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Amyotrophie spinale: une mise à jour

L'amyotrophie spinale est une maladie neuromusculaire progressive touchant les motoneurones inférieurs et causant une faiblesse musculaire croissante.

Introduction

L’amyotrophie spinale (=AMS, nous n’aborderons sous cette appellation que la maladie « amyotrophie spinale proximale liée au chromosome 5q ») est une maladie neuromusculaire progressive touchant les motoneurones inférieurs et causant une faiblesse musculaire croissante. Longtemps considérée comme une des principales causes génétiques de mortalité infantile, les avancées scientifiques des 2 dernières décennies ont permis le développement des premiers traitements spécifiques, marquant une révolution dans la prise en charge. Nous allons ainsi passer en revue la maladie, son mécanisme pathogénique, ses présentations cliniques, et les options thérapeutiques actuellement disponibles.

Génétique

Avec une incidence estimée à 1/6’000 à 1/11’000 naissances vivantes, l’AMS est une des maladies neuromusculaires les plus fréquentes1). Il s’agit d’une maladie à transmission autosomique récessive. L’élément déterminant du mécanisme pathogénique est le manque de la protéine « Survival Motor Neuron » (SMN) qui, comme son nom l’indique, est essentielle à la survie et au développement des motoneurones avec un rôle crucial en période fœtale et des premiers mois de vie. La protéine SMN est exprimée de façon ubiquitaire chez l’être humain, elle est impliquée dans de nombreux mécanismes cellulaires2).  Mais les raisons pour lesquelles les motoneurones inférieurs sont autant affectés dans la maladie, en comparaison à d’autres types de cellules, ne sont pas encore toutes connues, et il est probable que d’autres effets tissulaires du manque de protéine SMN seront précisés à l’avenir3).

La protéine SMN est issue de 2 gènes paralogues – SMN1 et SMN2 – situés sur le chromosome 5q. Le gène SMN1, composé de 9 exons, produit l’essentiel de la protéine SMN dans sa forme complète et fonctionnelle. Le gène SMN2, qui ne diffère que de quelques nucléotides par rapport à SMN1 et qui est présent avec un nombre variable de copies (1 à >4), code à 90% pour une forme raccourcie et non fonctionnelle de protéine SMN (SMNΔ7), seulement 10% seront une protéine SMN normale2). (Figure 1)

Figure 1: Schéma représentant la différence dans la synthèse de protéine SMN par les gènes SMN1 et SMN2. ARNm = ARN messager
Inspiré de 7)Messina S et Sframeli M. New Treatments in Spinal Muscular Atrophy: Positive Results and New Challenges. J Clin Med. 2020 Jul 13;9(7):2222

La grande majorité (>95%) des patients atteints d’une AMS ont une délétion homozygote des exons 7 et 8 (parfois que du 7) du gène SMN1, le reste a des mutations ponctuelles4). Dans la grande majorité des cas, les mutations sont héritées des 2 parents ; la fréquence des porteurs avoisine 1 :50 selon les ethnies1). Le gène SMN2 représente alors la seule source de protéine SMN, et il y a une relation inverse entre le nombre de copies de SMN2 et la sévérité de la maladie5). Toutefois, d’autres facteurs modulateurs peuvent jouer un rôle dans un petit nombre de cas3,6).

Présentation clinique

L’AMS s’exprime par un continuum de phénotypes allant d’une forme très sévère congénitale (AMS 0) à une forme d’apparition tardive à l’âge adulte (AMS 4), classification selon l’âge d’apparition des symptômes et la meilleure capacité motrice acquise. Cette classification a été affinée en introduisant des sous-types (système de lettre ou de décimale) afin de mieux capturer les variabilités de présentation, d’histoire naturelle, puis de réponse au traitement (tableau 1).

