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Endocardite – une mise à jour

L’endocardite infectieuse est une maladie rare pendant l’enfance. En Suisse, ces dernières dix années, environ 5-7 enfants...

Introduction

L’endocardite infectieuse est une maladie rare pendant l’enfance. En Suisse, ces dernières dix années, environ 5-7 enfants (<18 ans) par an étaient concernés, la tendance étant croissante1). Le diagnostic d’endocardite infectieuse se base sur (1) des symptômes cliniques comme la fièvre, la détérioration de l’état général, des difficultés à téter, une diminution de la résistance physique, (2) la mise en évidence de germes à l’hémoculture et (3) l’échocardiographie; selon les critères modifiée de Dukes le diagnostic est considéré soit «définitif» soit «possible»2). Les enfants avec une maladie cardiaque préexistante, notamment une malformation cardiaque opérée avec implantation de matériel étranger, ont un risque nettement plus élevé que les enfants sans maladie cardiaque. Cela s’explique par la pathogénèse de l’endocardite infectieuse: des turbulences du flux sanguin se forment autour des malformations, des valves et autres structures cardiaques opérées ainsi que le long de matériaux prothétiques ou de défauts résiduels, provoquant un stade préliminaire stérile d’endocardite qui peut ensuite s’infecter dans le cadre d’une bactériémie transitoire. Les germes les plus fréquents à l’origine d’une endocardite bactérienne sont les streptocoques et les staphylocoques. Le traitement conservateur consiste en une antibiothérapie intraveineuse pendant 4-6 semaines, en général en milieu hospitalier. Le traitement antibiotique peut également être combiné avec une intervention chirurgicale visant la réparation des valves (fig. 1). Cela s’avère nécessaire surtout lors d’une endocardite infectieuse sévère avec des complications: insuffisance cardiaque progressive, septicémie ainsi que des complications emboliques, dont l’origine peuvent être les valves. En Suisse le traitement chirurgical peut s’avérer nécessaire soit pendant la phase aiguë ou après traitement conservateur de l’endocardite et concerne environ la moitié des patient-e-s. La mortalité des enfants avec endocardite en Suisse est actuellement d’environ 7%.

Un groupe d’experts de la Société Suisse d’Infectiologie et de la Société Suisse de Cardiologie a établi, conjointement à la Société Suisse de Cardiologie pédiatrique et au PIGS, de nouvelles recommandations pour la prophylaxie de l’endocardite en Suisse, présentées ci-après.

Figure 1. Vignette clinique: adolescent de 13 ans opéré d’une tétralogie de Fallot avec remplacement de la valve pulmonaire par une greffe d’origine bovine (Contegra®, Medtronic). Cinq ans plus tard modification du souffle cardiaque, état fébrile depuis trois jours, péjoration de l’état général, tachycardie et pâleur. Plusieurs hémocultures mettent en évidence du streptococcus mitis, l’échocardiographie une sténose et insuffisance sévère de la xénogreffe Contegra®. Le patient devient afébrile et récupère sous traitement antibiotique intraveineux. Mais après deux semaines l’état général se péjore à nouveau et on constate au CT-scan (B) la formation d’une thrombose sur 29 mm au passage entre greffon et tronc pulmonaire (A, flèche rouge) ainsi que des embolies pulmonaires périphériques septiques, nécessitant le remplacement en urgence (C et D) du greffon Contegra® sévèrement altéré par des végétations.

Qui nécessite une antibioprophylaxie?

