La technique d’anesthésie locale pour le traitement des plaies cutanées de l’enfant est principalement basée sur l’injection de lidocaïne péri-lésionnelle. Cette infiltration locale est généralement douloureuse et augmente l’appréhension du jeune patient. En 1980, Pryor et al. ont décrit les bénéfices de l’utilisation d’un anesthésique topique (TAC). La solution TAC (Tétracaïne, Adrénaline, Cocaïne) est une solution couramment employée aux USA depuis les années 90 mais qui n’est pas commercialisée en Europe.
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Introduction
La technique d’anesthésie locale pour le
traitement des plaies cutanées de l’enfant
est principalement basée sur l’injection de
lidocaïne péri-lésionnelle
1), 2), 5) Cette infiltra-
tion locale est généralement douloureuse
et augmente l’appréhension du jeune pa –
tient
1), 2), 6), 9) . En 1980, Pryor et al. 3) ont
décrit les bénéfices de l’utilisation d’un
anesthésique topique (TAC). La solution
TAC (Tétracaïne, Adrénaline, Cocaïne) est
une solution couramment employée aux
USA depuis les années 90 mais qui n’est
pas commercialisée en Europe
4). Les études
montrent que l’anesthésie topique avec
le gel TAC fonctionne aussi bien que
l’anesthésie locale avec injection de lido –
caïne
3), 5) . Cependant, la compliance des pa-
tients est nettement meilleure avec le gel
TAC étant donné qu’il n’y a pas d’injection
5).
Dans les années 95, des études ont été
réalisées pour trouver une alternative au
gel TAC en raison de son coût, de sa toxicité
éventuelle et des risques liés au stockage
des narcotiques
6)–8) . Il semble que le gel LET
(Lidocaïne, Epinéphrine, Tétracaïne) est tout
aussi efficace , moins cher et moins toxique
6-10).
En Europe, ce gel est généralement fabriqué
par la pharmacie de l’hôpital
11). L’utilisation
d’un gel anesthésiant LET préparé par cette
dernière a été évaluée par une étude pro –
spective dans un service universitaire d’ur-
gences pédiatriques. Le but est d’en démon –
trer son efficacité dans la gestion de la dou –
leur pour la suture de plaies simples chez
l’enfant, comme seul anesthésiant local.
Méthode
Il s’agit d’une étude observationnelle pro –
spective. Les données ont été récoltées de novembre 2004 à décembre 2005 (13 mois)
dans le service d’urgences pédiatriques de
l’Hôpital de l’Enfance de Lausanne–CHUV
qui accueille environ 8000 urgences chirurgi-
cales par année dont 1250 sutures. Un
questionnaire a éte complété pour les su –
tures remplissant les critères pour pouvoir
être effectuées avec gel LET comme seule
anesthésie locale, a savoir des plaies du vi –
sage et du cuir chevelu ou des petites plaies
dans d’autres localisations en excluant les
muqueuses et les extrémités (nez, doigts,
orteils et pénis), ces dernières à cause
de l’effet vasoconstricteur de l’adrénaline
contenue dans le gel. Ce questionnaire
comprennait des informations pour l’âge, le
sexe, l’emplacement de la plaie, le nombre
de points de suture, la durée d’application
du gel et l’évaluation de la douleur avec
l’échelle EVA (figure 1) pour les enfants
de plus de 5 ans et l’échelle POCIS (figure
2) pour les moins de 5 ans (tableau 1).
397 questionnaires ont été remplis mais
seulement 166 retenus (78 fiches incomplè-
tes, 153 sutures faites avec une anal gésie
complémentaire dont 150 avec MEOPA
et 3 avec injection de xylocaïne péri-lési –
onnelle). Sur les 166 patients inclus dans
l’étude 11 enfants ont reçu simultanément une analgésie associée (paracétamol ou
AINS per os); ces cas ont été retenus
car l’adjuvant analgésique ne modifie pas
l’évaluation de la douleur locale
4). Le gel LET
utilisé dans l’étude est préparé stérilement
à la pharmacie de l’hôpital universitaire
(CHUV-HEL) selon une formule de lidocaïne,
épinéphrine, tétracaïne et conservé au frigo.
