Introduction
Les troubles alimentaires font partie des pathologies avec un taux de mortalité parmi les plus élevés, y compris pour les maladies somatiques. La mortalité se situe à 5% pour l’anorexie mentale et à 1,7% pour la boulimie nerveuse(1), bien qu’elle soit nettement plus basse lorsqu’elles se déclarent à l’adolescence, se situant autour de 1-2%(2,3). Les études de suivi à long terme sur les adolescent·e·s souffrant d’anorexie mentale révèlent un taux élevé de chronicisation, touchant, selon les échantillons, entre un tiers et un quart des patient·e·s(2,3).
Outre les formes classiques de troubles alimentaires (anorexie mentale, boulimie nerveuse, hyperphagie), des formes mixtes ou une modification des symptômes dans le temps sont également possibles(4). De plus des études longitudinales montrent que jusqu’à 67% des adolescent·e·s souffrant d’anorexie développent au cours de leur vie un autre trouble psychiatrique(2). La durée de la maladie non traitée est un facteur déterminant pour le pronostic, soulignant l’importance de la détection précoce(3).
La prévalence à vie des troubles alimentaires dans les pays occidentaux est estimée à 8,4% (3,3–18,6%) chez les femmes et à 2,2% (0,8–6,5%) chez les hommes. Les prévalences varient d’un pays/continent à l’autre (les États-Unis en tête avec 4,6%, suivis de l’Asie 3,5% et de l’Europe 2,2%). Globalement jusqu’à 4% des femmes et 0,3% des hommes souffrent d’anorexie mentale au cours de leur vie, et jusqu’à 3% des femmes et 1% des hommes développent une boulimie nerveuse(5). Ces données révèlent des différences entre les sexes, avec une prévalence plus élevée chez les filles et les femmes. La sexualité, les rôles de genre(6) et l’appartenance ethnique sont également des dimensions importantes pour comprendre la vulnérabilité pour des troubles alimentaires(7), nécessitant une plus grande attention dans la recherche et la pratique clinique.
Les symptômes d’une anorexie aiguë typique apparaissent de plus en plus fréquemment déjà à l’âge de 11 à 12 ans. Pendant la pandémie de Covid-19 et les mesures de confinement a été constatée une augmentation supplémentaire de la prévalence(6). Les raisons sont multiples, allant d’un sentiment de perte de contrôle et de solitude à une utilisation accrue des réseaux sociaux(8). Par ailleurs le lien entre l’usage des réseaux sociaux et le déclenchement de troubles alimentaires constitue un domaine de recherche interdisciplinaire en plein essor(9).
Un trouble alimentaire aigu à l’adolescence débute souvent par une anorexie mentale, provoquant dès les premières phases de la maladie un sentiment d’impuissance auprès de la famille, et pas rarement aussi des professionnel·e·s de la santé. Tant les symptômes psychiques et leurs répercussions sur la dynamique familiale que les symptômes somatiques deviennent rapidement une menace existentielle. La motivation des adolescent·e·s atteint·e·s d’anorexie mentale à se faire soigner est généralement très faible dans les premières phases de la maladie(10), ce qui complique considérablement la mise en place d’une intervention précoce et individuelle.
Le cabinet du/de la pédiatre ou médecin de famille est souvent le premier point de chute des familles avec un enfant ou adolescent·e avec un trouble alimentaire. Par cet article nous souhaitons faciliter le dépistage précoce d’une anorexie nerveuse pendant l’adolescence et réduire autant que possible le temps entre le diagnostic et le début du traitement. Pour l’intervention précoce lors de troubles alimentaires chez les adolescent·e·s, nous proposons l’intervention familiale basée sur le modèle de Maudsley qui s’est avéré efficace dans la phase initiale d’une anorexie nerveuse de l’adolescent·e(2,11-14). Le modèle repose sur une répartition des responsabilités sous forme de trialogue entre les professionnel·e·s de la santé, les personnes atteintes et les éducateurs/parents. L’intervention initiale est présentée à l’aide d’un entretien schématique en cinq phases.
Diagnostic de l’anorexie nerveuse
Le diagnostic de l’anorexie mentale repose sur l’évolution du poids, ainsi que sur l’anamnèse personnelle et familiale concernant le comportement alimentaire, la perception de soi et de son corps par le/la patient·e. Pour évaluer la gravité aiguë du trouble alimentaire, des examens somatiques supplémentaires sont nécessaires. Pour le dépistage précoce, en plus des examens préventifs, il est essentiel de prendre en compte les facteurs de risque somatiques, psychologiques, familiaux et sociaux. En complément de l’évaluation clinique on peut recourir à des questionnaires ou des entretiens diagnostiques, bien qu’ils ne soient pas indispensables pour établir le diagnostic.
Dépistage précoce
Du fait que le traitement précoce est décisif pour le pronostic, le dépistage précoce joue un rôle clé dans l’évolution de la maladie et les chances de guérison. Dans ce cadre il est recommandé, lors des examens préventifs chez les adolescent·e·s âgé·e·s de 12 à 14 ans, de contrôler systématiquement l’évolution du poids, de calculer l’indice de masse corporelle (IMC) et de poser des questions ciblées sur le comportement alimentaire et la perception du poids et du corps(15). Les médecins doivent faire preuve d’une vigilance particulière et poser des questions de dépistage ciblées chez les adolescent·e·s présentant des facteurs de risque physiques, familiaux, psychologiques ou sociaux susceptibles d’augmenter leur vulnérabilité au développement d’un trouble alimentaire(15).
