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L’hypnose dans la consultation pédiatrique

La transe naturelle est un état de conscience qui permet aux enfants d’avoir recours à leur vécu et à leurs propres ressources disponibles.

Introduction

En général les enfants et les adolescents viennent à la consultation pédiatrique au sujet de maladies internes ou chirurgicales, pour lesquelles la médecine moderne met à notre disposition des médicaments ou des interventions efficaces. De plus en plus on évoque toutefois des troubles tels la peur avant un examen, le manque d’estime de soi, des situations de stress ou des troubles fonctionnels, et les jeunes patients respectivement leurs parents souhaitent une amélioration de la faculté d’agir, pour pouvoir maîtriser de manière autonome les multiples défis de la vie quotidienne. Bien qu’efficaces, les moyens pédiatriques classiques atteignent alors souvent leurs limites. Dans ce contexte j’aimerais présenter l’hypnose en tant qu’option thérapeutique élargie et aborder la question,  dans quelle mesure elle peut s’avérer utile dans le quotidien de la consultation pédiatrique.

Les enfants et adolescents amènent leur capacité naturelle à entrer en transe dans le champ d’expérience qu’est le cabinet pédiatrique. Ils s’y trouvent confrontés à des défis spécifiques en lien avec les interventions médicales. Comment les aider à mettre à profit leur capacité naturelle à entrer en transe ? Quelles stratégies permettent au pédiatre de tirer avantage de la transe naturelle ? Comment faire en sorte que le cabinet pédiatrique soit vécu comme un espace sûr, où de nouvelles expériences amènent à plus d’autonomie et capacité d’agir ?

La transe naturelle est un état de conscience qui permet aux enfants d’avoir recours à leur vécu et à leurs propres ressources disponibles. Les enfants plongent dans les expériences vécues pour explorer, par l’imagination, différents options ou scénarios pouvant s’avérer utiles 1). La transe naturelle, comme on l’observe dans le contexte médical, prend dès lors le caractère d’une stratégie d’autonomie dont les enfants se servent lorsqu’ils sont exposés à des expériences nouvelles et potentiellement dangereuses. On peut le comprendre comme une tentative spontanée et inconsciente de l’enfant de classer d’abord les expériences, pour les ajuster ensuite aux domaines partiels de la faculté d’autorégulation (cognitive, affective/émotionnelle, physiologique, comportementale) 2). Pendant la transe, l’attention est focalisée de sorte que se manifestent des phénomènes d’absorption, de dissociation et/ou d’association. Ces phénomènes sont identiques à ceux d’une transe thérapeutique. Dans la pratique pédiatrique les transes spontanées, pendant lesquelles les enfants écoutent attentivement et sont réceptifs aux suggestions, se prêtent aux interventions hypnotiques ciblées. Nous les appellerons ici interventions hypnotiques courtes. L’utilisation de ce terme nous permet de distinguer les interventions hypnotiques courtes des consultations d’hypnose thérapeutique formelles.

Pendant la consultation médicale les enfants montrent en outre des stratégies de défense qu’on peut interpréter comme des capacités à l’autohypnose 2). Le fait d’explorer intensément une crécelle avec la bouche, de s’adonner minutieusement au jeu séquentiel ou symbolique avec la maison de poupées dans la salle d’attente, de se concentrer sur un dessin pendant un examen préventif ou de se plonger dans un jeu sur son smartphone, sont des exemples de cette capacité naturelle à l’autohypnose. Et on peut apprendre aux enfants à utiliser des aptitudes à l’autohypnose comme une ressource dans le contexte d’interventions médicales et en tant que stratégie thérapeutique lors de maladies.

La transe thérapeutique, appliqué dans la consultation hypnothérapeutique, s’adresse aux maladies les plus variées. Une formation solide en hypnothérapie est une condition essentielle pour pouvoir proposer des consultations hypnothérapeutiques.

Le premier pas vers une utilisation efficace de l’hypnose au cabinet pédiatrique, consiste à reconnaître les états de transe spontanée, indépendamment des circonstances pendant lesquelles ils se manifestent lors d’une consultation. On peut alors les mettre à profit en tant que des moments de transe naturelle. Nous présenterons ici brièvement l’histoire de l’hypnose pédiatrique, la définition de l’hypnose et ses fondements neurobiologiques. La partie principale sera consacrée au langage hypnotique, aux interventions hypnotiques courtes et à l’hypnothérapie dans le cadre de la consultation pédiatrique. Pour terminer, des précisions sur les conditions pour réussir une hypnose et les possibilités de formation.