Nécessitent une antibioprophylaxie les patient-e-s avec un risque élevé d’endocardite infectieuse. En font partie:

1. Patient-e-s ayant souffert d’une endocardite

2. Patient-e-s avec toute sorte de valve prothétique (mécanique ou biologique, y compris implantée par cathétérisme) ou
Patient-e-s chez qui a été utilisé du matériel étranger pour la reconstruction de valves cardiaques

3. Patient-e-s avec des malformations cardiaques congénitales:
a) Toute forme de malformation cardiaque cyanogène
b) Toute forme de malformation cardiaque traitée avec du matériel étranger (par intervention chirurgicale ou par cathétérisme)
→ Risque élevé pendant les premiers 6 mois postopératoires
c) Toute forme de malformation cardiaque traitée avec du matériel étranger (par intervention chirurgicale ou par cathétérisme) avec un shunt persistant ou un défaut résiduel postopératoire significatif (p.ex. matériel étranger non entièrement intégré)
→ Risque élevé à vie resp. aussi longtemps que la situation persiste

4. Pour les patient-e-s après transplantation cardiaque l’éventuelle antibioprophylaxie est discutée au cas par cas avec le/la patient-e et le/la médecin du centre de transplantation cardiaque avant l’intervention prévue.

Quand recommander une antibioprophylaxie?

L’antibioprophylaxie n’est plus nécessaire que lors de certaines intervention dentaires. En font partie toutes les interventions impliquant une manipulation sur la gencive, comme p.ex. la mesure de la profondeur de poches gingivales, le détartrage sous-gingival, l’anesthésie locale intra-ligamentaire ou l’application de bagues orthodontiques. L’antibioprophylaxie est également recommandée lors de chirurgie buccale, comme des biopsies, l’incision d’un abcès ou l’extraction d’une dent, l’intervention impliquant dans ces cas une lésion de la muqueuse.

Quand l’antibioprophylaxie n’est pas recommandée? 

L’antibioprophylaxie n’est par contre pas recommandée lors de la perte naturelle d’une dent de lait, de détartrage supra-gingival avec des gencives en bonne santé, ou de lésions superficielles des lèvres ou de la muqueuse buccale. L’antibioprophylaxie n’est pas non plus recommandée lors d’anesthésie locale dans la muqueuse non-inflammée, de traitement superficiel de caries, l’ablation de fils ou l’adaptation d’appareils orthodontiques.3)

Indépendamment des interventions dentaires mentionnées, les nouvelles recommandations ne prévoient pas d’antibioprophylaxie non plus pour d’autres interventions diagnostiques ou thérapeutiques dans la région ORL, de la peau et des muqueuses, des voies respiratoires, du tractus gastro-intestinal ou des voies urogénitales.

Cela ne signifie pas que dans des cas particuliers ne puisse être effectuée une antibioprophylaxie périopératoire. On peut se référer aux recommandations pour l’antibioprophylaxie périopératoire du Centre national de prévention des infections SwissNoso (https://ssi.guidelines.ch -> Endocardite infectieuse / Prévention).

Ne représentent pas de risque d’endocardite les fractures fermées et les infections virales (refroidissement, rhume, grippe).

Quelle antibioprophylaxie est recommandée?

Les antibiotiques recommandés pour les interventions dentaires, avec les dosages adaptés au poids, et les alternatives en cas d’allergie à la pénicilline sont énumérées dans la carte de prophylaxie des endocardites (fig. 2, à gauche). La Fondation Suisse de Cardiologie met à disposition la carte de prophylaxie des endocardites et nouvellement aussi un dépliant (fig. 2, à droite), séparément pour enfants et adultes dans les différentes langues nationales.

Figure 2. Carte de prophylaxie des endocardites pour les enfants © Fondation Suisse de Cardiologie

Quand prescrire l’antibioprophylaxie?

La prise prophylactique de l’antibiotique est recommandée une heure avant l’intervention. Une dose unique est suffisante.

Quelles autres mesures sont nécessaires?

Alors que l’antibioprophylaxie n’est plus recommandée que pour les patients avec un risque d’endocardite très important, pour la plupart des patients à risque d’endocardite sont néanmoins indiquées des mesures de prévention spécifiques, importantes au quotidien, valables aussi pour les enfants à risque d’endocardite:

Hygiène bucco-dentaire:
Brossez les dents deux à trois fois par jour et nettoyez les espaces interdentaux avec du fil dentaire. Effectuez des contrôles réguliers chez le/la dentiste ou hygiéniste dentaire (une à deux fois par année).

Prophylaxie de caries:
Les biberons avec des boissons sucrées (p.ex. thé sucré) sont déconseillés. Veillez à limiter en général la consommation de boissons et aliments sucrés.

