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Traumatologie pédiatrique mini-invasive : la fixation assistée par arthroscopie d’un arrachement du ligament croisé antérieur pendant la croissance

Lead

La fracture-arrachement du ligament croisé antérieur est une lésion typique du jeune sportif. La fixation mini-invasive assistée par arthroscopie est un procédé fiable et léger, qui remplace de plus en plus l’intervention chirurgicale ouverte.

Introduction

La fracture-arrachement du ligament croisé antérieur (fracture-arrachement de l’épine tibiale) survient tant chez les enfants qu’à l’âge adulte1). L’âge typique se situe entre 8 et 14 ans. Avec une incidence 3 pour 100’000 traumatismes pédiatriques par année, la lésion est rare, contrairement à la lésion en plein corps des ligaments croisés plus fréquente également pendant l’enfance et l’adolescence. La fracture-arrachement du ligament croisé antérieur ne représente que 5% des cas d’hémarthrose pendant la période de croissance2). Les enfants atteints sont de plus en plus jeunes, probablement dû au fait qu’ils sont de plus en plus tôt sportivement actifs à un niveau compétitif. La fracture-arrachement osseuse s’explique par le fait que l’ossification du plateau tibial en croissance est incomplète au niveau de l’insertion du ligament croisé antérieur, la fixation osseuse étant donc plus faible que le ligament lui-même3). La littérature est controversée à propos du choix thérapeutique, conservateur ou chirurgical, ainsi que du choix de la méthode opératoire1-3).

En raison de la rareté de la lésion, il est recommandé d’effectuer le traitement, conservateur et surtout chirurgical, dans un centre spécialisé dans les lésions du genou de l’enfant et dans les interventions par arthroscopie.

Diagnostic et évaluation

Le mécanisme traumatique correspond en principe à celui d’une lésion ligamentaire des ligaments croisés. Il s’agit typiquement d’un traumatisme indirect, le pied étant fixé et le genou en flexion, avec impact en valgus et rotation externe du tibia. Sont néanmoins possibles aussi des mécanismes atypiques comme un traumatisme direct. L’épine tibiale, dont l’ossification est incomplète pendant la croissance, semble être le lieu de prédilection pour une avulsion osseuse. Les signes classiques de la fracture intra-articulaire sont la limitation douloureuse de la mobilité et l’épanchement sanguinolent post-traumatique, diagnostiqués de manière sûre cliniquement. La lésion est visible et peut être classifiée la plupart des fois par la radiographie conventionnelle en deux incidences (figure 1). Un CT-scan additionnel est indiqué dans des cas exceptionnels pour classifier plus précisément le type de fracture4,5). En raison de l’incidence élevée de lésions accessoires dans jusqu’à 60% des cas (lésions des ligaments croisés antérieur et postérieur, lésions méniscales ou cartilagineuses), on recommande une IRM4,5) (figure 2). La classification se fait d’après Meyers et McKeever6) (figure 3).

Figure 1. Radiographie de profil après un accident, avec arrachement osseux déplacé du ligament croisé antérieur.
Figure 2. IRM complémentaire. Image du fragment arraché avec le ligament croisé antérieur intact attaché.
Figure 3. Classification de Meyers et McKeever 1959 (modifiée).
A: type 1, non disloqué; B: type 2, seulement la partie antérieure arrachée; C: type 3, dislocation complète; D: type 4: plusieurs fragments. 

Stratégies thérapeutiques

La stratégie thérapeutique s’oriente d’après l’extension de la dislocation selon la classification de Meyers et McKeever et les éventuelles lésions accessoires. Les lésions isolées, non déplacées de type 1 sont en principe traitées sans opération, le genou fixé en flexion 20° pour 4-6 semaines dans une attelle en plâtre ou une orthèse amovible de Brace. La ponction de l’hémarthrose, typiquement volumineuse, est indiquée dans des situations exceptionnelles, pour soulager une forte douleur due à la pression. Au quotidien clinique ce n’est pratiquement jamais nécessaire.

Le traitement des lésions de type 2, où le fragment n’est arraché qu’à son bord antérieur, est discuté de manière controversée dans la littérature7,8). Certains auteurs postulent une réduction fermée, le genou étant fixé sans narcose en extension7). Si l’on obtient un repositionnement anatomique, le traitement conservateur se justifie. Si une réduction anatomique n’est pas possible, il faut évoquer un tissu mou interposé. Il existe alors le risque d’une guérison incomplète ou d’une limitation de l’extension à cause du fragment situé sur la face ventrale; dans une telle situation, l’indication d’un traitement chirurgical de la lésion du type 2 est donnée8). Le traitement des lésions de type 3 et 4 d’après Meyers et McKeever est toujours chirurgical. Le déplacement du fragment et la cicatrisation potentiellement incomplète peuvent occasionner une instabilité ou une limitation de la mobilité durables de l’articulation.