Un groupe à risque en raison de l’incidence constituent les adolescentes âgées de 13 à 15 ans issues de milieux sociaux élevés(16,17). Parmi les facteurs de risque physiques figurent un poids particulièrement faible ou élevé ainsi que des variations importantes du poids. Des lésions dentaires, une aménorrhée ou un retard de croissance doivent faire suspecter un trouble alimentaire.
Il existe des indications selon lesquelles les patient·e·s atteint·e·s de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin présentent un risque accru de développer un trouble alimentaire(18,19). Des troubles gastro-intestinaux qui ne peuvent pas être expliqués par une maladie organique pourraient être le symptôme d’un trouble alimentaire émergent ou déjà établi.
Des données de la littérature suggèrent une composante génétique dans le développement des troubles alimentaires(20-23), qu’on devrait donc inclure dans l’anamnèse familiale. En se renseignant aussi sur des cas de surpoids ou sous-poids sévère, le comportement alimentaire et des régimes particuliers dans la famille. La vulnérabilité du cerveau en développement de l’adolescent·e augmente considérablement le risque, par rapport à l’adulte, de développer un trouble alimentaire suite à un régime(24-26). On doit informer sur ce risque les parents qui expriment une inquiétude au sujet du poids de leurs enfants, ou si la famille suit des régimes.
Parmi les facteurs de risque psychologiques figurent une adaptation excessive durant l’enfance, des traits de personnalité anxieux-évitants ou obsessionnels, un style de pensée rigide et axé sur les détails, des difficultés de régulation émotionnelle, ainsi qu’un développement déficient d’une image de soi et d’un sentiment corporel positifs(15).
En ce qui concerne l’environnement social, les activités où l’apparence et le poids occupent une place prépondérante constituent un facteur de risque. On peut mentionner les sports de performance tels que la danse classique, le patinage artistique ou la gymnastique artistique.
Les adolescent·e·s, dont l’estime de soi est souvent fragile, sont particulièrement sensibles aux remarques sur leur silhouette, qu’elles proviennent de leurs pairs ou de membres de leur famille, et ces remarques peuvent déclencher un trouble alimentaire. Pendant la consultation on abordera donc avec précaution les questions liées à un possible surpoids des jeunes patient·e·s.
Diagnostic
Pour l’établissement du diagnostic d’anorexie mentale sont déterminants les critères des systèmes de diagnostic actuels, qui prennent en compte l’évolution du poids, le comportement et la perception de soi en lien avec le poids corporel. Le critère de trouble endocrinien requis dans l’ancienne classification ICD-10, se manifestant par une aménorrhée ou une perte de libido et de virilité, n’est plus exigé dans les classifications DSM-V et ICD-11 (ces symptômes n’étant pas pertinents avant la puberté). En cas de suspicion de trouble alimentaire, il faut interroger précisément les symptômes cognitifs associés à ce type de pathologie, car le tableau psychique de l’anorexie mentale peut déjà être présent même avec un poids normal, en particulier chez les personnes ayant eu un léger surpoids préalable. En présence de signes clairs, l’intervention précoce doit être privilégiée à des examens diagnostiques complémentaires, les schémas de pensée anorexiques ayant tendance à se consolider rapidement.
1. Évolution du poids
Pour évaluer le premier critère diagnostique il est essentiel de replacer le poids corporel actuel dans le contexte des circonstances de vie individuelles. Il s’agit d’examiner si le poids actuel s’écarte de manière significative du poids attendu par la personne concernée. Afin de suivre l’évolution de la maladie il est recommandé de remplir systématiquement les courbes de percentiles pour l’IMC, en prenant en compte le poids actuel ainsi qu’au moins le dernier poids enregistré avant l’apparition des symptômes.
Ce critère peut être considéré comme rempli si le poids est significativement inférieur au poids attendu pour la personne concernée. Pour éviter toute erreur d’évaluation, il faut prendre en compte les prédispositions familiales et ethniques, ainsi que l’activité sportive. Les athlètes de haut niveau peuvent dépasser le 97ᵉ percentile en raison de leur masse musculaire, ce qui pourrait remplir formellement les critères d’obésité(27). L’ICD-11 se réfère à la taille, à l’âge, au stade de développement et à l’évolution pondérale antérieure. Chez les adultes est indiqué comme seuil une valeur IMC inférieure à 18,5 kg/m², pour les enfants et les adolescents, selon les recommandations S3 actuelles, le percentile IMC 10(15).
Dans l’ICD-10 est indiqué un poids corporel inférieur d’au moins 15 % au poids attendu, ce qui équivaut, par exemple, à un passage du percentile IMC 50 au percentile 10. L’ICD-11 cite comme exemple une perte de poids de 20 % en l’espace de six mois. Le DSM-V se limite à indiquer que le poids se situe en dessous minimum attendu et est attribuable à une réduction de l’apport alimentaire.
