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Comment ne pas passer à côté d’un diagnostic d’épiphysiolyse fémorale supérieure

L’épiphysiolyse fémorale supérieure (EFS) correspond à un glissement du col du fémur (la métaphyse) en direction ventrale ou ventro-latérale, tandis que la tête du fémur (l’épiphyse) reste localisée dans l’acétabulum. Ce phénomène est provoqué par une baisse de la résistance mécanique de la zone de croissance pendant la poussée de croissance à la puberté.

Introduction

L’épiphysiolyse fémorale supérieure (EFS) correspond à un glissement du col du fémur (la métaphyse) en direction ventrale ou ventro-latérale, tandis que la tête du fémur (l’épiphyse) reste localisée dans l’acétabulum. Ce phénomène est provoqué par une baisse de la résistance mécanique de la zone de croissance pendant la poussée de croissance à la puberté. Sont ainsi concerné·e·s les adolescent·e·s entre 10 et 16 ans, les garçons étant 1.5 fois plus touchés que les filles. L’incidence s’élève à 1-10 cas par 100 000 habitants(1).

Les facteurs de risque connus sont le surpoids, une ethnicité africaine, des maladies hormonales (p. ex. une hyperparathyroïdie, une hypothyroïdie, une ostéodystrophie rénale) et une chimio- /radiothérapie(2).

Les cas d’épiphysiolyse traumatique au sens d’une fracture de la tête fémorale de type 1 selon la classification de Salter et Harris sont très rares.

On passe fréquemment à côté d’un diagnostic précoce en raison de symptômes d’abord légers la plupart du temps, avec notamment une claudication et des douleurs diffuses au niveau du genou et de la portion ventrale de la cuisse. Une étude d’Hosseinzadeh et al. de 2017 a montré que si le patient se présente initialement ailleurs que dans un centre orthopédique, le retard de diagnostic peut être significatif et atteindre en moyenne 94 jours. Les patient·e·s qui souffrent dans un premier temps uniquement de douleurs au genou sont particulièrement concerné·e·s(3).

Clinique

Typiquement, le patient consulte en raison d’une claudication ou d’une marche avec rotation externe. Les douleurs sont souvent localisées au niveau du genou ou de la région ventrale de la cuisse. Il s’agit de « douleurs référées » au niveau des régions innervées par le nerf obturateur et le nerf fémoral. Initialement, aucune douleur n’est généralement ressentie dans la hanche ou l’aine. Cela peut retarder le diagnostic et présenter un risque de voir le glissement se poursuivre et compromettre l’arrivée de sang au niveau de la tête fémorale avec une poursuite de la déformation et une atteinte potentiellement irréversible de la tête du fémur(4).

A l’examen clinique, on observe à la fois une boiterie et une restriction, voire une abolition de la rotation interne de la hanche. En outre, la flexion et l’abduction de la hanche peuvent elles aussi être restreintes. Le membre en rotation externe et raccourci provoque une insuffisance au niveau des muscles abducteurs de la hanche, qui peut se manifester par un signe de Trendelenburg positif.

Un signe de Drehmann positif est clairement un signal d’alarme pour le diagnostic. Il se définit par une rotation externe spontanée de la jambe associée à une flexion passive de la hanche et est ainsi pathognomonique. Une flexion passive de la hanche en rotation neutre n’est pas possible en raison de la déformation subie. 

Les EFS traumatiques, rares, sont semblables à une fracture du col du fémur. Le tableau clinique aiguë est marqué par de fortes douleurs, une incapacité de marcher. Une clinique de raccourcissement et de rotation externe du membre touché, permet généralement un diagnostic rapide.

En cas de suspicion d’EFS, l’adolescent·e ne doit plus prendre appui sur la jambe concernée dans l’attente d’une confirmation du diagnostic ou d’une stabilisation chirurgicale.

Classification

Historiquement, la classification clinique de l’EFS intervient sur la base de la durée des symptômes qui peut être aiguë (< 3 semaines), chronique (> 3 semaines), ou aiguë sur chronique (exacerbations douloureuses ou incapacité de marcher associée à des troubles chroniques)(5). Une répartition entre stable (marche possible) et instable (marche impossible) est également utilisée(6). La corrélation entre la stabilité clinique et la stabilité mécanique intra opératoire de la zone de croissance est cependant insuffisamment probante(7).

