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Diagnostic et traitement de la pneumonie pendant l’enfance et l’adolescence

La maman d’une fillette de 10 ans consulte le médecin de famille en raison d’une toux et d’une fièvre élevée. Les symptômes durent depuis quatre jours. La fillette était jusqu’à là en bonne santé et a bénéficié de tous les vaccins. L’anamnèse évoque une pneumonie.

Introduction

Définition

Une infection des voies respiratoires inférieures implique par définition les voies respiratoires en dessous du larynx et inclut la pneumonie, la bronchite et la bronchiolite. La limite entre ces trois maladies est floue, il est par conséquent difficile de les différencier cliniquement. La pneumonie la plus fréquente pendant l’enfance est la pneumonie communautaire (community-acquired pneumonia, CAP). La CAP est une infection aiguë du parenchyme pulmonaire acquise en dehors de l’hôpital ou d’un autre centre de soins. Il s’agit d’une raison d’hospitalisation parmi les plus fréquentes dans les pays industrialisés1) et est toujours et encore la cause de décès la plus répandue dans les pays en voie de développement2,3).

Ces dernières années ont connu d’importants progrès dans la compréhension du diagnostic et du traitement de la CAP; ils conditionnent la prise en charge et sont au centre de cette revue.

Spectre des agents pathogènes depuis l’introduction des vaccins

L’incidence et le spectre des agents pathogènes ont sensiblement changé depuis l’introduction des vaccins contre le streptococcus pneumoniae (pneumococcal conjugate vaccine, PCV) et l’haemophilus influenzae type b (Hib) (figure 1).

Figure 1. Jalons historiques de la pneumonie et modification du spectre des agents pathogènes.

Abréviations : Hib, Haemophilus influenzae type b; PCR, réaction en chaîne par polymérase (polymerase chain reaction); PCV, vaccin conjugué antipneumococcique (pneumococcal conjugate vaccine). Figure: P.M. Meyer Sauteur. Diagrammes circulaires adaptés d’après Fenin et al.5) et Jain et al.1). Les noms des scientifiques sont mentionnés entre parenthèses. * Prix Nobel. L’histoire de la pneumonie décrite avec précision ne remonte qu’aux années 1800 après J.C. Avant on parlait de «péripneumonie», sans différencier entre pneumonie et pleurésie. Les premiers jalons sont dus à la description clinique précise suite à l’invention du stéthoscope (auscultation) et à l’autopsie (formes de pneumonie: lobaire, interstitielle, bronchopneumonie)4). Suivirent d’autres étapes comme p.ex. la première description des germes occasionnant une pneumonie (Streptococcus pneumoniae, Haemophilus influenzae et Mycoplasma pneumoniae), l’invention de la radiographie et le début de l’ère antibiotique par la découverte de la pénicilline. L’invention finalement de la réaction en chaîne par polymérase a permis la mise en évidence de nombreux agents infectieux bactériens et viraux à l’origine de pneumonies, dont la présence a été sensiblement modifiée par le développement et l’introduction des vaccins conjugués contre S. pneumoniae (PCV) et H. influenzae type b (Hib)1,3).

Des études récentes ont effectué des analyses microbiologiques étendues afin de préciser l’étiologie d’une CAP de l’enfant et de l’adolescent-e confirmée par radiographie1-3). Un agent infectieux bactérien et/ou viral a été mis en évidence dans les voies respiratoires supérieures chez 81-99% de ces enfants et adolescent-e-s. Les virus représentaient la majorité des germes1-3), notamment chez les petits enfants (>90%)2). Le germe trouvé le plus fréquemment chez des enfants hospitalisés avec une CAP en 2015 aux USA était le virus respiratoire syncitial (VRS). La bactérie la plus fréquente a été le mycoplasma pneumoniae. La proportion de VRS a été significativement plus élevée chez les enfants en dessous de cinq ans comparé aux enfants plus âgés (37% vs 8%)1). À l’inverse la proportion de mycoplasma pneumoniae a été plus élevée après l’âge de cinq ans (19% vs 3%) (tabl. 1)1).

Ces études appuient l’observation clinique qui indique qu’actuellement la majorité non seulement des bronchites et bronchiolites mais aussi des CAP est due à des virus.