Histoire de l’hypnose

Les transes rituelles (lat. transire, franchir, dépasser, aller au-delà), induites par des mouvements rythmiques, des danses, la musique ou le chant et des exercices de méditation, ont une longue tradition dans les civilisations anciennes et modernes. Des enfants participent aussi à ces cérémonies et cultes, notamment lors de rites initiatiques.

Kohen et Olness 1) décrivent dans le détail, quels médecins renommés ont marqué le développement de l’hypnose dans l’Europe du 18ème et 19ème siècle, alors que Kohen et Kaiser 3) présentent une vue d’ensemble très complète des jalons de l’hypnose pédiatrique. Au milieu du 20ème siècle, Milton Erickson, fondateur de l’ l’hypnothérapie orientée sur les ressources, donne un premier élan à l’hypnose pédiatrique. Erickson accorda une attention toute particulière à la capacité naturelle des enfants à entrer en transe et mentionne les possibilités de l’activer et les ressources potentielles inhérentes. Depuis les années 1970 l’intérêt pour l’hypnose pédiatrique grandit constamment aux USA. La Stanford Children’s Hypnotic Susceptibility Scale, qui mesure la réceptivité hypnotique des enfants, a été développée. Le nombre de publications augmente régulièrement.  Karen Olness a implémenté l’hypnose pédiatrique dans la pratique clinique quotidienne et fait des recherches sur son application clinique. Elle est considérée aujourd’hui comme la mère de l’hypnose pédiatrique 3). Daniel Kohen est un autre pionnier remarquable. Il est actuellement avec Pamela Kaiser, une experte mondialement reconnue en hypnose pour les angoisses de l’enfant, codirecteur du National Pediatric Hypnosis Training Institute (NPHTI). Son manuel de l’hypnose pédiatrique, édité avec la co-auteure K. Olness, est considéré une œuvre standard 1). Leora Kuttner, auteure 4) et cinéaste canadienne, a également beaucoup contribué, avec ses publications sur le développement de techniques d’hypnose efficaces contre les douleurs aiguës et chroniques, aux progrès de l’hypnose pédiatrique.

Qu’en est-il de l’hypnose pédiatrique aujourd’hui en Europe et en Suisse ? Les Pays Bas jouent un rôle de précurseurs par l’implémentation de l’hypnose au niveau national. L’hypnose y est pratiquée p.ex. en tant que thérapie de premier choix pour le traitement de douleurs abdominales fonctionnelles. Le groupe de Vlieger à Utrecht a montré dans une étude à double aveugle que l’hypnothérapie centrée sur l’intestin est très efficace, comparée au traitement standard, pour réduire l’intensité et la durée des douleurs. Ont été examiné des enfants de 8 à 18 ans avec des douleurs abdominales fonctionnelles ou un syndrome du colon irritable. Le succès thérapeutique persistait après une année (85% dans le groupe avec hypnothérapie vs. 25% dans le groupe avec thérapie standard) 5). En Suisse alémanique ce sont Susy Signer-Fischer, psychologue pour enfants et adolescents, et le pédiatre Thomas Gysin (1936-2018), qui ont reconnu très tôt les possibilités thérapeutiques de l’hypnose en pédiatrie. La deuxième partie de leur livre « Der kleine Lederbeutel mit allem drin: Hypnose mit Kindern und Jugendlichen » 6) est vouée à l’hypnose en consultation pédiatrique. La popularité de l’hypnose augmente actuellement dans les cabinets pédiatriques, sa valeur en tant que mesure complémentaire à la médecine conventionnelle étant reconnue. Parallèlement l’hypnose est utilisée aussi de plus en plus en milieu hospitalier. À mentionner que l’Hôpital universitaire de Genève a débuté en 2017, sous la direction de Claire-Anne Sigrist et Adriana Wolff, un vaste et unique programme de formation en hypnose pour le personnel médical.

Définition

Il n’existe ni de définition universellement reconnue ni scientifiquement validée de l’hypnose. Des éléments caractérisant l’hypnose sont une limitation passagère de l’attention, une concentration accrue, un relâchement mental, une modification de la perception, l’absence de pensée critique-analytique et la faculté d’assimiler des suggestions.

