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La tularémie en progression

La Suisse est un point chaud de la tularémie. Depuis dix ans le nombre de cas a fortement augmenté et se situe actuellement vingt fois au dessus de la moyenne européenne et des Etats-Unis.

Introduction 

La Suisse est un point chaud de la tularémie. Depuis dix ans le nombre de cas a fortement augmenté et se situe actuellement vingt fois au dessus de la moyenne européenne et des Etats-Unis. Il est donc important de sensibiliser le corps médical.

La tularémie, également appelée « fièvre du lapin », est une zooanthroponose de l’hémisphère nord, transmise par la bactérie Francisella tularensis. Le germe a été isolé pour la première fois à Tulare County (Californie) à partir de petits écureuils terrestres (xerinae) atteints d’une maladie ressemblant à la peste1). Le médecin américain Edward Francis a recherché et décrit la maladie en détail dans les années 1930. F. tularensis infecte de nombreuses espèces animales, de préférence des petits rongeurs et lièvres. La transmission à l’homme se fait par contact direct avec des animaux infectés, l’entourage contaminé (eau, terre, air) ou des arthropodes servant de vecteur (tiques, insectes).

Vignettes cliniques: nous décrivons le cas de deux fillettes de neuf ans vivant dans le canton d’Argovie, qui ont développé une tularémie ulcéro-glandulaire avec lymphadénite rétro-auriculaire, transmise par des tiques. Malgré des similitudes (diagnostic, localisation, mode d’infection, région, âge et sexe), la maladie des deux patientes a évolué très différemment, peut-être parce que le traitement n’a pas débuté au même moment. Références: comprennent biologie, épidémiologie, diagnostic et traitement de la tularémie, centrées sur l’Europe et les enfants en Suisse.

Références: comprennent la biologie, l’épidémiologie, le diagnostic et le traitement de la tularémie, centrées sur l’Europe et les enfants en Suisse.

Le plus important pour la pratique

Patient 1 

En juin une fillette de neuf ans est amenée au service d’urgence pédiatrique avec de la fièvre >39.2°C depuis deux jours et une tuméfaction rouge et douloureuse derrière l’oreille droite depuis un jour. Une semaine auparavant la fillette avait eu plusieurs morsures de tiques, dont une au lobe de l’oreille droite. Après avoir ôté la tique de l’oreille, persistait une petite blessure. L’anamnèse personnelle est par ailleurs sans particularités, la vaccination y compris pour FSME complète, il n’y a pas eu de contact avec des animaux ni de voyage à l’étranger pendant le mois écoulé. La fillette est en état général légèrement réduit et afébrile. Le lobe de l’oreille droite est rouge et présente une petite tuméfaction de la taille d’une tête d’épingle. Derrière l’oreille, sur la mastoïde, on aperçoit une tuméfaction d’environ 2×3 cm, rouge, très douloureuse au toucher, mobile, sans fluctuation.

Figure 1: Stade précoce de la maladie avec ulcère du lobe de l’oreille (A) et lymphadénite rétro-auriculaire (B)

Le status pédiatrique est par ailleurs normal. La première impression est celle d’une morsure de tique infectée avec lymphadénite retro-auriculaire aiguë à droite. Après avoir désinfecté et recouvert le lobe de l’oreille d’un pansement stérile, on débute un traitement antibiotique avec amoxicillne/acide clavulanique (40 mg/kg/dose, 2x/j p.o.). Quatre jours plus tard nous prenons des nouvelles. La fillette a pris consciencieusement l’antibiotique. La petite tuméfaction du lobe est inchangée, la tuméfaction et les douleurs retro-auriculaires ont augmenté, la fillette est toujours fébrile jusqu’à 39°C, elle est fatiguée et est apparue une légère diarrhée.