Une classification radiologique selon Southwick s’appuie sur l’angle de glissement de l’axe du col du fémur par rapport à l’épiphyse dans l’incidence de Lauenstein. On distingue les trois groupes suivants : léger <30°, modéré 30-50° et sévère >50°(8).

Imagerie

Le gold standard pour le diagnostic et l’évaluation de la gravité d’une EFS consiste à prendre un cliché d’ensemble du bassin, ainsi qu’impérativement un cliché sur une seconde incidence (incidence de Lauenstein ou projection axiale). La seconde incidence est indispensable car à un stade précoce, le glissement n’est visible que sur un cliché latéral. L’atteinte étant bilatérale dans jusqu’à 40 % des cas, il est nécessaire de radiographier les deux hanches(1,9).

Une radio conventionnelle montre typiquement une zone de croissance lâche, élargie et irrégulière, qui peut parfois ne pas être remarquée en cas d’EFS bilatérale. La ligne de Klein est utile au diagnostic. Cette tangente, positionnée le long du bord supérieur du col du fémur, traverse en temps normal l’épiphyse fémorale supérieure dans sa région la plus latérale. Si la ligne de Klein ne coupe par l’épiphyse, une EFS est à envisager.

Les EFS chroniques peuvent se caractériser par une déformation du col du fémur, des réactions périostées, une formation calleuse et une résorption osseuse au niveau de la métaphyse.

Figure 1.
Fille de 11 ans avec douleurs au dos, épiphysiolyse fémorale supérieure légère à droite.
La ligne de Klein à droite dans le cliché d’ensemble du bassin est pathologique et ne coupe pas la portion la plus latérale de l’épiphyse fémorale supérieure, contrairement au côté gauche (A). L’incidence de Lauenstein à droite montre le léger glissement, ainsi que la zone de croissance élargie et irrégulière (B).

Les examens d’imagerie conventionnels sont souvent complétés par un examen d’imagerie par résonnance magnétique (IRM). L’IRM donne des informations complémentaires en matière de déformations (perte du décalage au niveau de la transition tête-col) et de lésions articulaires associées qui ont une influence sur la planification du traitement chirurgical. Les informations sur l’apport de sang au niveau de la tête du fémur gagnent également en importance et permettent de se prononcer sur la possibilité d’une nécrose de la tête fémorale et ainsi sur le pronostic à long terme.

L’IRM peut être utile à un diagnostic précoce, en particulier en cas de glissement minimal, en montrant p. ex. un épanchement articulaire en guise de première manifestation d’une inflammation de la hanche.

Une tomodensitométrie (TDM) peut être utile pour la quantification, la localisation de la déformation et une reconstruction en trois dimensions accompagnée d’une animation pour la planification chirurgicale, mais sa charge élevée en rayonnements se justifie difficilement chez les adolescent·e·s.

Traitement

La corrélation entre les troubles cliniques et la stabilité mécanique de la zone de croissance étant insuffisamment étayée, il faut immédiatement interdire de prendre appui sur la jambe concernée en cas de suspicion(7). L’adolescent·e doit être orienté·e le jour même vers un centre d’orthopédie pédiatrique pour y réaliser un diagnostic approfondi et mettre en place un traitement adéquat.

L’évolution spontanée d’une EFS est un glissement progressif et ainsi une déformation progressive au niveau de la transition tête-col, qui conduit à un conflit mécanique entre la portion proximale du fémur et l’acétabulum(10). Au-delà d’un diagnostic précoce, un traitement chirurgical est indispensable.

Son objectif est d’empêcher la progression du glissement de la tête fémorale. Par le passé, le traitement chirurgical se composait d’une pose de broches in situ avec le cas échéant un repositionnement fermé au préalable.

Des études récentes montrent toutefois que même en cas d’EFS légère à modérée après pose de broches in situ, il persiste un risque de conflit fémoro-acétabulaire de type cam. La déformation résiduelle au niveau de la transition entre la tête fémorale et le col du fémur peut conduire à un conflit avec le cotyle. Les conséquences possibles sont une atteinte articulaire dégénérative, notamment des lésions cartilagineuses et du labrum(11,12).

Ainsi, dans l’acceptation actuelle, la simple pose de broches in situ dans les cas d’EFS avancée n’est pas suffisante et l’objectif consiste à obtenir une reconstruction anatomique de la hanche aussi précise que possible.