Tableau 1. Germes les plus fréquents chez les enfants avec une CAP.
Abréviations : VRS, virus respiratoire syncitial. Tableau adapté d’après Haq et al.6) * Mentionnés dans l’ordre de leur fréquence

Spectre des germes après Covid-19

Suite à l’introduction des mesures non médicamenteuses pour freiner la pandémie Covid-19 (e.a. port du masque) en mars 2020, le nombre de cas de maladies des voies respiratoires a massivement diminué, certaines maladies respiratoires ayant complètement disparu7). Ce fait s’est reflété de manière impressionnante dans le diminution significative des hospitalisations dues à des CAP8). La circulation du SARS-Cov-2 n’a par contre pas influencé l’incidence des CAP, le Covid-19 ne se manifestant chez l’enfant et adolescent-e immunocompétent-e pas par une CAP.

En lieu et place de la vague annuelle de VRS en hiver, après l’allégement des mesures on a constaté une augmentation hors saison de l’activité VRS durant l’été 20219). De même, la plupart des autres germes responsables d’infections respiratoires circulaient à nouveau après la suppression des mesures de protection10). Mycoplasma pneumoniae par contre n’est pas encore réapparu (état novembre 2022)10).

Diagnostic

Clinique

Le diagnostic de la CAP est en première ligne clinique. Les symptômes varient avec l’âge de l’enfant et sont très variés. Les signes typiques d’une infection des voies respiratoires inférieures sont la tachypnée, le tirage (sous- , intercostal ou jugulaire), les gémissements respiratoires (grunting), les battements des ailes du nez et les apnées (nourrisson)11). Des signes généraux évoquant une CAP sont la fièvre élevée, des frissons, un état général réduit (persistant malgré une baisse de la température), la toux, des douleurs thoraciques ou abdominales ainsi qu’une vigilance amoindrie.

Une CAP doit être envisagée en présence de fièvre et d’une tachypnée (persistant après baisse de la fièvre)12). On définit la fièvre (et la méthode de mesure) en fonction de l’âge comme suit: <3 mois, ≥38.0°C (rectale); 3-12 mois, ≥38.5°C (rectale); dès 1 année ≥38.5°C (auriculaire). La tachypnée semble être le signe clinique le plus significatif, car elle corrèle avec l’hypoxémie, les infiltrats pulmonaires à la radiographie et plus généralement avec la sévérité de la CAP12). Elle est définie en fonction de l’âge: <2 mois, >60 respirations/min.; 2-12 mois, >50 respirations/min.; 1-5 ans, >40 respirations/min.; >5 ans >20 respirations/min.11). La fréquence respiratoire devrait être comptée si possible pendant une minute entière, l’enfant étant tranquille. La fièvre peut augmenter la fréquence respiratoire de 10 respirations par minute et °C de la température corporelle13).

La bronchite et la bronchiolite se manifestent également souvent par de la fièvre et une tachypnée. Il est donc difficile de faire la différence cliniquement. Les enfants et adolescent-e-s avec des sibilances (wheezing) à l’auscultation ou des symptômes des voies respiratoires supérieures (p.ex. rhinite, pharyngite) n’ont que rarement une CAP12). Évoquent par contre une CAP un bruit respiratoire diminué ou augmenté et des râles crépitants fins à l’inspiration. Une matité à la percussion suggère une infiltration lobaire et/ou un épanchement pleural11,12).

De nombreuses études ont montré que des critères cliniques, biologiques et radiologiques ne permettent pas de différencier, chez l’enfant et adolescent-e avec une CAP peu sévère, entre étiologie bactérienne et virale11,12). Les choix thérapeutiques devraient donc se faire en fonction de l’âge, de l’épidémiologie et du spectre des germes correspondant à l’âge. Des investigations complémentaires seront effectuées en évaluant les risques (sévérité, facteurs de risque, signes de complications; cf. ci-dessous).

La fillette présentait un état général légèrement réduit. L’examen clinique (tachypnée, râles crépitants sur le poumon gauche) permit de diagnostiquer une pneumonie. Il n’y avait pas de facteurs de risque ni signes de complications.

Microbiologie

Diagnostiquer le germe responsable d’une CAP est un défi. Les analyses microbiologiques ne sont donc recommandées que pour les enfants et adolescent-e-s nécessitant une hospitalisation11,12).

Le «standard or» du diagnostic microbiologique d’une CAP est la mise en évidence du germe directement au lieu de l’infection, donc dans le poumon. On obtient ces échantillons par lavage broncho-alvéolaire, ponction pleurale ou biopsie pulmonaire (figure 2).