Tous les types d’AMS se caractérisent par l’installation progressive d’une faiblesse musculaire qui affecte principalement les muscles proximaux des membres (inférieurs > supérieurs) ainsi que la musculature axiale. Les réflexes ostéo-tendineux disparaissent, des fasciculations linguales et un trémor des mains apparaissent. La musculature respiratoire, en particulier intercostale, est touchée, occasionnant une respiration paradoxale, une toux peu efficace, un syndrome restrictif progressif et des atélectasies. La mastication et la déglutition sont affectées, des problèmes gastro-intestinaux surviennent, et il y a très fréquemment des problèmes orthopédiques, notamment une scoliose. Il n’y a pas d’atteinte cognitive dans l’AMS, pas d’atteinte sensitive, et que très rarement une atteinte cardiaque. Mais la recherche et l’amélioration de la survie des patients avec AMS démontrent progressivement que l’AMS est une maladie multi-systémique3).

Diagnostic

La possibilité d’une AMS doit être évoquée pour tout nourrisson ou enfant présentant une faiblesse musculaire symétrique à prédominance proximale et/ou des membres inférieurs, surtout si progressive et sans atteinte développementale globale. Les fasciculations linguales et le trémor des mains sont aussi des indices forts. Les CK peuvent être normales ou augmentées (rarement > 1000 U/l). La biopsie musculaire comme l’ENMG ne sont requis, même si cette dernière est utile dans les présentations plus tardives et insidieuses. Il est alors primordial de référer l’enfant rapidement vers un(e) neuropédiatre ou directement vers un centre neuromusculaire pédiatrique.

L’étape-clé est l’analyse génétique sur échantillon de sang à la recherche de la délétion homozygote des exons 7 et 8 du gène SMN1, souvent par méthode MLPA ou qPCR. Un séquençage du gène est rarement nécessaire pour identifier les mutations ponctuelles9). La détermination du nombre de copies de SMN2 se fait maintenant fréquemment en parallèle.

Prise en charge

En accord avec les recommandations internationales9,10), le suivi multi-disciplinaire est mis en place par un des centres neuromusculaires pédiatriques en partenariat avec le/la neuropédiatre et pédiatre de proximité. De nombreuses spécialités médicales sont impliquées (pneumologie, orthopédie, gastro-entérologie…), le suivi thérapeutique (physiothérapie, ergothérapie, psychologie, etc) est essentiel, et il y aura bien sûr de nombreux autres acteurs tels que l’école, les services sociaux ou les associations de patients pour n’en citer que quelques-uns.

Depuis 2008, le Registre suisse des maladies neuromusculaires Swiss-Reg-NMD (www.swiss-reg-nmd.ch) offre la possibilité de recenser sur participation volontaire les patients (enfants et adultes) atteints d’ AMS, afin de suivre les données épidémiologiques, pour la recherche clinique et thérapeutiques, et le suivi d’évolution en particulier pour les traitements spécifiques qui seront détaillés ci-après.

Traitements médicamenteux ciblés

En septembre 2017, le Nusinersen (Spinraza®) reçoit son approbation de Swissmedic et il devient le premier médicament spécifique contre l’AMS. Il s’agit d’un oligonucléotide anti-sens qui améliore l’inclusion de l’exon 7 lors de l’épissage du gène SMN2, favorisant ainsi la production de protéine SMN complète et fonctionnelle, et plus il y aura de copies de SMN2, plus il y aura d’augmentation de la protéine SMN11). Ce médicament est administré par voie intrathécale à dose fixe quel que soit l’âge ou le poids, avec un schéma d’administration à J0-14-28-63 (phase de charge), puis une dose d’entretien tous les 4 mois à poursuivre selon l’efficacité, cette dernière dictant aussi son remboursement par l’assurance-invalidité selon des critères stricts.

