Aux soins intensifs de pédiatrie du CHUV, nous avons été confrontés récemment à des maladies invasives à pneumocoques (MIP) extrêmement sévères, chez des enfants vaccinés par Prevenar 13® (PCV13) selon le plan de vaccination suisse. Ces différentes situations (nous allons brièvement vous raconter 3 d’entre elles) nous ont beaucoup interpellés et inquiétés quant à la possibilité d’émergence de sérotypes de remplacement suite à l’introduction du PCV13.
I I
AbréviationsMIP Mala dies invasives à pneumocoques
P C V13 23 -valent Pneumococcal Polysaccharide
Vac
cine
PCV
Pn
eumococcal Conjugate Vaccine
SHU
Sy
ndrome Hémolytique Urémique
Intro\buction
Aux soins intensifs de pédiatrie du CHUV,
nous avons été confrontés récemment à des
maladies invasives à pneumocoques (MIP\b
extrêmement sévères, chez des enfants vac –
cinés par Prevenar 13
® ( PCV13\b selon le plan
de vaccination suisse. Ces différentes situa –
tions (nous allons brièvement vous raconter
3 d’entre elles\b nous ont beaucoup interpellés
et inquiétés quant à la possibilité d’émer-
gence de sérotypes de remplacement suite à
l’introduction du PCV13.
Situations cliniques
Première situation
Il s’agit d’une fillette de 2 ans hospitalisée
pour une pneumonie sévère acquise dans la
communauté, compliquée d’une bactériémie,
qui développe un syndrome hémolytique et
urémique (SHU\b induit par \b. pneumoniae
(sérotype 3\b, nécessitant une dialyse périto –
néale et une longue intubation.
Deuxième situation
Il s’agit d’un nourrisson de 9 mois qui pré-
sente un choc septique avec méningite à \b.
pneumoniae (sérotype 24\b, se compliquant
d’une défaillance multiorganique et d’un pur –
pura fulminans. Après une longue intubation
et une hémofiltration, Il est amputé de 3 de
ses membres en raison de nécroses impor –
tantes.
Troisième situation
Le der nier patient est un gar çon de 7 mois qui
présente un état de mal convulsif suite à une méningite à
\b. pneumoniae (sérotype 33\b,
nécessitant la pose temporaire d’une dériva –
tion ventriculo-externe. L’enfant garde des
sé
qu
elles sous forme d’une parésie du
membre supérieur gauche ainsi qu’une sur –
dité neurosensorielle unilatérale.
Ces trois enfants étaient tous vaccinés se
–
lo
n le calendrier vaccinal suisse et avaient
reçu un minimum de 2 doses de PCV13. Ils
n’avaient pas d’autre pathologie associée,
notamment pas de déficit immunitaire connu.
Rappel microbiologique et clinique
Le pneumocoque (\btreptococcus pneumoniae-
\bp) est un cocci gram positif qui se présente
sous forme de diplocoques ou de courtes
chainettes. Il existe plus de 90 polysaccha-
rides de surface distincts définissant des sé –
rotypes (un chiffre et une lettre, par ex: 6A\b,
avec des similarités antigéniques les rassem –
blant en sérogroupes (un chiffre, ex: 6A et
6B \b . C es p olysacchar ides de sur face sont des
facteurs importants pour la virulence et le
potentiel invasif de la bactérie.
\bp est un colonisant habituel du naso-pha –
rynx, et ce dès les premier mois de vie. Les
infections font généralement suite à la co
–
loni
sation par un nouveau sérotype, sans que
le facteur déclenchant exact soit clairement
établi
1\b.
Ce germe est la cause d’infections non inva-
sives comme des otites moyennes aiguës et
des sinusites mais est aussi responsable de
maladies sévèr es , r eg roup ées sous le nom de
maladies invasives à pneumocoques (MIP\b qui
sont des infections documentées par la mise
en évidence du \bp dans un site normalement
stérile, telles que les bactériémies (occultes
ou non\b, les pneumonies compliquées ou non
d’un empyème ou les méningites. Contraire –
ment au grand enfant et à l’adulte, chez qui la
consolidation lobaire est la présentation ra –
diologique la plus fréquente de la pneumonie
à pneumo co que, elle p eut chez les plus p etit s
prendre l’aspect d’une bronchopneumonie
avec infiltrat alvéolaire unique ou multiples.
Les pneumonies compliqués par un empyème ou un abcès pulmonaire sont principalement
dûes au
\bp et semblent êtr e en aug ment ation.
