A la fin des années 1980, le risque de séroconversion toxoplasmique durant la grossesse était susceptible de générer environ 550 infections foetales par année, dont une soixantaine présentant des manifestations cliniques précoces. Parallèlement, les observations faites au cours des décennies 1970 et 1980, comparant des cohortes différentes (comparaisons historiques), suggéraient que le traitement de l’infection maternelle aiguë réduisait l’incidence des manifestations cliniques précoces chez l’enfant. L’existence d’un nombre important de cas potentiels et les espoirs mis dans une intervention thérapeutique simple ont alors suscité un grand intérêt pour le dépistage et le traitement de la toxoplasmose en cours de grossesse.
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Vol. 20 No. 1 2009 Fortbildung / Formation continue
Un regard sur le passé
A la fin des années 1980, le risque de
séroconversion toxoplasmique durant la
grossesse était susceptible de générer
environ 550 infections foetales par année,
dont une soixantaine présentant des ma-
nifestations cliniques précoces. Parallè-
lement, les observations faites au cours
des décennies 1970 et 1980, comparant
des cohortes différentes (comparaisons
historiques), suggéraient que le traitement
de l’infection maternelle aiguë réduisait
l’incidence des manifestations cliniques
précoces chez l’enfant. L’existence d’un
nombre important de cas potentiels et les
espoirs mis dans une intervention théra –
peutique simple ont alors suscité un grand
intérêt pour le dépistage et le traitement
de la toxoplasmose en cours de grossesse.
L’un et l’autre ont été largement adoptés
par les obstétriciens tandis les pédiatres
publiaient un texte de consensus sur la prise
en charge du nouveau-né infecté ou suspect
d’infection
1). Or, la situation a beaucoup
changé depuis lors.
1. L’incidence de l’infection toxoplasmique
primaire chez l’adulte, et chez la femme
enceinte en particulier, a considéra –
blement diminué au cours des vingt
dernières années en Suisse, entraînant
du même coup à la baisse le nombre
total d’infections foetales et le nombre
d’infections symptomatiques chez le
nouveau-né ou le nourrisson. Les obser-
vations faites dans les régions bâloise
et lausannoise sont concordantes pour
indiquer que le risque d’infection congé-
nitale est actuellement de 1/2 300 nais –
sances vivantes, et celui d’infection sym –
ptomatique précoce de 1/14 000–16 000
naissances vivantes
2). L’extrapolation de
ces données à l’ensemble du pays prédit
une trentaine de cas d’infection con –
génitale par année, dont 4 à 5 présen –
teront une symptomatologie précoce. Cette prédiction est en accord avec les
observations du réseau Swiss paediatric
surveillance unit (SPSU) qui a identifié,
en moyenne annuelle, 4 cas d’infection
symptomatique précoce
3).
2. Malgré une vingtaine d’années
d’expérience avec la stratégie de dépis –
tage et traitement en cours de gros –
sesse, et ce dans plusieurs pays euro –
péens, nous n’avons toujours aucune
évidence de l’utilité de cette stratégie.
Les nombreuses études effectuées sur
le sujet, revues par le groupe Euroto –
xo
4), n’apportent aucune preuve que
cette stratégie ait le moindre impact
favorable sur le risque de transmission
transplancentaire ni sur le risque pour
l’enfant de développer une infection
symptomatique.
3. L’absence d’évidence de l’efficacité du
traitement s’applique aussi au traite –
ment postnatal de l’enfant visant à
prévenir les réactivations aiguës
4). Pour
cette raison, le Groupe suisse de travail
sur la toxoplasmose congénitale préco –
nise de ne pas traiter systématiquement
les infections toxoplasmiques congéni –
tales strictement asymptomatiques
2).
Le traitement est restreint aux enfants
présentant une manifestation inflamma –
toire aiguë (rétino-choroïdite, méningo-
encéphalite) ou, mais uniquement au
cours de la première année, une mani –
festation séquellaire de leur infection
prénatale (cicatrices rétiniennes, calci –
fications cérébrales).