Un critère excluant l’anorexie mentale est que le faible poids corporel ou la perte de poids soit clairement attribuable à une autre maladie somatique ou psychique (voir les diagnostics différentiels) ou à un manque de nourriture.
2. Comportements et schémas de pensée typiques des troubles alimentaires
Pour évaluer les comportements alimentaires des enfants et des adolescent·e·s, il est essentiel de déterminer s’ils sont typiquement associés à la peur de prendre du poids. Cette crainte ne doit pas forcément être exprimée lors de la consultation. Ce qui peut être le cas notamment chez les jeunes prépubères ou lorsqu’il y a une méconnaissance de la maladie. En présence d’une ambivalence forte, lorsque la peur de prendre du poids l’emporte sur le désir de guérison, ou un sentiment intense de honte, les symptômes sont souvent rapportés de manière incomplète. Des compléments d’anamnèse par la famille ou des proches sont donc indispensables. Tout comme une bonne observation et évaluation des schémas de pensée caractéristiques des troubles alimentaires.
Peuvent apparaître des comportements qui conditionnent la quantité de nourriture ingérée, tels que le jeûne, éviter les aliments riches en calories, dissimuler ou recracher des aliments, ou manger très lentement. Un comportement alimentaire de plus en plus restrictif peut accompagner la transition vers un régime végétarien ou végétalien, avec des pensées et craintes typiques des troubles alimentaires. Souvent au début d’un comportement alimentaire restrictif ce sont les sucreries qui sont exclues, puis la liste des aliments « interdits » s’allonge, jusqu’à ce que de nombreux aliments de base ne soient plus consommés. Le maintien d’une culture alimentaire familiale commune et saine devient souvent difficile à cause de l’évitement très angoissé des aliments riches en graisses. Les explications typiques des adolescent·e·s concerné·e·s sont des phrases comme : « Je n’ai jamais mangé de beurre. »
En outre peuvent être observés des comportements visant à réduire l’absorption des nutriments après les repas, « purging » en anglais : vomissements auto-induits, utilisation de laxatifs ou de lavements. L’objectif est que les aliments restent aussi peu de temps que possible dans l’intestin et qu’ils soient donc absorbés dans une moindre mesure. Chez les patient·e·s nécessitant de l’insuline, on utilise pour la réduction intentionnelle, p.ex. de la dose du soir, pour réduire l’apport énergétique, le terme « vomir par les reins »(15).
Une dernière catégorie à prendre en compte sont les comportements qui entraînent une augmentation de la dépense énergétique. Cela inclut l’exercice physique excessif, comme le sport, la préférence systématique pour les escaliers, le fait de rester debout en permanence ou l’exposition au froid. Et finalement l’utilisation de médicaments tels que des stimulants, des coupe-faim ou des hormones thyroïdiennes censés accélérer le métabolisme. Tous ces comportements sont motivés par une peur phobique de la prise de poids.
3. La perception de soi déformée : le trouble de l’image corporelle
Le trouble de la perception de soi se manifeste par une altération de l’image corporelle typique du trouble alimentaire, où les personnes concernées se perçoivent, malgré un poids insuffisant, comme « trop grosses » ou « juste comme il faut ». Une occupation rigide avec son image corporelle forme souvent l’identité.
Les personnes affectées se fixent une seuil de poids très bas, qu’elles s’efforcent de maintenir de manière obsessionnelle. La perte de poids auto-induite engendre au début un sentiment renforcé d’autosuffisance, lié à de la fierté et euphorie, qui favorisent la poursuite du jeûne et entraînent un bénéfice secondaire de la maladie(28).
Les adolescent·e·s plus jeunes ne mentionnent souvent pas explicitement le trouble de l’image corporelle ou la préoccupation pour l’image corporelle et l’estime de soi. Selon le DSM-V et l’ICD-11 ce critère est considéré comme rempli lorsque les comportements observés permettent de déduire clairement les cognitions et changements de perception sous-jacents.
Une autre spécification dans tous les systèmes diagnostiques consiste à différencier entre un type purement restrictif et un type avec des mesures supplémentaires contre la prise de poids, telles que les vomissements (type binge-purge). L’ICD-11 ajoute une subdivision concernant le degré de sévérité du sous-poids pour évaluer les complications somatiques et la mortalité. Selon cette classification, chez les enfants et adolescent·e·s un sous-poids inférieur au percentile BMI 5 est significatif et inférieur au percentile BMI 3 est dangereux. Pour l’évaluation de la sévérité chez les adultes les critères respectifs sont un BMI de 18,5 et de 14 kg/m².
Diagnostics différentiels
Pour le diagnostic différentiel doivent être envisagées, selon les directives, les maladies somatiques et psychiatriques mentionnées dans le tableau 1. De plus il faut différencier des autres troubles alimentaires. Doit être spécifiquement mentionnée la boulimie nerveuse, caractérisée par des crises d’ingestion excessive de nourriture et une préoccupation constante pour l’alimentation, accompagnée d’une compulsion ou d’un désir excessif de nourriture. La caractéristique principale qui permet la distinction selon ICD-11, est l’absence de perte de poids(15,29).

