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Auto-immunité en pédiatrie : Réflexions du praticien à propos de deux cas de rhumatologie pédiatrique

Cas #1

Une adolescente de 14 ans d’origine Congolaise se présente avec des arthralgies d’origine inflammatoire et des gonflements articulaires depuis 6 mois. Elle décrit une raideur matinale d’environ une heure et une asthénie globale. A l’examen clinique on constate une polyarthrite touchant les petites et grandes articulations et un rash malaire sans autre anomalie. Le bilan biologique retrouve une leucopénie (3 G/L) avec lymphopénie (0.8 G/L), CRP à 8 mg/l (N<5), vitesse de sédimentation (VS) à 45 mm/h.

1/ Quels sont les diagnostics différentiels à évoquer (choix multiple possible) ?

  • A/ Arthrite juvénile idiopathique
  • B/ Hémopathie
  • C/ Arthrite para-/post-infectieuse
  • D/ Lupus érythémateux systémique

2/ Quel complément d’investigations biologiques demandez-vous (choix multiple possible) ?

  • A/ Facteurs anti-nucléaires, facteurs rhumatoïdes, anti-CCP
  • B/ Réponse A plus anti-DNA natifs, anticorps anti-antigènes nucléaires solubles (anti-ENA : anti-SSA, anti-SSB, anti-U1RNP, anti-Sm), complément (C3, C4, CH50)
  • C/ Réponse B plus rapport protéinurie/créatininurie
  • D/ Aucun, le diagnostic peut être posé sans investigations complémentaires
  • E/ Frottis sanguin

Discussion

Les arthrites juvéniles idiopathiques (AJI) sont un groupe hétérogène d’arthrites inflammatoires. C’est un diagnostic d’exclusion et clinique, défini par une arthrite d’étiologie inconnue qui débute avant le 16è anniversaire et dure au moins 6 semaines1). La biologie inflammatoire peut soutenir le diagnostic, mais sa présence n’est pas obligatoire. La présence ou absence de facteurs anti-nucléaires (FAN) ne prouve ni n’exclut le diagnostic d’AJI, mais leur recherche est importante pour définir le risque d’uvéite asymptomatique, notamment chez les jeunes enfants. L’AJI polyarticulaire avec facteurs rhumatoïdes et anti-CCP est rare, elle touche surtout les adolescentes et est équivalente à la polyarthrite rhumatoïde de l’adulte. Le rash malaire et les cytopénies décrits chez notre patiente sont inhabituels dans l’AJI et doivent faire rechercher d’autres diagnostics.

Une hémopathie (en particulier la leucémie) doit être évoquée devant une polyarthrite, asthénie et cytopénie, et investiguée au moins par un frottis sanguin, même si la durée de l’évolution rend ce diagnostic peu probable chez notre patiente.

L’arthrite para- ou post-infectieuse peut être exclue devant l’évolution chronique sur 6 mois.

Le diagnostic de lupus érythémateux systémique (LES) est le plus probable devant l’association de polyarthrite, rash malaire, asthénie, l’origine ethnique, l’inflammation biologique avec dissociation de la CRP (souvent normale) et de la VS (élevée), et des cytopénies. C’est une maladie systémique auto-immune d’étiologie multifactorielle (génétique, épigénétique, environnementale) qui touche essentiellement les femmes à l’âge adulte et les ethnies non-caucasiennes. Le LES est rare dans la population pédiatrique (10-17% des cas diagnostiqués avant l’âge de 16 ans), mais plus sévère que chez l’adulte2). Le diagnostic se pose devant l’ensemble de manifestations cliniques et biologiques. Le LES se manifeste souvent par des atteintes cutanées et articulaires, mais le spectre de présentation phénotypique est large. L’atteinte rénale est plus fréquente et sévère chez l’enfant que chez l’adulte, et peut survenir tout au long de l’évolution. Sa recherche doit donc être systématique lors du diagnostic et de l’évolution.  

Plusieurs critères de classification ont été proposés, dont les critères de SLICC qui sont utilisés le plus souvent en pédiatrie (Tableau 1)3).

Réponses correctes question 1/ A, B, D, question 2/ C, E

Les examens biologiques complémentaires retrouvent des FAN positifs à 1:640, des anti-DNA natifs, anti-RNP et anti-Sm positifs, les facteurs du complément C3 et C4 effondrés. Les facteurs rhumatoïdes et anti-CCP sont négatifs. Il existe une protéinurie isolée avec un rapport protéinurie/créatininurie à 76 mg/mmol. La créatinine et albumine sériques ainsi que la tension artérielle sont normales. Vous posez le diagnostic de LES.

