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La confidentialité dans les soins aux adolescents ? Le point de vue des adolescents et de leurs parents

Un adolescent a en Suisse le droit à la confidentialité dès le moment où il est jugé capable de discernement.

“Émotionnellement parlant ce qui m’a le plus demandé comme investissement personnel, c’est que je lui lâche la bride et que je le laisse s’envoler, c’est ce passage-là.” Une maman

Introduction

L’instauration de la confidentialité au sein des consultations avec des adolescents a des effets positifs sur l’acquisition de leur autonomie, de leur apprentissage de l’indépendance et des responsabilités.1) D’autre part, elle facilite la communication et le dépistage des comportements à risque.2)
Le médecin se doit d’expliciter et d’appliquer le cadre de confidentialité et ses limites.3)4) Un adolescent en Suisse a le droit à la confidentialité dès le moment où il est jugé capable de discernement. Concrètement, ceci implique que certaines parties de l’entretien s’effectuent avec l’adolescent seul, soulevant ainsi différents enjeux notamment au niveau de la communication avec les proches. Dans ce contexte, il peut être difficile pour le médecin de gérer les rapports du triangle relationnel adolescent-médecin-parents afin d’établir et de maintenir une relation de confiance avec l’adolescent et ses parents.5)6) Il se doit, d’un côté, de garantir une confidentialité conditionnelle à l’égard de l’adolescent,7) et de l’autre, faire comprendre au jeune l’importance d’impliquer ses parents, dans l’intérêt de sa propre santé, et afin que les parents ne se sentent pas exclus de sa prise en charge.8)
Les recherches cliniques se sont surtout focalisées sur la position théorique des parents vis à vis de la confidentialité appliquée aux consultations avec des adolescents.9-11) En Suisse, une étude qualitative a exploré les représentations au sujet de la capacité de discernement et de la confidentialité.12) Malgré un avis partagé à propos de la confidentialité, les parents reconnaissent sa place dans les consultations et son importance pour les jeunes.6) 9-13) Certains peuvent se sentir préoccupés par cette confidentialité, et la confiance envers les compétences cliniques et l’expérience du médecin en charge sont alors essentielles.9-11) Certains parents, s’estiment des “experts” de la santé de leur adolescent et du fait de leur statut de représentant légal, aimeraient connaitre tout le contenu des consultations et peuvent aussi avoir l’impression de perdre leur rôle de responsable avec donc une méfiance à l’égard de la confidentialité.9-11)
L’expérience des cliniciens dans un service spécialisé comme la DISA (Division Interdisciplinaire de Santé des Adolescents, CHUV, Lausanne) tend à montrer que malgré une posture théorique favorable des adolescents et des parents vis-à-vis de la confidentialité, le vécu en situation clinique concrète peut être plus complexe voire ambivalent. La façon dont la confidentialité est gérée par le médecin et vécue par les adolescents et leurs parents, peut engendrer parfois des incompréhensions à l’origine de tensions susceptibles d’entraver le processus de soins.
Le but de ce travail de recherche était d’explorer les représentations et perceptions des parents et des adolescents autour de la confidentialité dans un contexte clinique.

Méthode

Design et échantillonnage
Étude qualitative monocentrique au sein de la DISA au CHUV, inspirée de la méthodologie de la théorie ancrée de type constructiviste (grounded theory). Un échantillonnage intentionnel («purposeful sampling») a été effectué dans ce contexte, c’est-à-dire que les médecins de la DISA ont proposé l’étude à des adolescents entre 12 et 18 ans et parents, chez qui ils ont identifié de potentiels enjeux autour du vécu de la confidentialité.
Parmi les 5 dyades contactées, 4 ont participé à l’étude. Une adolescente supplémentaire a participé sans que sa mère ne puisse être contactée.