Vu l’absence de réaction à l’amoxicilline/acide clavulanique, nous suspectons une tularémie ulcéro-glandulaire, transmise aux enfants en Suisse généralement par des tiques. Une sérologie pour la tularémie est effectuée par le médecin de famille et le traitement changé pour de la ciprofloxacine (15 mg/kg/dose 2x/j p.o.) pour 14 jours, avant l’obtention de la sérologie; ce traitement a donc débute un dizaine de jours après l’apparition de la fièvre. Déjà le lendemain la fillette se sent mieux, les tuméfactions sur le lobe et derrière l’oreille guérissent rapidement. La sérologie pour la tularémie faite 10 après début de la maladie reste négative (ELISA ; IgM et IgG).

Après les deux semaines de traitement par ciprofloxacine la fillette est en parfait état général. Un mois plus tard le médecin de famille répète la sérologie qui cette fois est clairement positive: IgG 79 U/ml (réf. <10), IgM 201 U/ml (réf. <10). La séroconversion prouve l’infection récente avec Francisella tularensis.

Patient  2

Début août une fillette de neuf ans est adressée au service d’urgence pédiatrique par la médecin de famille à cause d’une fièvre intermittente >39°C depuis deux semaines, et d’une tuméfaction douloureuse grandissante derrière l’oreille gauche. Quelques jours auparavant une tique avait été ôtée du cuir chevelu à gauche; à cet endroit persiste une petite blessure. L’anamnèse personnelle est par ailleurs sans particularités, les vaccinations y compris FSME complètes, pas de séjour à l’étranger. La famille possède cinq animaux de compagnie (un chien, deux chats et deux lapins nains), pas d’autres contacts avec des animaux, pas de morsure ou griffure. À l’examen la patiente apparaît fatiguée, elle est afébrile, les paramètres vitaux sont normaux. À la nuque on constate à gauche une grosse tuméfaction (7×7 cm) avec des nodules fermes, très douloureuse au toucher, chaude. La peau de la région retro-auriculaire est hyperémiée. Dans la région temporale gauche du cuir chevelu on voit une petite croûte sèche (0.5×1 cm). Le status pédiatrique est par ailleurs normal. L’échographie du cou met en évidence plusieurs ganglions agrandis et inflammatoires autour du m. sterno-cleido-mastoïdien, depuis la région retro-auriculaire jusqu’à la région supraclaviculaire, avec suppuration et œdème périfocal. Les valeurs biologiques (formule sanguine, CRP, LDH) sont normales, on effectue une hémoculture et des sérologies (Bartonella henselae, Toxoplasma gondii et Francisella tularensis).

La première impression est celle d’une lymphadénite bactérienne du cou. La fillette est hospitalisée et traitée pendant 4 jours avec amoxicilline/acide clavulanique (33 mg/kg/dose, 3x/j i.v.). Malgré ce traitement la tuméfaction et les douleurs persistent; l’hémoculture s’avère stérile. La fillette rentre à domicile en bon état général, afébrile avec un traitement analgésique/antipyrétique. Le lendemain on obtient les sérologies: B. henselae et T. gondii negatives, F. tularensis positive (agglutination 1:320). Vu le diagnostic de tularémie ulcéro-glandulaire, le traitement est modifiée pour de la ciprofloxacine (15 mg/kg/dose, 2x/j p.o.) pour 14 jours. Le traitement a débuté 3 semaines après l’apparition de la fièvre.

