Orphelin, origine, orientation sexuelle…
Quel rapport entre ces termes, hormis leur « o » initial ?
C’est que chacun d’eux mérite d’être étudié sous l’angle des droits de l’enfant qui y correspondent.
Ainsi, l’orphelin a droit à des mesures de protection, à une famille reconstituée, à des revenus, et à être entendu sur toute question le concernant.
L’origine – nationale, ethnique, économique, religieuse ou sociale – ne doit pas avoir d’influence négative sur les droits de l’enfant, notamment sur son intégration scolaire ou professionnelle, et elle ne saurait constituer un obstacle à l’exercice de ses libertés.
L’orientation sexuelle renvoie elle aussi au principe de non-discrimination : chaque personne, quelles que soient ses préférences sexuelles, doit être traitée de la même manière par les autorités, la police, la justice, l’école, l’administration, le club sportif ou l’employeur.
Qui le dit ?
C’est le Dictionnaire des droits de l’enfant pour les enfants et pour les grands que la juriste Marie-Françoise Lücker-Babel vient de publier à la Joie de Lire (Genève, octobre 2019, ISBN : 978-2-889908-492-0) et qui offre une forme d’éclairage accessible à tous sur la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) dont on célèbre le 30e anniversaire.
Avec près de 600 entrées, ce dictionnaire constitue un large champ d’exploration et de vulgarisation de ces droits de l’enfant qui furent si lents à rejoindre le grand ensemble des droits de l’homme et à trouver leur définition dans ce texte novateur et exigeant qu’est la CIDE. Car, pour la première fois dans son histoire, l’humanité s’est dotée avec cette convention d’une règle contraignante, c’est-à-dire ne se contentant pas d’être un appel au bon vouloir et à la bienveillance (comme le fut, par exemple, la Déclaration des droits de l’enfant de Genève en 1924) mais obligeant les Etats signataires à en respecter les articles. Reste à la libérer du jargon juridique, à la partager et à la faire comprendre.
C’est tout le but de ce dictionnaire qui vise à informer les enfants (dès l’âge de 10 ans environ), leurs parents, mais aussi ceux qui en assument la charge d’une manière ou d’une autre : éducateur-trices de la petite enfance, enseignant-es, moniteur-trices, travailleur-euses sociaux-ales, pédiatres…
L’ouvrage est conçu en trois parties qui s’imbriquent : les définitions, les pages thématiques et les portraits.
Les définitions se veulent simples, mais renvoient souvent à d’autres entrées (cf. les termes en gars ci-après) qui les complètent. Par exemple les châtiments corporels sont ainsi présentés : “Brutalité et coups donnés à un enfant pour le faire obéir ou le punir. Ils font partie des mauvais traitements. Le plus souvent ils sont pratiqués dans le cadre familial et dans les institutions. Autrefois, ils étaient fréquents dans les écoles ; de nos jours, on en parle aussi à propos des enfants travailleurs. Ils sont des crimes contre la dignité et l’intégrité de l’enfant, parfois contre le droit à la vie. La loi doit protéger les enfants contre toutes les formes de châtiments corporels.“ Le ton ne laisse guère de place au relativisme : alors même que, dans le cadre familial, les châtiments corporels ne sont pas (encore) interdits en Suisse, par contraste avec les 58 pays dans le monde qui les ont interdits à cette date, l’auteur affirme comme un fait que la loi doit en protéger les enfants. Elle a raison !
Les pages thématiques sont particulièrement utiles car elles explicitent des concepts abstraits souvent difficiles à cerner : consentement, démocratie, devoirs, liberté, participation, respect, pour n’en citer que quelques-uns.
Quant aux portraits, dus à l’habile pinceau de Pauline Kerleroux, ils rendent un hommage mérité à certains des artisans et des militants des droits de l’homme, certains très connus, d’autres moins, dont on gagnerait à s’inspirer. Ainsi : Victor Schoelcher à qui l’on doit l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises ; Rosa Parks qui, en 1955, défia les lois ségrégationnistes américaines en s’asseyant délibérément sur un siège réservé aux Blancs dans un bus de l’Alabama ; Janusz Korczak, pédiatre qui créa en Pologne, au début du XXe siècle, la première république des enfants et réclama vivement une grande charte pour proclamer leurs droits ; ou encore Olympe de Gouge qui fut, en 1791, l’auteure de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, une outrecuidance qui lui valut d’être guillotinée.
Dans un petit opuscule intitulé Le droit de l’enfant au respect, Janusz Korczak avait écrit, en 1929 déjà : “Les enfants braillent, geignent, pleurnichent, couinent… Voilà un bouquet d’expressions que le dictionnaire des adultes a sélectionné à l’adresse des plus petits.”1)
Nous voici aujourd’hui armés d’un autre dictionnaire dont les mots-clés se rapportant aux enfants sont tout autres : dignité, respect, intérêt supérieur, intimité, repos, jeu, liberté d’opinion et d’expression, identité, écoute, participation… Une autre façon de voir le monde des enfants, avec ce même regard qu’avait Korczak pour qui, l’enfant n’étant pas un adulte en devenir mais un être à part entière, il doit “être pris au sérieux.”1)
Le dictionnaire des droits de l’enfant de M.-F. Lücker-Babel fait exactement cela : il prend l’enfant au sérieux.
1) Korczak J., Le droit de l’enfant au respect (trad. L. Waleryczak), Ed. Fabert, Paris, 2009