Récolte et analyse
Les données ont été récoltées par le biais de 9 entretiens semi-structurés d’une durée de 1h – 1h30 menés par l’investigateur principal (BVR) entre novembre 2017 et août 2018, suivant un guide d’entretien préalablement établi et après obtention du consentement signé de chaque participant. Les entretiens ont été enregistrés et ensuite retranscrits verbatim. Les participants ont été anonymisés par des noms d’emprunt. L’analyse itérative et comparative des données selon la théorisation ancrée a été réalisée par une succession d’étapes de codage des données en collaboration avec l’équipe de recherche (YT et AEA). Le codage a été effectué sur le logiciel en ligne Dedoose®.

Cette étude a été approuvée par Swissethics.

Résultats

I) Ajustement dynamique face à l’autonomisation
Les entretiens, tant avec les parents qu’avec les adolescents, révèlent qu’au travers de la notion de confidentialité dans les soins, s’exprime l’enjeu crucial de l’autonomisation des adolescents et du vécu des parents face à ce besoin.

Généralement, les parents ont manifesté un positionnement très ouvert sur le principe de la confidentialité, « Moi j’ai beaucoup de mal à voir la négativité dans la confidentialité parce que je pense que c’est un bien” (Patricia, mère de Gabriel), en indiquant comprendre ce besoin des adolescents dans leur quête de responsabilité.

L’analyse des entretiens a permis de mettre en évidence un thème central: «l’ajustement dynamique face à l’autonomisation». Trois autres thèmes majeurs s’articulent autour du thème central: «la relation de soins», « l’influence du vécu antérieur » et « la perception des conséquences de la confidentialité sur la santé ».

Schéma 1:
L’ajustement dynamique face à l’autonomisation.

Il existe néanmoins un processus d’ajustement dynamique des représentations et de la posture théorique face à l’autonomisation et à la notion de confidentialité. Cet ajustement s’effectue au travers du prisme du vécu et l’ambivalence que peut générer l’application de cette confidentialité en consultation, notamment auprès des parents.

a) Le jardin secret des adolescents
Pour les adolescents, la notion de confidentialité est associée au besoin d’avoir un « jardin secret », zone sanctuaire à laquelle les parents n’ont pas accès et qui peut contenir des données en lien avec leur santé. Il est essentiel de le respecter: “Le médecin, surtout. N’importe qui d’autre, tout le monde doit pouvoir respecter le jardin secret.” (Louise).
Malgré la reconnaissance par les parents de l’importance pour les jeunes d’avoir un « jardin secret », certains parents ont exprimé une certaine forme d’ambivalence, impliquant que ce processus n’était pas toujours facile pour eux,“Elle sait qu’il y a un stop et qu’on sera pas intrusif. En tout cas on essaye.” (Florence, mère de Chloé).

b) Le cadre de responsabilité parentale
Les participants ont esquissé lors des entretiens un cadre de responsabilité parentale, périmètre au-delà duquel, en raison du rôle et de la responsabilité parentale, la confidentialité ne peut être maintenue. Divers facteurs le définissent :

  • La perception de la gravité de la situation, déterminée par un danger sur la santé physique ou mentale, “Si l’adolescent est clairement en danger, que ça soit physique, psychique (…) il faut aller de l’avant.” (Valérie, mère de Louise).
  • Le type de situation/de questions qui peuvent être discutées de façon confidentielle, avec notamment un positionnement parental favorable à la confidentialité autour des thèmes sur la sexualité ou sur la vie émotionnelle des adolescents.
  • L’interprétation du cadre légal en lien avec l’âge de l’adolescent, certains parents pensent qu’ayant la responsabilité légale du jeune, cela leur donne une légitimité par rapport à l’accès à certaines informations.