Les raisons du changement
Une recommandation de santé publique,
telle que dépister la séroconversion toxo –
plasmique durant la grossesse et traiter
les conversions dépistées, se doit d’être
fondée sur des évidences chiffrées solides
qui, en l’occurrence et malgré le recul, sont
totalement absentes. Pour cette raison,
l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), sur conseil du Groupe suisse de travail sur
la toxoplasmose congénitale, a récemment
recommandé l’arrêt du dépistage sérolo
–
gique de la toxoplasmose avant ou durant
la grossesse
5).
Ces changements de recommandation radi –
caux ne seront pas sans soulever quelques
questions ou inquiétudes, tant chez la fem –
me enceinte «habituée» au dépistage que
chez l’obstétricien ou le pédiatre. De plus,
bien que la primo-infection toxoplasmique
en cours de grossesse ait considérablement
diminué au cours des dernières décennies,
elle n’a pas totalement disparu, de sorte
que des séroconversions continueront de se
produire en cours de grossesse aboutissant
parfois à une infection foetale et exception –
nellement à une maladie symptomatique
précoce selon les prédictions statistiques
mentionnées plus haut.
Ce qui change pour le pédiatre
L’abandon du dépistage va modifier la prise
en charge dès la naissance en raison de la
forte réduction attendue des suspicions de
toxoplasmose congénitale régulièrement
générées par des sérologies maternelles in –
complètes ou d’interprétation délicate. En
conséquence, le pédiatre ne sera (presque)
plus amené à effectuer de suivi sérologique
pour faire la distinction entre anticorps
propres et anticorps d’origine maternelle.
En outre, dans les circonstances où le dia –
gnostic d’infection prénatale serait tout de
même clairement établi, le pédiatre pourra
abandonner le traitement d’une durée de
12 mois, à visée préventive, chez l’enfant
strictement asymptomatique.
En contrepartie, chaque année, l’ensemble
des pédiatres exerçant en Suisse cô-
toieront une trentaine de nouveaux cas
d’infection congénitale chez les petits
enfants, dont la plupart resteront asymp –
tomatiques et méconnus dans l’enfance et
dont un petit nombre (4–5) manifesteront
une symptomatologie précoce associée
à une réactivation aiguë de l’infection. La
difficulté pour le pédiatre sera alors [1]
d’identifier les manifestations aiguës, qui
se présenteront surtout sous forme de
rétino-choroïdite, et [2] d’interpréter cor-
rectement les sérologies toxoplasmiques
positives découvertes plus ou moins fortu –
itement à l’occasion d’investigations séro –
logiques «larges».
Abandon du dépistage sérologique de la
toxoplasmose durant la grossesse
Quelles conséquences pour le pédiatre?
Bernard Vaudaux, Lausanne et Christoph Rudin, Bâle
Fortbildung / Formation continue
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Vol. 20 No. 1 2009
La plupart des épisodes de rétino-choroïdite
du petit enfant affectent la périphérie rétini-
enne et passent inaperçus du pédiatre car
le petit enfant a difficilement conscience
d’un trouble visuel et n’a aucun moyen
de le verbaliser clairement. Les séquelles
morphologiques de ces épisodes sont habi –
tuellement détectées lors d’un examen du
fond d’oeil effectué ultérieurement (dans le
cadre d’un contrôle ophtalmologique pour
un problème autre que la toxoplasmose)
et sont heureusement sans conséquence
fonctionnelle importante. Les épisodes que
le pédiatre se doit de ne pas ignorer sont
ceux qui affectent la macula car ils sont
grevés de séquelles fonctionnelles poten –
tiellement majeures. En cas d’atteinte ma –
culaire, l’enfant est susceptible de présenter
un strabisme, qui constitue le seul et
unique signe d’appel pour le pédiatre. La
lésion rétinienne toxoplasmique a un aspect
caractéristique et est facilement recon –
naissable par l’ophtalmologue. Lorsqu’elle
est aiguë, elle résulte de la réactivation
d’une infection pré-existante, qui peut être
congénitale mais est souvent postnatale.