À partir d’une perspective clinique,  Kohen et Olness 1) définissent l’hypnose et les expériences hypnotiques de la façon suivante :

L’hypnose est un état de conscience alternatif, spontané ou induit (avec ou sans relaxation, manifeste ou non), pendant lequel l’individu développe une concentration centrée sur une idée ou une image, avec le but explicite de maximisation de son potentiel, d’obtenir un changement et/ou une réduction ou la résolution d’un problème.

Leur définition souligne expressément que l’individu est seul détenteur compétent de ressources. L’hypnose soutient le détenteur de ces ressources dans le redécouverte du potentiel de solutions inhérent à ses ressources et à l’orienter de sorte à parvenir à des expériences de réussite et d’auto-efficacité.
Revenstorf 7) décrit l’hypnothérapie comme étant :

Un procédé psychothérapeutique qui utilise la transe hypnotique en tant qu’état de conscience modifié afin de permettre des changements de comportement, d’établir de nouveaux liens entre structures de pensée, de corriger des attitudes et comportements, de modifier (minimiser, renforcer, reconditionner) des schémas affectifs, de reconstruire des événements émotionnels et des sentiments, et de favoriser des modifications physiologiques/biochimiques à la faveur de processus de guérison.

Il décrit que l’hypnothérapie fait appel à des contenus cognitifs, émotionnels, comportementaux et physiologiques.

Bases neurobiologiques

Il est prouvé que l’hypnose n’est pas identique au sommeil. Les enregistrements EEG de l’activité cérébrale montrent que pour l’état de veille détendu de l’hypnose sont caractéristiques majoritairement des ondes alpha à amplitude brève, alors que pour le sommeil sont typiques les ondes lentes delta et thêta à faible amplitude 8).
La recherche sur la transe s’est longtemps préoccupée de la question à savoir si un état hypnotique et les réactions à des suggestions hypnotiques ne correspondent qu’à un vécu subjectif de courte durée ou bien s’ils fondent sur des mécanismes neuronaux et des modifications plastiques du cerveau. L’utilisation de techniques d’imagerie modernes, dynamiques du cerveau, comme l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) et la tomographie par émission de positrons (PET), ont permis une importante percée dans la représentation de la neuroplasticité corticale qui se produit pendant l’hypnose. Ainsi la suggestion hypnotique de percevoir un graphique gris en couleur a occasionné une augmentation significative bilatérale de l’activité dans le gyrus fusiforme et dans deux noyaux du cortex cingulaire antérieur 8).

Des suggestions proposées pour moduler l’intensité ou le désagrément d’une douleur, induisent des modifications spécifiques du flux sanguin cérébral dans le cortex somato-sensoriel et le cortex cingulaire antérieur 9). Ces résultats, parmi d’autres, des neurosciences cognitives et des examens fonctionnels du cerveau mettent en évidence que pendant l’hypnose ont lieu des processus neurophysiologiques spécifiques.

Langage hypnotique

Dès qu’un pédiatre emploie efficacement des éléments d’hypnose au bénéfice de ses patients, sa conscience langagière se modifie parce qu’il réalise quels éléments langagiers sont efficaces et permettent d’ouvrir aux enfants et adolescents des options de coopération. Il saisit l’importance du langage en tant qu’instrument thérapeutique et élément clé de l’hypnose. Sa sensibilité pour la langue s’accroit régulièrement. Il change les formules, les types d’expression, en remplaçant des termes négatifs ou potentiellement blessants par des formules constructives, induisant et favorisant une progression.

L’adoption d’un langage ciblé, attentif, qui transmet des suggestions positives, orientées sur les compétences (« mastery »), est essentiel. Le discours vise des objectifs personnels comme l’amélioration de la capacité à l’autorégulation, du bien-être, de la santé et de la résilience 10).

Ce set de compétences linguistiques propose des modes de communication accueillants, permettant aux enfants de puiser dans leurs propres ressources et expériences et de les utiliser dans le but d’un changement thérapeutique 11).

