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Sport pour les enfants et adolescents avec une maladie rhumatismale

“If I ever did one good thing in my medical career it was to introduce sport into the rehabilitation of disabled people.”

Ludwig Guttmann 1899-1980

Introduction

Longtemps on partait du principe que le sport et les maladies rhumatismales chroniques étaient incompatibles. On ne recommandait un traitement par de l’activité physique que pour les patients avec une maladie de Bechterew, par crainte d’un raidissement du rachis. Aujourd’hui on a pris conscience de l’importance de l’activité physique pour les enfants, aussi pour les enfants avec une maladie chronique1).

Les progrès dans le traitement des maladies rhumatismales de ces deux dernières décennies sont énormes. Cela permet aux enfants et adolescents avec ces maladies de ne bénéficier, comme auparavant, que de physiothérapie. Ils sont nombreux à participer au sport à l’école ou à pratiquer un sport pendant leurs loisirs. De quoi faut-il par contre tenir compte ?

L’arthrite juvénile idiopathique

La maladie rhumatismale la plus fréquente pendant l’enfance est l’arthrite juvénile idiopathique (AJI). Dans cette contribution on s’intéressera donc spécifiquement au sport pour patients avec une AJI. L’AJI comprend un groupe cliniquement hétérogène de maladies inflammatoires auto-immunes qui débutent par définition avant l’âge de 16 ans et durent au moins 6 semaines2). Toutes les formes se caractérisent en premier lieu par une inflammation de l’appareil musculosquelettique, surtout des articulations, tendons et insertions tendineuses (enthésites). L’AJI persiste chez plus que la moitié des patients jusqu’à l’âge adulte et peut avoir des répercussions conséquentes sur les aptitudes physiques et psychosociales.

Effets de l’AJI

Les arthrites ou enthésites mènent chez les enfants et adolescents avec und AJI à une limitation de l’activité physique et sportive. Cela occasionne une diminution de la forme physique, de l’endurance et de la force ainsi que de la mobilité, tant pendant la phase aiguë de la maladie que par la suite. L’immobilisation et le manque de stimulation mécanique ont pour effet une diminution de la masse musculaire et osseuse, cette dernière étant associée à un risque accru de fractures tout au long de la vie. En outre les maladies inflammatoires systémiques comme l’AJI engendrent une perte secondaire de la densité osseuse, le taux élevé de cytokines se répercutant aussi sur le métabolisme osseux. La production de cytokine inflammatoire interleukine-6 (IL-6) est augmentée lors d’une AJI, surtout systémique. L’IL-6 est aussi impliquée dans le développement d’une ostéopénie en stimulant l’activité des ostéoclastes. On constate donc un risque élevé d’ostéoporose chez les patients dont la maladie est plus sévère et le taux de marqueurs inflammatoires plus élevé3). La croissance de la masse osseuse, comparé aux personnes sans atteinte articulaire, est moindre tant en général qu’en proximité des articulations touchées4).

Localement l’arthrite occasionne souvent une position antalgique qui est à son tour à l’origine de malpositions, contractures et déformités (fig. 1). L’arthrite peut aussi engendrer un trouble de la croissance de l’articulation atteinte.

Figure 1. Atrophies musculaires, malposition des pieds, valgus des genoux dus à une arthrite chronique.

 Les symptômes généraux les plus fréquents dus à l’inflammation chronique, sont les douleurs et la fatigue, pouvant à leur tour détériorer la qualité de vie et entraver l’intégration sociale. L’anémie inflammatoire engendre de la fatigue, une diminution de l’activité et des performances, constatés notamment chez les patients avec une polyarthrite ou une arthrite juvénile systémique. Outre la maladie elle-même se font ressentir aussi les effets indésirables des médicaments: les stéroïdes peuvent provoquer des sauts d’humeur, le méthotrexate fréquemment de la nausée. Tous ces facteurs favorisent un mode de vie inactif et sédentaire.

L’arthrite rhumatoïde est associée, sur le plan épidémiologique, au développement précoce de maladies cardiovasculaires et à une espérance de vie plus courte. Cela a incité à examiner la santé vasculaire des patients avec une AJI. On constate en effet un épaississement de l’endothélium artériel, signe préclinique de l’athérosclérose, qui peut se développer à l’âge adulte en une artériosclérose précoce et cliniquement significative5). À l’origine des atteintes vasculaires on peut trouver une inflammation chronique avec des protéines inflammatoires circulantes, mais aussi des médicaments comme les corticostéroïdes et les AINS6). L’inactivité physique est aussi étroitement associée à des facteurs de risque cardiovasculaires comme des anomalies de la pression artérielle et des lipides, une résistance à l’insuline augmentée et le développement d’un diabète.