Figure 2. Prélèvements et méthodes d’analyse pour le diagnostic d’une CAP.

Abréviations: CSA, cellules sécrétant des anticorps; ELISA, Enzyme-linked Immunosorbent Assay (sérologie); ELISpot, Enzyme-linked Immunospot Assay (analyse basée sur la réponse cellulaire); PCR, réaction en chaîne par polymérase (polymerase chain reaction). Figure: P.M. Meyer Sauteur (adaptée d’après14)). En gras les prélèvements faits directement dans le poumon («standard or» du diagnostic microbiologique d’une CAP). * La mesure de l’air expiré par spectrométrie de masse et ** la mise en évidence de CSA par ELISpot (cf. ci-dessous) ne sont pas encore validées en tant qu’analyses pour le diagnostic microbiologique d’une CAP.

Ces méthodes sont très invasives et nécessitent pendant l’enfance et l’adolescence une narcose. Elles ne sont donc utilisées que de manière très restrictive. Les échantillons de crachats et sécrétions trachéales sont souvent contaminés par des germes des voies respiratoires supérieures. De plus, contrairement à l’adulte et l’adolescent-e, un enfant ne peut que rarement expectorer sur demande. Dans la pratique quotidienne on se sert d’échantillons prélevés loin du lieu d’infection mais plus aisément, comme les sécrétions des voies respiratoires supérieures, le sang et l’urine.

Les résultats de ces échantillons doivent néanmoins être interprétés avec prudence: aucune méthode, basée sur des échantillons non pulmonaires, possède seule tant une sensibilité qu’une spécificité élevée pour le diagnostic microbiologique d’une CAP14). Dans une étude ont par exemple été mis en évidence, par PCR multiplex, chez plus que la moitié des enfants avec une CAP (59%) et des enfants en bonne santé (54%) ≥4 germes dans les voies respiratoires supérieures3). Uniquement le VRS a été trouvé moins fréquemment chez les enfants en bonne santé que chez les malades2,3). Globalement la mise en évidence, dans les voies respiratoires supérieures d’enfants et adolescent-e-s de plusieurs germes potentiellement responsables d’une CAP, ne reflète qu’une colonisation, une persistance après une infection préalable ou une infection des voies respiratoires supérieures, et pas forcément la cause de la CAP14). Cela rend difficile l’attribution d’un germe des voies respiratoires supérieures à une CAP. Depuis l’introduction de la vaccination Hib et PCV, les hémocultures ne sont plus positives que dans <1% des cas de CAP peu sévères11). Si par contre elles s’avèrent positives, elles sont hautement spécifiques pour le diagnostic étiologique d’une CAP. Les tests antigéniques pour pneumocoques dans l’urine par contre sont positifs aussi chez les enfants et adolescent-e-s colonisés et ne sont donc que peu spécifiques3). Une colonisation par pneumocoques se trouve chez jusqu’à 77% des enfants en bonne santé14). De plus la colonisation peut aussi engendrer une réaction antigène-anticorps systémique, réduisant ainsi sensiblement la valeur du résultat sérologique en vue d’un diagnostic étiologique d’une CAP14).

Des approches diagnostiques innovatives et prometteuses sont les nouveaux biomarqueurs comme l’analyse multidimensionnelle des réactions de défense, l’analyse moléculaire de l’air expiré ainsi que de nouvelles approches analytiques14). Nous avons démontré qu’en présence d’une CAP due à M. pneumoniae, la mise en évidence par ELISpot (enzyme-linked immunospot) de cellules sécrétant des anticorps spécifiques (CSA, plasmablastes) est un indicateur diagnostic efficace d’une infection à M. penumoniae, contrairement à une colonisation où ces cellules B ne sont pas présentes dans le sang15,16). La méthode est en voie de validation et sera étendue à d’autres germes responsables de CAP.

Le médecin de famille a renoncé à d’autres investigations chez cette fillette. Il a prescrit un traitement antibiotique ambulatoire de clarithromycine par voie orale.

Traitement

Prise en charge

La prescription d’antibiotiques augmente avec l’insécurité diagnostique17). La CAP est une des causes principales de prescription d’antibiotiques aux enfants. Ils sont fréquemment prescrits «au cas où», par crainte d’une dégradation clinique rapide, d’une éventuelle hospitalisation ou des complications d’une infection bactérienne17).