Deux autres médicaments ont été tout récemment approuvés par Swissmedic. D’abord, le Risdiplam (Evrysdi®) qui est, comme le Nusinersen, un modulateur de l’épissage du gène SMN2 qui vise à accroître la production de protéine SMN complète12). Il s’agit d’une solution buvable à prendre quotidiennement, d’action systémique ne ciblant que les motoneurones. Il a été autorisé en Suisse en mai 2021 pour les enfants atteints d’AMS dès l’âge de 2 mois, les conditions précises d’utilisation et de remboursement seront précisées dans les mois à venir. Ensuite vient l’Onasemnogene abeparvovec-xioi (Zolgensma®) qui a un mécanisme indépendant de SMN2. C’est une thérapie génique qui utilise un vecteur viral adéno-associé 9 non réplicant pour insérer dans le noyau des cellules un nucléosome, qui ne s’intègre pas à l’ADN, capable d’une expression continue d’un équivalent de gène SMN113). C’est un médicament intraveineux, de distribution systémique et d’action sur plusieurs années après une administration unique selon les connaissances actuelles. Des effets secondaires potentiellement sévères ont été rapportés et sont à suivre de près 15,16). Il a été approuvé fin juin 2021 en Suisse pour les enfants de moins de 2 ans atteints d’AMS, mais là aussi il faudra attendre les prochains mois pour connaître les conditions précises d’utilisation et de remboursement.

Il n’est pas possible de passer en revue les différentes études d’efficacité faute de place. Mais de façon très succincte, ces 3 médicaments amènent une amélioration motrice avec franchissement d’étapes-clés motrices (station assise, debout voire marche), un accroissement de la survie ainsi que de la survie sans besoin durable de ventilation, tout cela chez les bébés avec AMS type 1 et donc en claire opposition à l’histoire naturelle. Le Nusinersen et le Risdiplam sont aussi efficaces chez les patients avec d’autres types d’AMS et d’âges différents, y compris adultes. Un des éléments majeurs pour l’amplitude de l’effet thérapeutique est celui de la durée de la maladie. Et le coût très élevé de ces 3 médicaments incite à un encadrement strict de leur utilisation et du suivi de la réponse. Les lecteurs sont invités à lire l’article de Dangouloff et Servais qui résume bien les études pour ces 3 médicaments17).

Vers un dépistage néonatal?

La restauration la plus précoce possible d’un niveau suffisant de protéine SMN permet la préservation des motoneurones et représente l’intervention qui amène clairement la meilleure réponse au traitement et le meilleur développement moteur. Ainsi, un traitement pré-symptomatique est non seulement faisable mais préférable, comme le montrent les études pour Nusinersen (NURTURE, essai clinique NCT02386553, publié18)), Risdiplam (Rainbowfish, essai clinique NCT03779334) et Onasemnogene abeparvovec-xioi (SPR1NT, essai NCT03505099). Ces éléments sont donc en faveur de l’implémentation d’un dépistage néonatal pour l’AMS. Un tel dépistage se développe dans de nombreux pays dans le monde, une dizaine l’ont déjà implémenté (p.ex. début 2021 en Allemagne)19). Les réflexions sont en cours en Suisse, et il est certain que ce sujet sera abordé plus extensivement dans ce journal en temps voulu.

Conclusion

Nous sommes entrés dans une période de grands changements dans la prise en charge de l’AMS, avec des éléments essentiels à conserver (p.ex. suivi multidisciplinaire), des nouveautés à implémenter (p.ex. médicaments) et des questions à résoudre (p.ex. issue à long-terme). L’avenir sera donc riche en réflexions et défis.

