La prévalence de la dermatite atopique reste élevée partout dans le monde. Ce fait appelle des mesures préventives, l’eczéma étant une affection chronique avec en général une souffrance considérable pour la personne concernée. Les parents atopiques reçoivent souvent une profusion de conseils bien intentionnés. Mais que pouvons-nous leur conseiller sur la base d’évidences?
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Vol. 29 No. 2 2018 Formation continue
La prévalence de la dermatite atopique reste
élevée partout dans le monde. Ce fait appelle
des mesures préventives, l’eczéma étant une
affection chronique avec en général une souf –
france considérable pour la personne concer –
née. Les parents atopiques reçoivent souvent
une profusion de conseils bien intentionnés.
Mais que pouvons-nous leur conseiller sur la
base d’évidences ?
Allaitement maternel – aussi
efficace qu’on le pense ?
Le public considère l’allaitement maternel pen –
dant 4 à 6 mois comme étant une des mesures
prophylactiques de l’eczéma atopique les plus
importantes. Mais la science soutient-elle éga –
lement cette recommandation ?
Il est certainement justifié de privilégier, pour
des raisons relevant de la physiologie nutri –
tionnelle ainsi qu’immunologiques et psycho –
sociales, l’allaitement maternel à l’alimenta –
tion par le biberon. Son effet n’est par contre
pas si évident par rapport à la prévention de
l’eczéma. Si les données actuelles semblent
accorder à l’allaitement maternel un effet
globalement modérément favorable, seule –
ment les enfants à haut risque (enfants avec
un parent souffrant d’une dermatite atopique)
semblent profiter d’un effet préventif sur
l’eczéma 1),2) . L’avis en faveur d’un allaitement
exclusif est par contre probablement erroné,
en effet les enfants à risque recevant des
compléments alimentaires bénéficient tout
autant de l’effet protecteur de l’allaitement
maternel 2).
Si l’allaitement n’est pas possible, on conseil –
lait jusqu’ici d’avoir recours, jusqu’à l’âge de
six mois, au lait pour nourrissons (partielle –
ment) hydrolysé. Mais les méta-analyses ac –
tuelles arrivent à la conclusion que l’évidence
pour cette recommandation n’est pas
convaincante 3). La Commission de nutrition
de la Société Suisse de Pédiatrie tient compte
de cette conclusion et ne soutient plus l’utili –
sation des aliments pour nourrissons (partiel –
lement) hydrolysés 4).
Eczéma atopique – existe-t-il des mesures
prophylactiques basées sur l’évidence?
Isabelle Luchsinger, Lisa Weibel, Martin Theiler, Zurich
Traduction: Rudolf Schlaepfer, La Chaux- de – Fonds
Faut-il renoncer à certains aliments
pendant la grossesse et la période
d’allaitement?
En absence d’évidence d’un effet préventif sur
l’eczéma, il est globalement déconseillé de
suivre, pendant la grossesse et la durée de
l’allaitement, des régimes spécifiques et no –
tamment d’évincer des allergènes alimen –
taires potentiels. Dans l’ensemble il faut viser
une alimentation équilibrée. Un régime médi –
terranéen et la consommation de légumes,
defruits et de poisson semblent avoir un effet
positif en termes de prophylaxie de l’eczéma
et d’allergies 5).
Introduction de compléments
alimentaires – quand et comment?
La recommandation valable autrefois de
n’introduire que tardivement les aliments
potentiellement allergéniques comme l’œuf,
le poisson et le soja, a été abandonnée depuis
un certain temps déjà. Pour les enfants avec
un eczéma sont actuellement en vigueur les
mêmes recommandations que pour tous les
enfants, sans risques d’atopie, c’est à dire
l’introduction progressive d’une alimentation
variée dès l’âge de 4 mois révolus 4).
On peut conseiller la consommation régulière
de poisson, celle- ci ayant un certain effet
préventif sur les affections atopiques 6).
Pro- et prébiotiques
Le rôle du microbiome dans la pathogénèse
de l’eczéma est de plus en plus reconnu 7).