Neuf jours après le début du traitement par ciprofloxacine la fillette est réadmise à l’hôpital avec de fortes douleurs à l’endroit de la tuméfaction nucale, malgré des analgésiques (paracétamol et diclofenac, métamizol en réserve), avec pour corollaire des troubles du sommeil, fatigue diurne et absences scolaires. Nouvellement depuis 7 jours des douleurs au genou gauche, sans notion de traumatisme. La fillette est afébrile, les paramètres vitaux sont normaux. Localement on constate la tuméfaction nucale avec fluctuation partielle, la croûte temporale est toujours visible. La fillette boite, l’articulation du genou est normale, notamment pas de tuméfaction ni rougeur. L’échographie des parties molles montre une légère augmentation des adénopathies avec des suppurations. Formule sanguine et CRP toujours normales, la VS à la limite (20 mm/h); on prélève une deuxième sérologie pour la tularémie (2 semaines après la première). La patiente est hospitalisée pour intensifier l’analgésie et pour observation. Le lendemain elle se plaint toujours de douleurs intenses au niveau de la tuméfaction nucale. Une dose unique de nalbuphine (0.1 mg/kg/dose i.v.) ne la soulage pas. Apparaissent des tremblements au repos des deux bras, à l’état d’éveil et persistant pendant le sommeil, ne pouvant être interrompus. Devant la suspicion d’une encéphalopathie la fillette est transférée dans une clinique pédiatrique. Les tremblements s’amendent au bout d’un jour. La deuxième sérologie pour la tularémie montre une augmentation de quatre fois la valeur initiale (agglutination 1 :1280), prouvant une infection récente avec F. tularensis. La fillette rentre à domicile en complétant le traitement par ciprofloxacine.

Trois semaines après la fin de ce traitement elle souffre toujours de douleurs nucales qui perturbent le sommeil et occasionnent de l’absentéisme scolaire. Pas de fièvre. Les paramètres inflammatoires n’ont pas empiré, derrière l’oreille s’écoule spontanément du pus.

Deux mois après le début de la maladie la patiente est à nouveau admise à la clinique pédiatrique. Elle est afébrile, a l’air épuisée, mais a pris 1.5 kg de poids depuis le début de la maladie. Au niveau de la nuque on trouve la tuméfaction douloureuse, rouge, fluctuante, pas chaude. L’échographie montre un abcès ganglionnaire (2x2x2 cm), la tuméfaction et l’inflammation des autres ganglions régressent; l’abcès est incisé et rincé sous analgosédation. Dans le pus on met en évidence F. tularensis par PCR, la culture reste stérile. Après avoir drainé l’abcès, les douleurs se calment rapidement. Un retour progressif à l’école, y compris les activités sportives, redevient possible. Deux mois et demi après le début de la maladie la fillette est à nouveau en pleine possession de ses capacités.

Comparaison de l’évolution des patients 1 et 2

Figure 2. Comparaison de l’évolution des cas 1 et 2 (points verts = interventions thérapeutiques)

Le germe

Francisella tularensis
Francisella tularensis est une bactérie gram-négative, sans spores, coccoïde, en bâtonnets. Elle est strictement anaérobie, à vie intracellulaire facultative, difficile à cultiver. Sont connues quatre sous-espèces qui se différencient par leur répartition géographique et virulence. Cliniquement importantes sont les sous-espèces tularensis (type A) et holarctica (type B), identiques du point de vue sérologique. Des méthodes de génétique moléculaire permettent de les subdiviser en plusieurs souches (clades) et groupes phylogénétiques.

F. tularensis est largement répandue dans la nature et a été trouvée dans plus de 250 espèces animales, mammifères, oiseaux, poissons, arthropodes et protozoaires. À ce jour n’ont pas été identifiés tous les vecteurs et réservoirs. En Europe centrale les petits rongeurs et lièvres sont des réservoirs importants et les tiques les vecteurs principaux. La bactérie résiste au froid et peut survivre pendant des semaines dans des sols humides (p.ex. foin ou paille), dans l’eau (probablement amibes) et dans des cadavres d’animaux. F. tularensis est inactivée par la chaleur.

La transmission sous forme d’aérosol peut infecter simultanément de nombreuses personnes et provoquer des pneumonies sévères avec une mortalité élevée. En raison de sa stabilité environnementale, de sa contagiosité (déjà 10 bactéries peuvent déclencher une maladie) et virulence très élevées, F. tularensis est sur la liste des armes potentiellement bioterroristes de la plus haute dangerosité2).

