Revue professionnelle >

Diagnostic et prise en charge de douleurs lombaires chez les athlètes en âge de croissance par la médecine du sport

Introduction

Les douleurs dorsales, surtout lombaires, sont une raison fréquente de consultation en médecine du sport1). Il s’agit surtout d’athlètes entre 9 et 14 ans, en première ligne athlètes de pointe des disciplines esthétiques comme les agrès, la gymnastique et le patinage artistiques et en deuxième ligne des sports d’équipe avec des exigences élevées à la stabilité du tronc comme le foot, handball, hockey, unihockey, ainsi que le volleyball et le basketball. Alors que pour le premier groupe une charge correspondant à plusieurs fois le poids corporel s’exerce lors de flexions et hyperextensions sur les structures cartilagineuses et osseuses de la colonne vertébrale, pour le deuxième il s’agit plutôt de douleurs de surcharge musculaires due à la dysbalance ou aux raccourcissements musculaires. Pendant la poussée de croissance pubertaire, sous l’effet hormonal, les zones de croissance en proximité des plateaux supérieur et inférieur sont particulièrement fragiles.  Lors d’entraînements longs et intenses, l’allongement du tronc et l’insuffisance musculaire relative souvent associée peuvent occasionner une dysbalance biomécanique. Les patients avec un diagnostic de douleurs fonctionnelles qui ne réagissent pas rapidement au traitement conservateur, devraient donc bénéficier sans délai d’investigations par imagerie2).

Cette revue propose au médecin de premier recours des outils décisionnels pour le diagnostic et le traitement, et présente un aperçu des pathologies structurelles à l’origine de douleurs dorsales.

Douleur, le symptôme cardinal

Il va de soi que des douleurs nocturnes ou au repos, de la fièvre, une raideur matinale ou des déficits neurologiques des membres inférieurs doivent évoquer une maladie systémique à l’origine des douleurs dorsales. Il est donc nécessaire de chercher des causes inflammatoires, rhumatologiques ou néoplasiques. Une classification utile concernant les possibles sources de douleur et permettant de comprendre les mécanismes de transmission de la douleur, est la différentiation entre structures innervées et structures non innervées.

Structure innervée:

  • Os: vertèbres
  • Articulations: facettes articulaires
  • Disques: seulement la partie externe (anneau fibreux)
  • Ligaments: lig. longitud. ant., lig. longitud. post., lig. interépineux
  • Muscles et fascias
  • Racines nerveuses

Structure non innervée:

  • Ligament jaune
  • Partie interne des disques (noyau gélatineux)

Lorsqu’on observe une démarche particulière et une attitude antalgique en cyphose de la colonne lombaire chez de jeunes athlètes dont le sport comporte une forte flexion de la hanche et une charge élevée sur le torse, comme p.ex. l’aviron, on évoquera, et cela même si les douleurs ne sont que très légères, une discopathie, bien que cette pathologie soit beaucoup plus rare que chez l’adulte.

Anamnèse spécifique

L’anamnèse est essentielle pour le diagnostic des douleurs dorsales des jeunes sportives et sportifs. Il s’agit dans un premier temps d’évaluer si un accident, p.ex. une chute ou un mouvement inopiné étaient à l’origine de la douleur. Est-ce qu’il y a eu des troubles ou des blessures préalables ? Est-ce que la douleur se manifeste lors d’un effort ou indépendamment d’un effort ? Si la douleur apparaît lors d’un effort, on tâchera de préciser quels mouvements la déclenchent ou l’accentuent: p.ex. lors d’un saut en prenant l’élan ou à l’atterrissage, ou en hyperextension lombaire, etc. Il est tout aussi important de connaître ce qui soulage la douleur. Des signes d’alarme anamnestiques sont une sensation de faiblesse, d’engourdissement ou des fourmillements.