Techniques opératoires

Avant l’introduction standardisée de la technique arthroscopique, le traitement consistait en une arthrotomie avec fixation ouverte du fragment au moyen de vis ou d’une suture transosseuse. Aujourd’hui le traitement standard de ces lésions du genou consiste aussi pendant la croissance, comme dans la traumatologie sportive adulte, en une intervention arthroscopique mini-invasive7). L’avantage pour les patient-e-s consiste en un taux de morbidité moindre ainsi qu’une durée d’hospitalisation et de réhabilitation plus courte. L’hémarthrose souvent volumineuse est rincée, l’articulation entièrement inspectée à la recherche d’éventuelles lésions concomitantes, et le ligament croisé antérieur intact replacé avec le fragment osseux arraché en position anatomique et fixé de manière stable (figure 4).

Figure 4. Vue arthroscopique sous le fragment osseux arraché, avec dans la rainure intercondylaire le ligament croisé antérieur attaché et intact.

Deux méthodes de réinsertion se sont établies. Pour les fragments plus petits on utilise la technique du laçage, en perçant depuis le plateau tibial, par arthroscopie à l’aide d’un guide de visée tibial, deux tunnels de forage dans l’articulation (figure 5)7,8). Le ligament croisé antérieur est saisi par laçage et les deux bouts du fil sont tirés à travers les deux tunnels pour être noués à un bouton métallique à l’extérieur du tibia (figure 6). On obtient ainsi une réinsertion anatomique et une fixation stable du fragment osseux avec le ligament croisé antérieur intact (figure 7 et 8). L’alternative consiste en une ostéosynthèse conventionnelle avec fixation du fragment par vis, pouvant également être effectuée par arthroscopie. Cette technique est choisie surtout pour de grands fragments osseux (figure 9). Dans la littérature les résultats des deux techniques de fixation sont considérés équivalents5,7,8). Des lésions accessoires du ménisque ou du cartilage sont également traitées par arthroscopie pendant la même intervention.

Figure 5. Vue arthroscopique du fragment osseux repositionné avec deux broches introduites à l’aide d’un guide de visée tibial. Le ligament croisé antérieur intact est saisi par laçage.
Figure 6. Représentation schématique de la technique par laçage.
Source: Nwachukukwu BU, Green DW, Gans I, Ganley TJ. Tibial Spine/Anterior Cruciate Ligament Avulsion Fractures: Overview and Arthroscopic Technique for Internal Fixation with Cannulated Screws and Suture Technique. 2015;32(33):261-273. From Cordasco FA, Green DW. Pediatric and Adolescent Knee Surgery. Wolters Kluwer 2015
Figure 7. Vue arthroscopique après repositionnement et fixation par laçage du fragment osseux avec le ligament croisé antérieur intact.
Figure 8. Radiographie de profil après traitement chirurgical par laçage et fixation au moyen d’un bouton métallique sur le plateau tibial.
Figure 9. Radiographie de profil après ostéosynthèse et fixation au moyen de vis.

Réhabilitation et évolution à long terme

Le suivi est identique tant pour le traitement conservateur que chirurgical. L’immobilisation de l’articulation dans une orthèse de Brace ou une attelle plâtrée est maintenue en général pendant six semaines, les patient-e-s étant mobilisé-e-s avec des béquilles en ne chargeant que la moitié du poids sur la jambe atteinte. Après six semaines on effectue le premier contrôle clinique et radiologique et on autorise la mobilisation du genou en augmentant la charge sur la jambe opérée. En même temps est initiée la physiothérapie avec pour objectif la stimulation musculaire et la stabilisation, comme pour la réhabilitation après une ligamentoplastie. Les activités sportives seront autorisées, selon les besoins de réhabilitation, au plus tôt après trois mois. Tant pour le traitement conservateur que chirurgical, la guérison est en général nettement plus rapide et le pronostic meilleur que pour la ligamentoplastie. Les fractures avec arrachement osseux sont des lésions sans trouble des propriocepteurs de la gaine ligamentaire (contrairement à la rupture du ligament avec atteinte durable de la proprioception). En règle générale les patient-e-s avec une fracture-arrachement de l’épine tibiale de type 3-4 atteignent bien plus rapidement leur niveau d’activité et sportif7).

Complications possibles

Le pronostic après traitement conservateur ou chirurgical d’une lésion par arrachement du ligament croisé antérieur est excellent, le taux de complications est bas. Les complications suivantes sont décrites avec la même fréquence tant pour le traitement chirurgical que conservateur: instabilité persistante, mobilité limitée, non-cicatrisation du fragment osseux8). La complication la plus fréquente est la limitation de la mobilité, due d’une part à un fragment insuffisamment réduit (perte de l’extension complète) et d’autre part à la formation d’une arthrofibrose. L’arthrofibrose due à une lésion de l’épine survient avec une fréquence de 10% et se caractérise par une rigidité douloureuse du genou9). Il s’agit d’une cicatrisation intra-articulaire dont l’origine n’est pas claire. Les facteurs de risque sont l’hématome intra-articulaire et l’immobilisation postopératoire prolongée10). Le traitement conservateur de l’arthrofibrose est en général possible par une physiothérapie intensive de mobilisation du genou, la révision chirurgicale avec excision du tissu cicatriciel n’étant que rarement nécessaire8,10).