Afin de réduire cette crainte, le diagnostic de CAP chez l’enfant et adolescent-e devrait être suivi d’une évaluation des risques. L’hospitalisation est recommandée lors d’une CAP moyennement à très sévère, en présence de facteurs de risque ou de signes évoquant une complication (figure 3). La plupart des enfants et adolescent-e-s avec une CAP peuvent néanmoins être traités en ambulatoire.

Figure 3. Algorithme pour la prise en charge de la CAP pendant l’enfance et l’adolescence.

Abréviations: PCR, protéine c-réactive; MIRM, M. pneumoniae-induced rash and mucositis; PCT, procalcitonine; RIME, reactive infectious mucocutaneus eruption; SpO2, saturation en oxygène mesurée par pulsoxymétrie. Figure: P.M. Meyer Sauteur, adaptée d’après Haq et al.6) * Contrairement à l’adulte, il n’existe pas de score spécifique pour les enfants permettant d’évaluer la sévérité d’une CAP. ** Les détails concernant le dosage et la durée du traitement antibiotique sont mentionnés dans le tableau 2. *** Suivi en absence d’amélioration sous traitement antibiotique ou lors de «watchful waiting». En cas de détérioration consultation sans délai.

 «Watchful waiting»

La décision pour ou contre un traitement antibiotique d’un enfant ou adolescent-e avec une CAP est prise en fonction de la présentation clinique et du germe présumé d’après l’âge et la situation épidémiologique. La plupart des CAP pendant l’enfance étant d’origine virale, pas chaque patient avec une CAP peu sévère et sans facteurs de risque ne nécessite un traitement antibiotique17). Il est dans ce cas bien au contraire raisonnable d’attendre et d’observer («watchful waiting»). La condition est d’informer les parents en détail sur les signes d’alarme nécessitant une consultation rapidement («safety-netting»), ainsi que l’assurance d’un contrôle clinique après 48-72 heures. Cette façon de procéder ne contrecarre pas seulement l’émergence de bactéries résistantes mais évite aussi des effets indésirables et réduit les coûts17).

Antibiotiques

D’après les recommandations actuelles, le premier choix pour le traitement de la CAP pendant l’enfance et l’adolescence est toujours et encore l’amoxicilline11,12,18), active contre la plupart des bactéries (surtout les pneumocoques) responsables de CAP, bien tolérée et économique. Si la prise orale et la résorption intestinale est garantie, l’administration devrait toujours se faire par voie orale. En raison du développement de résistances de la part des bactéries, les céphalosporines et macrolides ne devraient pas être utilisés en première intention pour le traitement de la CAP pendant l’enfance et l’adolescence. On aura recours aux macrolides ou tétracyclines (dès l’âge de 8 ans) seulement en cas d’allergie à la pénicilline ou de confirmation de CAP due à M. pneumoniae ou Chlamydia pneumoniae (cf. ci-après).

Les difficultés à diagnostiquer le germe responsable sont un problème aussi pour les études évaluant le bénéfice d’un traitement antibiotique de la CAP. En raison de la difficulté à différencier une CAP bactérienne d’une CAP virale, l’effet de l’antibiotique est pris en considération aussi lors d’une CAP potentiellement virale; l’effet sur la CAP bactérienne est donc probablement sous-évalué ou biaisé (principe de Pollyanna)17).

Deux études randomisées et contrôlées récentes ont analysé la durée du traitement p.o. avec amoxicilline pour des enfants avec une CAP. L’étude SAFER (USA, 2 centres, 281 enfants avec une CAP documentée radiologiquement) a confirmé les recommandations actuelles, selon lesquelles un traitement de 5 jours n‘est pas moins efficace qu’un traitement de 10 jours19). Néanmoins dans cette étude ont aussi été mis en évidence par PCR des virus (surtout VRS) chez environ 2/3 des patients. Dans l’étude CAP-IT (UK, 29 centres, 824 enfants) il a même été démontré qu’on obtient le même résultat avec un traitement de 3 ou 7 jours20). De plus, pour les deux durées de traitement, le dosage plus faible (30-50 mg/kg/j) ne s’avéra pas inférieur au dosage plus élevé (70-90 mg/kg/j). Dans cette étude le diagnostic de CAP a par contre été exclusivement clinique (pas de radiographie ni d’analyse microbiologique). En incluant surtout de très jeunes enfants, il est probable qu’aient été retenus de nombreux enfants avec une CAP virale et que là aussi l’effet de l’antibiotique ait été biaisé, donc sous-estimé par rapport au traitement d’une CAP bactérienne. Néanmoins les critères diagnostiques dans l’étude CAP-IT correspondent aux recommandations actuelles et aux réalités de la pratique quotidienne. Les résultats peuvent donc être appliqués pour le traitement d’enfants avec une CAP peu sévère.