La quantité maximale de lidocaïne con –
seillée (10 mg/kg)
4) a été respectée ainsi
que la durée d’application moyenne de 45
Evaluation de l’efficacité d’un gel
anesthésique topique (LET) pour
la suture des plaies cutanées simples
chez l’enfant
C. Balice-Bourgois, A. Gros-Désormeaux, Ch. Vannay, M. Nydegger* et N. Lutz**
Service de Pédiatrie, *Service d’anesthésie,
**Service de Chirurgie Pédiatrique
Centre Hospitalier Universitaire Vaudois
Département Médico-Chirurgical de Pédiatrie
Hôpital de l’Enfance, Lausanne, Suisse
10
9
8
7
6
5
4
3
2
1
0
Figure 1: Echelle visuelle analogue (EVA)
Figure 2: Echelle POCIS = (Pain Observation Scale for Young Children)
Visage Neutre, reposé 0
Grimaçant, froncé, nez plissé 1
Pleurs Absent 0
Pleurniche, gémit, hurle 1
Respiration Régulière, calme 0
Irrégulière, tirage, halètement 1
Torse Au repos, calme 0
Tendu, frissonnant, tremblant 1
Bras, Doigts Au repos, relâchés 0
Tendus, poings serrés, mouvements désordonnés 1
Jambe, Orteils Au repos, relâchés 0
Tendus, donne des coups , sans repos 1
Etat de veille Calme, détendu, joue ou dort 0
Agité, sans repos, irritable 1
Tableau 1: scores de douleurs selon
l’échelle d’évaluation
POCIS EVA
Pas de douleur 0 –1 0–2
Douleur faible 2–3 3–4
Douleur modérée 4–5 5–6
Douleur forte 6–7 7–10
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minutes 10), 11) . Le niveau de satisfaction de
l’équipe quant au déroulement général a
également été évalué. Les questionnaires
comprennent aussi une question sur les
éventuels effets indésirables dus au gel
LET. Les analyses statistiques ont été réali –
sées par le CEPIC (Centre d’épidémiologie
clinique) de Lausanne
Résultats
166 enfants de 1 à 15 ans (moyenne 5,5 ans)
ont eu 166 plaies suturées sous anesthésie
locale de gel LET. La majorité (90%) des
sutures ont été effectuées au cuir chevelu
et au visage (150/166) et 10% des plaies
étaient situées à d’autres emplacements
(bras, jambe, dos, …). Une moyenne de 3
points de suture (de 1 à 8) a été posée. La
durée moyenne d’application du gel LET
avant la suture était de 55 min. (écart de
30 à 150 min). Une anesthésie efficace (pas
de douleur) a été observée chez 65% des
enfants de moins de 5ans (score POCIS < 2),
et chez 92% des plus de 5ans (échelle EVA <
3) (tableau 2). Par ailleurs seulement 10.9%
des enfants de moins de 5 ans (POCIS > 3)
et 1.3 % des enfants de plus de 5 ans (EVA >
3) ont ressenti une douleur modérée/forte.
Il n’y a pas de différence statistiquement
significative du nombre de points de suture
entre chaque catégorie de douleur (Kruskal
Wallis;p = 0.5) (tableau 3). Pour 64% des 11
enfants ayant reçu un antalgique général
le gel LET a été efficace (pas de douleur)
versus 78% pour les 155 enfants sans antalgique général. La différence n’est pas
statistiquement significative (Fisher; p=0.2)
(tableau 4). Le score de douleur n’est pas
associé à la durée d’application du gel LET
(Kruskal-Wallis; p=0.6)
(tableau 5). Aucun
effet indésirable n’a été observé et 97%
des sutures ont été réalisées de façon
satisfaisante selon l’évaluation de l’équipe
soignante.
Discussion
Depuis plus d’une décennie la gestion de la
douleur est devenue une priorité dans la pra –
tique médicale chez le patient de tout âge,
aussi dans les actes invasifs. Plusieurs études
ont dénoncé il y a 20 ans déjà que les enfants
sont victimes d’une inégalité fondamentale
dans le traitement de la douleur
12 ). Anand et
coll. ont même démontré en 1987 que les
messages nociceptifs peuvent être véhiculés
déjà dans le système nerveux du préma-
turé
13 ). Ces considérations sont d’autant
plus vraies que des recommandations
sur l’évaluation et les stratégies de prise
en charge de la douleur ont été publiées
aux Etats Unis en 1992
14 ) et en France
en 2001 15 ). Une étude menée dans cinq
départements d’urgences pédiatriques aux
Etats Unis évaluant le «state of the art»
dans la prise en charge de la douleur dans
des scénarios douloureux en pédiatrie, a
montré qu’il y a une évolution continue
dans les méthodes de gestion de la dou –
leur chez l’enfant
16 ). Plusieurs situations
dans la pratique médicale quotidienne né- cessitent l’utilisation d’une anesthésie lo-
cale (plaies nécessitant une suture, pon –
c tions, débridements de brûlures ou de
plaies, injections, …). Dans le cas de la plaie
superficielle l’injection péri-lésionnelle de
lidocaïne est considérée encore aujourd’hui
le «gold standard» pour l’anesthésie locale
15 ).