3/ Choisissez la/les réponse(s) correcte(s) (plusieurs réponses possibles) :

  • A/ On doit exclure une protéinurie orthostatique.
  • B/ Au vu de la créatinine et albumine normales une néphrite lupique est peu probable.
  • C/ La biopsie rénale est une procédure qui n’a pas de contre-indication.
  • D/ La biopsie rénale est indiquée chez un patient avec LES présentant une protéinurie persistante.

Discussion

Chez un patient avec LES (même suspecté) présentant une protéinurie persistante, la recherche d’une atteinte rénale est indiquée une fois la protéinurie orthostatique exclue4). La biopsie rénale permet de confirmer et classifier la néphrite lupique, afin de guider le traitement et définir le pronostic4, 5).

Réponses correctes question 3/ A, D

La patiente présente en effet une protéinurie persistante lors de l’examen des premières urines du matin. La biopsie rénale confirme une néphrite lupique de classe III, un traitement par corticostéroïdes systémiques, mycophénolate mofétil (MMF) et hydroxychloroquine (HCQ) est proposé. Vous vérifiez le carnet de vaccinations et constatez qu’elle n’a eu que trois doses d’Infanrix Hexa et deux doses de ROR. Elle n’est pas immunisée contre la varicelle.

4/ Quels sont les vaccins recommandés devant le diagnostic de LES et une immunosuppression envisagée (choix multiple possible) ?

  • A/ Il ne faut pas vacciner car il existe un risque de poussée lupique suite aux vaccins.
  • B/ Il est conseillé de compléter les doses manquantes de diphtérie, tétanos et polio.
  • C/ Il est conseillé de vacciner contre le pneumocoque, la méningite et la grippe.
  • D/ Il est conseillé de vacciner contre la varicelle avant le début du traitement.
  • E/ Il est conseillé de vacciner contre l’HPV.    

Discussion

Les patients avec LES ont une susceptibilité accrue d’infection en raison d’une réponse immunitaire aberrante et du traitement immunosuppresseur souvent nécessaire pour la prise en charge thérapeutique6). Le calendrier vaccinal usuel doit donc être suivi conformément aux recommandations nationales en vigueur. Les vaccinations contre la grippe, le méningocoque et le pneumocoque sont recommandées chez tous les patients avec LES, surtout si un traitement immunosuppresseur est envisagé. Pour les patients non vaccinés contre les méningocoques, 2 doses du vaccin quadrivalent (MCV-ACWY) à 4-8 semaines d’intervalle avec rappel à l’intervalle de 5 ans sont conseillées à partir de ≥ 12 mois. Pour les patients non vaccinés avec le PCV13, une dose unique de PVC13 est conseillée à partir de ≥ 2 ans7). Idéalement, le vaccin contre le pneumocoque est effectué avant le début d’une immunosuppression afin d’améliorer la réponse vaccinale. En raison d’un risque accru d’infection à HPV chez les patients atteints de LES, la vaccination contre les HPV est fortement recommandée. Pour les patients n’ayant pas reçu le vaccin 9-valent dans le cadre des vaccinations de base entre 11 et 14 ans, un rattrapage est conseillé à partir de 15 ans avec un schéma vaccinal de 3 doses à administrer aux temps 0, 2, 6 mois7).

Actuellement, il est recommandé de ne pas administrer de vaccins vivants en cours de traitement immunosuppresseur6), mais si possible de les donner avant le début du traitement si la présentation clinique le permet (pour le ROR et le vaccin contre la varicelle : soit 1 dose avec contrôle sérologique 3-4 semaines après, soit 2 doses à 4 semaines d’intervalle puis début du traitement 4 semaines après la deuxième dose). La présence d’une néphrite lupique stade III ne permet pas de repousser l’initiation d’un traitement immunosuppresseur chez notre patiente et il faudra donc prévoir une prophylaxie post-exposition ou un traitement médicamenteux de la varicelle si nécessaire.  

Réponses correctes question 4/ B, C, D, E

Cas #2

Vous voyez un garçon de 13 ans à votre cabinet en raison d’une modification de la couleur des mains et des pieds lorsqu’il fait plus froid : les bouts des doigts deviennent blancs, puis violacées et enfin rouges. Vous suspectez un phénomène de Raynaud. A l’examen vous retrouvez des extrémités fraîches mais bien perfusées, ainsi que des tuméfactions des petites articulations des mains, et il n’arrive pas bien à serrer les poings.