Ainsi le type d’accouchement (césarienne vs
voie basse) et l’administration précoce d’anti –
biotiques semblent influencer le développe –
ment de l’eczéma atopique. L’idée d’en
contrer l’apparition par l’apport de « bonnes »
bactéries apparaît dès lors séduisante. Il
existe en effet des données encourageantes
à cet égard, bien que des résultats négatifs
aient aussi été publiés 8),9) . Malheureusement
les souches bactériennes ou les préparations
utilisées ainsi que la durée et le moment de
l’administration diffèrent fortement d’une
étude à l’autre, il n’est donc actuellement pas
possible d’émettre une recommandation gé –
nérale concernant la prise prophylactique de
probiotiques dans le but de prévenir le déve –
loppement d’un eczéma 4).
Très peu d’études ont été réalisées sur les
prébiotiques, c’est à dire les fibres spéci –
fiques non digestibles favorisant la croissance
sélective de microorganismes, les résultats
étant par ailleurs hétérogènes ; à ce jour au –
cune recommandation n’a donc été formulée
dans ce domaine non plus.
Est-ce qu’un animal domestique
nuit à mon bébé ?
Il n’est pas rare que cette question préoccupe
des familles avec des enfants à risque d’eczé –
ma. Dans ce cas on recommandait autrefois
en général de renoncer à des animaux à poils.
La littérature actuelle brosse un tableau dif –
férent. Elle met en évidence que la présence
d’un chien ou d’autres animaux à poils a plutôt
un effet protecteur vis à vis de l’eczéma, alors
que pour les chats on ne constate pas d’effet
significatif, ni positif ni négatif 10 ). Pour
d’autres manifestations atopiques la présence
d’animaux à poils ne s’avère pas néfaste non
plus 11 ). Bien que les données soient encore
trop discordantes pour conseiller la tenue
générale d’un animal à poils, il n’est pas né –
cessaire, du moins lorsqu’il n’y pas un
membre de la famille sensibilisé, d’y renoncer,
tout en donnant probablement la préférence
aux chiens plutôt qu’aux chats.
Ces conclusions soutiennent en principe
«l’hypothèse d’hygiène», selon laquelle l’expo –
sition précoce à différents germes a un effet
préventif. En témoigne aussi le fait que la
fréquentation d’une garderie diminue le risque
atopique.
On ne peut actuellement pas non plus recom –
mander de réduire l’exposition aux acariens
par des housses anti-acariens en tant que
mesure prophylactique primaire, mais bien
pour la prévention secondaire ou tertiaire.
Est-ce que la fumée de tabac nuit à
l’eczéma?
Alors qu’il est bien établi que l’exposition au
tabagisme passif représente un facteur de
risque important pour l’asthme de la petite
enfance, l’association avec l’eczéma est moins
bien documentée. Une méta-analyse récente
a mis en évidence une prévalence de l’eczéma
plus élevée lors d’exposition au tabagisme
actif ou passif, chez les enfants autant que
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chez les adultes 12 ). Fumer pendant la gros –
sesse ne semble par contre pas être un fac –
teur de risque significatif pour le développe –
ment ultérieur d’un eczéma. D’autres études
sont nécessaires pour établir s’il existe effec –
tivement un lien causal entre prévalence de
l’eczéma et tabagisme. Il faut néanmoins
clairement déconseiller la consommation de
tabac aux familles atopiques.
« C’est la faute aux vaccins ! »
Il est bien établi que les vaccins ne sont pas
associés à un risque élevé d’eczéma 13 ). Les
enfants avec un risque d’atopie devraient par
conséquent être vaccinés en suivant le calen –
drier normal et complètement. Pour les en –
fants souffrant d’eczéma on conseille d’asso –
cier le vaccin contre la varicelle au vaccin
rougeole-oreillons-rubéole.
La barrière cutanée
Depuis une décennie il est apparu que l’alté –
ration de la barrière cutanée joue un rôle
central dans la pathogénèse de l’eczéma
atopique. En effet les enfants avec de l’eczé –
ma présentent souvent, à l’origine, une dimi –
nution de certains composants importants de
cette barrière, comme p. ex. la filaggrine, les
claudines ou les lipides. De plus les cytokines
inflammatoires induisent, dans un deuxième
temps, une régulation négative de ces élé –
ments et donc une détérioration supplémen –
taire de la fonction de barrière 14 ). Cette alté –
ration de la barrière cutanée doit être
considérée comme le primum movens, une
réalité soulignée par le fait que la perte d’eau
transépidermique (TEWL) pendant les pre –
miers jours de vie est un indicateur pour le
risque de développer ultérieurement un eczé –
ma 15 ).