Références

  1. Sugarman EA, Nagan N, Zhu H, Akmaev VR, Zhou Z, Rohlfs EM et al. Pan-ethnic carrier screening and prenatal diagnosis for spinal muscular atrophy: Clinical laboratory analysis of >72 400 specimens. Eur J Hum Genet. 2012;20(1):27–32.
  2. Singh RN, Howell MD, Ottesen EW, Singh NN. Diverse role of Survival Motor Neuron Protein. Biochim Biophys Acta. 2017 March ; 1860(3): 299–315.
  3. Yeo CJJ, Darras BT. Overturning the Paradigm of Spinal Muscular Atrophy as Just a Motor Neuron Disease. Pediatr Neurol. 2020 Aug;109:12-19
  4. Lunn MR, Wang CH. Spinal muscular atrophy. Lancet. 2008 Jun 21;371(9630):2120-33.    
  5. Calucho M, Bernal S, Alías L, March F, Venceslá A, Rodríguez-Álvarez FJ et al. Correlation between SMA type and SMN2 copy number revisited: An analysis of 625 unrelated Spanish patients and a compilation of 2834 reported cases. Neuromuscul Disord. 2018 Mar 1;28(3):208–15.
  6. Hosseinibarkooie S, Schneider S & Wirth B. Advances in understanding the role of disease-associated proteins in spinal muscular atrophy. Expert Review of Proteomics 2017 Jul;14(7): 581-592
  7. Messina S et Sframeli M. New Treatments in Spinal Muscular Atrophy: Positive Results and New Challenges. J Clin Med. 2020 Jul 13;9(7):2222
  8. Farrar MA, Park SB, Vucic S, Carey KA, Turner BJ et al. Emerging therapies and challenges in spinal muscular atrophy. Ann Neurol. 2017 Mar;81(3):355-368
  9. Mercuri E, Finkel RS, Muntoni F, Wirth B, Montes J, Main M et al. Diagnosis and management of spinal muscular atrophy: Part 1: Recommendations for diagnosis, rehabilitation, orthopedic and nutritional care. Neuromuscul Disord. 2018 Feb;28(2):103–15.
  10. Finkel RS, Mercuri E, Meyer OH, Simonds AK, Schroth MK et al. Diagnosis and management of spinal muscular atrophy: Part 2: Pulmonary and acute care; medications, supplements and immunizations; other organ systems; and ethics. Neuromuscul Disord. 2018 Mar;28(3):197-207
  11. Claborn MK, Stevens DL, Walker CK, Gildon BL. Nusinersen: A Treatment for Spinal Muscular Atrophy. Ann Pharmacother. 2019 Jan;53(1):61-69
  12. Singh RN, Ottesen EW, Singh NN. The First Orally Deliverable Small Molecule for the Treatment of Spinal Muscular Atrophy. Neurosci Insights. 2020 Nov 23;15:2633105520973985
  13. Stevens D, Claborn MK, Gildon BL, Kessler TL, Walker C. Onasemnogene Abeparvovec-xioi: Gene Therapy for Spinal Muscular Atrophy. Ann Pharmacother. 2020 Oct;54(10):1001-1009
  14. Dangouloff T, Servais L. Clinical Evidence Supporting Early Treatment Of Patients With Spinal Muscular Atrophy: Current Perspectives. Ther Clin Risk Manag. 2019 Oct 2;15:1153-1161
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  16. Chand D, Mohr F, McMillan H, Tukov FF, Montgomery K, Kleyn A et al. Hepatotoxicity following administration of onasemnogene abeparvovec (AVXS-101) for the treatment of spinal muscular atrophy. J Hepatol [Internet]. 2021;74(3):560–6. Available from: https://doi.org/10.1016/j.jhep.2020.11.001
  17. Dangouloff T, Burghes A, Tizzano EF, Servais L, Bertini E, Boemer F et al. 244th ENMC international workshop: Newborn screening in spinal muscular atrophy May 10–12, 2019, Hoofdorp, The Netherlands.  Neuromuscul Disord. 2020 Jan;30(1):93-103
  18. De Vivo DC, Bertini E, Swoboda KJ, Hwu WL, Crawford TO et al. Nusinersen initiated in infants during the presymptomatic stage of spinal muscular atrophy: Interim efficacy and safety results from the Phase 2 NURTURE study. Neuromuscul Disord. 2019 Nov;29(11):842-856.
  19. Dangouloff T, Eva Vrščaj E, Servais L, Osredkar D, the SMA NBS World Study Group. Newborn screening programs for spinal muscular atrophy worldwide: Where we stand and where to go. Neuromuscul Disord. 2021 Jun;31(6):574-582

Informations complémentaires

Correspondance:
Conflit d'intérêts:
Les auteurs n'ont déclaré aucun lien financier ou personnel en rapport avec cet article.
Auteurs
médecin dipl.  Aliki Perdikari Unité de neurologie et neuroréhabilitation pédiatrique, Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), Lausanne

Dr med  Andrea Klein Département de neurologie pédiatrie, Hôpital universitaire pédiatrique de Bâle (UKBB), Bâle et Hôpital universitaire pédiatrique de Berne, Hôpital de l’Île, Berne

Dr med  David Jacquier Unité de neurologie et neuroréhabilitation pédiatrique, Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), Lausanne