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Alimentation d’enfants et adolescents avec une maladie inflammatoire chronique de l’intestin

Alimentation

Le nombre d’enfants qui souffrent d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin est en constante augmentation surtout dans les pays industrialisés occidentaux.

Contexte

Le nombre d’enfants qui souffrent d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin est en constante augmentation surtout dans les pays industrialisés occidentaux. En effet environ 20% des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin se manifestent déjà pendant l’enfance ou l’adolescence, avec un pic à l’âge de 10-15 ans1). Cela signifie que ces enfants sont pris en charge aussi dans des cabinets pédiatriques.

La cause de cette augmentation n’est pas claire et l’étiologie de ces pathologies semble être multifactorielle. Outre la génétique, des facteurs immunologiques, l’alimentation et le microbiome intestinal jouent un rôle.

Cette revue souhaite transmettre des informations concernant l’alimentation en présence d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin.

L’alimentation joue un rôle important pour la composition du microbiome intestinal. Dans la muqueuse intestinale a lieu une interaction particulièrement intense entre hôte et microorganismes. Les éléments typiques de la nourriture pouvant modifier le microbiome sont e.a. les hydrates de carbone, les fibres alimentaires et les acides gras à chaîne courte.

La composition et le fonctionnement du microbiome sont essentiels pour maintenir intacte la fonction de la barrière intestinale et pour les mécanismes pro- et anti-inflammatoires du système immunitaire. Les patients avec des maladies intestinales inflammatoires chroniques ont un microbiome différent de celui des personnes saines. Il se différencie tant par sa composition que par une diversité réduite et une fonction altérée2).

Les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) comme la maladie de Crohn et la colite ulcéreuse se manifestent surtout par des symptômes gastro-intestinaux, douleurs abdominales, diarrhée, saignements rectaux, ainsi qu’une perte de poids et un retard de croissance. Il n’est donc pas surprenant que les parents et les enfants avec une MICI supposent un lien entre maladie et alimentation et essayent donc d’adapter celle-ci.

Il n’existe que peu d’études sur les restrictions diététiques ou les compléments alimentaires. Pour le traitement initial de la maladie de Crohn, l’alimentation entérale exclusive (AEE) s’est par contre établie comme standard. Par ce traitement on obtient une rémission chez >80% des enfants et adolescents chez qui cette maladie a été fraîchement diagnostiquée3).

Rôle de l’alimentation dans l’apparition d’une MICI

Les habitudes alimentaires occidentales sont considérées comme étant un facteur de risque favorisant le développement d’une MICI. L’alimentation occidentale se caractérise par une proportion élevée de protéines, graisses et sucres, alors que les légumes et les fibres alimentaires sont peu présents. Il apparaît qu’une alimentation contenant une proportion élevée de légumes, huile d’olive, poisson, graines et noix soit protectrice contre la maladie de Crohn2). Un apport élevé de protéines animales semble favoriser la survenue d’une colite ulcéreuse et surtout la consommation de viande crue et d’alcool augmente apparemment le risque de rechute d’une colite ulcéreuse.

Les additifs dans les aliments préparés industriellement ont également ont effet sur le milieu intestinal. Ainsi les agents émulsifiants et les épaississants carboxyméthylcellulose (E466), polysorbate (E433) et carageen (E407) affectent la barrière intestinale, l’immunité et la perméabilité de la muqueuse, ce qui pourrait à son tour favoriser la survenue d’une MICI2).

Alimentation et traitement d’une MICI

Comme mentionnée plus haut, 60-86% des enfants avec une maladie de Crohn entrent en rémission par un traitement à base d’alimentation exclusivement entérale (AEE)3). Les aliments nécessaires, préparés spécialement (p.ex. Modulen®), sont administrés pendant 6-8 semaines sous forme liquide. Il est décisif pour le succès du traitement que l’alimentation se limite exclusivement à cette forme liquide pour toute la durée du traitement, l’adjonction d’autres aliments n’étant pas permise. L’AEE peut se boire ou peut être administrée par une sonde naso-gastrique. Comparé aux stéroïdes, l’AEE obtient un meilleur taux de rémission, une meilleure croissance et des intervalles exempts de stéroïdes plus longs4). La monotonie des repas pouvant induire un certain écœurement, l’AEE représente un vrai défi pour les enfants et adolescents; un suivi et un soutien réguliers sont donc essentiels pendant cette phase du traitement.

Lors de nouvelles poussées de la maladie ou de complications comme les sténoses, abcès intra-abdominaux ou fistules entéro-cutanées, on peut également introduire l’AEE dans le but d’éviter une intervention chirurgicale ou de créer de meilleures conditions pour une intervention. Le traitement nutritionnel n’est pas indiqué pour la colite ulcéreuse5).

Alimentation entérale partielle

La question du pourquoi on obtient une rémission par l’AEE a conduit à tester différentes combinaisons d’alimentation entérale partielle avec des régimes d’exclusion. Des études récentes livrent des résultats prometteurs: des restrictions diététiques pourraient avoir un effet favorable sur l’évolution de la maladie6). Ne furent admis que des aliments dont on pouvait supposer qu’ils n’affectent pas la fonction de barrière et la clearance bactérienne et qu’ils ne favorisent pas une éventuelle dysbiose. Ce régime excluait e.a. les matières grasses animales et d’origine lactée, de trop grandes quantités d’autres graisses, la viande rouge ou transformée, les sources de protéines riches en taurine, émulsifiants, édulcorants artificiels, carageen et sulfites. Les données disponibles ne permettent actuellement pas encore de recommandations diététiques généralisées pour le traitement de la maladie de Crohn pendant l’enfance6).