Examen physique

L’examen clinique du système musculosquelettique est à la fois statique et dynamique. L’inspection debout de face, de dos et de profil renseigne sur des mauvaises postures, des dysbalances musculaires et des troubles de la stabilité. On peut p.ex. différencier entre une cyphose thoracique de l’adolescent et une position des épaules simulant une cyphose, due à une musculature sous-scapulaire peu développée (scapulae alatae). Un développement asymétrique de la musculature paravertébrale, comme lors de certains sports avec des sauts avec rotation à droite, peut imiter une scoliose au test d’inclinaison en avant. Une hyperextension en position debout peut indiquer un faible contrôle du tronc. Le test de Matthias avec charge permet de corroborer ce diagnostic. Les jeunes gymnastes présentent souvent une hyperlordose avec bascule antérieure du bassin. Cela engendre une surcharge de la colonne lombaire surtout lors de l’atterrissage après un saut. La flexion suivie du redressement avec hyperextension permet l’évaluation dynamique des différents segments de la colonne vertébrale. Idéalement devrait être possible un mouvement régulier et harmonieux. Si en position assise avec jambes tendues il n’est pas possible de maintenir le torse en position érigée, il peut s’agir d’un raccourcissement des muscules ischio-jambiers. En position ventrale il devrait être possible de soulever le buste sans appui par hyperextension de la colonne. Par la palpation de la musculature dorsale on décèle des parties hypertoniques ou particulièrement sensibles à la pression. L’examen de la mobilité de la hanche par le test de flexion-adduction-rotation interne (FADIR) vise l’exclusion d’un conflit fémoro-acétabulaire avec position antalgique consécutive de la colonne lombaire. Finalement on juge la démarche ainsi que la position des pieds au repos et sur la pointe des pieds.

Selon l’anamnèse et le type de sport on utilise des tests spécifiques, qui seront décrits plus loin.

Douleurs dorsales fonctionnelles

Par douleurs dorsales fonctionnelles on entend les surcharges musculaires pour la plupart banales, fréquentes pendant la poussée de croissance pubertaire. Ces surcharges sont dues aux changements de la longueur du tronc et des rapports de force. Est particulièrement touché le muscle carré des lombes. Il est notamment sollicité lorsque la musculature autochtone stabilisant le dos décompense. À cet âge on devrait donc plus souvent intégrer à l’entraînement des exercices préventifs stabilisant la musculature du tronc. Pour la récupération de la musculature sont utiles, en complément, le rouleau pour fascias ainsi qu’un bon stretching, des massages régénératifs et l’application de chaleur. Pour une mesure objective des rapports de force (force maximale) on peut utiliser, en tant qu’outil diagnostique, le Back Check (fig. 1) et pour déterminer la mobilité des différents segments de la colonne le Medimouse (fig. 2).

Figure 1. Mesure des forces maximales des différents groupes de muscles du tronc et analyse des rapports de force flexion/extension et pression/traction, les valeurs absolues étant sans intérêt chez les gymnastes entraînés. Monitorage des interventions d’entraînement lors de dysbalances musculaires.
Figure 2. Le medimouse reproduit la morphologie de la colonne vertébrale dans différentes positions. Pour évaluer la stabilité du tronc sous charge, on peut aussi recourir au test de Matthias avec des poids.

En absence de toute amélioration après quelques semaines de mesures thérapeutiques adéquates, on cherchera des anomalies anatomiques de la jonction lombo-sacrale par imagerie3) (fig. 3).

Figure 3. Rotation convexe à gauche de la colonne lombaire d’au moins 30° à hauteur de L1-L3; vue antérograde sur les articulations facettaires. Arc vertébral L5 et S1 ouvert.

Douleur facettaire

Les facettes articulaires sont formées par les processus articulaires supérieurs et inférieurs de vertèbres adjacentes. Il s’agit d’articulations synoviales classiques avec un cartilage hyalin, une membrane synoviale et une capsule articulaire. Typiquement la surcharge de ces articulations résulte d’extensions et rotations répétées du rachis, comme c’est le cas pour la gymnastique ou le patinage artistiques mais p.ex. aussi pour le saut à la perche. Le tableau clinique correspond à celui de la spondylolyse avec un maximum de la douleur dans la région lombaire. La douleur augmente en station debout et avec le rachis droit. Lorsque sont atteintes les facettes lombaire supérieures, la douleur peut irradier dans les flancs, la hanche et la face latérale des cuisses. S’il s’agit des articulations facettaires inférieures, l’irradiation peut être glutéale ou dans les muscles ischio-jambiers.

La douleur peut être provoquée par l’extension, la rotation et la flexion latérale. L’IRM permet de confirmer le diagnostic par la mise en évidence d’œdèmes dans les articulations facettaires. Le traitement consiste à éviter toute hyperextension dans le sport pratiqué, p.ex. pas de service au tennis, pas de pont à la gymnastique. Suit une extension progressive et contrôlée, conduite du point de vue neuromusculaire, sous supervision physiothérapeutique.

Si l’évolution n’est pas favorable et en absence de réponse au traitement, on envisage l’injection intra-articulaire de stéroïdes. Très rarement, lors de douleurs très fortes, peut s’avérer nécessaire une ablation neuronale par radiofréquence, si un bloc nerveux périphérique ciblé préalable a été efficace4).