Historique \be la vaccination
En 1977, le premier vaccin polysaccharidique
(Pneumococcal Polysaccharides Vaccine-
PPV\b contre le pneumocoque est mis sur le
marché aux États-Unis. Il couvrait initialement
14 sérotypes. En 1983, il est remplacé par
PPV23 (Pneumovax
®\b. En raison de sa com-
position faite uniquement de polysaccharides
capsulaires purifiés, il engendre une réponse
immune de type T-indépendante, faisant in –
tervenir uniquement les lymphocytes B,
moins complète et moins durable qu’une ré –
ponse T- dépendante. De plus, il ne permet
pas le développement d’une immunité mé –
moire, engendre une hyporéponse lors de
l’administration des doses de rappel et son
immunogénicité est faible voire absente chez
les enfants de moins de 2 ans. Par ailleurs, il
ne modifie pas le portage naso -pharyngé.
En Suisse, le premier vaccin conjugué contre
les pneumo co ques , le P r evenar 7
® ( P CV 7\b est
introduit en 2001 chez les enfants à risque.
Ce vaccin est lui aussi composé de polysac-
charides capsulaires, mais ces derniers sont
liés à une protéine (CRM197, variante non
toxique de la toxine de C. diphteriae\b. Cette
glucuroconjugaison permet une réponse im –
munitaire dépendante des lymphocytes T,
entrainant la maturation des lymphocytes B
et ainsi une immunité mémoire. Ce vaccin est
également ef ficace chez les enfant s de moins
de 2 ans. En 20 06, le P CV 7 intèg r e la lis te des
vaccinations complémentaires pour les en –
fants de moins de 5 ans en Suisse. En 2006,
ce vaccin couvrait 60
% d
es souches invasives
de pneumocoque chez l’enfant de moins de
2 ans, en Suisse. L’introduction du vaccin a
permis une diminution de moitié des infec –
tions invasives à pneumocoques dans cette
tranche d’âge. Cependant, le nombre de sou
–
che
s non vaccinales a fortement augmenté,
de telle sorte que le PCV7 ne couvrait plus
que 16
% d
es souches de pneumocoques inva –
sives en 2011, chez l’enfant de moins de 2
ans. Il est donc logiquement remplacé par le
P CV13, fin 2010, ce qui a p er mis d ’aug menter
la couverture des souches invasives de 16
%
à 6
1
% c
hez l’enfant de moins de 2 ans. Cette
couverture a également augmenté, de 8
% à
8
0
% ,
chez les enfants de 2 à 4 ans, pour les-
quels, malheureusement, la vaccination par le
PCV7 n’avait pas permis de diminuer l’inci-
dence des maladies invasives à pneumo –
coques
2\b.
Maladies invasives à pneumocoques
à l’ère du Prévenar
®
Gradoux E a\b, Kyprianidou S a\b, Asner S b\b, Crisinel PA b\b, Perez MH c\b, Lausanne
a) Département médico-chirurgical de pédiatrie, CHUV
b ) Un ité d’infectiologie et vaccinologie pédiatrique,
Département médico-chirurgical de pédiatrie, CHUV
c )
Uni
té de soins intensifs pédiatriques, Département
médico-chirurgical de pédiatrie, CHUV
RédacticcoéactcctnAr
RédactiéonAéotiore
I J
En conclusion, pour le pédiatre, il est indis-
pensable de continuer à vacciner les enfants
contre les MIP. Cependant, malgré une excel-
lente efficacité du PCV13, il est important de
ne pas considérer que la vaccination protège
à 100
% c
ontre les MIP, qui restent une cause
importante de morbi-mortalité, en particulier
dans la première année de vie.
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Correspondance
Dre Eugénie Gradoux
Département medico-chirurgical de pédiatrie
CHUV
1011 Lausanne
eugenie.gradoux@chuv.ch
Les auteurs certifient qu’aucun soutien finan –
cier ou autre conflit d’intérêt n’est lié à cet
article.
entre 5 et 10
% d
es SHU de l’enfant sont liés
à une infection par un pneumoco que, et l ’inci –
dence du SpSHU est estimée entre 0,4 et
0,6
% .
La physiopathologie du SpSHU semble
impliquer le cryptantigène de Thomsen-Frie –
denreich, présent à la surface des érythro –
cytes, plaquettes, cellules glomérulaires et
hépatocytes mais non-exposé en temps nor –
mal. Le pneumocoque produit une enzyme,
la neuraminidase, qui clive l’acide N-acétyl
–
neur
aminique des glycoprotéines de surface,
exposant ainsi l’antigène de Thomsen-Frie –
denreich. Ce dernier interagit alors avec des
IgM préformées, ce qui provoque une agglu-
tination, une hémolyse et des lésions endo –
théliales
6\b.