Hygiène de la peau:
Prenez soin de votre peau. Cela comprend aussi les soins des ongles ainsi qu’une désinfection soigneuse de lésions cutanées. Lors de maladies telles que la dermatite atopique ou l’acné, consultez le/la dermatologue. Les piercings et les tatouages sont déconseillés.

Avant une intervention cardiaque planifiée, notamment en prévision d’un remplacement de valves, on recommande le traitement de toute affection dentaire, afin d’exclure de potentiels foyers infectieux, p.ex. des abcès dentaires, pouvant occasionner une bactériémie transitoire peropératoire (fig. 3). On déconseille toute automédication antibiotique.

Figure 3. Patient de 11 ans avec dentition mixte. Dent de lait 55 avec carie profonde et effondrement de la crête. Tuméfaction gingivale marquée dans la région 55, typique d’un abcès dentaire.

À quoi faut-il veiller lors d’un traitement dentaire?

Outre une hygiène optimale par le patient lui-même, les foyers infectieux potentiels doivent être repérés et assainis par le dentiste. Classiquement il s’agit de dents cariées qui peuvent, après des problèmes d’abord locaux, développer des abcès (fig. 3). Mais aussi des maladies du parodonte (p.ex. gingivite, parodontite) doivent être traitées, des bactéries buccales pouvant accéder à la circulation sanguine par une lésion de la muqueuse et la poche gingivale (fig. 4).

Figure 4 (gauche). Patient avec mauvaise hygiène bucco-dentaire et gingivite. Les surfaces dentaires sont mates, recouvertes d’une plaque blanchâtre. On observe une rougeur du bord gingival, des papilles interdentaires tuméfiées et un saignement spontané dans la région 22/23.
Figure 4 (droite). Le même patient après nettoyage professionnel: les surfaces dentaires sont nettoyées du biofilm et apparaissent lisses et brillantes. La gencive saigne à la suite du détartrage. Plusieurs semaines de bonne hygiène bucco-dentaire sont nécessaires pour rétablir les tissus mous.

Les dentistes sont bien sensibilisés à la problématique de l’endocardite. Lors de la prise en charge d’enfants il faut aussi tenir compte d’aspects développementaux, économiques et culturels. Cela signifie entre autres que les parents endossent également un rôle actif, en «imposant» l’hygiène buccale quotidienne. Selon la situation familiale, cela peut s’avérer difficile lorsque le brossage des dents est considéré une corvée plutôt qu’une routine quotidienne. Si les parents sont dépassés, la responsabilité est reportée sur l’enfant qui, en fonction de son développement cognitif et de ses capacités manuelles, ne pourra pas effectuer correctement l’hygiène bucco-dentaire. Si nécessaire les parents seront soutenus avec des conseils et des stratégies, et rendus attentifs au fait que l’hygiène bucco-dentaire quotidienne ne peut pas être remplacée par des contrôles fréquents chez le dentiste; qu’il faut aussi veiller à ce que des aliments sucrés ne soient pas librement accessibles aux enfants tout au long de la journée. Il est important de savoir que selon le contexte socioculturel de la famille, les dents de lait sont parfois considérées négligeables, vu qu’elles seront remplacées. Des études épidémiologiques ont montré qu’en Suisse aussi, les enfants de mères issues de la migration ont plus souvent des caries4,5). Il s’avère alors utile de souligner le lien entre la santé bucco-dentaire et le cœur, dont l’importance n’est sans doute mise en question dans aucune culture. Il faut également se rappeler que des familles aux moyens modestes évitent parfois les consultations chez le dentiste, dont les prestations ne sont en Suisse en principe pas remboursées par les assurances maladie. L’endocardite représente une exception, les traitements dentaires étant remboursés dans la mesure où ils complètent les soins médicaux (Ordonnance sur les prestations de l’assurance des soins, Art. 19 d). Dans ces cas il faut néanmoins qu’il y ait effectivement une endocardite – un risque élevé ne suffit pas d’après la loi en vigueur.