Voies de contagion pour l’homme

  • Ingestion d’eau ou aliments contaminés (p.ex. viande de lièvre pas assez cuite)
  • Piqûres d’arthropodes (tiques ou moustiques, plus rarement d’autres insectes, p.ex. taons)
  • Contact direct avec un animal infecté (généralement les mains, chasseurs, gardes-chasse)
  • Inhalation de poussière contaminée (foins, souvent agriculteurs)
  • Contact accidentel à l’hôpital ou au laboratoire

Les personnes se trouvant fréquemment dans la nature et en contact avec des animaux sauvages sont plus souvent atteintes. La tularémie est présente toute l’année avec un pic pendant la saison chaude et touche tous les âges. Une transmission d’homme à homme n’est pas connue.

Répartition géographique

Au niveau mondial
Jusqu’au début du 20ème siècle la tularémie humaine était beaucoup plus fréquente partout au monde. Depuis les années 1950 le nombre de cas a diminué, en raison d’un mode de vie plus urbain et moins de contact avec des animaux infectés. La tularémie est surveillée dans de nombreux pays par des systèmes de signalement et est aujourd’hui considérée une maladie rare. Des études de prévalence sérologique prouvent néanmoins que le nombre de cas réel est clairement sous-estimé. En raison de sa relative rareté, du tableau clinique très variable et d’une évolution parfois plus douce, une partie significative n’est pas diagnostiquée ni signalée.
F. tularensis est répandue sur tout l’hémisphère nord. La sous-espèce tularensis (type A) ne se trouve qu’en Amérique du nord et est subdivisée par génétique moléculaire en clades A.1 et A.2. Le clade A.1 est extrêmement virulent, la maladie en résultant a une létalité élevée (sans traitement jusqu’à 60%, sous traitement <2%)2). Aux USA on signale annuellement environ 200 cas de tularémie (2018: 229 cas, incidence 0.07/100’000 habitants)3). La sous-espèce holarctica (type B) se trouve en Eurasie et plus rarement en Amérique du nord et est moins virulente que le type A (clade A.1).

Europe
F. tularensis ssp holarctica (type B) est la seule sous-espèce présente en Europe. Chez l’homme, l’infection provoque souvent une maladie prolongée mais l’issue est rarement fatale. Selon l’ECDC dans les états de l’UE (sans la Suisse et la Turquie) pendant la dernière décennie étaient signalés environ 800 cas par année, l’incidence étant de 0.1-0.2/100’000 habitants (2018: 358 cas confirmés, incidence 0.07)4). Les pays scandinaves et depuis quelques années la Suisse sont particulièrement touchés. La Grande Bretagne, l’Irlande et l’Islande sont considérés libres de tularémie. En Europe les voies de contamination les plus fréquentes pour l’homme sont la consommation d’eau contaminée (rivières, lacs, étang, fontaines) et les morsures d’arthropodes. Du point de vue épidémiologique on peut considérer, pour les régions avec des voies d’infection et formes de tularémie typiques, deux cycles de vie (aquatique et terrestre) de F. tularensis (tableau 1)5).

Tableau 1. Aspects épidémiologiques et cliniques de la tularémie humaine en Europe5)

Suisse
F. tularensis ssp. holarctica (type B) engendre des infections sporadiques humaines et animales. La bactérie a la plus grande diversité génétique en Europe, un indice qu’elle est établie et évolue en Suisse depuis longtemps. Jusqu’ici ne circulait en Suisse que la soucheB.FTNF002-00, dont l’origine phylogénétique est l’Europe occidentale. Depuis 2012 a été mis en évidence à partir d’infections humaines et animales aussi un génotype originaire de Scandinavie et Europe orientale. Les morsures de tiques sont la principale source d’infection. La prévalence de tiques infectées est faible (0.02-0.12%), avec des différences régionales (régions endémiques).

Depuis que l’obligation de signaler a été introduite, de 2004 à 2019 ont été signalés à l’OFSP 682 cas de tularémie humaine.

Figure 3. Cas de tularémie humaine confirmés en Suisse, OFSP, signalements 2004-20197)

On remarque une forte augmentation du nombre de cas: depuis 2010 le nombre a décuplé pour atteindre en moyenne 131 cas/an de 2017 à 2019 (incidence 1.54/100’000). Actuellement le nombre de cas annoncés en Suisse est 20x supérieur à la moyenne européenne et étatsunienne de 2018 (0.7/100’000)3),4),6),7).

