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Marqueurs biologiques et diagnostic du trouble de déficit d’attention/hyperactivité

Dans la pratique quotidienne le processus diagnostique est exigeant et laisse beaucoup d’espace à l’interprétation. Un marqueur biologique fiable (un « test-TDA/H ») serait donc bienvenu.

Prise de position de la Société Suisse de Pédiatrie (SSP) et de la Société de psychiatrie et psychothérapie de l’enfant et de l’adolescent (SSPPEA)

Daniel Brandeis 1,2, Reto Huber 1,3, Susanne Walitza 1,*, Oskar Jenni 3,*

1 Klinik für Kinder- und Jugendpsychiatrie und Psychotherapie (KJPP), Universität Zürich, Neumünsterallee 9,
  CH-8032 Zürich

2 Klinik für Kinder- und Jugendpsychiatrie und Psychotherapie; Zentralinstitut für Seelische Gesundheit, 
  Medizinische Fakultät Mannheim/Universität Heidelberg, D-68159 Mannheim

3 Abteilung Entwicklungspädiatrie, Kinderspital Zürich, Steinwiesstrasse 75, CH-8032 Zürich
* pour la SSP et la SSPPEA, derniers co-auteurs

Introduction

Le trouble de déficit d’attention/hyperactivité (TDA/H) est un des troubles du comportement les plus fréquents de l’enfant et de l’adolescent, considéré comme un trouble hétérogène au caractère multidimensionnel, ne pouvant être expliqué par une seule et unique étiologie spécifique 1-3). À l’heure actuelle et malgré de nombreuses études, la cause et la physiopathologie du TDA/H ne sont toujours pas entièrement élucidées. Il existe néanmoins des indices clairs en faveur d’une origine multifactorielle, incluant des éléments neurobiologiques, génétiques et psychosociaux 4).

En avril 2018 sont parues les nouvelles directives de l’Arbeitsgemeinschaft der Wissenschaftlichen Medizinischen Fachgesellschaften (AWMF) 5) pour le TDA/H, élaborées, dans un large consensus, entre les sociétés allemandes de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, de pédiatrie et de psychologie, à partir des recommandations actuelles, basées sur l’évidence, pour le diagnostic et le traitement du TDA/H. Dans ces directives est d’une part considéré incontournable, comme jusqu’ici, le diagnostic clinique minutieux par des professionnels selon les critères les plus récents du DSM-5 6) et ICD, et est d’autre part résumée de manière pondérée l’évidence des différents traitements. Le diagnostic consiste en un relevé détaillé des symptômes et des handicaps de l’enfant et de l’adolescent et une évaluation des troubles associés (comorbidités). Les symptômes cliniques doivent persister depuis au moins 6 mois, se manifester dans différentes situations et être signalées par plusieurs personnes. Selon les nouvelles directives, des examens complémentaires (p.ex. laboratoire, électroencéphalogramme) ne sont effectués que s’ils ont une pertinence pour la recherche d’éventuelles maladies somatiques sous-jacentes ou pour le diagnostic différentiel.

Marqueurs biologiques et diagnostic

Bien que la manière de procéder décrite dans les directives semble à première vue claire, dans la pratique quotidienne le processus diagnostique est exigeant et laisse beaucoup d’espace à l’interprétation 3). Un marqueur biologique fiable (un « test-TDA/H ») serait donc bienvenu. Sont effectivement apparus sur le marché, ces dernières années, plusieurs tests commerciaux avec des marqueurs biologiques pour le TDA/H. Ces offres promettent, malgré l’absence de recommandations dans les directives de l’AMWF, une amélioration, par des marqueurs biologiques (c.à.d. des mesures biologiques objectives en relation avec le trouble), du diagnostic ou du choix du traitement pour le TDA/H. De nombreuses méthodes déclarent une sensibilité et une spécificité élevées (certaines >80%) et utilisent différentes caractéristiques ou structures neurobiologiques, notamment une augmentation de l’activité lente ou de fractions lentes à l’EEG au repos 7) ou accessoirement une activité de l’EEG spécifiquement diminuée lors de tests d’attention 8) 9). D’autres procédés se basent sur des modèles de l’activité oculaire inhérente à un évènement ou sur la combinaison de mesures de l’activité motrice avec des tests neuropsychologiques 7) 10). Ces approches manquent pourtant de fondements scientifiques, les signes utilisés n’émanant pas de groupes ou d’études indépendants. Les échantillons étant de surplus petits, la précision de classification pour d’autres collectifs est surestimée 11). La validation et la transférabilité insuffisantes concernent aussi les méthodes prometteuses modernes de classification de modèles, qui utilisent de nombreux signes afin « d’apprendre » un moyen de discrimination optimal 8) 11-13). En Suisse aussi sont proposées de plus en plus des analyses par marqueurs biologiques, basant sur une batterie de tests avec EEG et évaluant des déviations statistiques de patients par rapport à des contrôles sains à l’aide d’une banque de données neurophysiologiques 8). Des anomalies de l’EEG spontané ou événementiel sont interprétées comme étant un trouble fonctionnel dans des réseaux localisés et sont souvent associées à des recommandations thérapeutiques médicamenteuses.