Où obtenir une prise en charge dentaire adéquate pour les patients à risque?

En principe tous les cabinets dentaires peuvent l’offrir. Sont spécialisés dans la collaboration interdisciplinaire avec les cardiologues les cliniques dentaires scolaires, les dentistes pédiatriques (Association de médecine dentaire pédiatrique, www.pedodontie.ch) ou les centres de médecine dentaire universitaires (BE, BS, GE, ZH).

 Que faire lorsqu’on soupçonne une endocardite infectieuse?

On prêtera une attention particulière aux enfants et adolescent-e-s à risque élevé d’endocardite infectieuse qui présentent une fièvre d’origine inconnue. Prélever des hémocultures avant l’instauration du traitement antibiotique peut s’avérer décisif pour le diagnostic, tout comme adresser généreusement le patient pour échocardiographie à la clinique pédiatrique où il est suivi. Sont particulièrement concernés les patients opérés, surtout avec du matériel étranger; le plus fréquemment sont atteints celles ou ceux dont la valve pulmonaire a été remplacée, par cathéter ou intervention chirurgicale, par une valve Melody® ou Contegra®. Avant tout il faut néanmoins sensibiliser les patients, les parents et la famille aux signes non spécifiques de l’endocardite infectieuse: épuisement physique, fièvre, sensation d’être malade, difficulté à téter, perte de poids, frissons et transpiration nocturne doivent inciter à consulter rapidement le médecin de famille, le pédiatre ou le cardiologue pédiatre.

Informations complémentaires :

  1. Association de médecine dentaire pédiatrique, www.pedodontie.ch
  2. SwissNoso Centre national de prévention des infections :
    https://ssi.guidelines.ch -> Endocardite infectieuse / Prévention
  3. Fondation Suisse de Cardiologie:
    https://swissheart.ch  -> Maladies et urgences -> Maladies de cœur et attaque cérébrale -> Endocardite

Références

  1. Knirsch W, Schuler SK, Christmann M, Weber R. Time-trend population analysis of the clinical and epidemiologic effect on pediatric infective endocarditis after change of antibiotic prophylaxis guidelines. Infection. 2020 Oct; 48(5):671-678. doi: 10.1007/s15010-020-01433-4. Epub 2020 Apr 30. Erratum dans: Infection. 2020 Aug 14. PMID: 32356253.
  2. Li JS, Sexton DJ, Mick N, Nettles R, Fowler VG Jr, Ryan T, Bashore T, Corey GR. Proposed modifications to the Duke criteria for the diagnosis of infective endocarditis. Clin Infect Dis. 2000 Apr;30(4):633-8. doi: 10.1086/313753. Epub 2000 Apr 3. PMID: 10770721.
  3. Schriber M, Sendi P, Greutmann M, Bornstein MM. Dental Medicine and Infective Endocarditis: Current guidelines for antibiotic prophylaxis and recommendations for daily clinical practice. Swiss Dent J. 2021 Mar 8;131(3):245-251. PMID: 33666387
  4. Menghini G, Steiner M, Thomet E, Roos M, Imfeld T. Caries prevalence in 2-year-old children in the city of Zurich. Community Dent Health. 2008 Sep;25(3):154-60. PMID: 18839721
  5. Kraljevic I, Filippi C, Filippi A. Risk indicators of early childhood caries (ECC) in children with high treatment needs. Swiss Dent J. 2017 May 15;127(5):398-410. English, German. PMID: 28639687

Informations complémentaires

Traducteur:
Rudolf Schlaepfer
Correspondance:
Auteurs
Dr. med. dent.   Valeria Diener Zentrum für Zahnmedizin, Klinik für Kieferorthopädie und Kinderzahnmedizin, Universität Zürich (UZH), Zürich, Schweiz

Prof. Dr. med.  Walter Knirsch Oberarzt, Kardiologie, Universitäts-Kinderspital Zürich – Eleonorenstiftung, Kinderherzzentrum, Kardiologie, Forschungszentrum für das Kind, Universität Zürich (UZH), Zürich, Schweiz