En résumé on recommande actuellement un traitement le plus court possible, en principe de 5 jours pour une CAP peu sévère (figure 3)18). Si l’enfant guérit avant, même un traitement de 3 jours peut suffire20). Un aperçu du choix, du dosage et de la durée d’administration des antibiotiques est présenté dans le tableau 2.

En absence d’amélioration malgré le traitement antibiotique, la maman a recontacté le médecin de famille. Après une brève amélioration le fillette était toujours fébrile et toussait violemment, depuis maintenant 9 jours. De plus elle se plaignait de fortes douleurs dans la bouche. Entre-temps la maman et les deux frères (5 et 7 ans) avaient aussi développé une pneumonie. Le médecin de famille a immédiatement adressé la fillette au service d’urgence.

Tableau 2. Traitement antibiotique ambulatoire pour une CAP légère de l’enfant.

Non-réponse

Un suivi n’est nécessaire que si l’état ne s’améliore pas sous antibiothérapie ou lors de «watchful waiting». Les raisons d’une absence d’amélioration malgré un traitement adéquat («non-réponse») peuvent être très variées (figure 3). Entrent en considération la possibilité d’un faux diagnostic, d’une résistance à la pénicilline ou d’une complication.

Les pneumocoques résistants à la pénicilline sont encore plutôt rares en Suisse (2%), plus fréquents aux macrolides (6%) (www.anresis.ch). Les taux de pneumocoques résistants les plus élevés en Suisse se rencontrent dans la région de Genève (pénicilline 10% ; macrolides 8%). Les résistances de pneumocoques ont diminué depuis l’introduction de PCV7 et PCV13, des souches moins sensibles étant inclues dans les vaccins21).

Les complications possibles de la CAP pendant l’enfance et l’adolescence sont résumées dans le tableau 3. Dans environ 1% des cas de CAP se développe une pleuropneumonie22). Des manifestations extra-pulmonaires se manifestent dans jusqu’à un tiers des cas de CAP dues à M. pneumoniae et peuvent toucher presque tous les organes (surtout la peau et le système nerveux)23,24).

À l’arrivée au service d’urgence l’état général de la fille était mauvais, elle avait de la fièvre à 39.4°C. la radiographie thoracique confirme la pneumonie. En outre elle avait une conjonctivite et une mucite buccale marquée (figure 4). Les paramètres inflammatoires n’étaient que légèrement élevés (leucocytes 12 G/l, CRP 13 mg/l).

Tableau 3. Complications de la CAP pendant l’enfance et l’adolescence.
Figure 4. Fillette de 10 ans avec une CAP et une mucite.

Abréviations: CSA, cellules sécrétant des anticorps; ELISA, Enzyme-linked Immunosorbent Assay (sérologie); ELISpot, Enzyme-linked Immunospot Assay (analyse basée sur la réponse cellulaire); Ig, immunoglobuline; PBMCs, cellules mononuclées du sang périphérique; PCR, réaction en chaîne par polymérase (polymerase chain reaction); U, unités. Figure: P.M. Meyer Sauteur. Publication des photos avec l’accord de JAMA Dermatology24). Image radiologique d’une infiltration du lobe inférieur gauche. Photo de la patiente présentant une conjonctivite purulente, une mucite buccale et une discrète atteinte cutanée en cocarde de la paume. Le frottis buccal n’étant pas possible en raison de la mucite, la mise en évidence d’IgM CSA spécifiques pour M. pneumoniae par ELISpot apporte d’emblée le diagnostic d’une M. pneumoniae-induced rash and mucositis (MIRM). Les IgM CSA spécifiques pour M. pneumoniae étaient présents jusqu’à 23 jours après le début des symptômes, contrairement aux IgM sanguins et à l’ADN dans le pharynx, qui ont persisté plusieurs mois.

L’absence de réponse à l’amoxicilline est également un indice diagnostic fiable pour une infection à M. pneumoniae. D’autres critères cliniques et biologiques peuvent contribuer au diagnostic d’une CAP par M. pneumoniae: âge >5 ans, durée prolongée des symptômes (>6 jours), atteinte cutanée, d’autres membres de la famille avec symptômes d’infection des voies respiratoires, taux normaux ou peu élevés de CRP et procalcitonine26).