Le langage verbal est tout aussi permissif et accueillant, par le choix des mots, de la vitesse et de la prosodie, que le langage averbal par la mimique, la gestuelle et le comportement. Cette manière de communiquer favorise la confiance et la coopération. Des messages tel « Je ne serais pas surpris, si tu … » transmettent de l’espoir. Ils évoquent des attentes positives et s’orientent vers l’avenir. La facilité avec laquelle peuvent intervenir des changements rapides, est soutenue et volontairement renforcée par des énoncés comme « Peut-être as-tu remarqué comment ta respiration a changé » ou bien « N’est-il pas merveilleux avec quelle facilité tu réussis à … ». Des questions du type « Comment as-tu fait pour … » et « Comment sais-tu que … » montrent à l’enfant qu’on s’intéresse à sa façon d’agir. Elles l’encouragent à réfléchir et à explorer ses propres stratégies. Le répertoire du langage hypnotique renonce expressément aux phrases contenant des suggestions négatives, comme « La perfusion ne va brûler qu’un petit peu » ou qui pourraient être comprises comme telles, comme « Il ne faut pas avoir peur ». Il évoque des situations d’impuissance et détresse tout en suggérant des options pour agir, comme « Je te montrerai comment tu peux contribuer à t’aider. Tu pourras assumer des tâches importantes ». Les mots à connotation « douloureuse » sont remplacés par des termes comme désagréable, inconfortable. Une attaque (p.ex. attaque de panique) sera nommée épisode. Le terme épisode comprend une structure temporelle : début, milieu et fin. Le choix du nouveau mot favorise d’une part une perception différente des expériences faites à ce moment, d’autre part communique qu’on peut apprendre à s’en sortir. Les termes impersonnels, inadéquats, qui réduisent le patient à sa maladie et font abstraction des ressources disponibles, comme « un diabétique » ou « un asthmatique », appartiennent au passé. La langue est utilisée tel un agent thérapeutique puissant, pour transmettre des messages de renforcement de soi (« Il fait bon de savoir que tu fais cela tout juste »), de sérénité (« Cela aide de savoir ce qui se passe, sans être perturbé »), de bien-être (« Pour que tu te sentes à nouveau bien, je ferai … ») ou de guérison (« D’après ce que je pense, c’est exactement le bon médicament pour toi »). Le discours doit évidemment être adapté à l’âge de l’enfant. Il est important d’employer les mots avec attention et précision, parce que les enfants en transe sont particulièrement curieux, écoutent attentivement et sont très réceptifs pour des suggestions. L’utilisation du langage hypnotique pendant l’examen physique, aide les enfants et adolescents à se sentir plus à l’aise. La description « Dis-moi, s’il-te-plait, si ce n’est pas agréable » met le côté agréable au centre de l’examen. Par la question « Quelle oreille veux-tu que j’examine en premier, la gauche ou la droite ? » on offre un choix.

Interventions hypnotiques courtes

Comme mentionné, pendant les consultations nous pouvons observer des transes spontanées plusieurs fois par jour. Les pédiatres disposant d’un sens de l’observation précis, ils ont souvent perçu chez les enfants des signes physiques d’une transe spontanée. Mais il est possible qu’ils ne les aient pas reconnus comme tels. Signes physiques de transe sont un regard fixe, la relaxation de la musculature et des extrémités qui sont comme hors service ou gelées. La respiration est profonde et ralentie. Est typique pendant l’enfance la transe éveillée, pendant laquelle le jeu est intensifié et l’attention fixée exclusivement sur l’activité présente. Les enfants ont la faculté d’entrer et sortir d’une transe par des séquences rapides et changeantes 4).

Les enfants amènent leur capacité naturelle à entrer en transe sur le terrain d’expériences qu’est le cabinet pédiatrique. La transe spontanée est déclenchée dans le meilleur des cas par la nouveauté de la situation, dans le pire des cas par une expérience antérieure désagréable. On peut la comprendre comme une invitation à se joindre au monde et au vécu de l’enfant, afin de saisir le moment de suggestibilité accrue et le mettre à profit pour une intervention hypnotique courte. La condition pour réussir une telle intervention est l’établissement d’une relation de confiance. Les interventions hypnotiques courtes doivent aussi tenir compte de la situation clinique et du développement de l’enfant. Les pédiatres constatent souvent avec étonnement qu’ils ont inconsciemment inclus ces éléments dans leur quotidien, en veillant, en tant que praticiens, à ce que les enfants et adolescents ressentent et vivent le cabinet pédiatrique comme un lieu sûr et protégé.
Sont considérées des interventions hypnotiques courtes toutes les approches adéquates, adaptées à l’enfant, qui par dissociation amènent le calme et la détente. Des interventions hypnotiques courtes visuo-auditives bien connues consistent à proposer une boite à musique ou une éolienne pendant la vaccination. Des interventions hypnotiques courtes kinesthésiques par des mouvements rythmiques (p.ex. bercement) ou synesthésiques (poser une main protectrice ou chantonner pendant une intervention médicale) sont précieux pour induire une transe et agir de façon dissociative. Un léger fond sonore, un fredonnement ont un effet hypnotique lors de l’examen des oreilles 12).