La distinction entre infection congénitale
et postnatale est pratiquement sans im –
portance à partir du premier anniversaire
puisque le traitement prolongé au-delà de
l’épisode aigu n’a plus cours dès cet âge. Il
peut ne pas y avoir de réponse sérologique
détectable (ou facilement interprétable)
en présence d’une lésion exclusivement
oculaire. Pour cette raison, une lésion
aiguë présentant les caractéristiques de
la toxoplasmose doit être considérée et
traitée comme telle, même en l’absence
d’évidences sérologiques suffisantes.
Par ailleurs, le pédiatre se trouvera assez
souvent confronté à une situation de séro –
logie toxoplasmique IgG positive chez un
nourrisson ou petit enfant, sans aucune
information toutefois sur ce qu’était la sé-
rologie maternelle durant la grossesse. Une
telle situation est toujours complexe car
elle peut refléter 1) une infection postnatale
asymtomatique, 2) une infection congéni –
tale ou 3) la présence d’anticorps d’origine
maternelle. La présence, ou non, d’IgM ou
IgA spécifiques n’aide guère à faire une dis –
tinction formelle entre les deux premières
hypothèses. Quant à l’avidité des anticorps
anti-toxoplasmiques, une valeur faible va
dans le sens d’une infection postnatale ré-
cente mais une avidité forte laisse les deux
autres hypothèses largement ouvertes (en se souvenant que les anticorps maternels
persistent exceptionnellement au-delà de
l’âge de 9 mois et que l’infection postnatale
n’est pas courante au cours de la première
année de l’existence).
Ce qui ne change pas pour
le pédiatre
Les investigations 1) (US ou CT scan cérébral,
examen du fond d’œil) restent nécessaires
dans les circonstances où une toxoplasmo –
se congénitale serait tout de même diagnos –
tiquée, notamment lorsque que la mère aura
présenté une symptomatologie amenant au
diagnostic précis de toxoplasmose en cours
de grossesse.
Le traitement long (jusqu’à l’âge de 12
mois), combinant pyriméthamine et sulfa –
diazine alternées avec spiramycine,
1) reste
indiqué chez les enfants infectés exprimant
une anomalie au bilan initial ou développant
un signe clinique au cours de la première
année.
Indépendamment de l’âge, le traitement
court (4–6 semaines), associant médica –
ments anti-toxoplasmiques et anti-inflam –
matoires stéroïdiens, est nécessaire chez
les enfants développant un épisode aigu
de rétino-choroïdite. Cette situation doit
être gérée conjointement avec un ophtal –
mologue.
Références:
1) Vaudaux B, Rudin C, Kind C, Schaad UB, Gnehm Hp,
Nadal S & al. Schweiz Med Wschr 1995; 125 (Suppl
65): 70S–80S
2) Rudin C, Boubaker K, Raeber PA, Vaudaux B, Bucher
HC, Garweg JG & al. Swiss Med Weekly 2008; 138
(Suppl 168): 1-8
3) Kind C and Swiss Paediatric Surveillance Unit. Swiss
Med Weekly 1996; 126 (Suppl 87): 5S
4) eurotoxo.isped.u-bordeaux2.fr
5) www.bag.admin.ch/themen/medizin/00682/
00684/05571/index.html?lang=fr
www.bag.admin.ch/themen/medizin/00682/
00684/05571/index.html?lang=de
Correspondance:
Prof.Bernard Vaudaux
Département de Pédiatrie
CHUV
1011 Lausanne
Bernard.Vaudaux@chuv.ch
Informations complémentaires
Auteurs
Prof. Dr. med. Bernard Vaudaux , Service de pédiatrie DMCP, CHUV Lausanne