5/ Devant ce tableau, feriez-vous des examens complémentaires ?

  • A/ NON, il faut surtout maintenir le corps et les extrémités chaudes et éviter les changements soudains de température.
  • B/ OUI, car il peut s’agir d’un phénomène de Raynaud secondaire.

Discussion

Le phénomène de Raynaud (PR) est une réponse vasculaire exagérée au froid, qui se manifeste par un changement de couleur des extrémités en trois phases – pâleur (ischémie), cyanose (hypoxie) et rougeur (reperfusion) – même si certains patients peuvent en présenter seulement deux (dont la phase ischémique). Ce phénomène est défini comme primaire lorsqu’il se manifeste chez des individus qui sont autrement en bonne santé. Le PR primaire est plus fréquent chez les femmes, avec un âge de début de 15-25 ans, et il est typiquement bilatéral ; plusieurs membres de la famille peuvent en être atteints. L’étiologie du PR secondaire est large, incluant entre autres les connectivites tel que le lupus, les effets secondaires médicamenteux et les troubles de la thyroïde. Les investigations recommandées dépendent de l’évaluation clinique, mais elles devraient inclure au minimum la formule sanguine complète, les paramètres inflammatoires, la fonction rénale avec bandelette et sédiment urinaire, les FAN et la fonction thyroïdienne8, 9). Un instrument très utile dans l’exploration d’un PR est la capillaroscopie, qui permet d’analyser le nombre, la forme et la disposition des capillaires du lit de l’ongle. La capillaroscopie est typiquement normale chez les patients avec PR primaire ; elle peut être par contre pathologique en cas de maladies rhumatologiques auto-immunes, en particulier les connectivites, dont le LES10).

Chez notre patient, qui est un garçon d’âge jeune, vous suspectez un PR secondaire et décidez de faire des examens supplémentaires. La capillaroscopie montre des capillaires dilatés. Vous retrouvez une thrombocytopénie à 38 G/L sans autre cytopénie, des FAN et des anti-ADN positifs, ainsi qu’un complément abaissé. Vous posez le diagnostic de LES.

Vous le revoyez à votre cabinet 6 mois plus tard car il a de la fièvre à 38.8°C depuis 24h et mal à la gorge. Il garde un bon état général, le LES est bien contrôlé. La mère vous dit qu’elle-même a eu une angine virale et vient tout juste de se remettre. Vous retrouvez une pharyngite à l’examen clinique, qui est par ailleurs rassurant. Vous faites un test de détection rapide de streptocoque qui revient négatif, vous renoncez au bilan biologique à ce stade vu le bon état général. Il est actuellement sous traitement par MMF et HCQ.

6/ Qu’est-ce que vous proposez à votre patient ? (plusieurs réponses possibles)

  • A/ Vous prescrivez des antibiotiques car il est immunosupprimé.
  • B/ Vous prescrivez un traitement symptomatique et donnez la consigne de vous contacter en cas de persistance/péjoration dans les jours suivants.
  • C/ Vous mettez en suspens le MMF jusqu’à la guérison, mais gardez l’HCQ inchangée.
  • D/ Vous mettez en suspens le MMF et l’HCQ jusqu’à la guérison.
  • E/ Vous continuez les 2 traitements car il s’agit d’une angine virale.

Discussion

Le MMF est un médicament immunosuppresseur qui agit sur la prolifération des lymphocytes T et B. Comme les autres immunosuppresseurs prescrits chez les patients avec LES ou autres maladies auto-immunes, il doit être mis en suspens en cas d’infection. Les stéroïdes systémiques, par contre, représentent une exception à cette règle et en principe ne doivent pas être arrêtés soudainement vu le risque d’insuffisance surrénalienne aigüe. Au contraire, en cas d’infection chez un(e) patient(e) sous traitement stéroïdien systémique, il est important de pouvoir se coordonner avec le(s) spécialiste(s) afin d’évaluer la nécessité d’une dose de stress pendant quelques jours. L’HCQ est un analogue de la chloroquine, une quinolone qui ne cause pas d’immunosuppression en sens propre et, de ce fait, il peut être poursuivi en cas d’infection. L’HCQ a montré une efficacité dans le traitement de l’atteinte cutanée, articulaire et hématologique (thrombocytopénie) du LES, ainsi que dans la diminution du risque de poussée et de mortalité, de dyslipidémie, d’athérosclérose et de thrombose. Un effet secondaire bien connu de l’HCQ est la rétinopathie due à une dégénérescence des photorécepteurs, pour laquelle la dose cumulative d’HCQ joue un rôle important. Des contrôles ophtalmologiques réguliers (1x/an), incluant les champs visuels, sont donc recommandés11).