Activité physique des enfants avec une AJI

Le traitement de l’arthrite juvénile idiopathique a changé ces deux dernières décennies grâce aux connaissances de la pathogénèse et à la disponibilité de nouveaux médicaments biologiques. Ces traitements permettent aux patients avec une AJI d’obtenir, dans les six mois, une nette réduction de l’activité de la maladie; au bout de trois ans la moitié des enfants est en rémission7). Cela diminue les atteintes dues à AJI et on pourrait s’attendre à une intensification de l’activité physique, ce qui n’est pas le cas. Les enfants et adolescents avec une AJI sont moins actifs, indépendamment de l’intensité de la maladie, que des groupes de contrôle du même âge8), quand bien même ils soient traités selon les directives thérapeutiques9).

Seulement 4% atteignent une heure quotidienne d’activité sportive moyenne à intense recommandée par l’OMS, alors que dans des groupes contrôle ils sont tout de même 16%10).

Afin d’éviter les effets à long terme de l’inactivité physique, il est important de montrer aux enfants et familles concernées comment rester actifs physiquement ou comment favoriser la reprise du sport. Souvent on constate une attitude hyperprudente du patient ou de ses parents, des thérapeutes, professeurs de sport ou médecins, par crainte d’endommager les articulations11).

Les effets positifs de l’activité physique ou de simplement bouger sont valables tant pour les enfants avec une maladie chronique que pour ceux en bonne santé. Une activité physique et des entraînements réguliers sont essentiels pour le développement moteur, les performances psychique et physique et la qualité de vie. Le sport favorise la minéralisation osseuse et diminue le risque d’ostéoporose à un âge avancé. Pendant l’enfance et l’adolescence le squelette subit de profondes transformations pour atteindre la «masse osseuse maximale» à l’âge de jeune adulte. Environ 26% de la masse osseuse adulte totale sont formés pendant les env. deux ans avant/après le moment du développement osseux maximal (12.5 ans pour les filles, 14.1 ans pour les garçons)12). Les enfants et adolescents ayant une activité physique et sportive ont un profil de risque cardiovasculaire favorable par rapport aux enfants et adolescents inactifs. L’objectif est donc de faire participer les patients avec une maladie chronique régulièrement au sport scolaire et qu’ils soient actifs aussi en dehors du sport à l’école.

Efficacité du sport pour l’AJI

Le sport, pratiqué correctement, n’aggrave pas la maladie, comme on le craint encore souvent mais peut au contraire contribuer à soulager la douleur et à réduire les besoins de médicaments13). De même le sport ne déclenche pas une arthrite, comme parfois le craignent surtout des parents soucieux. Des indices récents révèlent au contraire qu’une activité sportive régulière exerce un effet anti-inflammatoire et peut ainsi avoir un effet positif sur la maladie rhumatismale14). Lorsque le patient atteint la rémission, l’activité physique plus soutenue peut faire régresser les altérations musculosquelettiques, augmenter la force musculaire et la densité osseuse et améliorer la fonction articulaire (fig. 2). Cela a été mis en évidence par plusieurs études randomisées et contrôlées avec des enfants et adolescents souffrant de maladies rhumatismales15).

Figure 2. Objectifs du sport avec une AJI.

Recommandations pour la pratique du sport avec une AJI

Julie, 15 ans, est élève au lycée. Elle présente une oligoarthrite juvénile idiopathique modérée et se trouve en rémission sans traitement. Malgré cela, elle et ses parents demandent à être dispensée de la gymnastique, car toute activité physique provoquerait des douleurs.

Matteo, 13 ans, fréquente l’école secondaire. Il souffre d’une spondylarthrite juvénile traitée par un inhibiteur du TNF-α. Matteo est un footballeur passionné et membre du club local. Il présente aussi une maladie d’Osgood-Schlatter ddc. et ni les douleurs de cette dernière ni une gonarthrite aiguë ne l’empêchent de s’entraîner.

Comme pour ces deux exemples, on constate globalement que le niveau d’activité physique des patients avec une AJI ne dépend pas directement du traitement ou de l’intensité de la maladie. Alors que la lycéenne de 15 ans devrait être incitée à pratiquer du sport, pour le jeune footballeur une pause sportive serait indiquée en raison de l’arthrite active.