Malheureusement l’injection de lidocaïne
péri-lésionnelle est elle-même douloureuse.
L’utilisation d’une anesthésie topique (gel
LET, gel TAC) élimine la nécessité d’injecter
l’anesthésiant. Le premier de ces anesthé-
siants topiques est le gel TAC et son effi –
cacité a été amplement démontrée
3, 5) .
Cependant, son point faible vient de la
présence de cocaïne dans sa composition
chimique, qui a essentiellement 3 inconvé-
n ients en partianlier à savoir son coût, ses
éventuels effets indésirables et les risques
liés au stockage des narcotiques dans un
service d’ur gence
6)-8),17) . Une des formules
sans la cocaïne est représentée par le gel
LET. Comparé avec le gel TAC, le gel LET
s’est avéré être un produit tout aussi efficace
et extrêmement sûr pour l’anesthésie locale
de plaies simples chez l’enfant
2), 9), 17) . La ma –
jorité des études sur l’efficacité du gel LET
ont été faites en dehors de l’Europe, vu quel
à la fin des années nonante il n’était pas
encore disponible en pharmacie sur le mar-
ché européen
4), raison pour laquelle même
dans les grands hôpitaux universitaires du
nord de l’Europe il est préparé stérilement
à la pharmacie et conservé au frigo
11). Dans
notre étude, la douleur lors de suture de
plaies simples avec anesthésie porale avec
Tableau 2: Distribution du score de douleur
POCIS (< 5 ans) EVA (> 5 ans)
effectif % effectif %
Pas de douleur 60 65.2 68 91.9
Faible 22 23.9 5 6.8
Modérée/forte 10 10.9 1 1.3
Total 92 100 74 100
Tableau 3: Comparaison douleur et
nombre de points de suture
Score de douleur Nbre de points Effectif
Moyenne (sd)
Pas de douleur 2.7 (1.5) 128
Faible 2.9 (1.5) 27
Modérée/forte 3.1 (1.5) 11
Total 2.8 (1.5) 166
Tableau 4: Comparaison des scores de douleurs selon la présence d’un antalgi\
que
général Fisher’s exact: p = 0.2
Sans antalgique Paracétamol/AINS Total
Pas de douleur 121 (78%) 7 (64%) 128 (77%)
Faible 25 (16%) 2 (18%) 27 (16%)
Modérée/forte 9 (6%) 2 (18%) 11 (7%)
Total 155 (100%) 11 (100%) 166 (100%)
Durée Effectif
d’application
moyenne (sd)
Pas de douleur 55.6 (19.1) 121
Faible 50.9(9.3) 27
Modérée/forte 56.4 (13.6) 11
Tableau 5: Comparaison des scores de
douleurs selon la durée d’application
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gel LET a été évaluée en tenant compte
d’éventuels facteurs pouvant influencer
son utilisation. Les résultats de l’étude
confirment l’efficacité du gel LET comme
anesthésiant topique dans les sutures de
plaies superficielles chez l’enfant, si la durée
d’application est respectée. L’impression
d’avoir une efficacité anesthésiante moins
importante chez l’enfant de moins de cinq
ans est probablement due à l’anxiété du
jeune enfant qui est difficilement évaluable.
Notre étude n’a pas mis en évidence un lien
entre l’effet tropique du gel et soit la locali –
sation de la plaie, soit le nombre de points
de suture ou encore l’éventuelle analgésie
générale associée. L’absence d’effets indé-
sirables recensés confirme que le gel LET, si
correctement utilisé, est un produit sûr en
plus d’être efficace.
En conclusion, le gel LET a permis la suture
sans douleur chez 79% des enfants se
présentant dans notre service d’urgence
et satisfaisant les critères d’inclusion dans
l’étude. Ce produit devrait faire partie in –
tégrante des outils thérapeutiques de tout
centre d’urgence amené à traiter des plaies
cutanées chez l’enfant.
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controlled trials. J Clin Anesth 2005; 17: 106–16
Correspondance:
colette.balice@eoc.ch
Informations complémentaires
Auteurs
Dr. med. Colette Balice-Bourgois , Hôpital de l’Enfance, Lausanne