Comme pour presque toutes les maladies psychiques, il est essentiel pour le diagnostic et l’indication thérapeutique de déterminer s’il existe, en raison des symptômes, un risque significatif, une souffrance subjective ou une altération de la vie sociale, avec une réduction du niveau de fonctionnement psychosocial(15). Même si tous les symptômes ne sont pas présents, l’indication pour un traitement précoce du trouble alimentaire, sous forme d’une intervention familiale, peut être justifiée afin de prévenir l’apparition manifeste d’une anorexie mentale.
Signes somatiques d’alerte et gestion des risques
Une fois le trouble alimentaire diagnostiqué, il est essentiel, surtout en cas d’anorexie avec une perte de poids rapide ou de vomissements plusieurs fois par jour, d’évaluer le risque de décompensation somatique aiguë. Dans la plupart des cas la situation lors de la première consultation n’est pas critique au point de justifier une hospitalisation immédiate. Une tentative de traitement ambulatoire par une intervention familiale précoce est recommandée lorsque la situation somatique ne nécessite pas une hospitalisation immédiate. L’hospitalisation lors du diagnostic n’est indiquée qu’en cas d’urgence, car une hospitalisation surprise peut réduire la motivation au traitement, diminuant ainsi les chances de succès du traitement hospitalier.
Lors de troubles alimentaires la décompensation cardiaque est en principe la principale cause de décès. Outre le suivi du poids il est donc essentiel de contrôler la pression artérielle et le pouls à chaque consultation. Le principal risque des vomissements excessifs réside dans une décompensation cardiaque due aux déséquilibres électrolytiques, des analyses régulières sont dans ces cas indiquées.
Pour l’évaluation des risques et l’indication à une hospitalisation peut être consulté le tableau 2.

Les critères pour une hospitalisation en urgence sont notamment une fréquence cardiaque <40/min, des troubles électrolytiques importants, une réduction significative de la prise de liquides et une perte de poids >1 kg/semaine pendant plusieurs semaines, malgré l’intervention précoce. Lors de la reprise de l’alimentation après une privation alimentaire totale, il est recommandé de contrôler le phosphate et la vitamine B1 au moins tous les deux jours pendant les 10 premiers jours afin de procéder à une substitution et prévenir ainsi un syndrome de renutrition(30-32).
Nous recommandons, en plus d’un examen physique minutieux, pour l’évaluation initiale des risques et le suivi, les examens de routine énumérés dans le tableau 3.

précoce lors d’anorexie mentale, basés sur les recommandations dans la littérature, les expériences pratiques et consultation entre Clinique psychiatrique universitaire et Dr Rutishauser, Clinique pédiatrique universitaire Zurich.
La détermination de l’IMC par rapport à l’évolution du poids et la prise des paramètres vitaux au début de chaque consultation sont indispensables. D’autres contrôles sont effectués en fonction de l’évolution clinique ainsi que des facteurs de risque et comportements individuels.
Base de la thérapie familiale: comprendre la dynamique familiale
Pour les proches une anorexie mentale qui se manifeste de manière aiguë est souvent très menaçante. Les familles se retrouvent confrontées aux conséquences physiques de la maladie, les parents devant assister à la perte rapide de poids, parfois supérieure à un kilo par semaine, de leur enfant qui semble « se laisser mourir de faim ». De plus les parents sont confrontés aux symptômes psychiques d’une humeur dépressive ou irritable, au retrait social, au trouble de la perception des portions alimentaires et du corps, ainsi qu’à la fixation constante sur la nourriture. Les parents peuvent percevoir ces symptômes comme de l’entêtement et ne reconnaissent pas immédiatement que le refus de manger est la manifestation d’une maladie. Des conflits violents surviennent à table, exacerbant les symptômes de l’anorexie. Les adolescent·e·s ressentent généralement des sentiments de culpabilité et de honte, mais réagissent d’abord par la défense. Avec pour objectif de plus de contrôle sur soi et leur quotidien, Ils ou elles ont souvent cédé aux « promesses » du trouble alimentaire et doivent maintenant admettre qu’ils ont perdu le contrôle sur les besoins fondamentaux nécessaires à la survie(28).
Un facteur aggravant est la stigmatisation toujours et encore persistante des maladies mentales. L’opinion établie, particulièrement pour l’anorexie, que la famille est responsable du trouble alimentaire, déclenche des sentiments de culpabilité chez les parents. Dans un premier temps les adolescent·e·s se sentent souvent confirmé·e·s par les pairs ou les médias sociaux, leur perte de poids adhérant aux idéaux de minceur extrême(33). L’anorexie peut devenir une part importante, formant l’identité de l’adolescent·e, au point qu’il/elle disparaît derrière leur symptomatologie et que la communication n’est plus possible qu’à travers le trouble alimentaire. C’est la maladie qui prend les rênes et qui détermine le comportement, les contacts sociaux et les valeurs. Ce mécanisme pouvant être renforcé par l’interaction dans des forums sociaux (pro-ana). Une patiente l’a ainsi décrit lors d’une consultation : « J’ai l’impression que j’ai perdu ma personnalité (à cause de l’anorexie). »
Il est donc important de procéder, dès la première consultation, à une externalisation de la maladie. Le/la médecin clarifie que les comportements reprochés sont liés à l’anorexie et les sépare de la personnalité de l’adolescent·e. Le/la thérapeute aide ainsi les parents à comprendre quand c’est l’anorexie qui parle et comment s’adresser à leur enfant en tant que personne. Si par exemple les parents sont déçus que leur enfant ment ou trompe à propos de la nourriture, cela doit être considéré comme un symptôme de la maladie et être dissocié de la personnalité.
