochondriale (d’origine primaire ou secondaire), chez le premier patient a été pratiquée une biopsie cutanée et musculaire, afin d’analyser les enzymes de la chaine respiratoire et déterminer la respiration cellulaire4). Ces analyses sont chronophages et sujettes à des influences pré-analytiques. Des facteurs qui peuvent donc en rendre difficile voire impossible la réalisation et/ou l’interprétation. Sur la base de la biopsie musculaire, chez notre patient un déficit mitochondrial a été considéré improbable4). Les analyses biochimiques des enzymes de la chaine respiratoire dans les cellules cutanées et musculaires ne permettent néanmoins pas ou rarement de poser un diagnostic définitif. En parallèle nous avons donc effectué des analyses génétiques détaillées4). Le caryotype s’est avéré normal (46 chromosomes, XY), ont aussi été exclues des anomalies structurelles des chromosomes et des délétions majeures par la CGH-array. Le séquençage d’exome trio du patient index et des deux parents révéla finalement une mutation du gène SLC16A2, qui se trouve sur le chromosome X et code le transporteur 8 de monocarboxylate (MCT8) 1,3,5).

Diagnostic

« Les analyses ayant duré plus de 16 mois, c’était d’une part finalement un soulagement de connaître un diagnostic. Nous avions une explication, une «maladie» et Dieu soit loué aussi des possibilités de traitement. D’autre part ce diagnostic faisait chanceler nos espoirs et on s’inquiétait pour le développement de notre enfant à plus long terme. »

Les mutations du gène SLCA16A2 occasionnent un déficit en MCT8, qui joue un rôle essentiel dans le transport des hormones thyroïdiennes à travers la barrière hémato-encéphalique et son assimilation par certains neurones5). Le tableau clinique est caractérisé par une hypothyroïdie centrale et une thyréotoxicose périphérique. Les mécanismes de feedback n’étant plus fonctionnels en raison du déficit en MCT8, la TSH n’est pas supprimée malgré une T3 périphérique augmentée, la thyroïde sécrète donc des quantités inadéquates d’hormones thyroïdiennes. La T3 très élevée en périphérie pénètre dans les cellules périphériques (foie, cœur, muscles, reins etc.) indépendamment du MCT8. Dans les tissus périphériques a lieu aussi une transformation accrue de T4 en T3 par l’augmentation compensatoire de l’activité de la désiodinase.

« Le diagnostic a été posé lorsque notre fils avait 10 mois. Beaucoup de sentiments se sont bousculés dans nos têtes. D’une part le soulagement d’avoir trouvé le déficit et l’espoir de pouvoir faire quelque chose. Ce qui nous a fait peur, c’est qu’il s’agit d’un déficit rare avec lequel on n’a pas beaucoup d’expérience. L’espoir renaquit lorsqu’on nous a parlé de la possibilité de traitement par Triac6). Nous avons eu la certitude qu’il y a des experts internationaux du déficit en MCT8 à Rotterdam et qu’une étude clinique a été publiée récemment,5,6). Ce qui est important, c’est que tout soit documenté exactement.  Nous espérons aussi que les conclusions de cette étude seront utiles également à d’autres enfants. »

Traitement

Il n’existe actuellement pas de traitement causal. Le traitement s’oriente aux possibilités thérapeutiques des différents symptômes et nécessite une équipe multidisciplinaire (médecin généraliste et pédiatre, spécialiste du métabolisme, endocrinologue, neurologue, gastroentérologue, diététicienne, cardiologue, pneumologue, infectiologue, physiothérapeute, spécialiste en réhabilitation et en éducation précoce, orthophoniste, assistant social, pharmacien, conseil juridique etc.). Par différentes mesures on tente d’agir sur l’hypotonie musculaire généralisée, la spasticité et les troubles moteurs extrapyramidaux. Le retard de croissance staturopondéral nécessite des conseils diététiques et souvent une alimentation entérale par gastrostomie.  Plus de 20% des patients développent avec le temps des crises épileptiques, nécessitant un traitement spécifique5). La substitution des hormones thyroïdiennes en raison du déficit en MCT 8 est potentiellement dangereuse pendant l’enfance et contre-indiquée à cause d’une possible accentuation de la dysthyroïdie.

En 2019 a été publiée une étude clinique internationale et multicentrique prometteuse avec l’acide triiodothyroacétique (Triac), un analogue de la T36). Des informations plus détaillées se trouvent dans le résumé ci-dessous et les différentes références, notamment l’excellente étude clinique mentionnée de Groeneweg et al. du Erasmus Medical Center à Rotterdam. Les trois patients de la Clinique pédiatrique universitaire de l’Hôpital de l’Île à Berne bénéficient du traitement par Triac. Il s’agit d’un traitement expérimental, non autorisé en Suisse, pour lequel nous avons sollicité une autorisation et qui est pris en charge par l’Assurance Invalidité.  Les trois patients sont inclus dans un «named patient program» et leur traitement se fait selon le protocole d’étude publié et en étroite collaboration avec les experts à Rotterdam.