Les principaux sérotypes impliqués jusqu’
alors dans des spSHU sont couverts par le
PCV13. On retrouve une augmentation de
l’incidence relative du sérotype 19A après
l’introduction du PCV7 ainsi qu’une associa –
tion du SpSHU avec le sérotype 3
7\b.
Discussion
Deux de nos 3 patients ont souffert d’une
infection avec un sérotype non inclus dans
le PCV13.
Bien que le sérotype 24 soit possiblement un
sérotype émergent dans les MIP chez les en –
fants vaccinés, si l’on en croit deux grandes
études européennes (France, Angleterre\b qui
rapportent une prévalence d’environ 20
%8 \b , 9 \b ,
cette observation n’est pas confirmée dans
d’autres contextes épidémiologiques où au –
cun sérotype émergent n’est clairement mis
en évidence.
Le sérotype 33 n’est lui pas spécialement
retrouvé comme pourvoyeur de MIP.
La première patiente a présenté une infection
à sérotype 3 alors qu’elle était adéquatement
vaccinée et que ce sérotype est inclus dans le
PCV13. Cet échec vaccinal peut être expliqué
par une immunogénicité sous-optimale du sé –
rotype 3 qui apparaît être le moins immuno –
gène des 13 sérot y p es inclus dans le P CV13
10 \b.
La stratégie de vaccination actuelle permet
indéniablement la diminution des maladies
invasives à pneumocoques. Cependant, par le
remplacement capsulaire que cela engendre,
il n’est pas possible d’envisager l’éradication
complète des infections invasives à pneu
–
mo
coque. Une surveillance microbiologique
permettant l’identification des éventuels
nouveaux sérotypes de remplacement est
nécessaire afin d’orienter l’évolution des
stratégies de vaccination et le développement
de nouveaux vaccins.
Effets \be la vaccination
sur les mala\bies invasives
à pneumocoques
Les vaccins conjugués contre le pneumo –
coque ont fait preuve d’un impact important
par une diminution du portage nasopharyngé
des sérotypes vaccinaux, entrainant une
nette diminution des infections chez les en –
fants vaccinés et une immunité de groupe
(diminution des MIP chez la population non
vaccinée\b.
En Suisse, après l’introduction du PCV7,
l ’O f fice fédér al de la santé publique r app or t ait
une diminution de moitié des MIP chez les
enfants de moins de 2 ans, avec un recul de
85
% p
our les maladies causées par un séro –
type inclu dans le vaccin
3\b. Néanmoins, on a
rapidement retrouvé un phénomène de rem –
placement par lequel la proportion de cer –
tains sérotypes non-vaccinaux a augmenté en
parallèle avec la diminution des sérotypes
vaccinaux
4\b. En A mér ique du Nor d et dans une
moindr e mesur e en Eur op e, un des sér ot y p es
de remplacement principal était le 19A, qui
présente de multiples résistances antibio –
tiques
4\b. Les sérotypes additionnels inclus
dans le PCV13 ciblent donc ces sérotypes
émergents.
Dans une large étude américaine
5\b (plus de
30’000 prélèvements\b, la réduction des MIP
dues aux sérotypes supplémentaires inclus
dans le PCV13 s’élève à 93
% c
hez les enfants
de moins de 5 ans et est principalement expli –
quée par une diminution des sérotypes 19A et
7F. Les auteurs retrouvent une immunité de
groupe et ne constatent pas de sérotype de
remplacement clairement émergent. De plus,
ils rapportent une diminution des résistances
antibiotiques de plus de 50
% ,
largement liée
a la baisse du nombre de sérotypes 19A. Ils
estiment que l’introduction du PCV13 aux
Etats Unis a permis d’éviter environ 10’000
MIP chez les enfants et 20’000 chez les
adultes, ainsi que 3000 décès (97
% c
hez les
adultes\b dans les 3 ans suivant l’introduction
du vaccin. La répartition des MIP, dans cette
étude, semble se modifier légèrement, le
nombre de pneumonies passant de 43 à 39
% ,
les bactériémies restant stables et le nombre
de méningites augmentant de 9 à 13
% .
Le cas \bu syndrome hémolytique et
urémique associé à S. pneumoniae
(SpS\bU)
Le SHU est classiquement lié à une infection
à E.coli produisant une shigatoxine. Pourtant,
1Prof. ffRPof.ff.Tab
1Prof. PRTaPR. Rbi
Informations complémentaires
Auteurs
Gradoux Eugénie , Département medico-chirurgical de pédiatrie, CHUV Kyprianidou S. PD Dr med. Sandra Asner , Unité d'infectiologie et de vaccinologie, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois et Université de Lausanne Crisinel PA. Dr. med. Marie-Hélène Perez , CHUV centre hospitalier universitaire vaudois, Lausanne