En cas d’EFS légère sans conflit mécanique, la littérature est unanime pour recommander la fixation de l’épiphyse en position par épiphysiodèse in situ, à l’aide de vis ou de broches de Kirschner. Le matériel de fixation dépassant de la zone de croissance doit rester en place jusqu’au terme de celle-ci.

En règle générale, en Suisse, on procède également à une fixation préventive du côté sain opposé, car il est possible qu’il développe également une EFS, en particulier durant les premiers 18 mois(13). Le risque d’atteinte bilatérale est de l’ordre de 30-60 %.

Figure 2.
Clichés du bassin (A) et incidence de Lauenstein à droite (B) après pose de broches de Kirschner in situ dans l’épiphyse fémorale supérieure droite de la figure 1 et fixation préventive à gauche (C).

La littérature décrit parfois également un repositionnement fermé par traction et manœuvres de rotation. Cette approche présente cependant des risques élevés, car un repositionnement excessif ou des manœuvres de repositionnement incontrôlées et brusques peuvent provoquer une abrasion du périoste contenant les vaisseaux du rétinaculum et conduire à une nécrose avasculaire de la tête fémorale(14). Nous considérons qu’il convient d’éviter en toute circonstance les tractions et les manœuvres de repositionnement fermées. Par ailleurs, une déformation résiduelle persiste souvent et conduit à plus long terme aux atteintes articulaires dégénératives mentionnées ci-dessus, jusqu’à imposer une nouvelle intervention chirurgicale(15).

Une alternative courante en cas de glissement modéré avec restriction mécanique est la pose de broches in situ, suivie d’une correction de la déformation. Cette correction s’accompagne d’une suppression de la déformation résiduelle sur la transition entre la tête fémorale et le col du fémur. Cette intervention peut se faire par chirurgie à ciel ouvert ou arthroscopique.

En cas d’EFS sévère, nous recommandons une prise en charge par luxation chirurgicale de la hanche, suivie d’une intervention selon la technique de Dunn modifiée. Cette technique permet un repositionnement anatomique de l’épiphyse fémorale supérieure sur le col du fémur, suivi d’une fixation en préservant l’irrigation sanguine par le rétinaculum de la tête fémorale. Il s’agit d’une intervention complexe, en particulier s’agissant du danger de nécrose avasculaire de la tête fémorale, qui doit uniquement être réalisée dans des centres expérimentés dans la chirurgie conservatrice de la hanche(16). Si une telle intervention est impossible dans l’établissement de présentation initiale du patient, une pose de broches in situ peut être effectuée dans un premier temps pour la stabilisation temporaire, avant de procéder à un transfert vers un centre spécialisé dans la chirurgie de la hanche pour prise en charge définitive.

Figure 3.
Garçon de 14 ans avec épiphyse fémorale supérieure avancée à gauche (A). Le traitement à gauche a consisté en une luxation chirurgicale de la hanche et a permis un repositionnement à ciel ouvert de l’épiphyse (Dunn modifié) (B, C), le tout complété par une fixation préventive à droite (D).

En postopératoire, un suivi clinique et radiologique des adolescent·e·s doit être assuré au minimum jusqu’à l’arrêt de la croissance. La reprise des activités sportives est envisageable après 3 à 6 mois, selon la technique chirurgicale employée.

Conclusion pour la pratique

  • Envisager une EFS chez les adolescent·e·s âgé·e·s de 12 à 14 ans avec douleurs au genou ou à la hanche.
  • Un signe de Drehmann positif est pathognomonique d’une EFS dans la fourchette d’âge typique.
  • Une EFS peut également survenir chez les adolescent·e·s minces et sportif·ve·s des deux sexes.
  • L’EFS est une urgence d’orthopédie pédiatrique et de l’adolescent·e. Le·la patient·e doit être orienté·e le jour même vers un centre d’orthopédie pédiatrique pour y réaliser un diagnostic approfondi et mettre un en place un traitement adéquat.
  • En cas de suspicion d’EFS, l’adolescent·e ne doit plus prendre appui sur la jambe concernée, dans l’attente d’une confirmation du diagnostic.
  • En raison du risque d’atteinte bilatérale, il faut toujours radiographier les deux hanches sur deux incidences.
  • La prise en charge chirurgicale consiste en une fixation / un repositionnement de la tête en position anatomique afin d’éviter des dommages consécutifs à un mauvais positionnement mécanique (conflit fémoro-actabulaire de type cam) avec développement ultérieur d’une arthrose.

