Introduction
Les allergies alimentaires représentent un défi considérable, à la fois en raison de leur impact important sur la santé et la qualité de vie des personnes concernées, et également en raison de leur poids financier sur les ressources de santé publique(1). Vu la prévalence croissante des allergies alimentaires, des stratégies de prévention et de prise en charge efficaces deviennent urgentes(2-6). Ces dernières années, l‘immunothérapie orale (ITO) s’est imposée comme le premier traitement actif des allergies alimentaires et est de plus en plus répandue, particulièrement chez l’enfant et son principe a été exposé dans le numéro de juin 2022 de Paediatrica(3). Actuellement, l’ITO est classiquement proposée aux enfants allergiques au lait, aux œufs ou aux arachides.
Cependant, bien que très prometteurs, les traitements par ITO présentent de nombreuses contraintes et risques. Une compréhension de ce traitement est indispensable pour permettre aux pédiatres et médecins de premier recours d’accompagner leurs patients de manière appropriée dans ce processus décisionnel et référer, le cas échéant, les patients aux centres spécialisés dans le traitement des allergies alimentaires (tabl.1).
L’objectif principal de cet article est de donner un bref aperçu de l’ITO et de présenter des recommandations pour son utilisation en Suisse. En fournissant des informations actualisées à toutes les parties concernées, nous souhaitons promouvoir une compréhension plus approfondie de cette forme de thérapie, ce qui, en fin de compte, sera bénéfique pour le traitement et le succès thérapeutique des patients.
Immunothérapie orale (ITO)
L’ITO poursuit plusieurs objectifs essentiels :
- Une meilleure tolérance aux allergènes spécifiques pour les patients avec une allergie alimentaire IgE-médiée.
- La réduction du risque de réaction sévère suite à l’ingestion accidentelle d’une petite quantité de l’allergène.
- L’amélioration de la qualité de vie du patient et de sa famille.
Les évidences scientifiques ont permis à l’Académie Européenne d’Allergologie et Immunologie Clinique (EAACI) de recommander ce traitement pour les allergies au lait, aux œufs et aux arachides(7). Plusieurs études montrent également de bons résultats avec d’autres allergènes, particulièrement le blé et les fruits à coque et ils peuvent donc, en fonction de la situation, également être discutés avec les patients(8-11).
Ce traitement, initié et suivi par l’allergologue, consiste en l’administration progressive et systématique de petites quantités de l’allergène, afin d’augmenter progressivement le seuil de tolérance du patient à l’allergène en question.
Selon l’allergène impliqué et la sensibilité du patient, différentes formes ou préparations sont utilisées : allergène pur, allergène cuit ou cuisiné avec une matrice, préparations sous forme de poudre, capsule ou sirop. Actuellement le Palforzia® (Aimmune Therapeutics, Brisbane, CA, USA), une poudre à base d’arachides, est le seul produit commercialisé et admis par Swissmedic pour le traitement de l’allergie aux arachides en Suisse(12).
Concrètement, l’ITO se subdivise en principe en deux phases: l’augmentation des doses et la phase de maintien.
Avant de commencer ce traitement, on effectue souvent un test de provocation oral (TPO) pour confirmer le diagnostic d’allergie alimentaire et déterminer le seuil de réaction. Le patient débute dès le lendemain ou les jours suivants avec l’ingestion quotidienne d’une dose de l’allergène se situant en dessous du seuil de réaction. Le traitement peut aussi être initié sans TPO au préalable, si le diagnostic d’allergie alimentaire est clair, avec une dose estimée tolérable pour le patient et sous surveillance médicale. La dose quotidienne est ensuite augmentée progressivement, habituellement toutes les 2 à 4 semaines. Cette phase d’augmentation des doses est variable et dure généralement entre 4 et 12 mois. Cette durée est individuelle, car elle dépend de plusieurs facteurs, comprenant la dose initiale, la fréquence des consultations et les intervalles entre les augmentations du dosage, ainsi que la tolérance individuelle et la réponse du patient au traitement.
Une fois la dose maximale fixée atteinte, débute la phase de maintien. Dans cette phase de maintien de tolérance, il est recommandé qu’une dose constante de l’allergène soit prise entre 3 et 7x/semaine, en général pendant plusieurs années.
L’ITO exige une observation stricte du protocole pour la prise de l’allergène ainsi que des contrôles réguliers dans un centre spécialisé (Etude PACE)(13). Le succès de l’ITO dépend de l’étroite collaboration entre patient, famille et personnel médical, afin de garantir la sécurité du traitement et la meilleure efficacité possible. L’information détaillée du patient et de sa famille sur l’effet escompté, les risques et les précautions essentielles en lien avec l’ITO sont fondamentales et le patient et sa famille doivent être des partenaires actifs du choix du traitement et de ses objectifs. En particulier, la famille doit être informée que le risque d’anaphylaxie est plus élevé pendant l’ITO.
La durée optimale de la phase de maintien n’est actuellement pas clairement définie et l’interruption du traitement peut entraîner une diminution ou perte de la tolérance. Il n’existe qu’un nombre limité de données à long terme sur l’ITO des allergies alimentaires et, actuellement, l’ITO doit donc être considérée comme un traitement au long cours, voire à vie.
Effets indésirables et risques de l’ITO
Malgré les avantages potentiels, l’ITO implique un nombre non négligeable d’effets indésirables. Les effets indésirables peu sévères sont fréquents et concernent le tractus gastro-intestinal, sous forme de prurit oropharyngé, douleurs abdominales, nausées ou vomissements. Ces symptômes se manifestent en général pendant la phase d’augmentation du dosage et s’amendent avec le temps, ils répondent également bien à la diminution de la dose ou à un traitement symptomatique d’antihistaminique.