Spondylolyse

La spondylolyse est une fracture de fatigue, qui se produit suite à un conflit biomécanique entre le processus articulaire inférieur et l’isthme interarticulaire lors d’une hyperlordose avec rotation. La douleur est sourde, avec possible irradiation dans les fesses, et augmente lors de l’extension de la colonne. Devant la suspicion clinique de spondylolyse, après la radiologie conventionnelle l’imagerie de choix est l’IRM. La mise en évidence d’un œdème des pédicules (fig. 4) est le signe d’une spondylolyse débutante. La grande majorité de ces patients a un très bon pronostic avec un traitement conservateur, et a la possibilité de pouvoir pleinement pratiquer du sport dans les 3 à 6 mois4). Des études récentes montrent qu’il est possible de débuter un programme de réhabilitation physiothérapeutique après une pause sportive de 2 mois5). On débute par un rétablissement de la stabilité du tronc en position neutre de la colonne, pour poursuivre avec des exercices de type pilate avec peu de charge, en fonction de la douleur. L’application de corsets n’a pas montré d’avantages significatifs concernant la récupération6).

Figure 4. Œdème unilatéral du pédicule à hauteur de L3 après un atterrissage raté. Gymnaste du cadre national juniors, avec un tonus élevé du muscle carré des lombes.

Spondylolisthésis

Le terme spondylolisthésis désigne un glissement en général en avant d’une vertèbre par rapport à la vertèbre voisine. Le glissement peut être la conséquence d’une spondylolyse bilatérale. Le plus souvent est concerné le segment L5/S1. La douleur et le mode d’irradiation correspondent à ceux de la spondylolyse. Parfois se manifestent des symptômes radiculaires par compression de racines nerveuses. Cliniquement on constate une hyperlordose lombaire avec des muscles ischio-jambiers hypertoniques. La radiographie de profil debout montre l’extension du glissement (fig. 5). Étonnamment un déplacement jusqu’à 50% (Meyerding degré II) est compatible avec une activité sportive7). Le traitement est généralement conservateur et correspond à celui de la spondylolyse8). Une bonne communication avec le chirurgien orthopédique traitant et l’entraîneur est importante pour doser la charge pendant les entraînements et les compétitions.

Figure 5. Spondylolisthésis L5/S1 de degré II. Pas de progression malgré la pratique de sport de compétition dans les années suivantes.

Maladie de Scheuermann

La maladie de Scheuermann peut se manifester au niveau thoracique ou lombaire. La radiographie montre déformation cunéiforme ventrale de la vertèbre, avec un plateau vertébral irrégulier, un espace intervertébral rétréci et des nodules de Schmorl. La déformation cunéiforme des vertèbres occasionne une cyphose, généralement thoracique, rarement aussi lombaire (fig. 6), et est due à des traumatismes répétés du rachis immature. Le traitement par un corset est indiqué, pour le squelette immature, dans la région thoraco-lombaire lors d’un angle dépassant 40°.

Figure 6. Maladie de Scheuermann lombaire atypique. On remarque des irrégularités du plateau vertébral sans nodules de Schmorl typiques. Le gymnaste a poursuivi un entraînement de compétition avec un corset, en réussissant l’intégration dans le cadre national (contrairement aux recommandations de la médecine du sport et orthopédique!).

Discopathies

Les discopathies sont rarement la cause de douleurs lombaires. À l’origine on trouve, en tant que rareté, éventuellement une fracture par avulsion de l’anneau antérieur de l’apophyse vertébrale, avec formation d’une hermie discale (lésion AARA)9). Des indices cliniques sont une limitation de la flexion avec une grande distance doigt-sol, une démarche particulière, un slump-test positif et une position cyphotique antalgique du rachis. En absence de symptômes neurologiques le traitement est en général conservateur.

Tests spécifiques

Les tests cliniques suivants peuvent compléter l’évaluation surtout pour les sports artistiques qui présentent un risque élevé de troubles structurels de surcharge de la colonne lombaire. Tous les tests devraient pouvoir s’exécuter sans douleur.