c) L’ambivalence et l’ajustement dynamique du vécu face à l’autonomisation
Face à l’évolution vers une responsabilité grandissante des adolescents, certains parents se positionnent favorablement en théorie, mais leur vécu de situations concrètes peut être plus ambivalent: “Peut-être une confidentialité sur les retours vraiment somatiques qui peut-être soient moins absolus vis-à-vis de nous.” (Florence, mère de Chloé).
Ces extraits indiquent que les parents doivent apprendre à faire face à l’autonomisation de leur jeune, à lâcher prise, à faire face au transfert de responsabilité : “émotionnellement parlant ce qui m’a le plus demandé comme investissement personnel, c’est que je lui lâche la bride et que je le laisse s’envoler, c’est ce passage-là.” (Patricia, mère de Gabriel).
Du côté des adolescents, ils reconnaissent l’aspect primordial d’avoir leur espace dans l’optique de s’autonomiser: « On commence à s’émanciper entre guillemets, à vouloir faire des choses que nos parents ne savent pas, à avoir notre jardin secret.” (Chloé). Ainsi, la prise de responsabilité au travers de la confidentialité a le potentiel de leur faire sentir qu’ils sont au centre de leur prise en charge.
Ils sont toutefois favorables à divulguer la grande majorité des informations les concernant à condition de respecter leur « jardin secret ». “Moi, après, encore une fois, ça ne me dérange pas que mes parents, ils sachent tout entre guillemets” (Gabriel).
Les entretiens ont permis de dévoiler la perception ou interprétation que les jeunes peuvent avoir de l’ambivalence parentale: “Je crois que ça les inquiète, ça les stresse (…) je pense qu’en même temps ça ne leur plait pas trop et en même temps ils acceptent parce qu’ils estiment que c’est une bonne chose quoi.” (Chloé).

II) La relation de soins
a) Le contexte de la relation de soins
Plusieurs aspects relatifs au contexte de la relation de soins sont à considérer selon les participants : le bâtiment dans lequel se trouve le service, l’équipe qui le compose ou encore le setting dans lequel se déroule la consultation. Ces éléments soulignent l’importance d’un environnement adapté aux adolescents pour favoriser l’approche et l’application de la confidentialité.

b) La confiance comme condition et conséquence
Les adolescents soulignent l’importance de la relation de confiance, à la fois comme conséquence de et condition à la confidentialité: “Parce que si on respecte la confidentialité, pour moi, il y a une confiance, automatiquement, qui va se développer entre le patient et le médecin.” (Louise).

Du côté des parents, on note également l’importance de la confiance, mais plutôt sous l’angle d’une condition à l’acceptation de la notion de confidentialité et un ajustement positif face à l’autonomisation: “Donc cette relation de confiance doit aussi être importante dans la confidentialité dans le fait qu’on (les parents) est persuadé que si c’est grave on le saura, si c’est vital on le saura et puis voilà.” (Florence, mère de Chloé). A l’inverse, lorsqu’il existe un manque de confiance dans la capacité des soignants ou dans la maturité de leur adolescent, cela peut entraîner des difficultés d’acceptation de la confidentialité.

c) L’équilibre dans la relation de soins
Le triangle relationnel adolescent-médecin-parents (schéma 2), est au cœur du processus de soins aux adolescents. Les adolescents expriment, pour leur part, le souhait de se sentir au premier plan de la prise en charge afin de s’impliquer dans l’amélioration de leur santé, ce qui va avec leur souhait d’autonomisation: “Pour moi pouvoir être en 1ère ligne et puis pas toujours avoir les informations après 4 docteurs, mes parents (…) je pense que c’est le plus important.” (Gabriel).
Les parents, de leur côté, souhaitent obtenir suffisamment d’informations pour se sentir rassurés: “Faut quand même les informer ces parents même si on a rien dire (…).  Il y a un moment donné il faut quand même faire des sas de sécurité mentale, rassurer.” (Patricia, mère de Gabriel). Ils soulignent aussi leurs difficultés à accepter la confidentialité lorsqu’ils se sentent exclus de la relation médecin-patient. Cela peut être particulièrement marqué pour des décisions qu’ils jugent importantes telles que la médication.
Tant les adolescents que les parents relèvent le rôle central et à la fois complexe qu’a le médecin dans la gestion de cet équilibre, dans l’implication de chacun dans la relation de soins: “Ils doivent se retrouver parfois entre le marteau et l’enclume, entre le besoin de créer un lien avec son patient, (…) et la pression des parents (…) parce que je pense que certains parents veulent avoir connaissance de tout.” (Florence, mère de Chloé).