Les options thérapeutiques pour une CAP à M. pneumoniae sont les macrolides ou les tétracyclines (dès l’âge de 8 ans) (tabl. 2). Néanmoins il n’est toujours pas clair, si ces antibiotiques sont vraiment efficaces27,28). Malgré cela les macrolides sont largement utilisés partout dans le monde, entraînant des taux de résistances alarmants (Asie >90%, Suisse 2-9%)23,29). La CAP à M. pneumoniae est en général peu sévère et auto-limitante16,26). Cette observation et les résultats récents de recherches appuient l’hypothèse d’une pathogénèse immunitaire de cette infection, c’est à dire que la CAP n’est pas due à M. pneumoniae directement mais à la réaction immunologique (possiblement une réaction immunologique spécifique des cellules T)23,30). Pour cette raison le traitement antibiotique peut être différé tout en observant le patient. Lorsqu’un traitement antibiotique est envisagé, dans cette situation particulière on devrait préciser la nature du germe par PCR (fig. 3). L’efficacité des macrolides pour le traitement de la CAP due à M. pneumoniae pendant l’enfance et l’adolescence est analysée dans une grande étude multicentrique financée par le Fonds national suisse (www.mythic-study.ch).

Suspectant une réaction toxique médicamenteuse, la clarithromycine et les médicaments antipyrétiques administrés auparavant ont été stoppés. Un frottis de gorge (et nez) n’a pas été possible à cause de la mucite. Après avoir prélevé des hémocultures, la fillette a été hydratée et hospitalisée pour observation. La mise en évidence d’IgM CSA spécifiques pour M. pneumoniae par ELISpot a apporté dans les 24 heures le diagnostic d’une MIRM (M. pneumoniae-induced rash and mucositis) (fig. 4). La patiente a été traitée avec de la méthylprednisolone (3 mg/kg/dose, 1x/j), a pu rentrer à domicile après 5 jours et a entièrement récupéré 17 jours après le début des symptômes.

Résumé

Le diagnostic rapide et fiable du germe responsable de la CAP est décisif pour une antibiothérapie ciblée et efficace. Les programmes de vaccination (PCV et Hib) de ces trois dernières décennies ont sensiblement diminué l’incidence des CAP. Les germes mis en évidence de loin le plus fréquemment chez les enfants et adolescent-e-s avec une CAP sont des virus. Une CAP due aux pneumocoques devrait être traitée par antibiotique, l’évolution pouvant être sévère. Elle est donc toujours et encore la raison la plus fréquente pour un traitement antibiotique empirique de la CAP pendant l’enfance et l’adolescence. À l’opposé la CAP due à M. pneumoniae est la plupart des fois bénigne et auto-limitante, ne nécessitant en général pas d’antibiothérapie.

Les conclusions importantes de la recherche de ces dernières années dans le domaine de la pneumonie sont la prépondérance de l’étiologie virale, la différenciation insuffisante entre colonisation et infection par les méthodes diagnostiques non invasives actuelles, ainsi que l’émergence inquiétante de bactéries résistantes suite à l’utilisation inadéquate d’antibiotiques lors du traitement d’une CAP. Outre une réduction de l’insécurité diagnostique, il s’agit aussi de diminuer l’exposition aux antibiotiques des enfants atteints d’une CAP . Des guidelines sont actuellement en élaboration par différentes sociétés en Suisse et en Europe, avec la collaboration du Groupe d’Infectiologie pédiatrique Suisse (PIGS), qui incluront e.a. les recommandations de cette revue.

D’autres progrès dans le diagnostic et la compréhension de la physiopathologie de la CAP sont urgents et nécessaires afin que les enfants et adolescent-e-s bénéficient de traitements antibiotiques adéquats tout en freinant l’émergence de bactéries résistantes.

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Informations complémentaires

Traducteur:
Rudolf Schlaepfer
Correspondance:
Conflit d'intérêts:
L'auteur n'a déclaré aucun lien financier ou personnel en rapport avec cet article.
Auteurs
PD Dr. Dr. med.   Patrick M. Meyer Sauteur Oberarzt mbF, Abteilung Infektiologie und Spitalhygiene, Forschungsgruppenleiter Labor- und klinische Forschung, Universitäts-Kinderspital, Zürich