Les interventions hypnotiques courtes verbales basent sur des formules qui créent une interface entre la curiosité de l’enfant et le laisser-aller à une nouvelle expérience hypnotique accompagnée 2). Elles s’adressent au plaisir de découverte, à l’enthousiasme et la volonté d’apprendre de l’enfant. Elles touchent à quatre domaines : maîtrise de compétences développementales, attentes positives, changements de comportement/motivation et autorégulation 2). Des messages comme « J’ai un truc intéressant, quelque chose de différent à te proposer et je t’apprendrai et te montrerai ce que je sais. Connais-tu l’interrupteur de la douleur ? » éveillent la curiosité en évoquant une chose inconnue 13), et invitent en même temps l’interlocuteur à devenir partenaire d’une alliance. Une intervention hypnotique courte verbale pour réduire le stress et augmenter la sensation de bien-être peut se présenter ainsi : « Sais-tu comment tu peux t’aider pendant cet examen ? Laisse-moi te montrer, comment devenir plus calme. Tu peux respirer trois fois profondément et devenir calme. – Excellent, tu fais cela très bien. C’est un travail important que tu fais, car tu aides ton corps à se sentir mieux ». De telles interventions hypnotiques courtes verbales incitent l’enfant à faire des choses dont il ne savait pas qu’il s’agit de stratégies lui permettant d’influencer des situations médicales de manière auto-active et de les percevoir comme un succès.

L’intervention hypnotique courte suivante, combinée à une analgésie médicamenteuse adéquate, est recommandée notamment pour des situations douloureuses aiguës, parce qu’elle permet une dissociation temporelle, spatiale ou situative : « On dirait que tu préférerais ne pas être ici ? Est-ce bien cela ? Où préférerais-tu être plutôt qu’ici ? – Bien. Alors je t’invite à imaginer de te trouver à l’endroit où tu t’occupes de ce que tu préfères ou … » 2) 12). La perception de soi et l’intensité de la pensée peuvent être renforcées par l’intervention hypnotique courte suivante : « C’est surprenant ce que l’esprit peut faire pour le corps. N’est-il pas intéressant de constater que rien qu’en pensant intensément à frotter la partie douloureuse de ton corps, il se produit un changement et l’endroit ce sent mieux ? ».

Une comptine créée par l’enfant est une intervention hypnotique courte qui peut s’avérer utile, p.ex. pendant une désensibilisation, pour le renforcement du moi et pour gagner du courage ; p.ex. « easy-peasy j’ai du courage plein, easy-peasy tout va bien »,

Les interventions hypnotiques courtes se prêtent aussi pour prendre congé, p.ex. par des questions comme « Admettons que tu vas beaucoup mieux, comment t’en apercevras-tu? » ou «  Comment sentiras-tu que la toux a passé ? » Elles attirent l’attention sur de possibles changements et en aiguisent les perceptions. Que le vécu lors d’interventions hypnotiques courtes peut s’avérer utile à l’avenir et dans d’autres contextes, peut être transmis de la façon suivante : « Maintenant que tu sais comment tu peux t’aider toi-même, pour te détendre et …, tu pourras utiliser tes capacités dans de nombreuses autres situations dans la vie, p.ex. des examens et …, et plus souvent tu le fais, meilleur tu seras ».

Hypnoanalgésie

Le gant magique (magic glove), conçu par Leora Kutter, est une intervention hypnotique courte rapide, kinesthésique. Il s’agit d’une technique de maîtrise de la douleur par l’hypnose très polyvalente, en réduisant la douleur anticipative et la douleur pendant l’intervention médicale. En outre la sensation de douleur est diminuée. Par l’attention ciblée, l’imagination de l’enfant est canalisée de sorte qu’il s’installe une sensibilité réduite voire une insensibilité à la douleur à l’endroit où est appliqué le gant magique. Cela renforce la confiance de l’enfant de pouvoir maîtriser par lui-même des interventions médicales angoissantes. Cela renforce durablement la capacité d’autorégulation et la confiance en soi. La réussite du gant magique dépend strictement de la confiance de l’enfant dans la technique de maîtrise de la douleur et d’une attente positive de l’enfant. Le gant magique est adapté aux enfants de 3 à 12 ans. Son utilisation est recommandée pour des prises de sang, la pose de voies veineuses, les ponctions de port-a-cath et la suture de plaies. On trouve une vidéo avec les instructions sur YouTube (www.youtube.com/watch?v=cyApK8Z_SQQ).