Critères pour marqueurs biologiques fiables

Est-ce que ces marqueurs biologiques peuvent être considérés fiables et peuvent-ils être admis pour le diagnostic et des recommandations thérapeutiques ou est-ce prématuré 14) ? Selon la World Federation of the Societies of Biological Psychiatry (WFSBP) et la World Federation of ADHD, avant une utilisation clinique fiable les marqueurs biologiques pour le TDA/H doivent remplir plusieurs critères 15). Le rapport étroit avec le trouble ne doit pas comporter uniquement des symptômes isolés mais tenir compte de l’atteinte d’un patient donné dans sa globalité. Il faut pour cela qu’une méthode diagnostique fiable, avec une sensibilité et spécificité au dessus de 80%, soit documentée par au moins deux études indépendantes, vérifiées et publiées dans des revues scientifiques reconnues. Enfin les marqueurs biologiques doivent être faciles d’emploi, fiables, reproductibles et économiques 15). Ces critères n’ont été remplis, à ce jour, par aucun marqueur biologique ou autre signe ou modèle d’imagerie (EEG inclus), et les études avec des échantillons plus grands n’atteignent en général qu’une précision discriminatoire de 60-80% 11), ce qui est insuffisant pour une application clinique.

Études relatives aux marqueurs biologiques du TDA/H

Les tests à base de marqueurs biologiques commerciaux ont en commun de ne jamais avoir été validés par des études indépendantes ni d’avoir amélioré, dans des études indépendantes, la précision diagnostique 10). Ils ne peuvent donc être recommandés pour  l’utilisation clinique. Malgré de gros efforts, l’utilité de marqueurs ou tracés électro-encéphalographiques n’a pu être confirmée pour le diagnostic du TDA/H. Des études indépendantes avec des candidats présentant des « marqueurs » neurophysiologiques ou à l’imagerie, montrent que le TDA/H n’est pas mis en évidence, malgré des écarts au niveau du groupe, de manière fiable dans le cas individuel, et ceci contrairement à ce qui est régulièrement affirmé. Cela a été constaté tant pour des signes isolés de l’activité cérébrale au repos (p.ex. une plus grande activité lente à l’EEG avec augmentation du rapport thêta/béta) 16) 17) que pour la combinaison de différents marqueurs au repos 13) et lors de tests de l’attention 17). De nombreux résultats plus anciens, utilisés cliniquement et à des fins de promotion commerciale, n’ont pas été reproduits dans des études récentes.

L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) montre bien, au niveau groupe et pendant les tests relatifs, des écarts dans des réseaux de la régulation de l’attention et des émotions. Mais même par le classement moderne de modèles, l’IRMf ne permet pas une prédiction clinique solide du TDA/H 12) 18). Certaines anomalies ne sont par ailleurs pas spécifiques du TDA/H mais se manifestent aussi lors d’autres troubles 18).

Malgré cela certaines études montrent des résultats intéressants sur le plan scientifique. On observe par exemple que de nombreux marqueurs dépendent fortement du développement; ainsi l’âge de l’enfant se laisse assez facilement reconnaître à partir de marqueurs tels la diminution des éléments lents à l’EEG au repos 16) 17), alors qu’une augmentation lors de TDA/H n’apparaît que dans certains groupes distincts 16) 19). Au regard du développement cérébral et comportemental, ces résultats peuvent contribuer à la compréhension de ce trouble hétérogène aux multiples facettes ; ils ne sont par contre d’aucune utilité diagnostique.

Plus utile que la recherche de marqueurs biologiques diagnostiques pour ce trouble hétérogène et multidimensionnel qu’est le TDA/H, est peut-être la recherche de marqueurs biologiques pronostiques pouvant prédire l’évolution et le succès thérapeutique du TDA/H. De tels marqueurs biologiques seraient particulièrement importants pour l’évaluation préalable du résultat de traitements du TDA/H lourds en temps et coûts, comme p.ex. le neuro-feedback. Contrairement à certaines affirmations, il n’existe à ce jour pas non plus de résultats cohérents concernant les marqueurs biologiques pronostiques. En effet une étude récente d’une certaine envergure a montré, à l’encontre de ce qui était supposé auparavant, que des parties lentes de l’EEG ne prédisent pas de manière fiable l’effet thérapeutique d’une médication et que d’autres marqueurs d’un ralentissement du tracé ne permettent qu’une prédiction limitée pour certains sous-groupes 20). En d‘autres termes: aucun marqueur biologique ne contribue actuellement de manière fiable aux recommandations thérapeutiques et donc à personnaliser le traitement clinique du TDA/H. Des résultats tout aussi décevants se rencontrent par exemple pour le pronostic, au moyen de marqueurs biologiques (EEG), de l’effet thérapeutique de la dépression chez l’adulte 21).