Les effets indésirables sévères sont moins fréquents mais peuvent engendrer chez 3-5% des patients une œsophagite à éosinophiles (ŒE), qui semble réversible à l’arrêt du traitement et dont les éventuels signes évocateurs doivent être signalés au patient et évalués lors des visites médicales(14-16).
Plus inquiétant, une réaction anaphylactique peut survenir chez 9-12% des patients, ce risque variant en fonction de l’allergène, de l’âge, des co-morbidités allergiques et du taux d’IgE(14, 17).. Les données actuelles ont identifié des co-facteurs qui augmentent ce risque de réaction sévère, principalement un contexte infectieux, une prise d’AINS, l’activité physique ou une fatigue intense.
Le patient et sa famille doivent donc être informés de ces situations et mesures à prendre (interruption temporaire ou une adaptation de la dose quotidienne d’allergène). Un kit d’urgence, contenant au minimum un auto–injecteur d’adrénaline, doit toujours être à portée de main et il est essentiel que tant le patient (s’il en a l’âge) que la famille soient instruits dans l’emploi correct des médicaments d’urgence.
Considérations pratiques pour la conduite de l’ITO
Au nom du groupe de travail ITO des Pédiatres Immunologues et Allergologues Suisses (PIA–CH) nous soulignons les points essentiels suivants pour la conduite d’une ITO dans l’allergie alimentaire. Ces recommandations se basent sur les guidelines de 2018 et 2020 de l’Académie Européenne d’Allergologie et Immunologie Clinique et l’Académie Canadienne d’Allergie et Immunologie (EAACI et CSACI)(7, 18):
- Centre spécialisé: l’ITO devrait être pratiquée exclusivement par un centre/cabinet d’allergologie pédiatrique spécialisé, disposant d’une vaste expérience dans le suivi et le traitement des allergies alimentaires.
- Objectifs du traitement: l’objectif premier du traitement d’une allergie alimentaire persistante devrait être l’amélioration de la qualité de vie du patient. À noter que l’approche peut varier d’un patient à l’autre et en fonction de l’allergène impliqué. Les objectifs et la stratégie doivent être discutés et clairement définis avec la famille avant le début du traitement.
- Sélection du patient: la confirmation du diagnostic d’allergie IgE-médiée est impérative. L’ITO est actuellement recommandée à partir de l’âge de 4 ans pour les patients avec une allergie alimentaire IgE-médiée persistante mais les données actuelles suggèrent que l’ITO pourrait être plus efficace si elle est débutée plus précocement et peut donc être discutée au cas par cas chez des patients plus jeunes.
- Sélection de l’allergène: actuellement l’ITO est recommandée pour les allergies au lait de vache, aux œufs et aux arachides. En Suisse, le blé et certains fruits à coque comme les noisettes et la noix de cajou sont très fréquemment consommés et occasionnent régulièrement des ingestions et réactions accidentelles. Une ITO à ces aliments peut ainsi également être évaluée individuellement(8-11).
- Appréciation des risques: une évaluation détaillée des facteurs de risque, dont la présence d’une allergie respiratoire, d’un asthme bronchique ou de taux d’IgE spécifiques très élevés, est cruciale avant de débuter une ITO.
- Compliance et information: l’ITO devrait être proposée uniquement aux patients et familles très motivés à suivre un tel traitement et capables de comprendre pleinement les implications de celui-ci.
Cela implique également de fournir une information adéquate et une formation sur l’utilisation des médicaments d’urgence. Les patients et leurs familles doivent être sensibilisés à l’importance de prendre quotidiennement la dose d’ITO, à la nécessité d’une surveillance régulière et aux risques potentiels d’effets indésirables. De plus, il est essentiel d’expliquer le traitement aux enfants de manière adaptée à leur âge, en incluant les plus âgés dans le processus décisionnel si possible. - Activité physique et alimentation: afin de diminuer le risque de réaction anaphylactique, il est recommandé d’éviter toute activité physique intense 1 heure avant et 2-3 heures après la prise quotidienne d’ITO. En outre, elle ne devrait pas être prise à jeun.
- Accessibilité et communication avec l’équipe allergologique : les patients qui suivent une ITO doivent pouvoir rester en contact régulier avec l’équipe allergologique responsable du traitement, et de même, il est essentiel qu’un membre de l’équipe allergologique en charge du traitement soit disponible pour le patient en cas de question.
Conclusion
L’ITO est actuellement la seule méthode active pour le traitement des allergies alimentaires IgE-médiées et représente une alternative aux régimes d’éviction restrictifs. Ces régimes d’éviction peuvent diminuer considérablement la qualité de vie et induire, particulièrement chez les petits enfants, des déficits nutritionnels. Par ailleurs, l’allergie peut s’accompagner d’un risque de réaction anaphylactique sévère suite à l’exposition accidentelle à l’allergène. Il faut néanmoins considérer que l’ITO peut représenter une contrainte importante pour les patients et leurs familles et s’accompagne également de risques potentiellement sévères.
Une information claire et détaillée pour les patients et les familles est donc impérative pour leur permettre de choisir de manière éclairée cette option thérapeutique.
Compte tenu de la complexité et des risques liés à l’ITO, il est fortement recommandé de confier la prescription et le suivi exclusivement à des médecins spécialisés en allergologie pour garantir la meilleure qualité de prise en charge, de conseils et de suivi.
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