Références

  1. Loder R, Skopelja EN. The Epidemiology and Demographics of Slipped Capital Femoral Epiphysis. ISRN Orthop. 2011 Sep 21;2011:1–19.
  2. Gholve P, Cameron D, Millis M. Slipped capital femoral epiphysis update. Curr Opin Pediatr. 2009 Feb;21(1):39–45.
  3. Hosseinzadeh P, Iwinski H, Salava J, Oeffinger D. Delay in the Diagnosis of Stable Slipped Capital Femoral Epiphysis. J Pediatr Orthop. 2017 Jan;37(1):e19–22.
  4. Kocher M, Bishop J, Weed B, Hresko M, Millis M, Kim Y, et al. Delay in Diagnosis of Slipped Capital Femoral Epiphysis. Pediatrics. 2004 Apr 1;113(4):e322–5.
  5. Fahey J, O’brien E. Acute slipped capital femoral epiphysis: Review of the literature and report of ten cases. J Bone Jt Surg Am. 1965 Sep;47:1105–27.
  6. Loder R, Richards B, Shapiro P, Reznick L, Aronson D. Acute slipped capital femoral epiphysis: the importance of physeal stability. J Bone Jt Surg. 1993 Aug;75(8):1134–40.
  7. Ziebarth K, Domayer S, Slongo T, Kim Y, Ganz R. Clinical Stability of Slipped Capital Femoral Epiphysis does not Correlate with Intraoperative Stability. Clin Orthop. 2012 Aug;470(8):2274–9.
  8. Southwick W. Osteotomy through the lesser trochanter for slipped capital femoral epiphysis. J Bone Jt Surg Am. 1967 Jul;49(5):807–35.
  9. Jerre R, Billing L, Hansson G, Karlsson J, Wallin J. Bilaterality in Slipped Capital Femoral Epiphysis: Importance of a Reliable Radiographic Method. J Pediatr Orthop B. 1996;5(2):80–4.
  10. Dobbs M, Weinstein S. Natural history and long-term outcomes of slipped capital femoral epiphysis. Instr Course Lect. 2001;50:571–5.
  11. Leunig M, Casillas M, Hamlet M, Hersche O, Nötzli H, Slongo T, et al. Slipped capital femoral epiphysis: Early mechanical damage to the acetabular cartilage by a prominent femoral metaphysis. Acta Orthop Scand. 2000 Jan;71(4):370–5.
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  13. Schultz W, Weinstein J, Weinstein S, Smith B. Prophylactic pinning of the contralateral hip in slipped capital femoral epiphysis : evaluation of long-term outcome for the contralateral hip with use of decision analysis. J Bone Jt Surg Am. 2002 Aug;84(8):1305–14.
  14. Walton R, Martin E, Wright D, Garg N, Perry D, Bass A, et al. The treatment of an unstable slipped capital femoral epiphysis by either intracapsular cuneiform osteotomy or pinning in situ: a comparative study. Bone Jt J. 2015 Mar;97-B(3):412–9.
  15. Larson A, Sierra R, Yu E, Trousdale R, Stans A. Outcomes of Slipped Capital Femoral Epiphysis Treated With In Situ Pinning. J Pediatr Orthop. 2012 Mar;32(2):125–30.
  16. Tannast M, Jost L, Lerch T, Schmaranzer F, Ziebarth K, Siebenrock K. The modified Dunn procedure for slipped capital femoral epiphysis: The Bernese experience. J Child Orthop. 2017 Apr;11(2):138–46.

Informations complémentaires

Traducteur:
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Correspondance:
Conflit d'intérêts:
Les auteur-e-s n'ont déclaré aucun lien financier ou personnel en rapport avec cet article.
Auteurs
Dr. med.  Franziska Kocher Unité pédiatrique d’orthopédie et de traumatologie, Département femme-mère-enfant, Service de Chirurgie enfant-adolescent, CHUV, Lausanne

PD Dr. med.  Kai Ziebarth Kinderorthopädie und Traumatologie, Universitätsklinik für Kinderchirurgie, Inselspital, Bern