La peur des patient·e·s de prendre du poids, un symptôme typique de l’anorexie, et la peur très compréhensible des parents pour leur enfant, entraînent souvent un cercle vicieux de communication dysfonctionnelle au sein de la famille, caractérisé principalement par l’impuissance, des exigences élevées et des positions figées. Des sentiments de culpabilité des deux côtés jouent souvent un grand rôle dans cette dynamique. Les parents ont peur d’avoir échoué et les adolescents se sentent honteux de la charge que leur maladie impose à leurs parents. Il est important, dès le diagnostic lors de la consultation, de préciser que la communication dysfonctionnelle dans la famille n’est pas la cause, mais la conséquence de trouble alimentaire aigu. Une intervention efficace doit donc stopper la perte de poids, car autrement la communication familiale, fondée sur la peur, ne pourra pas être apaisée.
Lors des premiers contacts avec les médecins, l’impuissance et les sentiments de culpabilité des familles entraînent souvent une insécurité quant à la compétence des soignant·e·s ou à un changement rapide des thérapeutes, ce qui peut retarder le début d’un traitement approprié. Pour les soignant·e·s les familles confrontées à des troubles alimentaires représentent souvent un grand défi en raison du potentiel élevé de conflits. Les adolescent·e·s notamment paraissent, malgré une anorexie déjà bien avancée avec une perte de poids importante et un risque élevé de décompensation soudaine, physiquement stables et « fonctionner », ce qui rend la minimisation des symptômes plausible et dangereuse.
Sur la base des symptômes le trouble alimentaire doit donc être clairement identifié et nommé dès la première consultation. Cela permet de réussir l’externalisation, de dissoudre l’identification de l’adolescent avec la symptomatologie et de renforcer la compréhension des parents quant à la dynamique physique et psychique de la maladie. Cela crée des fondements importants pour une intervention précoce, dans laquelle les parents, en tant que ressource principale du traitement, sont habilités à prendre la responsabilité de l’alimentation de leur enfant malade et à sortir de la dynamique d’interactions familiales inappropriées.
Plus l’intervention est précoce, meilleur est le pronostic. En seulement quelques séances la dynamique peut être rompue et la perte de poids arrêtée, ce qui pose les bases de la guérison. Le risque de complications graves et de chronicisation peut ainsi être réduit.
Intervention familiale initiale
La thérapie familiale est la méthode la mieux étayée par l’évidence pour traiter un premier épisode d’anorexie chez les adolescent·e·s(2,13). Les premières étapes de l’intervention familiale peuvent être mises en place au cabinet médical, ce qui suffit, dans certains cas, à obtenir des premiers succès de réalimentation. Le cœur de l’intervention familiale initiale consiste à impliquer les parents dans le traitement sans culpabiliser, créant ainsi les bases d’un trialogue entre le/la malade, les proches et les soignants. Une attitude impartiale permet de reconnaître et de prendre au sérieux à la fois la crainte du/de la patient·e de prendre du poids en tant que symptôme de la maladie, et de légitimer l’inquiétude des parents. Cela permet d’établir une répartition claire des responsabilités pour les mesures prévues.
Souvent les familles décrivent une communication qui s’aggrave et une situation alimentaire de plus en plus conflictuelle. Le/la médecin peut avoir l’impression que le refus de manger de l’adolescent·e est renforcé par la pression exercée par les parents lors des repas. Cependant la recommandation aux parents de lâcher prise, afin que l’adolescent·e retrouve la motivation de manger, pourrait entraîner une détérioration aiguë de la symptomatologie. Au cabinet il s’agit donc d’évaluer d’abord si le trouble alimentaire de l’adolescent·e a déjà développé une dynamique propre, si existent des troubles importants de la perception corporelle et si les symptômes cognitifs se sont incrustés. Dans ce cas la prise en charge de la réalimentation ne peut pas être laissée à l’adolescent·e mais une intervention familiale précoce devrait être envisagée.
Répartition des responsabilités
Responsabilité du/de la médecin
La responsabilité du médecin réside dans un diagnostic clair, la psychoéducation et la gestion des risques somatiques. Il ou elle gère la mise en place de stratégies comportementales utiles et l’élimination des conflits dysfonctionnels. Grâce à cette prise en charge claire, l’anxiété des parents est réduite, ce qui leur permet de se concentrer sur leur tâche, à savoir établir les repas.
Le médecin guide le processus thérapeutique de manière à favoriser la normalisation du poids et des schémas de pensée et de comportement. Il ou elle veille à ce que le traitement ne tourne pas en rond à cause de trop de compromis, en soulignant que seule une rupture avec la dynamique actuelle permet d’avancer et que l’acceptation des restrictions alimentaires et des contre-mesures de la part des parents pour éviter les conflits, favorise la chronicisation. Le cadre clair et l’inclusion des parents en tant que ressource, avec l’objectif de briser le cercle vicieux neurophysiologique de la maladie, peuvent être considérés des facteurs favorisant le changement(14,34-36).