Consultation hypnothérapeutique

La consultation hypnothérapeutique est une plateforme qui permet d’aborder des problèmes, p.ex. l’énurésie, la phobie des aiguilles ou des douleurs abdominales fonctionnelles, avec suffisamment de temps. C’est attrayant, pour les enfants et le pédiatre, de développer, dans un processus créatif de discussion et coopération, des solutions sur mesure. L’annonce « Réfléchissons ensemble aux compétences que tu aimerais acquérir pour te libérer de tes difficultés » l’illustre. Cette introduction invite l’enfant à la participation et déclare la disposition à une collaboration respectueuse. Elle précise par ailleurs que les points de vue de l’enfant seront entendus, réfléchis et pris en considération. Cela favorise l’élaboration d’un rapport de confiance, base indispensable à la réussite du travail thérapeutique.

La première consultation est très importante, cela vaut donc la peine d’y réserver suffisamment de temps, 60-90 minutes. La première rencontre se fait avec l’enfant/adolescent et sa famille. Une anamnèse détaillée, médicale et orientée sur les ressources, est importante. Des approches comme « Raconte-moi quelque chose que tu fais dans ta vie et qui t’absorbe complètement, parce que tu l’aimes beaucoup, au point d’oublier le temps » permettent d’explorer systématiquement les intérêts, les préférences et les forces 2) 12). Il faut réunir les informations concernant les diagnostics et traitements antérieurs et les professionnels impliqués. Une écoute et observation attentives sont la clé pour reconnaître les transes naturelles. Tout ce que l’enfant amène, dit ou fait, a son importance. Il est essentiel de prendre des notes précises, p.ex. en retenant à la lettre certaines formulations 2). Les caractéristiques spécifiques de l’enfant seront ensuite utilisées pour l’induction et le processus de la transe thérapeutique 1). Il faut s’assurer que toutes les personnes concernées soient entendues.

L’hypnothérapie est une stratégie dynamique, de progression. On définit un objectif, qui comprend en général l’amélioration de l’autorégulation et de l’autonomie. On respecte ainsi le développement, les besoins, les ressources et les intérêts de l’enfant 2).

Les vignettes ci-après illustrent, comment profiter d’éléments de la transe spontanée pour atteindre des objectifs prédéfinis.

  • Objectif : maîtriser une prise de sang
    Une fillette de 11 ans atteinte d’une maladie chronique, souhaitait ardemment pouvoir maîtriser tranquillement les prises de sang régulières, au lieu de pleurer et hurler. Lors de la description des prises de sang antérieures, elle se trouvait dans une transe négative, angoissée. Questionnée sur ses activités préférées, elle commença à sourire et glissa, en parlant de sirènes, danse et théâtre, dans une transe positive. Tout en parlant, elle protégeait les coudes de ses deux mains.
    La fascination pour les sirènes, la danse et le théâtre apparût être l’élément idéal pour le développement d’une histoire. Au cours d’une transe thérapeutique on lui raconta l’histoire d’une sirène qui, invitée à un bal au château, n’osait pas y aller. Alors que, couchée dans l’eau peu profonde, elle regardait indécise la plage, elle découvrit une paire de ravissants gants de bal qu’elle se dépêcha d’enfiler jusqu’aux coudes. Les gants couvraient les bras et les coudes d’une couche protectrice et agréable. Ils conférèrent tellement de courage à la sirène qu’elle osa se rendre au bal et danser. Les invités applaudissaient la beauté, le courage et l’élégance avec laquelle la sirène dansait. Par la suite, chaque fois que la sirène touchait ses coudes, elle sentait la couche protectrice et son courage grandissait. Lors des consultations suivantes on lui proposa une désensibilisation progressive. On joua d’abord des prises de sang imaginaires, étape par étape. Puis la fillette osa toucher le matériel nécessaire à la prise de sang. Finalement elle participa au casting pour un film. On cherchait une actrice convaincante et compétente, sachant expliquer et montrer aux enfants comment on faisait chez elle, simplement et rapidement, une prise de sang.
  • Objectif : suffisamment de sommeil
    Un adolescent de 15 ans qui faisait ses devoirs et communiquait avec ses pairs tard le soir, constata qu’il lui fallait plus de sommeil. La tension émotionnelle l’empêchait de s’endormir. Il ne lui était pas possible d’atténuer le stress interne. Lorsqu’il parlait des fêtes avec ses copains ou de son skateboard, il entrait en transe. Il imitait ces activités préférées avec des mouvements rythmiques de son corps. Pendant la transe thérapeutique, le sommeil se présenta en ami fidèle qui lui apprit à laisser sortir les tensions comme les petites bulles d’un coca. Ensuite l’ami l’invita à faire du skateboard. Ensemble ils descendirent une pente tels des champions et plongèrent de la lumière du jour dans le calme prometteur du pays des rêves.
    Un enregistrement vocal de la consultation a été remis à l’adolescent, pour qu’il puisse exercer l’autohypnose tous les jours chez lui.
  • Objectif : bien-être dans le ventre
    Une fillette de 8 ans décrit en transe, les yeux ouverts, que ses maux de ventre étaient comme si un homme avec une longue barbe la chatouillait. Elle pensait réagir peut-être de façon excessive. On profita de ce moment spécifique pour se joindre à la construction de la fillette. Elle fut encouragée à prendre contact, en tant que cheffe de son corps, avec le monsieur à la longue barbe afin de lui donner des instructions de conduite claires, de sorte qu’une sensation de bien-être put se répandre dans son ventre.
    La fillette réussit à utiliser habilement et de manière ciblée la nouvelle expérience faite lors d’une seule consultation hypnothérapeutique.