Concernant notre patient, vous avez mis en suspens le MMF et poursuivi l’HCQ. Vue l’infection virale et le bon état général, vous lui avez prescrit un traitement symptomatique et demandé de vous recontacter en cas de péjoration ou manque d’amélioration en quelques jours.

Réponses correctes question 5/ B, et question 6/ B, C.

TAKE HOME MESSAGES

  • Le lupus érythémateux systémique pédiatrique est une maladie auto-immune complexe caractérisée par une large variabilité et une présentation clinique souvent plus sévère que chez l’adulte.
  • L’anamnèse et l’examen clinique sont décisifs afin de diriger les examens complémentaires et le diagnostic différentiel.
  • La surveillance régulière d’une potentielle atteinte rénale est obligatoire.
  • Une prise en charge multidisciplinaire est indispensable avec un rôle central du pédiatre.
  • La mise à jour des vaccins est indispensable. Les vaccins vivants sont contre-indiqués sous traitement immunosuppresseur.
Tableau 1. Critères de classification selon le Systemic Lupus International Collaborating Clinics (SLICC). Au moins 4 critères, dont au moins 1 critère clinique et 1 critère biologique ou une histologie de glomérulonéphrite lupique avec des FAN et/ou des anti-DNA natifs sont requis.

Références

  1. Aeschlimann FA, Qartier P. Arthrites juvéniles idiopathiques. La Revue du Praticien; 2019:69:188-94.
  2. Levy DM, Kamphuis S. Systemic lupus erythematosus in children and adolescents. Pediatr Clin North Am. 2012;59:345-64.
  3. Petri M, Orbai AM, Alarcón GS, Gordon C, Merrill JT, Fortin PR, et al. Derivation and validation of the Systemic Lupus International Collaborating Clinics classification criteria for systemic lupus erythematosus. Arthritis Rheum. 2012;64:2677-86.
  4. Groot N, de Graeff N, Marks SD, Brogan P, Avcin T, Bader-Meunier B, et al. European evidence-based recommendations for the diagnosis and treatment of childhood-onset lupus nephritis: the SHARE initiative. Ann Rheum Dis. 2017;76:1965-73.
  5. Weening JJ, D’Agati VD, Schwartz MM, Seshan SV, Alpers CE, Appel GB, et al. The classification of glomerulonephritis in systemic lupus erythematosus revisited. J Am Soc Nephrol. 2004;15:241-50.
  6. Garg M, Mufti N, Palmore TN, Hasni SA. Recommendations and barriers to vaccination in systemic lupus erythematosus. Autoimmun Rev. 2018;17:990-1001.
  7. https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/gesund-leben/gesundheitsfoerderung-und-praevention/impfungen-prophylaxe/schweizerischer-impfplan.html. accessed January 31, 2022.
  8. Pauling JD, Hughes M, Pope JE. Raynaud’s phenomenon-an update on diagnosis, classification and management. Clin Rheumatol. 2019;38:3317-30.
  9. Choi E, Henkin S. Raynaud’s phenomenon and related vasospastic disorders. Vasc Med. 2021;26:56-70.
  10. Zhao T, Lin FA, Chen HP. Pattern of Nailfold Capillaroscopy in Patients With Systemic Lupus Erythematosus. Arch Rheumatol. 2020;35:568-74.
  11. Lee SJ, Silverman E, Bargman JM. The role of antimalarial agents in the treatment of SLE and lupus nephritis. Nat Rev Nephrol. 2011;7:718-29.

Informations complémentaires

Correspondance:
Conflit d'intérêts:
Les auteures n'ont déclaré aucun lien financier ou personnel en rapport avec cet article.
Auteurs
Dr. med.  Florence A. Aeschlimann Pädiatrische Rheumatologie, Universitäts-Kinderspital beider Basel UKBB, Basel

Dr. med.  Raffaella Carlomagno Unité Romande d’Immuno-Rhumatologie, Centre Hospitalier Universitaire de Lausanne (CHUV) et Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG), Lausanne et Genève