Schéma 2:
Relation de soins

d) La communication comme outil incontournable
Le médecin doit créer un climat de confiance, ce qui nécessite une communication précise et transparente sur la définition du rôle de chacun dans la relation et une gestion de la circulation des informations au sein de cette relation: “Le parent doit comprendre qu’il n’a pas plein pouvoir. (…) Il faut bien qu’il comprenne sa place. (…) Si ce n’est pas expliqué avec une clarté, (…) c’est pas forcément compris par tout le monde.” (Patricia, mère de Gabriel).

La communication explicite autour du cadre de confidentialité, notamment les limites de celle-ci, est essentielle: “Qu’ils expliquent quelle est la limite de la confidentialité (…) qu’ils expliquent pourquoi il y aura une certaine limite” (Gabriel). La transparence et la clarté sont aussi nécessaires lors de la rupture de la confidentialité afin d’aider au mieux l’adolescent à vivre cette situation.

III) L’influence du vécu antérieur
a) Le vécu antérieur des soins
Au niveau personnel, le vécu antérieur des soins, notamment présent dans les situations de maladies chroniques, est un élément essentiel dont il faut savoir tenir compte. Une mère évoque cela par sa peur de perdre le contrôle sur la prise en charge de la maladie chronique de son fils qu’elle gère depuis sa naissance, “Cette triangulation-là en fait dans la confidentialité (…) ça fait 15 ans qu’on m’appelle et qu’on voit toujours tout avec moi, donc peut-être que c’est moi que ça heurte (…) ça me fait bizarre qu’on le contacte lui d’abord avant moi mais finalement qui va gérer sa vie? C’est lui.” (Patricia, mère de Gabriel).

b) Les caractéristiques individuelles et familiales
Les caractéristiques personnelles, notamment la personnalité de chacun, le système familial et les relations entre ses membres, particulièrement la relation adolescent-parent hors du contexte médical peuvent jouer un rôle sur l’acceptation de la confidentialité. De plus, l’influence de la culture d’origine peut se ressentir sur la perception de la confidentialité: “Oui, je pense surtout pour les étrangers. Je pense qu’ils n’ont pas l’habitude (…) pour moi, c’est nouveau, si vous voulez.” (Nathalie, mère de Jade).

IV) Perception des conséquences de la confidentialité sur la santé
La perception de conséquences de la confidentialité sur la santé a été mise en évidence dans plusieurs entretiens, permettant ainsi de donner un sens à la notion de confidentialité. Cependant, il est intéressant de constater la confusion chez les participants entre une consultation confidentielle et une consultation face-à-face seul avec le médecin, ce qui tend à montrer à nouveau que l’enjeu principalement concerné serait le processus d’autonomisation et de responsabilisation des adolescents.
Ce temps passé seul avec le médecin sous couvert de confidentialité permet selon les parents que les adolescents puissent révéler, divulguer, se confier sur les problèmes vécus sans retenue: “C’est important pour Gabriel de pouvoir avoir un sas où il peut parler sans devoir me protéger.” (Patricia, mère de Gabriel). Ce point de vue est aussi partagé par les adolescents.
La confidentialité va permettre, par des conséquences directes citées précédemment (divulgation, autonomisation, accéder à de l’aide, …), une amélioration de la qualité des soins des adolescents. Toutefois, la perception d’une amélioration dans le suivi est un facteur important dans le vécu de la confidentialité. Une mère ayant un vécu négatif exprime ainsi son impuissance face à la prise en charge et dévoile une frustration à l’égard de la confidentialité et l’incertitude de son bénéfice: “J’aurais vécu différemment si j’avais eu des résultats, (…) n’ayant pas de résultats (…) je remets en cause tout !” (Nathalie, mère de Jade).