Chaque patient doit être conseillé individuellement, en fonction de l’intensité de la maladie, de l’âge et du type d’arthrite. Plus l’enfant est jeune, plus il peut s’adonner à son activité habituelle. Alors que chez les patients avec une oligarthrite n’est peut-être touchée qu’une seule articulation, chez d’autres avec une polyarthrite elles sont nombreuses. Important pour le sport est aussi de savoir si des grandes ou petites articulations sont touchées. Une coxarthrite est toujours très douloureuse et limite les mouvements lors de la simple marche. Une polyarthrite des petites articulations des mains occasionnera des difficultés aux agrès ou pour des jeux de balle.

Auto-perception

Comme les exemples l’illustrent, l’ampleur de l’activité physique dépend plus de l’intensité vécue de la douleur que de facteurs liés à la maladie. L’auto-perception du patient et les effets liés à l’activité jouent un rôle important. Lors d’une entretien il s’agit surtout d’expliquer et de sensibiliser à l’importance de l’activité physique. On peut alors réfléchir au sport adapté à chaque patient.

Quels facteurs faut-il considérer lorsqu’on conseille une activité sportive ?

Phase aiguë de la maladie: l’AJI est caractérisée par des phases inflammatoires récurrentes. Lors de phases aiguës, avec des articulations tuméfiées et/ou douloureuses on évitera les sport avec impacts, comme le jogging, tennis, handball, basketball, les sports qui entraînent des chocs. En font partie aussi le football et le rugby, comportant un risque élevé de traumatismes et blessures surtout des articulations.

Lors de phases d’activité intense de la maladie, l’objectif doit être de bouger régulièrement mais avec une charge limitée (fig. 3). Une mise au repos n’est pas nécessaire mais plutôt contre-productive. Bouger est utile dans toutes les phases de la maladie. Des activités avec une sollicitation faible du système musculosquelettique sont la marche, le vélo, la natation, le yoga et le pilates. Ces sports à faible impact sont possibles pendant cette phase de la maladie, dans les limites de la douleur.

Figure 3. Sport adapté à l’intensité de la maladie.

Maladie inactive : pendant la phase inactive, lorsque l’inflammation articulaire s’est calmée, la charge peut progressivement être augmentée. Après la régression de l’arthrite aiguë, les performances sportives sont encore limitées à cause de la perte de masse musculaire, des limitations par les contractures ou les malpositions articulaires. Selon l’étendue des altérations et avant la reprise du sport, sera mis en place un programme de rééducation pour améliorer la mobilité des articulation ou de rétablissement de la masse musculaire. Plus l’enfant est jeune, plus les contractures se corrigent rapidement et la musculature récupère spontanément par l’activité normale. L’attention devrait être portée sur des mouvements articulaires correctes et la coordination (p.ex. équilibre).

Rémission : pendant la phase de rémission le sport peut être pratiqué sans réserve, en entraînant tant la vitesse que l’endurance. Sont également possibles les sports à fort impact. Les chocs étant plus importants, ils favorisent le développement de la force et de la densité osseuse. Malgré une maladie rhumatismale vaut la recommandation générale d’avoir au moins 60 minutes d’activité physique par jour (fig. 4).

Figure 4. L’activité physique est importante pour les enfants en bonne santé et les enfants avec une maladie chronique.

Éducation physique

Dans la plupart des cas une dispense générale de l’éducation physique va à l’encontre des connaissances de la médecine du sport actuelle. ACTIVDISPENS® donne la possibilité de faire participer activement, avec des dispenses partielles clairement définies, les enfants et adolescents blessés ou peu malades à l’éducation physique. Il s’agit d’un programme contre l’inactivité et l’immobilisation des enfants et adolescents pendant une phase de blessure ou maladie. Le catalogue énumère les activités que des enfants et adolescents avec une dispense partielle peuvent exercer. Il s’agit également de montrer aux adolescents qu’il y a toujours un juste milieu entre inactivité complète et sport intense.

Conclusion

Face à des maladies à l’évolution aussi hétérogène que l’AJI, sont nécessaires des conseils individualisés sur la base d’un concept général afin de déceler des barrières, de transmettre des connaissances et de favoriser une activité physique adaptée.

Références

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Informations complémentaires

Traducteur:
Rudolf Schlaepfer
Correspondance:
Conflit d'intérêts:
L'auteure n'a déclarée aucun lien financier ou personnel en rapport avec cet article.
Auteurs
Dr. med.   Daniela Kaiser Pädiatrische Rheumatologie, Kinderspital Zentralschweiz, Luzern, Schweiz