La cause de cette augmentation n’est pas claire. Une explication possible est la plus grande sensibilisation des médecins en Suisse, la plus grande activité des tiques suite au réchauffement climatique ou la propagation de nouveaux génotypes de F. tularensis.

Clinique5),8),9),10),11)

Manifestations cliniques
On décrit six formes cliniques, dépendant de la porte d’entrée du germe.

Tableau 2. Formes cliniques et caractéristiques de la tularémie.

Le temps d’incubation est de 3-5 jours (1-21 jours). La maladie débute soudainement par des symptômes grippaux (fièvre, abattement, céphalées et douleurs articulaires) et en général des adénopathies douloureuses. Par la suite persiste une fièvre prolongée et discrète, qui s’amende même sans traitement.

Forme ulcéro-glandulaire ou glandulaire
Ces deux formes représentent environ 90% des cas de tularémie en Europe (sans la Turquie). En même temps que la fièvre, apparaît au lieu de pénétration du germe une petite lésion cutanée (papule, puis pustule, croûte et ulcère). Peu de temps après, apparaît une tuméfaction douloureuse progressive des ganglions proximaux à la lésion cutanée, qui incitent le patient à consulter. Peuvent être touchés plusieurs ganglions, après des semaines se forment fréquemment des abcès. Sans traitement l’ulcère peut persister plusieurs semaines ou guérir rapidement. Le terme tularémie glandulaire est utilisé lorsqu’au moment du diagnostic n’existe pas de lésion cutanée.

Lésions cutanées associées
L’érythème noueux, l’érythème multiforme ainsi qu’un exanthème papuleux ou vésico-papuleux (non prurigineux, accentué aux extrémités) sont des manifestations secondaires typiques de la tularémie, indépendamment de la forme. Elles apparaissent chez près de la moitié des patients, pendant la deuxième semaine de la maladie et peuvent être faussement diagnostiquées comme effet indésirable médicamenteux ou varicelle10).

Pronostic
En Europe le pronostic de la tularémie est très bon. La plupart des patients guérit sans complications, les cas mortels sont rares. La maladie peut être bénigne ou prolongée et épuisante. L’évolution dépend de la virulence du germe, de la porte d’entrée, de la dose infectieuse, de l’immunocompétence de l’hôte ainsi que du début d’un traitement efficace. Les abcès ganglionnaires et des évolutions plus prolongées semblent plus fréquents lorsque le traitement est retardé de plus de deux semaines11). Les effets négatifs d’un traitement tardif ont été démontrés dans plusieurs modèles animaux. Des complications rares de la tularémie sont la bactériémie/septicémie, l’otite moyenne, la mastoïdite, la méningite ou des abcès dans différents organes5).

Tularémie chez l’enfant et l’adolescent en Suisse

En principe l’évolution de la tularémie est la même pendant l’enfance comme à l’âge adulte. En analysant les cas signalés en Suisse en fonction de l’âge, on constate néanmoins une différence concernant la prédominance des différentes formes cliniques: les enfants (0-16 ans) présentent presqu’exclusivement une adénopathie périphérique unilatérale (forme ulcéro-glandulaire, glandulaire, oropharyngée et oculo-glandulaire), les formes pulmonaire ou typhoïde étant rares.

Figure 4. Formes de tularémie chez l’enfant et l’adolescent (0-16 ans) en Suisse, OFSP, signalements 2004-20197)

Chez l’adulte (>17 ans) la tularémie pulmonaire représente environ un quart des cas (26%)7).

Diagnostic différentiel d l’adénopathie unilatérale
(tableau 3)12)

Tableau 3. Diagnostic différentiel d’une lymphadénite périphérique unilatérale chez l’enfant, excepté tularémie (causes fréquentes sur fond gris), adapté d’après12)

Diagnostic
La tularémie est suspectée cliniquement (tabl. 2) et on apporte la preuve par mise en évidence directe ou indirecte de F. tularensis (PCR ou sérologie). La formule sanguine est généralement normale et la CRP variable. Lorsque l’évolution est prolongée, la VS peut être élevée encore un mois après le début de la maladie.