Discussion

L’analyse des entretiens menés pour cette étude permet de faire tout d’abord le constat que l’enjeu au premier plan, indissociable de la notion de confidentialité, autour duquel les participants expriment leur vécu et leurs représentations est le processus d’autonomisation des adolescents.
Les entretiens ont montré que la confidentialité est vue premièrement comme une condition nécessaire au processus d’autonomisation des adolescents dans les soins et elle est en conséquence bien acceptée sur le principe. Les parents reconnaissent la nécessité pour l’adolescent d’avoir la possibilité de voir le médecin seul et soutiennent en théorie l’importance des consultations confidentielles,11)14) ce qui est cohérent avec les études précédemment réalisées.9-12)
Notre étude comme plusieurs précédentes8)11)13) a soulevé l’ambivalence qui existe, surtout chez les parents, entre une acceptation théorique de la confidentialité et l’émergence d’une résistance lors de son application. Nous avons ainsi relevé plusieurs craintes et résistances face à la nécessité de passer par un processus de lâcher prise et de transfert de responsabilité à l’adolescent d’une part, mais aussi au médecin lors du processus de transition dans les soins. Ainsi, malgré une position théorique favorable au « jardin secret », certains parents éprouvent des difficultés lorsqu’ils doivent faire face à l’absence d’information sur leurs adolescents. Ils font alors face à un dilemme, entre laisser leur adolescent s’autonomiser dans les soins et leur souhait d’être impliqués afin de garantir la meilleure prise en charge possible.11)15)
Au niveau parental, l’évolution défavorable de la situation de l’adolescent va favoriser un ajustement négatif, et, à l’inverse la perception que la confidentialité est un moyen d’assurer une aide médicale adéquate favorise un ajustement positif du vécu des consultations confidentielles. Du côté des adolescents, il semble y avoir moins d’ambivalence dans le vécu mais uniquement à condition que leur « jardin secret » soit protégé et qu’ils se sentent au premier plan de leur prise en charge, éléments qui favorisent chez eux un ajustement positif. Les adolescents interrogés ne revendiquent donc pas une confidentialité absolue et semblent conscients qu’une transmission d’information peut être dans leur intérêt.
Le processus d’ajustement dynamique est largement influencé par la relation de soins, dont la confiance est un point essentiel. Pour les adolescents, la confidentialité est avant tout un point crucial pour amorcer la confiance avec son médecin ce qui est une condition centrale pour pouvoir les soigner. A l’inverse, la relation de confiance avec les parents est la condition sine qua none pour pouvoir accepter la confidentialité et donc par-là, le processus d’autonomisation. Ainsi, face au processus d’autonomisation, les parents sont confrontés à un double transfert de responsabilité, le premier vers l’adolescent et le deuxième vers le médecin. Cependant, le manque de confiance parental envers le médecin reste un obstacle important dans l’objectif de lui confier la responsabilité de la prise en charge de l’adolescent, comme l’ont souligné Sasse et al.11)