On peut aussi appliquer des techniques de l’entretien motivationnel. Le fondement de cette approche repose sur l’écoute réflective, qui se base sur les questions ouvertes, l’appréciation et les résumés. Par les résumés sont valorisées les déclarations des interlocuteurs qui vont dans le sens d’un changement (change-talk). La probabilité d’un changement réel de comportement est d’autant plus élevée que de les change-talk sont fréquents. Lors de déclarations ambivalentes, la première partie du résumé reprend l’aspect perpétuant la maladie et la deuxième met en avant l’aspect changement, afin que la discussion puisse se baser là-dessus(37). Dans l’entretien motivationnel les incitations au changement sont introduites de manière mesurée, laissant du temps aux interlocuteurs d’y réfléchir et développer leur auto-efficacité.
La tâche des parents
L’intervention basée sur la famille attribue aux parents la responsabilité de l’alimentation de leur enfant. Ils doivent être habilités à préparer les repas et à les accompagner attentivement. Ils doivent adopter une position claire pour s’affirmer face à la forte symptomatologie du trouble alimentaire. Il leur est expliqué qu’ils n’ont pas besoin de suivre un régime strict ni de se renseigner sur les ingrédients appropriés ou les calories. Ils ont le soutien de la prescription médicale pour une alimentation normale, fondée sur un régime alimentaire adapté à l’âge et sur les habitudes de la famille. Les parents sont chargés par le ou la professionnel·e de la santé de déterminer la quantité et la composition de l’alimentation, sont soutenus en cas d’incertitude et renforcés dans leurs compétences. Cette répartition claire des responsabilités apporte, pour certaines familles, un soulagement pour toutes les personnes impliquées.
Cela libère des capacités pour la deuxième tâche importante des parents : soutenir l’adolescent·e à gérer le stress qui survient lorsqu’il ou elle s’oppose au trouble alimentaire. Pour ce faire, les parents doivent être informés sur le trouble et ses dynamiques : lorsque l’estime de soi a été liée par le trouble alimentaire au sous-poids, des peurs existentielles surgissent inévitablement lorsque l’adolescent·e tente de prendre du poids, leur pensée et leur quotidien étant dominés par les exigences, les promesses et les menaces du trouble alimentaire. Les parents ont alors la responsabilité de prendre soin de leur enfant : être présents, le soutenir dans les processus exigeants de séparation du trouble alimentaire et respecter et favoriser son autonomie. En ce qui concerne l’ambivalence, cela signifie se délimiter clairement et rester fermes dans la décision « Cela doit être mangé », tout en étant affectueux et proches lorsqu’il s’agit de savoir comment l’adolescent·e peut gérer le stress qui surgit.
Il est primordial que les parents puissent se distancer du mode de communication dominé par le trouble alimentaire. Les questions liées à la composition des aliments et à la quantité de nourriture ne devraient plus être abordées, en particulier à table. Il est prescrit par le médecin de ne pas parler de nourriture pendant les repas afin que d’autres sujets de conversation et contenus relationnels puissent reprendre de l’importance.
La tâche de la personne atteinte
Le rôle des adolescent·e·s ne doit pas être sous-estimé compte tenu des restrictions cognitives, émotionnelles et physiques massives causées par la maladie. Fondamentalement, leur tâche consiste à suivre le plan alimentaire établi par les parents, à trouver des alternatives saines pour contrer la perte de poids et à développer progressivement une compréhension de leur maladie.
En raison de leur ambivalence au moment de la première intervention, les adolescent·e·s ne sont en général pas en mesure d’assumer la responsabilité du plan alimentaire. Cependant, lorsqu’il ou elle a développé une bonne compréhension de sa maladie et parvient à bien différencier sa propre identité du trouble alimentaire, il/elle peut être impliqué·e, à condition d’être en mesure de passer et respecter des accords.
Chronologie de l’intervention familiale initiale au cabinet médical
Des accords clairs et contraignants sont essentiels dans les interventions familiales. Il est préférable que les entretiens se déroulent en présence des adolescent·e·s et des deux parents, afin de pouvoir vérifier la perception de la réalité et éviter les malentendus. À minima est requise la présence d’un parent ou d’une personne adulte responsable. Les accords conclus au cabinet médical comprennent la composition des repas, la répartition des responsabilités ainsi que, selon la gravité du cas, l’éventuelle orientation vers un·e psychothérapeute ainsi que les conditions pour une éventuelle hospitalisation.
1ère partie : Établissement d’une relation de confiance
En s’inspirant de l’entretien motivationnel, la première partie de l’entretien peut être considérée comme une phase d’engagement. Il est recommandé de poser quelques questions sur des aspects de leur vie qui ne sont pas liés au trouble alimentaire. Cette étape vise à montrer clairement que l’entretien ne porte pas uniquement sur le trouble alimentaire, mais que la personne pleinement touchée et sa réalité de vie sont prises au sérieux.