L’offre d’une consultation hypnothérapeutique représente un élargissement substantiel de l’éventail thérapeutique dans la pratique pédiatrique. Il est possible de développer, au bon moment et à bas seuil, des solutions créatives pour des domaines très vastes : douleurs aiguës, chroniques ou récurrentes, céphalées de tension et migraines, douleurs abdominales récurrentes, syndrome du colon irritable, énurésie, encoprésie, troubles du sommeil, maladies psychosomatiques, troubles du comportement (p.ex. angoisses, troubles de l’adaptation), troubles de l’apprentissage, tics nerveux ainsi que d’autres symptômes d’origine émotionnelle ou de stress 3).

Il faut souligner que sont prises en charge dans la consultation hypnothérapeutique uniquement les pathologies qui sont du domaine de compétence du/de la pédiatre concerné/e. Pour une prise en charge correcte il faut respecter les limites personnelles et thérapeutiques. Des maladies psychiatriques complexes, p.ex. phobies, dépressions ou anorexie, doivent être adressées au spécialiste. Le risque d’aggravation de problèmes émotionnels, le traitement de patients psychotiques ou émotionnellement instables, ainsi que l’utilisation de l’hypnothérapie à des buts récréatifs, sont des contre-indications à l’hypnose.

Conditions cadre

Plusieurs conditions doivent être remplies pour que l’hypnose soit acceptée et atteigne l’objectif visé. Les mythes tournant autour de l’hypnose doivent être clarifiés d’emblée. Les enfants et les parents doivent savoir que l’hypnose n’a rien à voir avec contrôle de l’esprit, lire la pensée ou magie. Il doivent être rassurés sur le fait que l’hypnose spectacle et l’hypnose médicale sont deux choses clairement différentes, cette dernière se mettant respectueusement au service du patient, pour qu’il atteigne ses propres objectifs très personnels.

On n’obtiendra un changement que si l’enfant ou l’adolescent sont prêts et ouverts à un soutien basé sur l’hypnose, sinon il ne se passera rien. C’est à eux de trouver la voie vers la solution. Leur motivation est essentielle pour atteindre l’objectif visé. Il faut de la persévérance et une mise en pratique régulière et autonome des nouvelles capacités, pour arriver à l’autohypnose. Le succès s’installe comme lorsqu’on s’entraîne au sport ou qu’on joue un instrument. Il est nécessaire que les parents acceptent implicitement ou explicitement l’hypnose et les modalités du traitement. Seulement si l’enfant sait qu’il a la permission et le soutien de ses parents, il pourra mettre en pratique librement et de manière autodéterminée les expériences hypnotiques. L’accord des parents « On te fait confiance, tu vas réussir » renforce l’enfant et l’aide à avancer. On demande aux parents de ne pas interférer lorsque l’enfant pratique l’autohypnose. Il s’agit de respecter et valoriser l’autonomie de l’enfant.