En outre, une communication claire et précise au sujet de la confidentialité est un outil incontournable au sein de la relation de soins, comme l’ont souligné Tebb et al.,9) car elle va aussi fortement influencer le vécu parental de la confidentialité.
Un autre enjeu primordial du triangle relationnel concerne l’équilibre dans la relation de soins, à savoir le rôle et l’implication de chacun. Les adolescents revendiquent la volonté d’être les premiers interlocuteurs et d’être en position de pouvoir gérer le niveau d’implication parentale. Ils ne nient toutefois pas l’importance d’impliquer dans une certaine mesure leurs parents dans les soins, les considérant même comme une aide potentielle dans les situations problématiques. Les parents expriment quant à eux une crainte de se sentir exclus de la prise en charge. Ce point est important car la sensation d’être dépossédé de son rôle parental dans le suivi de l’adolescent va fortement teinter négativement l’expérience du suivi confidentiel.11) Le niveau d’implication parentale nécessaire pour un ajustement positif varie selon les parents, allant d’une simple réassurance parentale par le biais d’une information à une implication beaucoup plus active dans la prise des décisions. Ceci reflète que certains parents ont parfois une compréhension erronée de leur rôle, en raison d’une mésinterprétation du cadre légal avec l’impression de pouvoir accéder de façon non restreinte aux informations concernant la santé de leur jeune, comme l’a aussi souligné une étude Australienne.11) Ceci montre aussi le besoin que le médecin prenne un rôle actif dans l’accompagnement des parents face à l’autonomisation progressive de leur adolescent.
Au delà de la responsabilité du médecin de créer un climat de confiance propice au transfert de responsabilité du parent au médecin et à la communication avec l’adolescent, il lui revient aussi d’explorer le vécu de la confidentialité afin de détecter et de faire baisser les possibles résistances et d’en comprendre les enjeux cachés (influence du vécu antérieur des soins, vécu face au transfert de responsabilité, autonomisation de l’adolescent, implication parentale nécessaire) dans l’optique de promouvoir un ajustement positif face à l’autonomisation.
Cette étude présente plusieurs forces, avec d’une part, l’inclusion de dyades adolescent-parent permettant de comparer les vécus et de mettre en évidence à la fois les similitudes en terme de posture théorique et les différences en terme d’ajustement du vécu face à l’autonomisation, et ainsi observer l’ambivalence parentale du point de vue des adolescents. D’autre part, le fait que les adolescents participants soient activement en soin pour des problématiques spécifiques a permis de renforcer la mise en évidence de cette ambivalence entre posture théorique et vécu dans des situations concrètes, en particulier chez les parents de malades chroniques.
Elle présente également plusieurs limitations. La petite taille de l’échantillon n’a pas permis d’obtenir une saturation des données, il pourrait ainsi être intéressant d’effectuer des entretiens sur d’autres problèmes spécifiques à l’adolescence. Un autre facteur limitant est l’absence d’avis paternel, ce qui aurait permis de diversifier les points de vue et voir s’il existe des différences attribuables au sexe des parents.

Conclusion

L’ambivalence parentale qui peut exister au sujet de la confidentialité, est en grande partie le reflet de la difficulté face à l’autonomisation de l’adolescent dans ses soins, avec d’un côté des adolescents en quête d’autonomie et de responsabilité et de l’autre des parents qui sont dans un processus de lâcher prise et de transfert de responsabilité. Cette étape est fondamentale pour amorcer le processus de transition dans les soins, indispensable à l’adolescence. Cette double transition face à l’autonomisation des adolescents est marquée par un ajustement dynamique du vécu parental et adolescent, dépendant en grande partie de l’articulation du triangle relationnel adolescent-parent-médecin. Pour le médecin, la gestion de la confiance, de l’équilibre des rôles et de la communication sont autant d’enjeux nécessaires à la promotion d’un vécu positif des consultations confidentielles, permettant une prise de responsabilité progressive des adolescents par rapport à leur santé favorisant ainsi une transition optimale.

Références

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Informations complémentaires

Correspondance:
Conflit d'intérêts:
Les auteurs n’ont déclaré aucun lien financier ou personnel en rapport avec cet article.
Auteurs
Medical Student Baptiste van Riel, Faculty of biology and medicine, Lausanne University UNIL
Dr med. Anne-Emmanuelle Ambresin, Division interdisciplinaire de santé des adolescents (Disa), Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV) et Université de Lausanne (UNIL)
Dr med. Yusuke-Leo Takeuchi, Division interdisciplinaire de santé des adolescents (Disa), Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV) et Université de Lausanne (UNIL)