Suspicion clinique
Une adénopathie unilatérale doit rapidement évoquer une tularémie, notamment pendant la saison chaude. En Suisse on posera la question d’une éventuelle exposition aux tiques (activité dans la nature ou morsure constatée 1-2 semaines avant les premiers symptômes), plus importante que l’éventuel contact avec des animaux sauvages, lièvres ou rongeurs. L’examen clinique minutieux permettra de déceler la lésion cutanées dans le territoire drainé par le ganglion, indiquant la forme ulcéro-glandulaire, qui est la plus fréquente.
Typiquement l’adénopathie ne guérit pas sous un traitement antibiotique efficace contre les staphylocoques mais pas contre F. tularensis (p.ex. amoxicilline/acide clavulanique ou clindamycine). La chute spontanée de la fièvre pendant le traitement peut faire croire à un effet thérapeutique. Des contrôles cliniques rapprochés sont donc importants.

 Mise en évidence directe du germe
Lorsqu’on suspecte une infection par F. tularensis, le laboratoire de microbiologie doit être averti afin de pouvoir prendre les mesures de protection qui s’imposent (biosécurité de niveau 3). Le germe est difficile à cultiver, nécessite des milieux de culture spécifiques et un temps d’incubation long. La PCR est actuellement la méthode de choix (très sensible, spécifique, rapide), la mise en évidence d’ADN étant possible aussi à partir de bactéries mortes, p.ex. après un traitement antibiotique efficace.
Lorsqu’on suspecte une tularémie ulcéro-glandulaire, un frottis profond pour PCR sera effectué après avoir enlevé la croûte de la lésion cutanée ulcéreuse. Pour les analyses sont typiquement utilisés le pus ou des éléments tissulaires (p.ex. ganglion). Lors d’une atteinte pulmonaire on analysera le crachat ou chez des patients sévèrement malades du sang et/ou liquide céphalo-rachidien.

Sérologie
Partout au monde la sérologie est le moyen le plus utilisé pour diagnostiquer une tularémie, le prélèvement étant simple (sang veineux) et le risque au laboratoire absent. Différentes méthodes avec une bonne sensibilité et spécificité se sont établies (p.ex. agglutination, ELISA, Western-blot, immunochromatographie). Idéalement on examine un sérum précoce et tardif, à un intervalle d’au moins deux semaines. La séroconversion avec une augmentation de 4x le taux initial apporte la preuve. Les anticorps apparaissent environ 2 semaines après le début de la maladie avec un pic après 3-4 semaines. Les taux d’anticorps diminuent lentement et peuvent persister pendant des années, ce qui rend difficile l’interprétation d’un seul prélèvement. Le traitement antibiotique précoce (p.ex. prophylaxie post-exposition après bioterrorisme) peut supprimer la formation d’anticorps.

Traitement8),13),14)

Antibiotiques
Le traitement antibiotique précoce et ciblé permet d’éviter une évolution sévère de la maladie et les complications. Les taux de guérison clinique sont variables (60-100%), en fonction de l’antibiotique choisi, du moment où le traitement débute et de sa durée ainsi que de la présence de complications (p.ex. abcès). En Europe on peut traiter la plupart des patients en ambulatoire avec la ciprofloxacine par voie orale.