Cela laisse supposer qu’il devrait être pos –
sible, en protégeant la barrière cutanée dès la
naissance, d’obtenir un effet prophylactique
sur le développement de l’eczéma. Le sug –
gèrent en effet deux études pilotes indépen –
dantes, contrôlées et randomisées, publiées
en 2014 16 ) ,17 ) . Dans les deux études, portant
chacune sur une centaine d’enfants à risque
d’eczéma (un parent atopique), en appliquant
quotidiennement une crème hydratante a été
obtenue une réduction de 50 % du risque de
développer plus tard un eczéma. Un troisième
travail confirme que ce type de prévention est
efficace et économique 18 ).
Ce sont des résultats prometteurs qui devront
pourtant être confirmés par des études plus
étendues et à plus long terme, avant de pou –
voir formuler des recommandations offi –
cielles. Le début, la durée, la formule et l’effet
sur le microbiome devront faire l’objet d’ulté –
rieures recherches.
Quels produits choisir pour les
soins ?
Le choix du produit pour les soins de la peau
dépendra de la saison et de l’âge de l’enfant.
L’éventuelle prise en charge des coûts par
l’assurance maladie jouera aussi un rôle. Les
produits peuvent par ailleurs contenir diffé –
rents hydratants (urée, glycérol, dexpanthé –
nol, lactate, etc.) qui fixent l’eau dans la
couche cornée. Selon la concentration, les
produits à base d’urée sont irritants pour la
peau du nourrisson et petit enfant, raison
pour laquelle nous ne la recommandons en
général qu’après l’âge de 3 ans. Peuvent par
contre être utilisés des produits à base de
glycérol ou dexpanthénol. L’urée peut occa –
sionner une sensation de brûlure au visage
d’enfants même plus âgés. On préférera les
produits sans parfum, ces derniers pouvant
être à l’origine d’allergies de contact. Sont
volontiers achetés des produits à base de
plantes, dont les ingrédients ne sont pourtant
adaptés que sous réserve pour les enfants
avec un eczéma, pour des raisons d’efficacité
mais surtout parce que potentiellement pho –
totoxiques et allergéniques au contact.
Est-ce que les parabènes et les
huiles minérales sont dangereux ?
Sur les emballages de nombreux produits non
remboursés par les assurances maladie on
trouve écrit en gras « sans parabènes ». De
nombreuses familles souhaitent par consé –
quent des produits sans parabènes. Les para –
bènes sont des agents de conservation utili –
sés depuis plus de 80 ans. Ils peuvent se fixer
aux récepteurs d’œstrogènes et avoir ainsi un
effet hormonal, l’activité œstrogénique est
néanmoins extrêmement faible, in vitro autant
qu’in vivo. Il n’existe pas de données convain –
cantes en faveur d’un effet endocrinien des
parabènes chez l’homme. Les résultats chez
l’animal sont contradictoires et sans cohé –
rence physiologique 19 ) , 20 ) . Pour cette raison,
après un examen approfondi les parabènes
sont admis tant aux USA qu’en Europe. Il n’est
par ailleurs pas clair si les agents de conser –
vation modernes, utilisés par l’industrie en
remplacement des parabènes, sont inoffen –
sifs. Nous considérons donc l’évidence insuf –
fisante pour renoncer aux parabènes.
De plus en plus fréquemment nous observons
que des familles souhaitent des produits sans
huiles minérales. Cela bien que les huiles
minérales représentent, depuis des décen –
nies, la base de tous les produits dermatolo –
giques à usage externe et qu’aucun risque
significatif n’ait jamais été documenté. Plu –
sieurs études ont montré de façon concor –
dante que ni les huiles minérales ni les cires
ne peuvent pénétrer la peau, une disponibilité
systémique étant donc exclue 21 ).
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Correspondance
isabelle.luchsinger@ kispi.uzh.ch
Les auteurs n’ont pas déclaré de soutien financier ou d’autres conflits d’intérêts en relation avec cet ar ticle.
Informations complémentaires
Auteurs
Dr. med. Isabelle Luchsinger , Pädiatrische Dermatologie, Zentrum Kinderhaut, Universitäts-Kinderspital Zürich PD Dr. med. Lisa Weibel , Pädiatrische Dermatologie, Zentrum Kinderhaut, Universitäts-Kinderspital Zürich Dr. med. Martin Theiler , Pädiatrische Dermatologie, Zentrum Kinderhaut, Universitäts-Kinderspital Zürich