Résumé

La fracture-arrachement du ligament croisé antérieur (fracture-arrachement de l’épine tibiale) est une lésion typique de l’adolescent-e sportif/sportive. Le symptôme clé est la tuméfaction douloureuse du genou suite au traumatisme, l’examen radiologique permettant en général le diagnostic et la classification de la lésion. Pour les lésion déplacées on recommande de compléter les investigations par une IRM, afin de repérer d’éventuelles lésions accessoires. La classification et le plan thérapeutique se font sur la base des catégories de Meyers et McKeever. Pour les lésions non disloquées du type 1 le traitement est conservateur, les lésions disloquées du type 2, 3, 4 étant en général opérées. L’objectif est la réinsertion anatomique et la fixation stable du fragment osseux avec son ligament croisé antérieur. En raison de la morbidité moindre, de la durée d’hospitalisation et de réhabilitation plus courte on recommande la technique mini-invasive par arthroscopie. Les deux techniques de fixation, par laçage ou ostéosynthèse au moyen de vis, obtiennent des résultats équivalents. Le suivi postopératoire est le même après traitement conservateur ou chirurgical et consiste en une immobilisation dans une orthèse de Brace ou une attelle plâtrée pour 6 semaines, suivie de physiothérapie visant le rétablissement de la force musculaire. La guérison est rapide et le pronostic à long terme excellent. En général les patient-e-s retrouvent leur niveau d’activité et sportif après 3-4 mois. Le taux de complications est bas, une révision chirurgicale en raison d’une arthrofibrose est rarement nécessaire.

Références

  1. Edmonds EW, Fornari ED, Dashe J, Roocroft JH, King MM, Pennock AT. Results of displaced pediatric tibial spine fractures: a comparison between open, arthroscopic, and closed management. J Pediatr Orthop. 2015;35:651–6.
  2. Scrimshire AB, Gawad M, Davies R, George H. Management and outcomes of isolated paediatric tibial spine fractures. Injury. 2018;49(2):437-42.
  3. Kocher MS, Foreman ES, Micheli LJ. Laxity and functional outcome after arthroscopic reduction and internal fixation of displaced tibial spine fractures in children. Arthroscopy. 2003;19(10):1085-90.
  4. Michell JJ, Sjostrom R, Mansour AA, Irion B, Hotchkiss M, Terhune B et al. Incidence of Meniscal Injury and Chondral Pathology in Anterior Tibial Spine Fractures of Children. J Pediatr Orthop. 2015;35:130–5.
  5. Adams AJ, Talathi NS, Gandhi JS, Patel NM, Ganley TJ. Tibial spine fractures in Children: Evaluation, Management and Future Directions. J Knee Surg. 2018;31:374-81.
  6. Meyers MH, Mc Keever FM. Fracture of the intercondylar eminence of the tibia. J Bone Joint Surg Am. 1959;41(2):209-222.
  7. Heyworth BE, Kocher M. Intra-articular injuries of the knee. 2015;30:1077-135. From Flynn JM, Skaggs DL, Waters PM. Rockwood and Wilkins´ Fractures in Children. Eight edition. Wolters Kluwer 2015.
  8. Nwachukukwu BU, Green DW, Gans I, Ganley TJ. Tibial Spine/Anterior Cruciate Ligament Avulsion Fractures: Overview and Arthroscopic Technique for Internal Fixation with Cannulated Screws and Suture Technique. 2015;32(33):261-73. From Cordasco FA, Green DW. Pediatric and Adolescent Knee Surgery. Wolters Kluwer 2015.
  9. Nwachukwu BU, McFeely ED, Nasreddine A. Arthrofibrosis after cruciate ligament reconstruction in children and adolescents. J Pediatr Orthop. 2011;31(8):811-7.
  10. Vander Have KL, Ganley TJ, Kocher MS. Arthrofibrosis after surgical fixation of tibial eminence fractures in children and adolescents. Am J Sports Med. 2010;38(2):298-301.

Informations complémentaires

Traducteur:
Rudolph Schlaepfer
Correspondance:
Conflit d'intérêts:
L'auteur n'a déclaré aucun lien financier ou personnel en rapport avec cet article.
Auteurs
Dr. med.  Christoph Aufdenblatten eMBA, Orthopädie und Traumatologie, Universitäts-Kinderspital, Zürich