Marqueurs biologiques et directives

Suite à ces résultats décevants les marqueurs biologiques ne sont pas mentionnés dans les directives de l’AWMF pour le TDA/H publiées en avril 2018 5). On y fait allusion uniquement dans la version intégrale des directives sous le titre « De plus amples recherches sont nécessaires dans les domaines étiologie et diagnostic » (p. 20 dans 5)). Cela correspond aussi à ce qu’on trouve dans d’autres manuels diagnostiques comme le DSM-5 revu en 2015, où il est explicitement écrit «No biological marker is diagnostic for ADHD» (p. 61 dans6)), bien qu’on y évoque des signes biologiques chez des patients TDA/H au niveau groupe (mais pas dans le cas individuel). Dans la publication du ICD-11 on ne trouve aucune mention de marqueurs biologiques.

Avenir des études sur les marqueurs biologiques

Le souhait d’abréger et asseoir le diagnostic clinique et le traitement complexes du TDA/H par des marqueurs biologiques est compréhensible. Toutefois cela a amené à des offres de marqueurs biologiques qui ne doivent, d’après nos connaissances actuelles, pas être utilisés cliniquement. Il n’existe à ce jour en Suisse aucun marqueur biologique officiellement autorisé pour le TDA/H.

Des marqueurs biologiques ne doivent être utilisés dans la pratique quotidienne que s’ils sont certifiés par des études 1) effectuées selon les règles internationales et selon les aspects éthiques et scientifiques de la bonne pratique (GCP, good clinical practice), 2) enregistrées en tant qu’études cliniques ayant été 3) validées de manière indépendante par des études d’autres groupes de chercheurs ayant 4) publié les résultats dans des revues scientifiques certifiées et reconnues et enfin ayant 5) clairement déclaré leurs intérêts commerciaux.

Peut-être qu’à l’avenir les marqueurs biologiques ne joueront qu’un rôle mineur dans le diagnostic du TDA/H. En effet le National Institute of Mental Health (NIMH) américain soutient pour les troubles du développement, en lieu et place de la recherche spécifiquement orientée sur le diagnostic, de plus en plus la nouvelle approche par des disciplines orientées vers la neurobiologie (Research Domain Criteria, RDoC) 22). On y décrit plus précisément, notamment pour l’évolution et la prédiction des effets thérapeutiques, certains domaines développementaux (l’attention, le contrôle cognitif, les processus sociaux, les compétences motrices, etc.), en mettant moins l’accent sur les catégories diagnostiques.

Conclusion

Il n’existe toujours et encore pas de méthode biomédicale fiable pour le diagnostic et l’évaluation du traitement du patient TDA/H au niveau individuel. Le TDA/H ne peut donc être diagnostiqué ni le traitement choisi à l’aide d’un marqueur biologique. Le TDA/H demeure un diagnostic clinique.

Références

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  2. Faraone SV, Asherson P, Banaschewski T, Biederman J, Buitelaar JK, et al. ADHD. Nature Reviews Disease Primers, 2015; 15027. doi:10.1038/nrdp.2015.27
  3. Jenni O. Aufmerksamkeitsdefizit-/Hyperaktivitätsstörung. Warum nicht ADHS-Spektrum? Monatsschrift für Kinderheilkunde 2016;164, 271-7
  4. Hinshaw SP. Attention Deficit Hyperactivity Disorder (ADHD): Controversy, Developmental Mechanisms, and Multiple Levels of Analysis. Annu Rev Clin Psychol 2018;14:291-316
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  9. Müller A, Candrian G, Kropotov JD. ADHS – Neurodiagnostik in der Praxis. Berlin, 2011: Springer.
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Informations complémentaires

Traducteur:
Rudolf Schlaepfer
Correspondance:
Conflit d'intérêts:
Les auteurs n’ont déclaré aucun lien financier ou personnel en rapport avec cet article.
Auteurs
Prof. Dr. sc. nat.   Daniel Brandeis Zürich

Prof. Dr. sc. nat.  Reto Huber Zürich

Prof. Dr. med.  Susanne Walitza Klinik für Kinder- und Jugendpsychiatrie und Psychotherapie, Psychiatrische Universitätsklinik Zürich, Universität Zürich & Zentrum für Neurowissenschaften Zürich, Universität und ETH Zürich

Prof. Dr. med.  Oskar Jenni Abteilung Entwicklungspädiatrie, Universitäts-Kinderspital Zürich, Steinwiesstrasse 75, 8032 Zürich