« Je suis sûr à 100% que le traitement avec Triac a un effet positif. Les convulsions (crises d’opisthotonos avec hyperextension généralisée durant plusieurs heures) et les douleurs ont cessé. Il rit plus souvent, est content et son état général est meilleur. Les prises de sang régulières représentent une charge importante. Au moins un ou deux adultes doivent nous accompagner aux consultations. On fait avec parce qu’on souhaite le mieux pour le petit. »

« Jusqu’ici et depuis le début du traitement par Triac l’évolution n’est que positive. Il est néanmoins difficile de dire ce qui résulte exactement du Triac. Nous sommes tout simplement reconnaissants qu’il fasse des progrès ! Nous constatons que sa force et son endurance augmentent, qu’il produit plus de sons et qu’il fait actuellement aussi de formidables progrès avec la verticalisation. Il est très intéressé et son rayon s’élargit constamment. Les rendez-vous à l’Hôpital de l’Île sont pénibles, et comme les prises de sang ne réussissaient au début pas sans problèmes, ils étaient aussi épuisants. Les rendez-vous étant assez réguliers, cela permettait au moins d’organiser facilement la prise en charge des frères et sœurs. »

Déficit du transporteur 8 de monocarboxylate

Le transporteur 8 de monocarboxylate (MCT8) est un transporteur spécifique des hormones thyroïdiennes, essentiel pour le transport de T3 et T4 dans différents tissus, dont le cerveau1). Des mutations du gène codant le MCT 8 (gène SLC16A2 sur le chromosome Xq13.2) occasionnent un déficit en MCT8, nommé aussi le syndrome de Allan­ Herndon Dudley. La prévalence est estimée à environ 1:70’000 individus masculins5). Typiquement les enfants atteints présentent un retard du développement global et un retard de croissance staturopondéral dès les premières semaines de vie. Le déficit en MCT8 est caractérisé par des troubles neurocognitifs et moteurs sévères, dus à l’hypothyroïdie centrale. La thyréotoxicose périphérique chronique (excès en hormones thyroïdiennes) a des effets très variés et aux conséquences partiellement très lourdes (entre autres, retard de croissance staturopondéral, déshydratation, troubles du rythme cardiaque), ne pouvant être traitées de manière conventionnelle avec des médicaments antithyroïdiens. Une étude clinique internationale et multicentrique a montré en 2019 que le traitement par l’acide triiodothyroacétique (Triac) exerce un effet positif sur la thyréotoxicose périphérique et qu’un début précoce du traitement permet possiblement aussi d’améliorer la neurocognition6).

Take home message pour le pédiatre

Chez les nouveau-nés, nourrissons ou petits enfants avec un retard global du développement, une hypotonie musculaire, une absence de contrôle de la tête ou des mouvements dystoniques et des troubles de la neurocognition on devrait toujours penser, parmi les diagnostics différentiels, à un déficit en MCT8. Facile à déterminer et quasiment pathognomonique est le taux augmenté de T3 et abaissé de T4, la TSH étant normale (à la limite supérieure de la norme). Lorsque les taux des hormones thyroïdiennes évoquent un déficit en MCT8, le patient devrait être adressé à un centre spécialisé afin de confirmer le diagnostic par la génétique. Le traitement de substitution par Triac devrait être instauré, dans le cadre d’études cliniques, le plus tôt possible.

Références

1. Friesema EC, Ganguly S, Abdalla A, Manning Fox JE, Halestrap AP, Visser TJ. Identification of monocarboxylate transporter 8 as a specific thyroid hormone transporter. J Biol Chem 2003;278:40128-40135.

2. Friesema EC, Grueters A, Biebermann H, Krude H, von Moers A, Reeser M, et al. Association between mutations in a thyroid hormone transporter and severe X-linked psychomotor retardation. Lancet 2004;364:1435-1437.

3. Dumitrescu AM, Liao XH, Best TB, Brockmann K, Refetoff S. A novel syndrome combining thyroid and neurological abnormalities is associated with mutations in a monocarboxylate transporter gene. Am J Hum Genet 2004;74:168-175.

4. Hertig D, Felser A, Diserens G, Kurth S, Vermathen P, Nuoffer JM. Selective galactose culture condition reveals distinct metabolic signatures in pyruvate dehydrogenase and complex I deficient human skin fibroblasts. Metabolomics 2019;15:32.

5. Groeneweg S, van Geest FS, Abaci A, Alcantud A, Ambegaonkar GP, Armour CM, et al. Disease characteristics of MCT8 deficiency: an international, retrospective, multicentre cohort study. Lancet Diabetes Endocrinol 2020;8:594-605.

6. Groeneweg S, Peeters RP, Moran C, Stoupa A, Auriol F, Tonduti D, et al. Effectiveness and safety of the tri-iodothyronine analogue Triac in children and adults with MCT8 deficiency: an international, single-arm, open-label, phase 2 trial. Lancet Diabetes Endocrinol 2019;7:695-706.

Informations complémentaires

Traducteur:
Rudolf Schläpfer
Correspondance:
Conflit d'intérêts:
Les auteurs n'ont déclaré aucun lien financier ou personnel en rapport avec cet article.
Auteurs
Dr. med.  Alexander Lämmle Interdisziplinäres Stoffwechselteam Universitätsinstitut für Klinische Chemie und Abteilung für pädiatrische Endokrinologie, Diabetes und Stoffwechsel, Bern

PD Dr. med.  André Schaller Universitätsklinik für Humangenetik, Inselspital Bern

Nicola Rusca Universitätsklinik für Humangenetik, Inselspital Bern

Sandra Kurth Universitäts-Institut für Klinische Chemie Inselspital, Bern

Claudia Salvisberg Universitätsklinik für Kinderchirurgie und Kinderheilkunde, Inselspital Bern

Dr. med.  Katharina Fuhrer Kradolfer Neuropädiatrie, Kinderarztpraxis mit Herz, Bern

Dr. med.  Corinne Wyder KurWerk, Medizinisches Zentrum, Kinder- und Jugendmedizin, Burgdorf