2ème partie : Anamnèse ciblée
La deuxième partie peut être considérée comme la phase de focalisation de l’entretien motivationnel. Il s’agit d’aborder les critères diagnostiques significatifs, le début et l’évolution du trouble, ainsi que les déclencheurs et les causes possibles. Une évaluation précise de l’état actuel est ensuite essentielle, en questionnant les habitudes alimentaires et hydriques actuelles, afin d’évaluer l’urgence de la situation. Le point de vue de l’adolescent·e doit être recueillie en premier lieu, suivie de celle des parents.
L’objectif est d’obtenir un aperçu aussi complet que possible de la symptomatologie, en permettant à l’adolescent·e et à la famille de parler librement. Dans la conduite de l’entretien on évite de se concentrer trop en détail sur des comportements spécifiques ou des modèles explicatifs possibles, et de garder plutôt une vision d’ensemble pour identifier les points essentiels. En complément des informations fournies par les parents et l’adolescent·e on se renseigne sur les symptômes physiques et psychiques non encore mentionnés (tabl. 4).

Plus le degré de gravité de la maladie est clairement et précisément défini, plus il sera facile d’impliquer les parents et leur enfant dans les défis à venir, ce qui a par ailleurs une importance pronostique(38). Les divergences dans la description des symptômes par l’adolescent·e et les parents sont tout d’abord résumées de manière neutre et sans jugement. Le médecin doit se retenir dans son évaluation initiale afin de recueillir des informations complètes et établir une relation de confiance.
3ème partie : Tournant – évaluation de l’IMC et mesure des paramètres vitaux
Pour clore la partie diagnostique on mesure le poids, la taille, la pression artérielle et le pouls. Cela sert à la fois à objectiver la situation et à actualiser le problème. Une fois calculée l’évolution de l’IMC depuis le début de la maladie et inscrite sur une courbe de percentiles. Elle est présentée à l’adolescent·e et à ses parents, avec une évaluation explicite du niveau de danger actuel et une estimation claire et transparente des risques, avec une recommandation de traitement et de suivi. À ce stade le médecin prend une position ferme et assume la responsabilité de la gestion des risques.
4ème partie: Confrontation et psychoéducation
Dans cette partie le diagnostic est posé avec des termes clairs et sans enjolivures. La présentation graphique et concrète de la perte de poids sur la courbe de percentiles et la désignation des schémas de pensée et de comportement comme typiques du trouble alimentaire permettent simultanément une mise en évidence et une externalisation du problème. Il n’est pas rare qu’à ce moment les parents d’abord et les adolescent·e·s ensuite réalisent l’ampleur de la maladie et parviennent à accepter ce qu’ils avaient longtemps tenté de minimiser. Les émotions qui émergent ne doivent alors pas être relativisées, mais reconnues et validées. La gravité des troubles et l’impact dramatique de la maladie sur le développement des adolescents doivent être présentés de manière claire, précise, factuelle et avec sérieux, tout comme le risque somatique aigu ainsi que le pronostic concernant la morbidité et de mortalité. La psychoéducation sur le pronostic vise à mobiliser les parents, un élément décisif à ce point pour l’évolution du traitement(39). À ce stade les réactions des adolescent·e·s varient fortement en fonction du degré de distorsion cognitive lié à la maladie : certain·e·s sont effrayé·e·s par l’ampleur de leur maladie, ce qui peut engendrer un début de motivation à se soigner ; d’autres par contre expriment du désespoir, de la colère ou du rejet, qui dissimulent souvent des peurs élémentaires face au traitement à venir. Une réaction intense peut avoir une valeur diagnostique concernant l’atteinte psychique et doit être explicitée aux parents.
Dans le cadre de la psychoéducation les symptômes décrits sont attribués de manière individuelle et spécifique et clairementau trouble alimentaire, pour d’une part soulager et permettre d’autre part une compréhension de la maladie(14). Ici l’accent est mis sur l’« evoking » de l’entretien motivationnel, l’évocation et la formulation des motivations individuelles de changement déjà présentes. Du côté des parents la motivation découle naturellement de leur inquiétude pour leur enfant malade et elle est explicitement reconnue. Chez les adolescent·e·s on relève particulièrement, en tant que motivation au changement, les situations où ils ou elles ont déjà exprimé une souffrance. Par exemple, la honte liée aux vomissements, la perte d’amitiés ou les conflits familiaux.
Pour préparer la discussion sur les mesures thérapeutiques, il est expliqué qu’agir le plus rapidement possible, une prise de poids rapide et une réduction des symptômessont décisifs pour le pronostic.
5ème partie : Répartition des responsabilités et planification des prochaines étapes
En fonction de la sévérité des symptômes il est d’abord nécessaire d’évoquer l’éventualité d’une hospitalisation. Si elle ne s’impose pas, sont proposées les premières mesures ambulatoires, en les présentant comme une opportunité d’éviter à terme une hospitalisation. En cas de signes de comorbidités un traitement pédopsychiatrique devrait être initié d’emblée.