MICI et malnutrition

Outre les interventions thérapeutiques nutritionnelles, il est très important de dépister précocement les signes de malnutrition et de déficits alimentaires, conséquences de restrictions diététiques entreprises spontanément ou dues à des troubles du comportement alimentaire. Notamment les conseils diététiques par des «non-professionnels» peuvent être involontairement à l’origine d’une restriction calorique et d’un apport insuffisant en macro- et micronutriments, accentuant ainsi sérieusement le risque de malnutrition.

Les enfants et adolescents avec une maladie de Crohn ne sont généralement diagnostiqués qu’après des mois et présentent alors un poids insuffisant, un arrêt de croissance et un retard pubertaire5). Souvent on constate une anémie ferriprive, une ostéopénie et un déficit en vitamine B12.  De nombreux patients nécessitent une supplémentation en vitamine D et calcium; est également indiqué le suivi régulier du taux sanguin de fer7,5).

Alimentation visant à atténuer les symptômes

Lors d’une poussé non traitée par AEE, une alimentation facile à digérer et pauvre en fibres alimentaires peut également améliorer la diarrhée et soulager les douleurs abdominales. Une intolérance secondaire au lactose étant possible, on évitera l’apport de trop grandes quantités de lactose. En dehors d’une poussée de la maladie on veillera à un apport suffisant en calcium par des produits laitiers, éventuellement de lait sans lactose5). En présence de sténoses ou de troubles de la motilité on évitera les aliments ballonnants et riches en fibres.

Alimentation lors de troubles fonctionnels

Les patients avec une MICI peuvent souffrir de symptômes gastro-intestinaux bien qu’en étant en rémission ou en absence d’inflammation. Plusieurs études chez les adultes montrent qu’on peut contrôler ces symptômes par un régime FODMAP («low fermentable oligo-, di- and monosaccharides and polyols»)5). Des études pédiatriques ne sont pas disponibles à ce jour. Un tel régime peut potentiellement altérer le microbiome et comporte le risque de malnutrition, il n’est donc pas recommandé pendant l’enfance5).

Points clés:

  • L’étiologie d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin est multifactorielle. Le style alimentaire occidental riche en protéines, matières grasses et sucres est associé à la survenue d’une MICI
  • L’allaitement et une alimentation riche en fibres et acides gras oméga 3 semblent avoir un effet protecteur
  • Les additifs alimentaires tels les carboxyméthylcellulose, polysorbate, carageen et maltodextrine affectent la perméabilité intestinale et la fonction de barrière
  • Il est possible de soigner efficacement la maladie de Crohn par un traitement nutritionnel, consistant en une alimentation exclusivement entérale (AEE) et en supprimant l’alimentation orale normale
  • Il n’existe pas d’intervention diététique contrôlée pour le traitement de la colite ulcéreuse
  • Des régimes (à base d’hydrates de carbone spécifiques, sans lactose, FODMAP, sans gluten) ne sont pas recommandés pour le traitement de MICI pendant l’enfance
  • Éléments nutritionnels nécessitant un suivi:
  • Fer
  • Calcium
  • Vitamine D

Références

  1. Rosen MJ, Dhawan A, Saeed SA. Inflammatory Bowel Disease in Children and Adolescents. JAMA Pediatr. 2015 Nov; 169(11):1053-60.
  2. Levine A, Sigall Boneh R, Wine E. Evolving role of diet in the pathogenesis and treatment of inflammatory bowel diseases. Gut 2018; 67: 1726-1738
  3. Ruemmele FM, Veres G, Kolho KL, Griffiths A, Levine A, Escher JC et al. Consensus guidelines of ECCO/ESPGHAN on the medical management of pediatric Crohn’s disease. J Crohns Colitis. 2014 Oct; 8 (10): 1179-207
  4. Cohen-Dolev N, Sladek M, Hussey S, Turner D, Veres G, Koletzko S et al. Differences in outcomes over time withbexclusive enteral nutrition compared with steroids in children with mild to moderate crohn’s disease: results from the GROWTH CD Study. Journal of Crohn’s and Colitis 2018; 12:306–12
  5. Miele E, Shamir R, Aloi M, Assa A, Braegger C, Bronsky J, de Ridder Let al. Nutrition in Pediatric Inflammatory Bowel Disease: A Position Paper on Behalf of the Porto Inflammatory Bowel Disease Group of the European Society of Pediatric Gastroenterology, Hepatology and Nutrition. J Pediatr Gastroenterol Nutr. 2018 Apr; 66 (4):687-708
  6. Levine A, Wine E, Assa A, Sigall Boneh R, Shaoul R, Kori M, Cohen S et al.  Crohn’s Disease Exclusion Diet Plus Partial Enteral Nutrition Induces Sustained Remission in a Randomized Controlled Trial. Gastroenterology 2019; 157:440–450
  7. Dignass AU, Gasche C, Bettenworth D,  Birgegard G, Danese S, Gisbert JP et al., European consensus on the diagnosis and management of iron deficiency and anaemia in inflammatory bowel diseases. J Crohns Colitis. 2015; 9 (3): 211–222

Informations complémentaires

Traducteur:
Rudolf Schlaepfer
Correspondance:
Conflit d'intérêts:
Les auteurs n'ont déclaré aucun lien financier ou personnel en rapport avec cet article.
Auteurs
Dr. med.  Katharina Guilcher Pädiatrische Gastroenterologie und Ernährung, Universitätskinderklinik Bern

Dr. med.  Johannes Spalinger Pädiatrische Gastroenterologie und Ernährung Universitätskinderklinik Bern / Pädiatrische Gastroenterologie und Ernährung, Kinderspital, Luzerner Kantonsspital, Luzern