Tests de provocation lors d’intolérance à l’extension, c.à.d. hyperextension douloureuse de la colonne

Les exemples typiques sont des douleurs en faisant le pont ou des flick flack en gymnastique artistique ou aux agrès ou le service au tennis. Le test de provocation consiste en une hyperextension avec les bras tendus vers le haut en position debout. Un test avec une sensibilité spécifique pour des problèmes des articulations facettaires est l’hyperextension combinée à une rotation, comme illustré dans la figure 7.  L’hyperextension active par élévation du buste les bras tendus, en position couchée sur le ventre avec le bassin et les jambes fixés, complète cette série de tests (fig. 8).

Figure 7. Hyperextension et rotation, le bras tendu le long de la jambe et rotation de la tête par-dessus l’épaule en direction de la main.
Figure 8. Redressement en position couchée sur le ventre avec bras et jambes tendus (position du phoque).

Tests de provocation lors d’intolérance à la compression, c.à.d. atterrissage douloureux après des sauts

Un test simple à effectuer est le heel drop test, où l’athlète est exhorté-e à se laisser tomber, depuis la position sur la pointe des pieds et tension du corps entier, sur les talons. La surcharge du rachis en position assise, comme dans figure 9, déclenche également des douleurs en présence d’une pathologie correspondante.

Figure 9. En position assise, les bras tendus et les mains en appui, exercer une traction sur le rachis tendu.

Tests de provocation lors d’intolérance à la rotation, c.à.d. douleurs lors d’une rotation sur l’axe corporel

La figure 10 montre un test de provocation avec rotation de la colonne en position couchée sur le ventre, le bassin fixé et la typique légère hyperextension, comme p.ex. lors du saut à la perche ou de pirouettes au patinage artistique.

Figure 10. Couché sur le ventre avec appui sur les coudes, rotation du torse et appui de la main opposée sur la fesse.

Conclusions

Les douleurs lombaires du jeune athlète (de compétition) sont pour la plupart dues à une surcharge musculaire. S’il n’y a pas d’amélioration par le traitement conservateur, on doit évoquer une surcharge des structures de l’appareil locomoteur particulièrement sensibles pendant la croissance. Le diagnostic se laisse confirmer par l’examen clinique et l’imagerie adéquate. Une investigation ciblée inclut des examens statiques et dynamiques en rapport avec les sollicitations du sport exercé. Heureusement par un traitement et accompagnement adéquats la réintégration dans le sport réussit dans la plupart des cas. La prise en charge base sur une bonne communication entre les professionnels impliqués (orthopédie pédiatrique, médecine du sport, physiothérapie sportive et entraîner), en incluant activement l’athlète et les parents10).

Références

  1. Hasler CC. Back pain during growth. Swiss Med Wkly. 2013 Jan 8;143:w13714.
  2. doi: 10.4414/smw.2013.13714. PMID: 23299906.
  3. Hasler CC, Studer D. Published online on 01.11.2019,https://doi.org/10.34045/SSEM/2017/14
  4. Sward L. Back pain and radiologic changes in the thoraco-lumbar spine of athletes. Spine 1990; 15(2):124-129
  5. Perolat R, et al. Facet joint syndrome: from diagnosis to interventional management. Insights
  6. into imaging 2018; 9(5):773-789.
  7. Standaert CJ. New strategies in the management of low back injuries in gymnasts. Current sports medicine reports 2002; 1(5):293-300
  8. Berger RG, Doyle SM. Spondylolysis 2019 update. Current opinion in pediatrics 2018
  9. Standaert CJ, Herring SA. Expert opinion and controversies in sports and musculoskeletal medicine: the diagnosis and
  10. treatment of spondylolysis in adolescent athletes. Arch phys med and rehab. 2007;88(4):537-40.
  11. Radcliff KE, et al. Surgical management of spondylolysis and spondylolisthesis in athletes: indications and return to play. Current sports medicine reports. 2009;8(1):35-40
  12. Nusman C, et al An 11-year-old high-level competitive gymnast with back pain. British journal of sports medicine 2013; 47(14):929-932
  13. O’Sullivan P, Smith A, Beales D, Straker L. Understanding Adolescent Low Back
  14. Pain From a Multidimensional Perspective: Implications for Management. J Orthop
  15. Sports Phys Ther. 2017 Oct;47(10):741-751. doi: 10.2519/jospt.2017.7376. Epub
  16. 2017 Sep 12. PMID: 28898135.

Informations complémentaires

Traducteur:
Rudolf Schlaepfer
Correspondance:
Conflit d'intérêts:
L'auteur n'a déclaré aucun lien financier ou personnel en rapport avec cet article.
Auteurs
Dr. med.  Markus Renggli Facharzt für Kinder und Jugendliche FMH, Sportmedizin SEMS, Baden