Les tâches sont alors définies et les responsabilités réparties. Le médecin prend en charge la gestion des risques avec des contrôles réguliers et établit les points clés pour structurer les repas. Lorsque ce sont les parents qui assument la gestion des repas, un contrôle sera effectué au bout d’une semaine pour évaluer les progrès. Si aucune amélioration n’est observée après 3 à 4 semaines, il faut envisager un transfert vers une unité pédiatrique ou pédopsychiatrique spécialisée dans les troubles alimentaires, pour un traitement ambulatoire ou hospitalier.
Les parents reçoivent des explications sur leur rôle dans la mise en place des repas pour leur enfant. Pour une prise de poids sont en général nécessaires cinq à six repas par jour, dont trois repas principaux et deux à trois collations. Pour la composition des repas on peut suivre la « règle du poing » et la « règle du tiers ». Selon la règle du poing, la quantité des repas principaux correspond à environ quatre poings de la personne, les collations à environ la moitié. La règle du tiers veut que les repas comprennent un tiers de glucides, un tiers de protéines et un tiers de légumes, donc de fibres. Il n’est pas recommandé d’élaborer des plans alimentaires détaillés, mais plutôt de réintroduire les repas familiaux habituels.
Le report de la responsabilité pour les repas aux parents vise à normaliser le comportement alimentaire et à déconstruire les pensées rigides et compulsives de l’adolescent·e. Il est important de se rappeler que la prise de poids nécessite un apport en glucides suffisant. L’adolescent·e doit être explicitement exclu·e de la préparation des repas afin de rompre les schémas de pensée rigides liés au trouble alimentaire. La durée des repas principaux ne devrait pas dépasser une demi-heure, pour les collations quinze minutes. À table ne seront pas abordés les sujets liés aux troubles alimentaires ou à la composition des repas. Une « interdiction de discussions sur le trouble alimentaire » est instaurée pour permettre à d’autres sujets de retrouver leur place dans les discussions familiales. La famille est invitée à n’aborder les désaccords éventuels que lors de la prochaine consultation.
Les parents doivent adopter une position ferme concernant les repas, sans toutefois exercer de contrainte. Ils doivent garder une vue d’ensemble sur la quantité et la qualité des aliments consommés. Ce suivi ainsi que les retours lors des consultations, sont essentiels pour ajuster les mesures mises en place, y compris la gestion des risques ou les décisions concernant les modalités de traitement. Après environ trois mois la responsabilité des repas peut être progressivement réattribuée à l’adolescent·e(39). Une interdiction de pratiquer des activités sportives est indiquée tant que la structure des repas n’est pas solidement établie avec une tendance claire à la prise de poids.
Les parents sont engagés à soutenir, après et entre les repas, l’adolescent·e dans la gestion de son anxiété, de son schéma de pensée et de comportement, et l’aider à trouver des stratégies de compensation alternatives et saines.
La structure des repas discutée et la procédure planifiée sont documentées et consignées. L’objectif de poids (généralement le 25e percentile de l’IMC) peut être mentionné, mais le succès des mesures proposées repose principalement sur une prise de poids d’environ 0,5 à 1 kg par semaine, l’établissement d’une structure régulière des repas et une réduction rapide des comportements compensatoires dangereux.
Suivi et obstacles fréquents
Dans la phase initiale, des contrôles hebdomadaires sont recommandés pour évaluer le succès des mesures mises en place et effectuer les ajustements nécessaires. Si les repas sont consommés aussi selon les indications des parents mais qu’aucune prise de poids n’est observée, on vérifie si la quantité de calories servie est suffisante. Dans la plupart des cas une augmentation des portions est nécessaire. Ou alors des facteurs tels qu’une activité physique excessive ou des comportements compensatoires non identifiés, comme des vomissements, peuvent être en cause.
Pour une partie des patient·e·s la normalisation du poids et du comportement alimentaire entraîne déjà une réduction significative des symptômes cognitifs et émotionnels. Dans d’autres cas par contre des distorsions cognitives importantes et des troubles de la perception corporelle persistent malgré la prise de poids. Dans ces situations le risque de rechute est élevé et une psychothérapie doit rapidement être mise en place.
Le trouble alimentaire se caractérise par un « style de pensée rigide et inflexible, marqué par la peur de l’échec et une focalisation excessive sur les détails »(14). Pour s’en distancer sont nécessaires des structures de traitement claires, fondées sur la confiance et une répartition des responsabilités, , tout en évitant de se perdre dans des consignes trop détaillées. On explique aux familles que la phase initiale du traitement doit évoluer vers une exploration approfondie des causes du trouble alimentaire dans le cadre d’une prise en charge psychothérapeutique.
Conclusion
La détection et le traitement précoces de l’anorexie mentale s’avèrent être des facteurs déterminants pour le pronostic de la maladie. En plus du diagnostic clinique l’intervention initiale nécessite une compréhension des dynamiques familiales induites par le trouble alimentaire. L’information sur les symptômes et les conséquences du trouble, la motivation et un accord clair sur la prise de responsabilités par les parents sont essentiels.
L’intervention familiale initiale, basée sur les principes thérapeutiques d’après Maudsley, constitue une méthode efficace de traitement et s’inscrit dans cette approche. La répartition schématique de l’intervention initiale en cinq phases présentée ici peut servir de guide pour une intervention réussie et un début précoce du traitement. Les techniques de l’entretien motivationnel s’avèrent utiles dans ce contexte.
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