Tableau 4. Traitement de premier choix de la tularémie de l’adulte et d’enfants > 1 mois8),14

Médicaments de premier choix

  • Fluorochinolones: la ciprofloxacine est aujourd’hui l’antibiotique de choix pour le traitement de la tularémie, par son excellente biodisponibilité orale et pénétration tissulaire, l’efficacité bactéricide, le plus bas taux de rechutes et le peu d’effets indésirables. La concentration minimale inhibitrice (CMI) vis à vis de F. tularensis de la ciprofloxacine est la plus basse comparé à d’autres antibiotiques.
    L’utilisation des fluorochinolones était longtemps limitée en pédiatrie, par crainte d’effets chondrotoxiques mis en évidence dans des modèles animaux et sur des cultures de chondrocytes humains. Depuis 1990 sont parues de nombreuses publications concernant la sécurité de la ciprofloxacine en pédiatrie. Deux revues de la littérature avec plus de 16’000 patients de moins de 18 ans ont analysé les résultats de ces études: des effets secondaires musculo-squelettiques de la ciprofloxacine surviennent dans environ 1-3% (la plupart des fois arthralgies, troubles tendineux et raideur), et sont réversibles après l’arrêt du traitement. Aucune atteinte durable du cartilage articulaire ou de tendons n’a été mise en évidence. La ciprofloxacine est considérée sûre pendant l’enfance et doit être utilisée lorsque l’indication est posée et en absence d’alternative15). Les fluorochinolones devraient être évitées chez les patients souffrant d’une cardiopathie avec risque d’allongement du QT, avec une épilepsie (tendance accrue aux convulsions) et un déficit en G6PD (crises hémolytiques).
  • Les aminoglycosides (streptomycine et gentamycine par voie intraveineuse) sont utilisés depuis des décennies comme premier choix en Amérique du Nord, où le germe est plus virulent, et devraient être ajoutés à la ciprofloxacine en Europe dans les cas plus sévères. La pénétration tissulaire et dans le liquide céphalo-rachidien de la gentamycine est mauvaise, elle est oto- et néphrotoxique.

Médicaments de deuxième choix

  • Les tétracyclines (doxycycline) sont bactériostatiques et ont un taux de rechute élevé, pour éviter cet inconvénient ils doivent être administrés au moins 14 jours. Les tétracyclines sont contre-indiquées chez les enfants de moins de huit ans (risque de décoloration irréversible des dents).
  • La rifampicine ne devrait pas être administrée en monothérapie à cause du risque d’apparition de résistances (possible en combinaison avec la ciprofloxacine pour les cas sévères).

Médicaments inefficaces

  • Les antibiotiques à base de bêta-lactame (pénicilline, céphalosporines, carbapénèmes, monobactames)
  • Clindamycine, daptomycine, linézolide
  • Les souches résistantes aux macrolides augmentent en Europe (y compris la Suisse)

Drainage chirurgical de l’abcès
Un abcès peut être diagnostiqué cliniquement (douleur persistante, fluctuation) ou à l’aide de l’imagerie. Le drainage chirurgical au bon moment soulage les douleurs et accélère la guérison.

Prophylaxie
Il n’existe pas de vaccin. Dans les régions endémiques on conseille les mesures suivantes:

  • Protection contre les morsures de tiques (éviter les biotopes, habits couvrants, répulsifs)
  • Éviter le contact avec des animaux malades ou morts (notamment lièvres et rongeurs), manipulation qu’avec gants et masque
  • Cuisson suffisante du gibier et de l’eau d’origine inconnue
  • Masque lors de travaux dans les champs occasionnant de la poussière.

Après contact avec F. tularensis (p.ex. bioterrorisme) on recommande une prophylaxie post-exposition pendant 14 jours (ciprofloxacine p.o., dosage cf. ci-dessus).

Références

Le nombre de références étant limité, toutes les indications ne sont pas référencées. La liste exhaustive de la littérature est disponible chez l’auteur.

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Informations complémentaires

Traducteur:
Rudolf Schlaepfer
Correspondance:
Conflit d'intérêts:
Les auteurs n'ont déclaré aucun lien financier ou personnel en rapport avec cet article.
Auteurs
Dr. med.  Csongor Deak Oberarzt Pädiatrie, Klinik für Kinder und Jugendliche, Kantonsspital Baden

Dr. med.  Christa Relly Abteilung Infektiologie und Spitalhygiene, Universitäts-Kinderspital Zürich