Le pédiatre conçoit les enfants et adolescents comme part d’un système, il est donc évident que des réflexions hypnosystémiques soient retenues dans le processus thérapeutique. La manière avec laquelle le médecin accompagne le patient dans son processus, est très importante. Ce sera à son avantage s’il dispose d’une palette large de méthodes thérapeutiques, pour pouvoir s’adapter et réagir en fonction des situations 15). Comme pour toute activité médicale, il faut être particulièrement attentif à la manière dont on utilise le pouvoir et l’influence 15). Il faut respecter la vitesse avec laquelle l’enfant peut assimiler de nouvelles expériences. Une accélération iatrogène aura un effet contreproductif sur le processus thérapeutique. Il n’est par ailleurs pas inutile de former les assistantes médicales, pour qu’elles reconnaissent elles aussi les transes naturelles et puissent alors transmettre des suggestions adéquates. Il est important pour le bien des enfants d’agir, au quotidien, en tant qu’équipe pluridisciplinaire. L’effet est positif sur la qualité du travail tout autant que sur la perception qu’a l’enfant de l’espace sécuritaire qu’est le cabinet médical.

Formation en hypnose

La Société Médicale Suisse d’Hypnose (www.smsh.ch) propose une formation en hypnose médicale, avec obtention d’un certificat de capacité. La formation de la Société d’hypnose clinique Suisse (www.hypnos.ch) aboutit à une certification. Il n’existe pas encore de curriculum spécifiquement pédiatrique en Suisse. Kinderärzte Schweiz (www.kinderaerzteschweiz.ch) propose des cours en hypnose pédiatrique. Le National Pediatric Hypnosis Training Institute (www.nphti.org) à Minneapolis, USA, offre une excellente formation pour pédiatres. Annuellement a lieu un atelier de trois semaines, comprenant des cours combinés à des exercices pratiques sous supervision. Un curriculum pédiatrique est disponible au Milton Erickson Institut à Rottweil (D) (www.meg-rottweil.de). La journée pédiatrique 2019 (cx-services.com/htx12/kita19.php) sera une excellente occasion pour se faire une première impression de l’hypnose pédiatrique.

Résumé

Les transes naturelles servent de porte d’entrée aux interventions hypnotiques courtes et à l’hypnothérapie, dans le but d’activer, mettre en lumière et renforcer les ressources existantes. Les facultés imaginatives de l’enfant sont valorisées, pour l’aider à développer un nouveau répertoire d’attitudes et comportements adaptés à différentes situations ainsi qu’une meilleure autorégulation.

La pièce maîtresse des interventions hypnotiques courtes et de la consultation hypnothérapeutique est le langage hypnotique réceptif et expressif. Une écoute attentive est le point de départ pour rejoindre la perception individuelle et unique du monde des enfants et adolescents. Le langage hypnotique fait écho à cette perception du monde et en reprend des ressources. Il se distingue par l’estime, l’attention et la communication de sécurité et d’espoir.

L’hypnose est un mode de traitement créatif, économique et exempt d’effets indésirables, qui cible des objectifs précis et est adaptée au quotidien du cabinet pédiatrique. Elle peut se pratiquer seule ou en combinaison avec des médicaments, pour le traitement de différentes affections comme les douleurs abdominales fonctionnelles, les douleurs aiguës ou chroniques, les angoisses, les troubles du sommeil, l’énurésie, les tics nerveux. Il s’avère profitable d’intégrer l’intervention hypnotique courte et l’hypnothérapie à la consultation, car cela change sensiblement la perception du cabinet pédiatrique. Il est ressenti par les enfants et les adolescents comme un endroit sûr, de partenariat, où ils vivent de nouvelles expériences de réussite auxquelles ils peuvent avoir recours à tout moment. Les compétences acquises sont adaptables à d’autres contextes et de ce fait durables.

Références

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  2. Pendergrast RA Jr. Incorporating Hypnosis into Pediatric Clinical Encounters. Children 2017, 4, 18
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Informations complémentaires

Traducteur:
Rudolf Schlaepfer
Correspondance:
Conflit d'intérêts:
L'auteure n’ont déclaré aucun lien financier ou personnel en rapport avec cet article.
Auteurs
Dr. med.  Camilla Ceppi Cozzio Kinder- und Jugendpraxis, Leepüntstrasse 5, 8600 Dübendorf